dimanche 30 septembre 2007

Poème

Gourmandises

Assis à ne rien faire
Regardant respirer la mer
Les heures une à une se coulent
Dans le moule de ma mémoire
Fabriquant tacitement une foule
De petites confiseries dérisoires.

Je me délecterais un jour
De tous ces moments de velours,
Un de ces jours à venir
Lorsque la vie commencera à me fuir,
Et que de mon corps sans âge,
Seule ma mémoire me permettra encore le voyage.
Je suçoterai alors un de ces petits souvenirs
Et garderai alors à jamais sur mes lèvres, mon sourire.

samedi 29 septembre 2007

vendredi 28 septembre 2007

Poème

Caresse

Ma main entre tes seins
Effleurant leur délicieux dessin.
Le long de tes courbes fines
Je la laisse aller, badine
Jusqu’au creux de tes reins,
Petit souffle aérien
Qui dans un murmure sensuel
T’embrasse, du bout de ses ailes.

mercredi 26 septembre 2007

Poème

Balançoire

Assis sur ma balançoire
Je laisse mes idées choir.
J’en rattrape une au hasard,
La jette à la mer,
Et vois apparaître sans y croire
Un immense serpent de mer.
Ne sachant pas quoi faire
Je lui ai collé deux ailes folles
Qui avec lui prirent leur envol
Vers d’autres atmosphères.

Et puis j’ai continué mes passifs balancements
Les yeux pleins de soleils
Et le visage plein de vent ;
Mais c’est par une oreille
Et un étrange grincement
Qu’une fois de plus évidement
Je fus entraîné dans une histoire
Bien loin de ma paisible balançoire.

Car quelle ne fut pas ma surprise
De voir dans l’arbre, assise,
Une chaise musicale,
Venue tout droit du lac Baïkal.
Elle était là, pataude,
Avec ses pieds trop courts
Et ses couleurs chaudes
A regarder la mer
Tout en jouant son drôle d’air.

Assis sur ma balançoire
J’ai laissé mes idées choir
Mais seules les plus indisciplinées
Entrèrent dans ce carnet.

mardi 25 septembre 2007

Conte : Hector




Ski m’est arrivé…


Cette année, c’est à moi de partir avec un copain au ski. L’année dernière on avait emmené Nicolas, le copain de mon grand frère Benjamin et ils ont pas arrêté de m’embêter pendant toutes les vacances. Ils arrêtaient pas de me descendre mon bonnet sur les yeux et après ils rigolaient comme des idiots. Alors cette fois je suis bien content de partir avec Théo. Le ski, on y va tous les ans dans un appartement que papa et maman louent. C’est jamais le même et heureusement parce que des fois y’en a eu des vraiment nuls. L’année dernière ça avait même fait des histoires parce qu’y avait déjà quelqu’un dans notre appartement quand on est arrivé pour s’installer. On avait dû retourner à l’agence pour s’expliquer. Papa s’était fâché, il s’était mis à crier que c’était inadmissible en faisant des grands gestes dans tout le magasin et qu’il allait leur faire une de ces pub du tonnerre et qu’il voulait voir le responsable tout de suite. Finalement tout avait fini par s’arranger et on nous en avait donné un autre.
Avec Théo, on est tout excité depuis qu’on sait qu’on part ensemble. En plus là bas, il y aura mes cousins Léo et Frédéric et ma petite cousine Zoé. Mais elle, elle est trop petite pour venir avec nous alors elle reste encore avec tante Clara à faire de la luge dans le jardin des petits. Déjà quelques fois, on part tous les deux chez les grand parents de Théo qui ont une grande maison de vacances en Bretagne et à chaque fois on rigole bien. Théo je le connais depuis tout petit. On est en CM1 tous les deux, mais pas dans la même classe. Moi je suis dans celle de Madame Hourbic mais nous on l’appelle madame bourrique parce qu’on trouve que ça lui va mieux. Elle est vieille, toujours habillée pareil avec sa blouse blanche et son chignon derrière le tête et quand elle crie sur quelqu’un parce qu’il a fait un peu la foire, elle lui postillonne partout dessus. Théo lui, il est dans la classe de Monsieur Dupuis. Il a trop de chance. Des fois il gronde un peu fort mais souvent il fait des blagues et il rigole. Eux ils font du dessin tous les mardis après midi et même qu’en fin d’année il les montre à la fête de l’école. Nous ça risque pas de nous arriver avec madame bourrique. Le seul truc rigolo qu’on a fait c’est faire pousser des lentilles dans du coton. Mais ce qui était marrant, c’était que celle de la maîtresse elles ont jamais poussé. Elles sont devenues toute jaune et elles sont morte toute petite. Nous on est sûr que c’est à cause de ses postillons qui sont empoisonnés. Mais bon, regarder les lentilles pousser ça va cinq minutes. Surtout quand on sait qu’après on va avoir droit à toute l’explication de la vie de la lentille avec une interro dessus. Heureusement qu’avec Théo on se retrouve à toutes les récrés pour pouvoir jouer ensemble. D’ailleurs juste avant de partir au ski on s’est fait punir pendant une récré tous les deux, tout ça parce que je m’étais caché dans le placard juste à côté de la porte d’entrée de la classe, celui ou madame Hourbic elle range son grand manteau et son sac. Vu que Théo il ne me voyait pas dans la cour, il est venu voir dans la classe pour regarder si je m’étais pas fait punir. Au moment où il est entré, je suis sorti de ma planquette. Mais le problème c’est que la maîtresse se trouvait dans la classe juste à coté en train de discuter avec Monsieur Dupuis. Alors forcément, vu que je suis sorti en hurlant comme un fou et que Théo aussi il a hurlé comme un fou parce que j’avais bien réussi mon coup, ça a fait un boucan de tous les diables et ils sont arrivés en courant. Résultat, on a eu une punition et elle a voulu voir maman qui m’a grondé aussi et qui m’a dit que si j’étais pas sage avant que les vacances arrivent, je serais privé de ski. Mais bon, ça a fini par s’arranger.
Le soir avant de partir, Théo est venu dormir à la maison parce que le matin on devait se lever tôt pour arriver tôt à la station et pouvoir skier dès l’après midi. Avant d’aller se coucher, nous on arrêtait pas de sauter partout parce qu’on était super content. On a même voulu dormir directement avec nos combinaisons pour être prêt dès le réveil mais maman nous a dit qu’on aurait peut être un petit peu chaud dans la nuit, alors il valait mieux dormir en pyjama comme d’habitude. On a tout préparé et puis on est allé se coucher. Mais on a quand même eu un peu de mal à s’endormir. On n’arrêtait pas de parler et de s’imaginer tout ce qu’on allait pouvoir faire une fois là bas. Il m’a même raconté qu’une fois il avait vu un film à la télé avec des gens qui faisaient des sauts périlleux arrière et tout ça. Mais je crois pas que pour être un héros dans la montagne il faut savoir faire des trucs comme ça. Déjà si j’arrive à avoir ma fléchette d’argent je serai sacrément fort pour mon âge. Finalement on a dû finir par s’endormir sans s’en rendre compte parce que quand papa est entré dans la chambre pour nous dire de nous lever j’étais entrain de rêver. Pour une fois, papa il a pas eu besoin de revenir dix fois pour me dire de me lever. On est arrivé deux minutes plus tard dans la cuisine, tout préparé. Par contre mon frère lui il s’était rendormi comme d’habitude alors il a fallu que j’aille le lever avec Théo. Le seul truc qu’il a trouvé à dire c’est : « C’est bon ; la neige elle va pas fondre, relax.» Il s’en fout de tout mon frère de toute façon. Mais bon, on a quand même fini par partir. Enfin on est parti et puis on est revenu parce que maman avait oublié de prendre son sac à mains avec les photomatons pour les forfaits de ski. Pendant le voyage on a un peu parlé mais on a surtout pas mal dormi. Dehors il faisait nuit et on voyait rien. Quand je me suis réveillé, on était déjà presque dans la montagne. Il y avait de la neige partout et c’était super chouette. On est arrivé à l’appartement, on a tout déchargé et tout de suite après on est allé louer des skis pour Théo et moi. Papa et maman ils ont déjà les leurs et Benjamin il a eu un snow board à noël alors il a plus besoin d’aller en louer. D’ailleurs ça a fait un peu des histoires parce que du coup nous avec Théo on voulait aussi un snow board. C’est pas parce que Benjamin en avait un mais c’est surtout parce qu’on allait devoir prendre des cours et que si on avait des skis, celui qui allait nous faire les cours cette année c’était Léon. Léon il est vieux et il mesure au moins deux mètres. Avec son gros ventre, ses mains énormes et ses dents jaunes on dirait un ogre. En plus il a une grosse voix qui roule les « r » et quand on s’applique pas il nous crie dessus. « Les mains devant ! Lève la tête au lieu de regarder tes skis. Mais Bon Dieu tu veux faire du ski ou tu veux aplatir la neige. » Moi il m’énerve.
Au moins, si on a des snows, on sera avec Alex. Il est super sympas lui. C’est mon frère qui me l’a dit parce qu’il l’a eu l’année dernière. Mais bon, finalement maman a cédé en disant que ça n’était pas très raisonnable et qu’on avait intérêt d’être sage et de ne pas faire n’importe quoi. Nous on a dit merci, on a promis et on a sauté partout. Après, on est parti s’inscrire aux cours pour toute la semaine. La dame des cours elle avait l’air un peu débordé. Il y avait plein de monde partout dans son petit magasin et comme les cours c’est surtout pour les enfants et que les parents ils étaient venus avec eux, ça fichait un sacré bazar. En arrivant, on a tout de suite vu tante Clara qui était déjà en train de faire la queue pour inscrire mes deux cousins. Zoé étaient là aussi. Elle était assise par terre sous une table, en train de mâchonner une barre de chocolat mais on avait plutôt l’impression qu’elle essayait de se colorier la figure avec, tellement elle en avait partout. Comme on savait pas trop quoi faire avec Théo, j’ai demandé à maman si on pouvait allait rejoindre Léo et Frédéric. Eux, ils habitent juste à côté du magasin des profs de ski et ils ont toujours le même appartement. Elle nous a dit oui à condition qu’on ne fasse pas de bêtise une fois là bas. On lui a demandé de nous mettre avec Alex et on est parti avec nos snow baord sous le bras.
Quand maman et tante Clara sont arrivées, on était tous les quatre sur le balcon. Il c’était mis à neiger et on était en train de vérifier si nos combinaisons résistaient bien au froid. Comme il fallait faire vite parce que notre premier cours était à quatorze heure, on a tous mangé sur place. Papa, oncle Michel et Benjamin, eux ils étaient déjà sur les pistes. Quand on est arrivé au lieu de rendez vous, j’avais l’impression que le bazar qu’il y avait le matin dans le magasin des professeurs, s’était transporté jusque là et qu’en plus il y en avait qui c’était rajouté. Nous on s’est mis sous l’ours avec marqué ESF dessus, comme c’était prévu et puis on a attendu. Comme Alex venait pas, on a commencé à s’ennuyer. Il faut dire qu’on était un peu pressé de monter sur les snow. Alors pour s’occuper on a décidé de faire un bonhomme de neige. Un autre type qu’on connaissait pas est venu nous demander si il pouvait nous aider et finalement on s’est retrouvé à cinq pour faire le bonhomme. L’autre il s’appelait Arthur et comme il arrêtait pas de neiger il nous a dit qu’il espérait qu’il allait pas y avoir des avalanches parce que quand il neige beaucoup des fois ça arrivait. Nous on lui a dit que c’était n’importe quoi son histoire d’avalanche parce que sur les pistes de ski il y avait les pisteurs qui les faisaient tomber avant. Mais Arthur a répondu que si c’était possible, même que c’était son père qui lui avait dit et que si on le croyait pas il allait aller le chercher pour qu’il nous le dise. Et il est parti. Pendant ce temps là Frédéric avait fait une boule de neige qu’il avait lancé dans la figure de Léo. Evidemment Léo s’était fâché et avait voulu se venger et ils avaient commencé a se battre. Finalement, Alex est arrivé. Il a commencé par essayer de rassembler tout le monde en nous faisant mettre en rang par deux devant lui et ça a pas été une mince affaire parce qu’en fait on était dix et qu’on était tous éparpillé. Fred et Léo était en train de se battre au pied de l’ours, Théo et moi on essayait de finir le bonhomme de neige, Arthur était parti chercher son père et il y avait quatre filles qui discutaient dans leur coin en rigolant bêtement et qui l’avaient pas vu arriver. Après avoir recommencé quatre fois l’appel sans jamais arriver jusqu’au dixième, il a fini par arriver au prénom d’un type qu’on connaissait pas : Thibault. En fait Thibault il était pas très loin mais il pouvait pas parler parce qu’il était entrain de pleurer assis dans la neige juste derrière Alex. En entendant son prénom, il a fait un petit « oui » et en le regardant j’ai eu l’impression de voir ma cousine Zoé qui sait pas encore se moucher toute seule.
« Pourquoi tu pleures ? lui a demandé Alex
« Parce que je veux pas mourir dans une avalanche », lui a répondu le gars en pleurant.
« Mais tu vas pas mourir dans une avalanche, t’inquiète pas. Il y a pas d’avalanche en se moment et puis sur les pistes tu risques rien. Allez lève toi ».
« Si, si y’a des avalanches, même que c’est son père qui l’a dit », répétait le gars en pleurant et en montrant Arthur du doigt qui était revenu.
« Ben ouais c’est vrai », a répondu Arthur, « vous voulez que j’aille le chercher ? »
Alex il est devenu tout rouge comme son blouson où il y avait marqué ESF en gros dessus et il s’est mis a fumé du blanc par les narines comme ça fait normalement par la bouche quand il fait froid et il a dit :
« Non, non tu restes ici. Là, à ce poteau bleu et tu bouges plus. Bon Thibaut ! Tu veux venir skier oui ou non ? »
« Oui mais pas là où il y a des avalanches » a répondu Thibault en s’essuyant le nez sur son blouson.
« Mais oui c’est bon. On ira pas là où il y a des avalanches. Aller lève toi maintenant. »
Et puis on est parti à pied vers le télé-siége de l’isard qui était pas trop loin. Mais comme ça descendait un peu il valait mieux faire comme ça. En arrivant, on a tous chaussé les snow et on s’est mis dans la file. Alex nous a compté et on était neuf. Il a recompté une deuxième fois mais on était toujours neuf.
« Mais c’est pas possible ça. Qui est ce qui manque encore ? » a demandé Alex tout fort. C’est Léo qui a répondu que c’était Arthur qui était pas là parce qu’il était resté au poteau. Il croyait qu’il était puni et comme il voulait pas se faire fiche une raclé par son père il avait fait ce qu’on lui avait dit. Alex il s’est mis les mains sur la tête, il a dit « c’est pas vrai mais c’est pas vrai ! » Il est parti chercher Arthur en courant et après le cours a commencé. C’est pas facile le snow board mais bon à la fin du cours on savait quand même un petit peu tenir dessus. Maman nous attendait à l’ours et on était tellement content de notre journée avec Théo qu’on lui a demandé si on pouvait lui montrer juste une fois ce qu’on avait appris. Elle a dit oui et on est parti vers le petit télésiège Mickey qui monte pas très haut. Moi j’étais pas encore très stable alors j’allais plutôt doucement. D’en haut on a fait signe à maman qui nous regardait de tout en bas. Je suis parti le premier en essayant de bien m’appliquer dans mes virages et puis à un moment j’ai vu Théo qui me doublait à fond avec son snow. Enfin je crois que plutôt c’était le snow qui allait à fond avec Théo dessus parce qu’il partait droit vers une grosse bosse et que si c’était Théo qui avait dirigé le snow, il serait pas allé vers elle. D’en haut, je l’ai vu s’envoler, j’avais l’impression qu’il était suspendu en l’air par un fil invisible et puis que tout d’un coup, quelqu’un avait coupé la ficelle à laquelle il était accroché et qu’il s’était écrasé. Tout en bas je voyais maman qui avait mis ses mains devant la bouche. Quand je suis arrivé près de Théo, il était encore allongé par terre, tout couvert de neige. Il avait perdu son bonnet et ses lunettes étaient toutes cassées. Je me suis approché, il m’a regardé et il a rigolé.
Le soir en m’endormant, je me voyais déjà en train de dévaler les pentes vierges en chevauchant les avalanches. Cette semaine c’est sûr, Hector le fulgurant allait accrocher une nouvelle corde à son arc de héros.

lundi 24 septembre 2007

Poème


Noyer l’ennui

Ma flamme est liquide
Et par elle
Je tente d’inonder le vide
De ma vie sans ailes.

jeudi 20 septembre 2007

Nouvelle


De fil et de foudre


Comme la plus part des jeunes de ma génération, après mon bac j’étais allé à la fac. Une de ces facs anonymes de provinces où l’on vient perdre un peu de temps avant que le monde du travail ne vous rattrape. Une de ces fac où tout débute comme le mot facultatif, à commencer par les cours. Mais bon l’un dans l’autre, entre quelques redoublements, de tempétueuses explications familiales et beaucoup de cours rattrapés grâce à l’aide de quelqu’un du premier rang et de la complicité salvatrice de la photocopieuse, j’avais finis par échouer sans gloire au niveau du DEA.
Célibataire épisodique, ma vie sentimentale se résumait en une suite de rencontres plus ou moins fructueuses. Mais je n’en souffrais pas, bien au contraire. Pour l’instant cette vie en dilettante me convenait parfaitement. Ce soir là, j’étais assis devant mon bureau, les yeux dans le vague, tentant de rassembler dans mon esprit tout ce qui pouvait évoquer de prés ou de loin le sujet dont je devais rendre quatre vingt pages dans moins de cinq semaines. Le téléphone sonna. Vu l’heure tardive, je craignis un instant le plan du copain éméché échoué dans un rade quelconque qui appelait à tout hasard pour savoir si il pouvait passer, histoire de ne pas finir la soirée en si bon chemin. Mais tout en fut autrement, bien autrement.
« - Allô ?
« - Allô euh… c’est bien Jean au téléphone ? Une voix féminine au ton mal assuré mais que je ne connaissais vraisemblablement pas m’avait répondu.
« - Ben oui. A qui ai-je l’honneur ?
« - En fait on ne se connaît pas vraiment mais… enfin on se connaît juste de vue, si l’on peut dire et je me suis débrouillée pour avoir ton numéro et…
« -… Et ?
« - Oh je me sens bête tout d’un coup. J’aurai voulu savoir si…enfin si on aurait pu éventuellement se rencontrer et …boire un verre, discuter un peu. Enfin si ça ne te dérange pas bien sûr !
« - Non non pas du tout mais euh…on se connaît d’où ?
« - Ben tu verras quand on boira un café ensemble.
« - OK. Alors quand ?
« - Demain.
« - Demain d’accord. A quelle heure et où ?
« - Au café de la place vers quatorze heure. Mais je ne veux surtout pas te faire perdre ton temps ou bien te gêner.
« - Non mais c’est bon, ne t’inquiète pas. J’ai déjà perdu du temps de façon bien plus stupide que d’aller boire un café avec une inconnue. Je trouve ça génial au contraire.
« - Très bien alors à demain. » Et elle raccrocha aussi sec, coupant court à la conversation et aux flots de questions qui commençaient à naître en moi.
Un peu surpris mais ne pouvant que subir la situation, je jetais négligemment mon téléphone sur le lit. Instantanément, mon cerveau s’était mis à faire le tri de toutes les filles que je côtoyais de prés ou de loin, et tentait d’accoler à un visage, la voix que je venais d’entendre. Je m’aperçus que j’avais stocké dans ma mémoire un nombre incroyablement important de visages dont je ne connaissais, mis à part leur physionomie, absolument rien. Une galerie de portraits, glanée au fil de ma vie et qui, sans que je le sache vraiment, coexistaient dans mes souvenirs.
Mais après un long moment de réflexion, je dû me rendre à l’évidence. Même si je ne l’avais pas entendu longtemps, cette voix là m’était belle et bien étrangère.
En désespoir de cause, je tentais sans grande conviction de me replonger dans mon sujet ; mais rien à faire. Ce coup de téléphone avait réveillé en moi un sentiment d’excitation mêlé à de la frustration qui était en train de broyer facilement mon semblant de motivation étudiante.
Tout en allumant une cigarette, je me dirigeais vers la fenêtre de mon appartement. Une fois ouverte, je laissais le courant d’air glacial de l’hiver passer sur ma figure.
« - Qui es tu donc mystérieuse interlocutrice ? » De la recherche logique et pragmatique que je tentais d’avoir dans un premier temps, je versais assez rapidement dans le fantasme le plus extravagant, voir le plus débridé. Je m’imaginais mille raisons à sa façon d’agir, chacune plus romanesque les une que les autres. Et tout ceci me plaisait, embrasant sans retenue ma curiosité.
Le lendemain matin, après une nuit peuplée de rêves aux visages angéliques, je devais me rendre à l’un de mes cours en amphithéâtre. Comme d’habitude, je m’installais au fond à côté de la porte, prêt à pouvoir partir discrètement au cas où le cours prendrait une tournure m’incitant plus à la rêverie qu’au travail. L’oreille tendue, le regard concentré, je tentais d’analyser et de capter les moindres réactions de toutes les étudiantes présentent ce matin là. Après tout, si il était bien un lieu où je côtoyais du monde sans pour autant les connaître tous, c’était bien ici. Le cours débuta, sans moi, trop occupé que j’étais à mon enquête. Je remarquais dans les premiers rangs de l’amphi, trois ou quatre jeunes filles qui, dès qu’elles tournaient la tête dans ma direction et captaient mon regard, opéraient immédiatement ensuite une série de messes basses des plus suspects. Mais après tout, peut être était ce tout simplement mon comportement qui les rendait ainsi si volubiles entre elles.
Au bout d’une demie heure, je quittais la salle, sans aucune note et sans être plus avancé dans mes recherches sur ma mystérieuse interlocutrice. Je n’avais qu’une voix pour tenter de l’identifier et cela, mine de rien était bien peu. Alors pour tuer le temps jusqu’au moment du rendez vous je décidais de me rendre à la bibliothèque. Elle présentait trois avantages immédiats à mon esprit éperdu. Premièrement elle était proche du café où je devais me rendre pour ma rencontre. Deuxièmement elle renfermait un stock incroyable de bande dessinée qui me permettrait de tuer les heures avec une aisance sans pareil jusqu’à quatorze heure. Troisièmement, en m’y rendant, je me donnais bonne conscience, me libérant de la culpabilité de ne pas travailler plus mon mémoire et de sécher ostensiblement les cours pour une histoire de fille. Cela devait équivaloir à cette démarche de chrétiens du dimanche qui se rendent à la messe non pas par envie ni par conviction, mais guidée par une d’habitude intrinsèque, cherchant peut être ainsi inconsciemment à détourner le courroux céleste vers d’autre qu’eux. Ils en ressortaient purifiés et en accord avec eux même, certains d’avoir accompli leur devoir en opérant cette simple obligation dominicale. Il en était souvent de même pour ma relation avec la bibliothèque. Certes je n’avais que vaguement l’intention de travailler mon sujet en me rendant dans cet endroit, mais sait on jamais, si l’envie m’en prenait…Mais l’envie ne m’en prit pas et c’est donc accompagné par Thorgal que je me mis en devoir d’attendre l’heure fatidique.
Les minutes passants, mon état de curiosité et d’excitation envers ce rendez vous et cette énigmatique jeune fille alla en s’accentuant. J’avais beau tenter de me plonger dans le récit de mon album, irrémédiablement, mon esprit se mettait à suivre une autre voix au bout de quelques minutes. Il suffisait qu’une représentante de la gente féminine vienne à passer dans mon champ de vision pour qu’automatiquement, je me mette à la suivre des yeux, inspectant ses moindres faits et gestes, cherchant à déchiffrer dans ses attitudes, un comportement qui la trahirait. Mais rien. Ou plutôt trop. Car dans ces cas là, tout est propice à ses propres fantasmes et je passais donc ainsi mon temps perdus dans mes rêveries.
Ce qu’il y a de bien en revanche avec le temps, c’est qu’en aucune circonstance il ne s’arrête, vous guidant à chaque seconde un peu plus prêt du rendez vous qui vous est fixé. C’est donc en suivant le pas des secondes que je finis par arriver à treize heure trente. Le temps de marcher jusqu’au café, de m’installer, de commander…et puis d’attendre, encore.
C’est ce que je fis : attendre. Un café, une cigarette. Puis une autre, un peu plus anxieuse. Une femme d’âge mur entra, faisant bondir mon cœur dans ma poitrine. J’avais envisagé beaucoup de situations mais étrangement j’avais totalement omis la possibilité de la copine de ma mère, ou d’une connaissance quelconque de celle-ci, désirant s’encanailler avec un petit jeune, histoire d’oublier un temps, son couple fatigué ou bien son âge avancé, voir les deux en même temps et cherchant donc une nouvelle jeunesse à travers ma personne. Je ne sais pas pourquoi à ce moment là cette idée saugrenue me sauta à la figure. Comme si toute personne entrant dans ce café à cette heure là de l’après midi devait forcément avoir un lien avec moi. Mais la femme jeta un œil à l’intérieur, puis s’assit à une table, rendant par la même à mon cœur, son rythme normal.
Je tentais d’accompagner mon impatience de quelques articles du journal qui traînait là, mais les mots et les phrases traversaient mon regard sans imprimer quoi que ce soit dans mon esprit. Celui-ci était entièrement, pleinement, profondément, dévoué à l’attente. A quatorze heure précise, je ne savais plus quoi faire et je restais donc assis bêtement à regarder la porte. Qui resta close. Elle ne s’ouvrit que quelques minutes plus tard pour laisser entrer un représentant de commerce qui avala son café brûlant d’un trait avant de repartir comme il était venu, vite.
Au fur et à mesure que les minutes filaient, mon anxiété commença à se transformer en amertume. Pour finir vers les alentours de quinze heure par m’emplir d’un désarroi des plus noir. Il fallait se rendre à l’évidence, elle n’était pas venue et ne viendrait, vu l’heure, sûrement plus. Avais-je mal compris le lieu et le moment ? Cette objection que j’écartais avec certitude au début, commença tout doucement à revenir dans ma tête comme étant la seule possibilité à ce rendez vous manqué. Elle m’enfermait par la même dans un problème insoluble ; comment contacter la charmante personne qui m’avait appelé la veille, pour premièrement lui faire des excuses et deuxièmement, fixer un autre rendez vous si elle n’avait pas changée d’avis d’ici là ? C’est donc encombré par mes noires pensées et mon problème insoluble que je quittais le café vers seize heure. J’étais resté une heure de plus dés fois que… Mais cela n’avait servit à rien. En même temps je n’étais plus à une action inutile prêt après cette journée. La soirée se passa comme le reste, mal et je ne cessai de ruminer en moi un goût de fête manqué. J’avais l’impression d’être passé à côté de quelque chose de grand, de fort et je m’en voulais. C’était incroyable le romantisme qu’avait bien pu engendré ce simple coup de téléphone et ces quelques phrases échangées rapidement ! Parce qu’après tout, il n’y avait presque rien. Rien que quelques secondes au milieu d’une nuit et mon imagination débordante avait fait le reste, mettant dans ma vie un excitation devenue quasiment incontrôlable.
Deux jours passèrent ainsi. A chaque appel je regardai avec avidité le nom du correspondant s’afficher. Mais il s’agissait toujours de quelqu’un de ma connaissance. Et puis le matin du troisième jour :
« - Allo ?
« - Heu…c’est moi. » Mon espoir reprenait soudainement vie avec ces simples mots. Mais il ne fallait rien montrer de mon contentement et sans jouer les indifférents, je répliquais d’un ton neutre :
« - Ben alors qu’est ce qui c’est passé ? J’ai mal compris ou bien…
« - Non, non non, pas du tout. C’est moi qui…qui ne suis pas venue. »
Je restais silencieux, ne sachant trop ce que cela allait annoncer.
« - Ah bon ? Mais tu veux plus me rencontrer ou qu’est ce qui se passe ?
« - Si bien sûr que si… mais euh…enfin pour faire simple ; j’ai eu peur.
« - Peur ? Ah tient ? Je suis si moche que ça ?!
Elle rit de bon cœur. C’était la première fois que j’entendais son rire et celui-ci me plut. Je m’en fis la remarque quasi instantanément. C’était un rire honnête et fluide, un rire profond, qui exprimait le soulagement et la joie. C’est incroyable tout ce que peut exprimer un rire. Le pire pour moi, sont les gens qui se forcent à le faire. Tricher avec le rire le rend faux et renvoie un écho des plus détestable. Je ne sais pas si c’est le propre de l’homme mais le rire de cette femme là m’était des plus délectable.
« - Non bien sûr que non. Ce n’est pas toi, c’est juste moi. J’ai eu peur de venir… sa voix reprit le ton mal assuré qu’elle avait au début, que tu ne me trouves pas assez belle ou assez intéressante ou alors pas comme tu m’imagines et que finalement tu te dises que…enfin non pas que tu dises que mais qu’en fait rien ne se passe… » Les mots s’enchaînaient et se chevauchaient en sortant de sa bouche, poussés par la peur et l’envie de dire ou de faire sans pouvoir y arriver. Je repris la parole :
« - Ben oui…mais tout ça on ne pourra le savoir qu’en se voyant, qu’en discutant un peu. Et puis peut être qu’en fait c’est toi qui va me trouver fatiguant au final. Et c’est toi qui va partir et que c’est moi qui vais rester tout seul comme un imbécile.
« - Ah non ça il y a peu de chance.
« - Ah bon pourquoi ? On ne se connaît pas après tout. T’as juste vu mon physique mais pour le reste…
« - Je ne m’intéresse qu’assez peu au physique… et pour ce qui est de te connaître, j’en sais peut être un peu plus que tu ne le crois. »
Cette allusion me dérouta un peu. Etait-ce une marque d’affection profonde et cela prouvait il qu’elle me portait un intérêt sincère ? Ou bien avais-je à faire à une folle possessive qui avant de savoir exactement qui j’étais m’avait déjà taillé un format idéal au grés des « on dit » et des bruits de couloirs qui courraient sur ma personne et tenterait de m’y faire rentrer quoi qu’il arrive une fois que nous serions ensemble ? Non bien sûr que non. Rien dans sa voix ne pouvait laisser présager ce genre de comportement. A l’image de son rire, je la trouvais franche et sincère. Je tentais d’orienter la conversation afin d’en savoir un peu plus :
« - Ah tient ! Tu sais donc des choses sur moi. Ça veut dire qu’on se connaît déjà un peu alors? Enfin disons plus que simplement de vue ? Parce que pour l’instant d’après ce que j’avais compris c’est que c’était plus de vu qu’on se connaissait.
« - Pas exactement…mais pour faire simple on peut dire que oui c’est plus de vue qu’on se connaît qu’autre chose.
« - Comment ça pas exactement ? »
Je ne comprenais pas ce que pouvais signifier ce, « pas exactement ». Si l’on ne se connaissait pas au moins de vue, alors je ne voyais vraiment pas comment avait pu avoir lieu notre rencontre. Mais elle reprit empressée :
« - Non non mais si. On ne s’est jamais parlé directement autrement que par téléphone c’est tout ce que je voulais dire. Donc on n’est pas totalement étranger. Mais de là à se connaître il y a quand même une marge à ne pas dépasser tu ne trouves pas ?
« - Oui mais bon, on ne va pas chipoter. Toujours est-il que le constat est que je connais ta voix, que je commence à connaître un petit peu ta personnalité mais que pour ce qui est de ta représentation matérielle et physique dans mon espace visuel, ça pour l’instant ça reste encore un fantasme. »
Elle rit de bon cœur, une nouvelle fois, et reprit :
« - Un fantasme vraiment ?
« - Oui enfin disons une vue de l’esprit quoi. Alors forcement en se mettant à rêver on divague toujours un peu et puis on part vers des choses qui sont plus de l’ordre de l’imaginaire que du réel. »
Il y eut un silence puis elle reprit :
« - En tous les cas je suis sûre d’être bien différente de ce que tu imagines. Au moins sur un point.
« - Ah bon lequel ?
« - Tu verras.
« - Très bien. Quand ? Demain ?
« - Euh non pas demain, j’ai des choses à faire. »
Je tentais de m’engouffrer dans la brèche :
« - Tu fais des études comme moi ou alors tu bosses ?
« - Non, je suis encore étudiante. Mais ne cherche pas, ce n’est pas à la fac qu’on s’est « rencontrés », si l’on puis dire. Je ne savais d’ailleurs pas que tu faisais des études. Tu es en quoi ? » Cette fois ce fut à moi de rire. Ma situation étudiante m’avait toujours faite rire, surtout depuis que j’étais en DEA d’histoire de l’art. Cinq après le bac cela pouvait paraître à première vue plutôt pas mal. Enfin cinq ans en théorie parce que dans mon cas, le chemin avait été un peu plus long, parsemé de redoublement, d’années blanches et de « recherches de soi pour être sûr…». Mais l’un dans l’autre j’en étais donc arrivé là. Or ce qu’il y a de drôle avec le DEA d’histoire de l’art c’est que c’est un peu comme être champion du monde de pipeau. Lorsque vous annoncez la première partie, tout le monde commence à faire « Wahou, la vache. Champion du monde, c’est pas mal. » Et puis une fois qu’ils ont la totalité de l’intitulé, vous voyez poindre une petite lueur d’interrogation dans leur regard, du genre « Ah ouais…super. Mais ça sert à quoi en faite ? ». La plus part du temps, je répondais que ça ne servait à rien. Juste à se faire plaisir et ce n’était déjà pas si mal de se faire plaisir cinq ans dans sa vie. Parce que c’était vrai que même si j’avais connu des échecs, dans l’ensemble, j’avais aimé ces études. Je répondis donc d’un ton neutre :
« - En histoire de l’art.
« - Ah oui ? Génial. En quelle année ?
« - En DEA. Je suis censé rendre mon mémoire dans quelques semaines. Et toi ?
« - Je suis en droit. J’ai passé le concours d’avocat et je veux me spécialiser dans les discriminations sociales. Hum…il y a beaucoup de boulot…
« - ça c’est sûr. Dit euh…t’as l’air d’avoir un peu de temps là. Ça te dirais pas qu’on continue cette conversation autour d’un verre maintenant plutôt que d’attendre encore jusqu’à je ne sais pas quand ?
« - Non, pas maintenant. Je suis loin du centre et puis…enfin c’est compliqué à expliquer. »
Devant ce refus je tentais une autre approche pour essayer d’en savoir un peu plus :
« - Tant pis. Mais alors tu ne veux pas me donner un petit indice pour m’éclairer un peu sur ta personne. Juste quelque chose pour me mettre sur la voix sans m’y mettre. Enfin, tu voies quoi.
« - Tu en sais déjà pas mal.
« - Juste ton prénom par exemple.
« - Ah non ça sûrement pas.
« - Houla oui non…bien trop dangereux. Une voix n’a donc ni corps ni prénom…très bien. Alors qu’est ce qu’on fait maintenant madame la voix ?
« - On communique. C’est déjà pas mal.
« - C’est vrai. Mais si par exemple je venais à me lasser de cette sorte de communication, que je commence à vouloir quelque chose d’un peu moins virtuel et d’un peu plus… disons, charnel. Qu’est ce qui se passerait ?
« - Je me matérialiserais sûrement.
« - Hum…je crois que je commence à sentir poindre en moi une certaine lassitude. »
Son rire emplie de nouveau mon téléphone.
« - Très bien. Alors disons que dans ce cas là, je pourrais bien me matérialiser incessamment sous peu.
« - J’espère bien être là cette fois pour assister à la scène. Où aura lieu le spectacle ?
« - Dans les jardins de la mairie. Mercredi en fin d’après midi vers quatre heure. Il y a toujours beaucoup de monde à cette heure là, j’adore y aller.
« - D’accord. On se retrouve où exactement ?
« - Devant la grande statue. Il y a un banc. Attend moi là.
« - Super. Mais tu promets de ne pas me faire faux bond ce coup là.
« - Oui c’est promis.
« - Parfait. Je n’ai donc plus qu’à m’en retourner vers mon triste mémoire afin de tenter de faire passer le temps jusqu’à mercredi quatre heure. »
Elle rit encore et j’en profitais sans retenue, emplie moi même d’une certaine allégresse de la sentir ainsi souriante.
« - D’accord. A mercredi.
« - Est-ce qu’une voix peut s’embrasser ? »
Elle dut être surprise par cette demande car elle mit un petit moment à répondre. Je dois dire que je fus moi-même à ce moment là, stupéfait par mon audace. Cette phrase était sortie de ma bouche sans qu’à aucun moment je n’y ai pensé auparavant. C’est le cœur battant que j’attendis donc la réponse :
« - Heu…sûrement. » Ne sachant pas quoi dire de plus après ce coup d’éclat des plus inattendu, j’enchaînais sur un stupide :
« - Tant mieux. A mercredi alors. » Et je raccrochais.
Durant quelques secondes je restais sans bouger, mordillant l’antenne de mon téléphone. Qu’est ce qu’il m’avait donc prit de demander ainsi si je pouvais l’embrasser ? En même temps, j’aurais pu poser des tas d’autres questions bien plus folles ou bien plus osées, mais celle-ci me faisait franchir un petit pas dans l’intime, du moins en avais-je le sentiment, et j’en étais plutôt heureux.
La journée du lendemain passa, accompagnée d’une certaine excitation. Mon cerveau, qui avait par ailleurs totalement éliminé le problème du mémoire, s’adonnait à un ballet d’interprétations et de divagations quasi permanent quand à mon interlocutrice. Non seulement j’étais heureux qu’elle m’ait de nouveau rappelé mais il faut bien l’avoué, j’étais aussi un peu flatté. Je passais donc une excellente journée, parsemée de rêves et de fantasmes.
Ce soir là il se trouvait que j’avais water-polo. Je m’y étais mis deux ans auparavant par le biais de Thomas, un de mes meilleurs amis. On ne pouvait pas dire que notre équipe soit vraiment une terreur dans le championnat. On était plus redoutable dans les bars et pour raconter des âneries que dans l’eau. Mais tout le monde prenait un plaisir énorme à se retrouver deux fois par semaine pour jouer ensemble. Jouer je crois que c’était le bon mot d’ailleurs. Et puis la piscine du parc possédait une ambiance, un petit quelque chose qui faisait que les gens restaient toujours un peu plus ou arrivaient un peu avant pour discuter dans le coin café qui avait été aménagé, en entrant à gauche. Peut être était ce les gros fauteuils de cuirs qui semblaient être posés là depuis plus de cent ans ; Peut être était ce les mosaïques qui couvraient les sol ou bien les couleurs chaudes avec lesquels avait été peint le bar ; Peut être était ce du à la gaîté de Marie dont le sourire accompagnait toujours ce qu’elle vous servez ; mais toutes ces petites choses mise ensemble faisait qu’il était impossible de passer par là sans partager un moment de convivialité.
Contrairement à mon habitude, j’arrivais en retard ce mardi-là et après m’être changé rapidement, je sautais dans le bassin pour rejoindre les autres, accompagné par les huées amicales.
Après la douche et le café de rigueur, je quittais le groupe pour rentrer chez moi, rejoindre mon mémoire qui stagnait. La nuit était glaciale et si la journée avait été excitante, je commençais à sentir pointer de nouveau en moi, le sentiment de culpabilité du mauvais élève. Je pressais le pas. Blotti au fond de ma poche, mon téléphone sonna :
« - Allo ?
« - Jean ?
« - Oui.
« - C’est moi. » Un sourire illumina mon visage.
« - Bonsoir madame la voix. Qu’est ce qui me vaut cet appel nocturne ? J’espère que ce n’est pas pour m’annoncer que demain tu ne peux pas venir ?
« - Non. J’avais juste besoin d’entendre ta voix parce que... non rien. Ça me faisait plaisir c’est tout.
« - C’est gentil. Elle te plait tant que ça ?
« - Tu ne peux pas imaginer. »
Je restais silencieux, un peu désarmé. Ce fut elle qui reprit la parole.
« - Alors à demain.
« - A demain. » Et elle raccrocha.
Le lendemain, je senti monter en moi une étrange envie de travailler mon mémoire. Tout me paraissait simple et claire. Je ne comprenais pas comment je n’avais pas pu voir plus tôt toutes les évidences qui jalonnait mon sujet. Dehors, le temps était à l’hiver. Le ciel, uniformément gris et plat, laissait espérer la neige à tout instant. Je jetais parfois un œil par ma fenêtre, regardant passer les gens de leur pas rapide, poussant devant eux le petit nuage blanc de leur respiration. Petit à petit, l’heure se rapprochait. Petit à petit, mon mémoire s’éloignait, laissant place de nouveau à mon excitation toute entière. Vers trois heure n’y tenant plus, je me préparais à sortir, prétextant la nécessité de passer chez un libraire afin de trouver un livre, cherchant en fait à tromper mon impatience par n’importe quel moyen.
Le froid pinçait la moindre parcelle de peau et je ne m’attardais pas à traîner devant les vitrines. Une fois mon livre trouvé, je décidais malgré tout de me rendre aux jardins à pieds. Cela me demanderait bien vingt minutes mais je ne me voyais pas attendre le bus sans rien faire. Le pas long et dynamique je me jetais donc dans le froid. J’étais entrain de traverser le pont lorsque les premiers flocons se mirent à tomber. L’air s’était soudain radoucit, le vent avait cessé et sans bruit, comme à leur habitude, ils étaient arrivés. Cela ne dura que quelques minutes, le temps de faire lever la tête à quelques personnes, de faire tendre la main pour tenter de recueillir un de ces fragments d’hiver et l’averse s’arrêta, comme elle était venue.
En pénétrant dans les jardins de la mairie, je souris à la vue des enfants qui tentaient de récupérer le peu de neige qui avait tenue sur la glace de la fontaine gelée. Leurs mères, inquiètes et emmitouflées, les surveillaient du coin de l’œil tout en discutant. Je regardais du côté de la statue. Personne. Je sortis mon téléphone pour regarder l’heure. Il était justement quatre heure. Un petit frisson me parcouru. Je me dirigeai vers le banc mais au moment où j’allais m’asseoir, ma sonnerie retentit.
« - Allo ?
« - C’est moi.
« - T’es où ?
« - …
« - Allo ?
« - Oui. Je…je suis là. Enfin je veux dire euh…dans le jardin.
« - Moi aussi. Mais je ne vois personne sur le banc.
« - C’est normal. Il y eut un long silence puis elle finit par dire. Je suis assise derrière toi, avec une écharpe rouge » Et elle raccrocha aussitôt. Je me retournais. Instantanément je sus où je l’avais vu. C’était à la piscine, tous les mardis soirs depuis deux ans, elle était au court juste avant le mien, celui réservé aux non-voyants. Tout en me dirigeant vers elle je comprenais tout ce qui avait pu la retenir, toutes ses réticences, toutes ses hésitations, toutes ses peurs. Maintenant je savais. Maintenant, tout pouvait commencer.

lundi 17 septembre 2007

Poème

Seul

L’homme assis au coin du bar
A le regard qui s’égare
Et dans le vide de son verre
Se lie sa solitude toute entière.

dimanche 16 septembre 2007

Poème

Cœur à cœur

Ils attendent que le pas commence
Pour se jeter dans la danse.
Et de leurs deux corps
L’un contre l’autre ainsi serrés
Naît sans efforts
Bien plus qu’un simple moment enlacé.

samedi 15 septembre 2007

Conte : Hector


Je suis un héros…



Et aujourd’hui c’est décidé, je vais prouver mon courage et ma place de futur super héros dans ce monde. Et oui ! Et c’est pas parce qu’on ne me connaît pas encore, que je n’en suis pas un. Bon, le seul problème, c’est que je n’ai pas encore trouvé d’ennemi. Evidemment je ne cherche pas un ennemi à ma hauteur, je cherche tout simplement un ennemi. N’importe lequel du moment que je l’aime pas. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut absolument que j’en trouve un si quelqu’un doit un jour raconter mes aventures. Ben oui ! Parce qu’un héros a forcement un rival qu’il traque sans merci. J’ai déjà des tas de plans pour combattre le premier qui osera m’affronter. Mais j’ai beau chercher…rien. Pas le moindre petit monstre, ni même le moindre brigand. Alors j’attends. Je suis là, aux aguets, prêt à bondir sur la moindre occasion…mais rien.
Alors en attendant que la vie veuille bien guider mes pas vers ce qu’elle a de plus méprisable, je m’entraîne. J’apprends à bouger à la vitesse supersonique, je vais voir des vieux moines tibétains qui m'enseignent le contrôle des énergies et le déplacement des objets dans les airs. Je soulève des troncs d’arbres ou je combat des lions. Enfin bref, tout ce que doit savoir faire vrai un héros quoi. Oh ! mais je vous vois venir. Vous allez me dire :
« Comment peux tu être sûr que tu es un héros si tu n’as jamais combattu personne ? Si tu n’as pas sauvé la moindre ville, ni même le moindre petit être humain ? On ne demande pas à tous les héros de sauver le monde mais quand même, il y a un minimum que tout bon héros se doit de respecter non ?! ».
Bon, c’est vrai que jusque là, je n’ai pas beaucoup fait mes preuves. Mais attention ; avant d’être un super héros, Batman aussi par exemple, était quelqu’un de normal. Il faut dire que lui ses parents se sont fait tuer par des méchants vraiment horribles et injustes quand il était tout petit ; alors forcément ça l’a aidé pour la suite. Ben oui !S’il avait été élevé par son papa et sa maman dans son manoir de milliardaire sans que rien ne lui arrive jamais, avec son chien et tous ses jouets, vous croyez vraiment qu’il aurait eu l’idée tout seul, d’aller nettoyer Gottam City de tous les terribles malfaiteurs qui hantent la ville? Non évidemment. Batman aussi avant n’était rien qu’un bébé bavant et gazouillant dans son lit. Lui aussi a dû se faire gronder par son papa et sa maman quand il faisait des bêtises.
Et quand il est devenu un héros, vous croyez que ça aurait eu de l’importance si personne n’avait raconté son histoire ? Un héros inconnu, ça n’existe pas. Le vrai héros doit forcément avoir un admirateur caché qui, sans rien dire, est là, juste pour raconter ses faits et gestes, ses exploits.
Un héros qui dort, qui mange, qui obéit à ses parents et qui a des bonnes notes à l’école ça n’est qu’une couverture. Un vrai brave n’a pas peur du noir, du vide ou des araignées. Pour lui, tout ça fait parti de son quotidien.
Au lieu de ça moi, j’habite dans une chambre bien rangée, avec des jouets, un papa, une maman, un grand frère un peu bête, et un chat paresseux. Vous connaissez beaucoup de héros qui ont tout ça ?
Non. Ils sont tous grands, forts, un peu mystérieux et toujours très courageux. C’est peut être pour ça que je ne suis pas encore reconnu comme un vrai héros. A neuf ans, c’est difficile d’être grand et fort. Mais je me tiens prêt pour le jour où la grande aventure se présentera. Et je sais que cela ne devrait plus tarder. Pourquoi ?
Déjà parce que je m’appelle Hector. Comment ça, ça ne vous dit rien ? Hector !! comme le guerrier grec. C’est vrai que je ne l’ai pas trouvé tout seul. C’est mon papa l’autre jour, qui m’a dit qui c’était. Il m’a raconté son histoire et c’est d’ailleurs à partir de là que je me suis dit que moi aussi un jour, je serai comme lui. C’est que ça n’est pas rien de porter le prénom d’un authentique héros. Surtout que celui-là a vraiment fait des choses incroyables. Il était chef et toute son armée l’aimait et le respectait. C’était le fils du roi Priam et il a défendu la ville de Troie où était enfermée la belle Hélène. Et puis comme tout bon héros qui se respecte, il y a quelqu’un dont je ne me rappelle plus le nom, qui a raconté toute son histoire dans un livre énorme ; et c’est comme ça que mon papa a pu me dire qui c’était. Moi aussi un jour, quand je serai devenu un vrai héros, quelqu’un racontera mon histoire dans un livre énorme.
Comme tous les héros, j’ai aussi une arme magique. C’est une épée de feu, qui tranche tout ce qu’elle touche et qui lance des flammes. Je l’ai fabriqué moi même avec une branche que j’ai coupé avec la scie de papa que normalement j’ai pas le droit de toucher. Evidemment je lui ai pas trop dit que je l’avais utilisée, sinon je me serais fait gronder, mais je ne pouvais plus rester comme ça. C’est d’ailleurs en allant chercher la scie, que j’ai trouvé l’idée qui allait faire de moi un héros digne de ce nom. Papa il range toutes ses affaires dans le garage et dans ce garage, se trouve la porte d’entrée de la cave. Là, on m’a jamais dit que j’avais pas le droit d’y aller et je suis sûre qu’au fond de ce trou, se cache des choses pas très claires. L’ennemi complote dans l’ombre c’est bien connu. Alors je me suis dit qu’en descendant voir là en bas, je risquais sûrement de trouver de quoi faire mon affaire. J’ai déjà bien étudié comment j’allai m’y prendre. D’abord j’ouvre la porte en grand pour avoir de la lumière le plus longtemps possible. Après je descends les marches qui s’enfoncent dans le noir jusqu’à l’interrupteur. Il doit sûrement y’en avoir beaucoup de marches parce qu’à chaque fois que papa y descend, il remonte en maugréant qu’il faut vraiment qu’il installe un interrupteur en haut de « ces fichus escaliers sinon quelqu’un un jour va vraiment se faire mal ».
Moi à la cave j’y suis pas descendu très souvent. Pas parce que j’ai peur mais parce que y’a rien à voir. La seule fois où j’y suis allé, c’était cet été avec papa pour chercher des vielles boules de pétanques toutes rouillées. C’était pas très rassurant. Y’avait plein de vieilles toiles d’araignées qui pendouillaient de partout et puis ça sentait le moisi. En plus, la lumière de la cave, elle est toute jaune et elle éclaire pas très pas bien, alors dans les coins il fait tout sombre. Par terre le sol il est tout cabossé, les murs ils sont tout gris et tout est recouvert de poussière.
Benjamin, c’est mon grand frère, il me dit qu’il y a des araignées tellement grosses qu’elles pourraient m’attraper pour me manger. Peuh !! moi je sais très bien que c’est pour me faire peur qu’il me dit ça. Les araignées cannibales ça n’existent que dans les films ou dans les livres ; pas dans les caves… enfin pas dans celle de ma maison en tous les cas.
De toute manière mon frère je le crois plus depuis le jour où il a voulu me faire croire que dans la cabane qui était au fond du jardin de chez papy et mamy, il y avait un vampire. Au début je me suis un peu méfié mais un après midi, je me suis décidé à aller vérifier par moi même. J’allais pas me laisser impressionner par un vampire quand même. Le soir avant de me coucher j’avais demandé à mamy si les vampires c’était vraiment dangereux. Elle m’avait répondu que je n’avais rien à craindre d’eux, parce que j’étais un petit garçon très fort et très courageux et que les vampires étaient tous des lâches et des faibles. Je croyais alors mon premier exploit de héros tout proche. Je commençais même à imaginer ce qu’allait pouvoir raconter mon futur admirateur caché à propos de cette aventure à venir.
Je passais toute la matinée suivante à me fabriquer un arc robuste, avec une bonne branche bien souple. Ensuite, je me taillais des flèches spéciales que j’allais tremper dans l’eau bénite de la rivière. Le vampire n’avait qu’à bien se tenir. J’eu très vite l’occasion de tester l’efficacité de tout mon attirail, car au moment de partir pour ma quête, une troupe de vils brigands m’assaillit. Mais j’étais beaucoup trop fort pour eux et j’eu tôt fait de m’en débarrasser. Quelques instants plus tard, le repère du vampire était en vu. Je m’en approchais discrètement, me faufilant entre les herbes hautes, comme un sioux s’apprêtant à prendre d’assaut le fort des visages pâles. J’écoutais attentivement tous les bruits aux alentours, guettant le moindre signe suspect, collant mon oreille au sol, mes yeux perçants tentant de deviner quelque chose à travers les carreaux sales de la petite cabane isolée. Mon cœur battait de plus en plus vite et j’avais de plus en plus chaud. J’armais mon arc avec ma plus belle flèche et tout doucement je continuais de m’approcher …plus que quelques mètres… quand soudain, juste derrière l’inquiétante maisonnette, je trouvais mon frère entrain de discuter tout fort avec une fille assise en face de lui, qui arrêtait pas de rigoler bêtement en le regardant faire le pitre. Lui, il était tout rouge à force de faire l’imbécile et il parlait avec sa voix grave de quand il veut faire le grand.
Je compris qu’il s’était fichu de moi avec son histoire de vampire et qu’il avait inventé tout ça, pour pas que je vienne l’embêter. Mais c’était sans compter sur mon courage. Je repartis donc avec mon arc et sans mon exploit, un peu déçu de ne pas avoir pu montrer à ce vampire de pacotille à qui il avait à faire, mais fier quand même d’avoir été jusqu’au bout.
Mais aujourd’hui c’est sûre, je vais vraiment réaliser quelque chose digne de mon courage. De toute manière je n’ai pas le choix. Si je continue d’attendre dans ma chambre, il ne se passera jamais rien. Les méchants que combattent les supers héros, fréquentent tout le temps des endroits sombres et un peu sous terre. Ils sortent la nuit pour accomplir leurs méfaits ; mais moi la nuit je dors et j’ai pas encore le droit de sortir tout seul dans la rue. Alors que dans la cave, là, j’ai le droit d’y aller. Maintenant je ne sais pas trop ce que je vais y trouver ? Bon les araignées je sais que c’est faux ; même maman elle m’a dit que c’était faux.
Le tout pour éviter les problèmes, c’est de partir bien équipé. D’abord j’emmène mon épée. Je vais aussi prendre mon grand chapeau de mousquetaire qui me tombe un peu sur les yeux, mon pistolet de cow-boy et mon bouclier anti-feu de dragon. Evidemment il n’y pas de dragons dans ma cave mais on ne sait jamais. Dans le noir les ennemis ont une fâcheuse tendance à être plus là que quand il y a de la lumière. C’est normal, c’est leur élément. C’est peut-être pour ça que je ne les vois jamais d’ailleurs? Enfin bon on verra bien. Juste avant de partir, je décide de prendre aussi ma cape de Zorro, histoire de mettre toutes les chances de mon coté. Je traverse la maison avec tout mon attirail, fier comme tout de ce qui allait enfin m’arriver. Au passage, je rassurais tous mes fidèles compagnons, refusant l’aide qu’ils me proposaient, leur expliquant qu’aujourd’hui « c’est seul que je dois affronter mon destin ». Puis d’un pas décidé, je rentre dans le garage. ça sent l’essence et il fait un peu froid à l’intérieur.
Doucement, l’oreille aux aguets, je m’approche de la porte. J’ai un peu la main qui tremble en attrapant la poignée. Je l’ouvre. Le noir est là, comme une grande bouche de monstre prête à me dévorer. D’une main je tiens fermement mon épée et de l’autre je cherche le mur sur lequel est censé se trouver ce fichu interrupteur. Un pas après l’autre, je descends les marches. Il n’y a pas un bruit et plus ça va, plus ça sent le moisi. Et puis aussi plus ça va, moins j’y vois. Comment on peut être sûr qu’il y a rien si on y voit rien ? Peut être qu’à chaque fois qu’on allume la lumière ils se cachent en attendant le retour du noir ? Peut être que là en fait, ils sont en train de me regarder avec leurs gros yeux jaunes, leurs grandes dents sales, leurs corps poilus et leurs grandes mains griffues ? Peut être qu’il y en a un qui est caché derrière la porte et qui attend que je descende plus bas pour la fermer et qu’ensuite ils vont tous se jeter sur moi et m’attaquer ? Et moi comment je ferai pour me défendre si j’y vois rien ?
Et puis en plus, plus ça va, plus j’ai une grosse boule dans la gorge qui m’empêche de respirer ; comme si j’avais avalé une grosse bille et que j’étais entrain de m’étouffer. J’ai mes yeux et mon nez qui me piquent et je sens bien que si ça continue je vais pas tarder à me mettre à pleurer quand soudain, mes doigts touchent enfin l’interrupteur. En un éclair j’allume la lumière, je saisis mon pistolet coincé dans ma ceinture et commence à vider mon chargeur dans tous les sens ; avec mon épée je fais des grands gestes, histoire de me débarrasser d’un maximum de monstres en même temps.
« A l’attaque, à l’abordage !!! » Un ennemi sournois me rabat mon chapeau sur les yeux et je n’y vois plus rien du tout. En continuant à faire des grands moulinets avec mon épée, j’essaie de relever mon couvre chef mais mon bouclier me gêne et je me cogne le nez avec. Je tente de me retourner pour faire face mais une fois encore l’ennemi m’assaille par derrière et me déséquilibre d’un croche pied mesquin qui m’envoie rouler par terre. Je me retrouve un peu emmêlé dans ma cape, mais je tiens bon et pour me donner du courage, je crie tant que je peux :
« A l’attaque ! A moi la garde ! Feu ! En avant ! En avant !» Un monstre répugnant surgit soudain d’un coin sombre et tente de m’attraper, mais mon épée le tient facilement en respect. Je n’arrête pas de courir partout et de crier. Je suis insaisissable et tous les coups que je lui porte lui sont fatals. Il recule et essaye de se réfugier derrière le vielle bâche bleue : « Ah ! voilà donc ton repaire misérable ». Je commence à taper dessus comme un fou pour le faire sortir quand soudain, j’entends la voix de maman en haut des escaliers :
« Hector, ça va mon chéri ? Qu’est ce que tu fabriques dans la cave à faire tout ce bruit? »
Je suis tout essoufflé et couvert de poussière. Je regarde autour de moi. Victoire, mon terrible agresseur a reculé face à la puissance de mes assauts. Mais maintenant que j’ai mis la main sur son refuge, les choses ne vont pas aller en s’améliorant pour lui. Je remonte les escaliers en courant, pour aller rejoindre maman. Cette fois c’est sûr, Hector le flamboyant, vient d’écrire la première page de son roman.

vendredi 14 septembre 2007

Nouvelle



Souvenirs

C’était un petit homme rabougri, dont le visage pâle, froissé comme un morceau de papier, contrastait avec son costume sombre, impeccablement ordonné. Il était posé là, sur son lit, ses paupières closent, ses cheveux blancs parfaitement peignés, rasé de près. Il était mort dans la nuit, sans bruit et Thomas était enfin soulagé de le savoir ainsi. Mort. Libre.
Il ne savait pas si il était horrible de penser cela ou si c’était tout simplement juste. Etait il concevable de se sentir ainsi apaisé le jour de la mort de quelqu’un que l’on aime ? Il avait l’impression que cette dualité dans son esprit, était en train de lui ôter le chagrin qu’il aurait du décemment ressentir en ce jour de deuil. Mais comment expliquer aux autres, que depuis plus de six mois, il souffrait de voir ainsi son père gagné par cette absence sournoise qui l’éloignait de jour en jour du monde des vivants, qui le dévorait sans cesse de l’intérieur et qui ne laissait plus, aux yeux de ceux qui l’aimaient, que la sordide vision d’une coquille creuse. L’enveloppe de ce que fut son père durant ces six derniers mois, avait été encore plus difficile à supporter, que le visage neutre qu’il lui offrait ce matin. Depuis qu’il avait reçu la lettre, il ne c’était pas passé une journée sans qu’il ne la sorte et qu’ il ne pense à lui. Parfois, il se contentait juste de la regarder en la caressant du bout des doigts mais souvent, il aimait à la relire dans son intégralité. Sur la fin pourtant, il n’en avait plus vraiment besoin tellement il en connaissait le rythme par cœur. Une simple feuille, lancée comme une bouteille à la mer. Quelques lignes silencieuses, arrivées un matin par la poste. Il avait alors eu l’impression de recevoir des nouvelles d’un disparu et sa gorge s’était serrée en reconnaissant l’écriture.
Depuis le début, il avait préféré ne pas y penser, ne pas savoir et petit à petit, il avait fait semblant de ne pas être concerné plutôt que de regarder son père mourir sans pouvoir rien faire d’autre que d’être un spectateur impuissant. Voir la mort prendre le visage de celui qui lui avait donné la vie, la voir lui ôter toute étincelle de son regard pour n’y laisser qu’un immense vide plein de questions, était au dessus de ses forces. Alors il avait préféré faire semblant d’oublier. De toute façon, son père n’en saurait jamais rien. Et puis tout le monde faisait pareil, attendant la même chose sans vouloir en parler. On ne parle pas de la mort tant qu’elle n’a pas frappé. C’est indécent. On se contente de la regarder faire, malgré soi et on souffre en silence. Et puis un jour elle vient, et bizarrement même si l’on est préparé, on est surpris et on a mal. Mais aujourd’hui, Thomas n’arrivait pas à avoir mal.
Assis dans cette chambre face à son père, il voyait l’agitation qui l’entourait, les pleures de sa mère, les yeux rougis de ses sœurs, le cortège de costumes noirs et de visages défaits. Mais lui restait obstinément serein, horriblement détaché. Peut être que la douleur de la disparition viendrait elle plus tard, peut être viendrait elle avec le temps, avec l’absence de cet être cher ? L’absence de cet être cher ! Mais il était déjà parti depuis tellement longtemps. Alzeimer n’est pas une maladie qui laisse quoi que se soit à l’entourage. Elle emporte tout, même le regard et ne laisse rien à ceux qui sont autour. Quelque part il avait l’impression que la souffrance était déjà derrière lui et qu’aujourd’hui… aujourd’hui il ne savait pas. Mais une chose était sûre, le jour où il avait reçu la lettre, sa douleur et son chagrin avait été d’une telle ampleur que pendant plus d’un mois, à chaque fois qu’il avait voulu la relire, les larmes lui avaient brouillé la vue et sa gorge s’était serrée jusqu’à l’étouffer. Plus d’une fois il avait du la ranger avant de l’avoir fini, ne pouvant prolonger sa souffrance. Tant de souvenirs ressurgissaient en lui. Pourtant à l’époque, le nom de la maladie avait déjà été prononcé et l’issue ne faisait plus aucun doute. C’est sûrement pour ça que la lettre l’avait autant bouleversé car sans se l’avouer franchement, Thomas considérait déjà son père comme mort et le sentir ainsi revivre à travers ces quelques lignes l’avait énormément ému.
Il était déjà depuis quelque temps à l’hôpital des Eglantiers, une clinique spécialisée pour ce genre de cas. Sa santé se dégradait petit à petit, invariablement. Ses quelques moments de lucidité, ne faisaient que renforcer le désarroi dans lequel ses proches s’enfonçaient. Et puis un matin, lui était arrivée cette enveloppe qui lui était directement adressée. A l’intérieur une simple feuille fébrilement pliée mais dont chaque mot résonnait dans sa tête, comme un dernier au revoir.



Mon très cher fils

Je t’écris aujourd’hui, avec ce qui ne sera plus demain, qu’un immense champ stérile, uniquement capable de réagir pour la survie d’un corps qui se refusera à mourir. Les mystères de la vie nous jouent parfois de drôles de tours. Mon esprit est gangrené par un mal terrible, incurable et qui me ronge irrévocablement : l’oubli. Il s’insinue en moi comme l’hiver remplace l’automne, petit à petit, sans bruit et sans fracas. Il prend sa place, se pose certains jours, recule à d’autre, mais un matin je me lèverai et il sera là ; glacial et silencieux, il s’imposera de tout son vide. Il n’est déjà plus question pour moi de cultiver des projets, de mettre en germe de nouvelles idées pour les années à venir. J’en suis réduit à une lutte permanente pour camoufler les ravages de cette lèpre sur mon ordinaire. Mais je sais que le combat est vain. L’imagination qui était auparavant mon alliée, est aujourd’hui une arme qui se retourne régulièrement contre moi, m’éloignant sournoisement de mon quotidien. Elle m’entraîne dans de longues promenades blanches et solitaires. Autrefois j’en revenais chargé d’idées et de désirs mais aujourd’hui… aujourd’hui il ne me reste à mon retour qu’un profond sentiment de vide et de désarroi.
Même mes souvenirs me quittent. Eux si fidèles, à qui régulièrement je rendais visite, ils commencent à s’obscurcir et à disparaître dans le labyrinthe chaotique de mes pensées sinueuses.
Il ne me reste plus que les mots bruts. De temps en temps, je croise l’un d’eux qui fait alors ressurgir du plus profond de mon âme de petits morceaux de vie. De petits morceaux de ma vie, qui aujourd’hui sans vouloir me quitter, m’oublient. C’est grâce à l’un d’eux que je me suis rappelé de toi et ton image ne m’a plus quitté. C’est grâce à eux que je t’écris aujourd’hui. Je vous aime. Papa


Son père semblait avoir retrouvé, le temps de ces quelques lignes, l’inspiration qui l’avait animée durant toute sa vie. Lui pour qui l’écriture avait été un des piliers de son existence avait, au cours de ce dernier sursaut de lucidité retrouvé un peu de son esprit. Cet esprit si fidèle qui l’avait accompagné durant toutes ces années et qui avait fini par le fuir, s’évaporant sournoisement, ne lui laissant que les lambeaux d’une vie anonyme, prisonnière de son corps. Ce corps que Thomas était en train de regarder de manière hypnotique, assis sur sa chaise dans un coin de la pièce et à travers lequel il voyait finalement tellement de choses.
Il se rappelait notamment qu’une fois, alors qu’il était tout petit, il était monté dans le bureau chercher son père. C’était un endroit magique ce bureau, à la fois effrayant et très attirant. Il y avait de gros livres partout, des tas de gros dossiers en désordre qui reposaient sur des chaises ou même directement par terre. Dans un coin, un grand canapé recouvert d’un tissu bleu nuit coupait l’angle. Des feuilles volantes étaient accrochées aux murs au milieu d’une mosaïque de photos, de plans, de sous verre abritant des visages au fusain ou bien de machines infernales inachevées. Au milieu de tout cet univers chaotique, trônait un énorme bureau de bois sombre. Toute la pièce était plongée dans la pénombre et sur un coin de la table, une lampe diffusée une lumière orangée rassurante. De dos, sur une chaise entourée de deux accoudoirs, était assis son père. Thomas se rappelait d’absolument tout, jusqu’à l’odeur forte de tabac qui enveloppait toute la pièce. Le silence qui régnait était presque tactile et il ne se sentait pas très à l’aise. Tout doucement, il fit le tour du bureau. Son père, sans lever les yeux de ce qu’il était en train de faire, lui avait demandé :
« - Qu’est ce qu’il t’arrive mon bonhomme ?
« - Maman est partie avec Clarisse et Sibille et je suis tout seul. Est ce que je peux rester avec toi ici ?
Il l’avait regardé, puis après avoir posé son stylo, l’avait soulevé pour le poser sur ses genoux. Devant lui s’étalait tout un tas de feuilles noircies, trois ou quatre livres ouverts et tout une collection de crayons de différentes couleurs.
« - Qu’est ce que tu fais, tu travailles ?
« - Pas tout à fait non. Je suis en train d’écrire une petite histoire.
« - Mais les histoires on les trouve dans les livres, il n’y a pas besoin de les écrire.
Son père avait gardé le silence quelques instants puis il lui avait répondu :
« - Oui mais avant ça, une histoire, il faut aller la chercher pour pouvoir la mettre dans un livre pour qu’après les petits garçons comme toi puissent la lire.
« - Et tu les trouves où toi tes histoires ?
« - Je les trouve dans ma tête. Je les fabrique avec des morceaux de petit rien que j’assemble entre eux, des petits moments de vie, quelques odeurs, quelques couleurs. Tu sais, chaque jour qui passe, tu emmagasines tout un tas de choses au fond de toi, comme un trésor, mais tu ne t’en aperçois pas. Si tu laisses tout ça sans y toucher, alors ça va devenir des souvenirs, des moments agréables ou désagréables que tu peux emmener partout avec toi mais qui seront toujours les mêmes, un peu comme un paysage sur une photo. Mais si tous ces souvenirs tu décides finalement de continuer à les faire vivre dans ta tête en les améliorant un petit peu, en leur rajoutant des choses, en les mélangeant à d’autres, alors parfois tu peux réussir à trouver une idée. Et puis au fur et à mesure, tu accumules tes idées et si au bout d’un moment elles vont bien ensemble, si tu sens qu’elles forment quelque chose de vivant, alors tu peux espérer écrire une histoire.
« - Moi aussi un jour je pourrais le faire ?
« - Peut être. Si un jour tu le décides et si tu en as l’envie alors peut être que tu pourras écrire une histoire, oui.
« - Même si jamais j’ai pas de souvenirs ?
« - Oh ça ne t’inquiète pas mon chéri, tout le monde a des souvenirs… c’est impossible de ne pas en avoir. Les souvenirs c’est la vie. »
Au bout d’un très long moment, Thomas s’aperçut que son regard s’était perdu dans le vague et qu’il s’était totalement laissé emporter par ses pensées. Sans qu’il s’en aperçoive, ses lèvres s’étaient tendues pour former un très léger sourire. Dehors il faisait beau. D’ici quelques temps, cette journée aussi ferait partie de ses souvenirs ; elle ferait partie de lui et ne le quitterait plus. Cette mort ferait partie de sa vie. Mais il était désormais certain d’une chose. En y repensant, il ne serait jamais envahi par la tristesse.

dimanche 9 septembre 2007

Ecrit

Voyage au creux d’une bulle.

Se glisser dans une bulle, de champagne ou de vie,
Et se laisser aller
Sans vraiment de but, sans vraiment de sens et encore moins d’envie.
Se laisser rebondir entre les mots, former des phrases, mais ne rien construire. Aller tout simplement, légèrement, et goûter à la vie comme à une mélodie joyeuse.
Se laisser rouler mollement entre les notes langoureuses échappées d’une guitare, Un soir d’été, isolé dans sa bulle, porté par l’invisible main d’un rythme tendre.
Se mettre à danser dans les airs, porté par la brise légère de ses pensées et atteindre enfin cet infini subtil que seul l’imaginaire engendre.
Flotter sur les eaux au dessus d'un abysse,
Y deviner le précipice, en goûter le vertige et couler avec délice de douces secondes à s’imaginer y tomber, calfeutré dans sa bulle.
Effleurer de sa surface ronde les griffes aiguisées de la bêtise et en de moelleuses feintes, esquiver ses serres sournoises.
Voyager, souple et élastique dans des infinis fantastiques pour enfin, dans un dernier rebond aérien, se poser au milieu de la réalité.

samedi 8 septembre 2007

Poème

L’amour c’est…

Deux être qui s’aiment
S’embrassent, s’enlacent ;
Deux êtres qui sèment
La graine de leur bonheur
Au grés de leurs étreintes.

mercredi 5 septembre 2007

Poème

Sur le quai de la gare…

Elle écrase une petite larme,
Il la regarde derrière le carreau.
D’un regard elle lui offre son âme
Et d’un geste, il saisit le cadeau.

mardi 4 septembre 2007

Absurderie

L'extraordinnaire histoire de l'éléphant-phare
Connaissez vous l’histoire, de l’extraordinaire éléphant-phare ?
Je l’ai croisé un soir. Il était arrivé la veille, dans le sillage d’un cirque atypique : Le cirque Onflex ; ce cirque particulier que tout le monde connaît et qui met toujours un accent, à être différent. C’est pour ça qu’on pouvait voir dans les cages de sa ménagerie, des boa qui aboient, des girafes en cristal et des étranges chiens chilas. Il y avait aussi, parmi tous ces êtres insolites, les frères Dessans qu’on ne pouvait jamais séparer sans qu’ils ne deviennent fous et les sœurs Ciéres, un peu bizarres avec leurs nez crochus et leur menton en galoche. Bozo le premier clone humain était là lui aussi. Mais la star des stars, celui que tout le monde venait voir c’était bien sûr l’incroyable éléphant-phare. Dans l’après midi déjà, on avait pu l’apercevoir, marchant dans la ville.
Il dominait la foule de sa masse imposante. Chacun de ses pas faisait trembler le sol, déclenchant la rythmique d’une musique sourde et envoûtante. Ses grandes oreilles balayaient les airs déclenchant autour de lui des tempêtes de confettis qu’un homme, tout petit, perché en haut de son crâne immense, lançait par sacs entiers.
« - Venez, venez brave gens, hurlait il à pleine voix, venez voir venez entendre ce soir sous notre grand chapiteau bordé de noir, l’incroyable, l’inénarrable, la terrible musique, de l’éléphant-phare. Venez entendre et venez voir, celui qui repousse la nuit, qui la broie et la détruit comme si elle n’avait jamais existé. Venez ce soir tous, chers amis, admirer l’incroyable, éléphant-phare.»
Car si de jour le mastodonte était imposant, il ne restait qu’une masse grise et compacte. Certes on sentait bien chez lui, une pointe de malice, glisser dans ses yeux lisse, mais rien à voir avec ce qu’il était vraiment. Car c’était la nuit, que l’on appréciait le mieux, la démesure de son talent. Lorsque l’astre solaire abandonnait la terre, lorsque la nuit et son cortége de d’ombre envahissait l’espace, alors seulement, se révélait la véritable nature de l’éléphant.
On disait, qu’il connaissait mille sarabandes endiablées qui lui auraient été apprises par Belzébuth lui-même ; on disait qu’il brillait dans la nuit, tel une étoile, un éclair et qu’à ses côtés, le temps filait comme le vent. On disait qu’il était souple comme un serpent et léger comme une plume ; qu’il pouvait être gracieux comme un flamand et courtois comme une enclume. On disait…tant de choses sur l’éléphant-phare. Tant de chose.
Arriva le soir et la représentation. Le spectacle passa entre les pitreries de Bozo et les forfanteries des boas. Tout le monde applaudit poliment, un monsieur bailla. Puis vint le moment où monsieur Loyal, un brin cérémonial, annonça de sa voix nasale :
« - Mesdames mesdemoiselles messieurs, voici enfin venu le moment que vous attendez tous, le moment d’appeler parmi nous…l’éléphant-phaaaaaare !!!!! »
Dans le fond de la scène, les lourds rideaux rouges s’entrouvrirent. Il apparut, calme. Il semblait même un peu pataud sous ce grand chapiteau. La foule explosa en un hurlement de joie. Tout le monde était là pour lui. Tout le monde voulait voir et entendre, celui qui repoussait la nuit. L’éléphant calmement, vint se positionner au centre de la piste. Il s’assit, toujours tranquille et posé et d’un tressaillement calculé, fit tomber l’immense couverture qui le recouvrait jusque là. Dans le même temps, les lumières baissèrent alors que lui se mit à briller. Mais c’était au début, une lumière sourde et douce. Un peu surpris, le public attendit. C’est alors que devant ses yeux ébahis, il vit l’animal se mettre sur ses deux pattes arrière comme pour mieux se tenir debout. Puis tout doucement, il tendit sa trompe et se mit, dans un rythme lent et sensuel d’une étrange légèreté pour un animal si puissant…il se mit donc à balancer son bassin, de la droite vers la gauche.
De sa trompe, une musique extatique se mit à couler et ainsi emmener par ses rythmes langoureux, l’éléphant-pahre se mit à danser.
Oui mesdames et messieurs, j’ai bien dit à danser. Petit à petit il accéléra le tempo, augmenta la brillance de sa peau, joignant musique et lumière dans une chorégraphie des plus singulière. Le son enfla, la musique grandit et même déborda comme une rivière en furie, emportant la retenue et laissant loin derrière toutes les bonnes manières. Tout à son mouvement l’éléphant lui, dansait et jouait comme si de rien n’était, emportant dans le flot de sa folie furieuse une foule de plus en plus joyeuse, éclaboussant ces âmes curieuses de giclées de notes goyeuses. Certains ne savaient pas quoi faire. Devaient ils suivre cette bacchanale sulfureuse ? Tout ceci était il bien au programme ? Mais la plus part, emporté par la magie des notes et des lumières, ondulèrent et à se trémoussèrent aux rythmes endiablés que diffusait tout autour de lui l’éléphant-phare. Et cela dura dura et dura. Le temps fondit en un lingot flamboyant dans chacune de la mémoire des gens.
Et puis vint le jour. Petit à petit, les spectateurs, certains un peu étourdi, reprirent leurs affaires, leurs esprits et vers de nouvelles aventures, s’en allèrent. L’éléphant-phare lui, vaincu par le soleil, s’éteignit, presque sans bruit. Il semblait soudain moins gros, moins plein, moins agile et moins habile. Et pourtant c’était bien lui, l’animal qui repousse la nuit. L’incroyable, éléphant-phare, qu’un soir moi, j’ai pu voir.

lundi 3 septembre 2007

Poème

Manége à trois

Je veux que l'on mélange,
Mon ange,
Mes désirs
Et tes plaisirs,
Pour donner à notre errance
L’innocence d’une nouvelle enfance.

dimanche 2 septembre 2007

Nouvelle


Dés, illusions.

Minuit. Comme tous les soirs j’emprunte cette longue rue mal éclairée. Le froid de l’hiver me transperce malgré mes vêtements chauds. Mes talons claquent sur le parterre gelé et seul leur résonnement métallique meuble le silence glacial qui m’entoure. Je presse le pas ; plus par impatience de n’être pas encore arrivé qu’autre chose. Une lourde porte de bois vernie. Quatre coups au heurtoir. C’est le code établi entre Léo et moi. Cela lui évite d’avoir à ouvrir la petite lunette pour vérifier si la personne est désirable ou non dans l’enceinte de cet établissement un peu particulier. Enfin je pénètre dans le vestibule du club. Une fois débarrassé de mon carcan hivernal, je commence petit à petit à me détendre et tout en me dirigeant tranquillement vers le bar du fond je regarde autour de moi. Il y a du monde ce soir et certaines tables semblent déjà parcouru par la fièvre qui prend couramment les esprits les moins préparés à l’excitation que procure une telle activité. L’œil fixe, le visage fermé et tendu, leur existence n’est plus désormais tournée que vers un seul et unique but : jouer. Jouer encore et toujours, chacun pour ses raisons, mais tous avec la même frénésie. Tout ce qui peut être voué aux paris est accepté ici. Cartes, dés, roulette, billard ; chaque univers possédant ses adeptes, ses maîtres et surtout ses règles. C’est incroyable comme dans un univers sans limites comme peut l’être ce casino, la règle peut être à ce point respectée et appliquée. Aucune limite de temps, aucune limite d’argent sont les deux seuls credo des joueurs qui fréquentent ce club et tout est fait pour les satisfaire. Je m’installe sur l’un des tabourets du bar en acajou et après avoir commandé un verre je recommence à scruter les visages qui m’entourent. Petit à petit, je me laisse envahir par le désir du jeu.
Les bruits, les odeurs et les couleurs forment ici une atmosphère presque mystique; comme si ils semblaient vouloir se combiner entre eux, pour pouvoir mieux vous guider vers des mondes dont eux seul ont la clef et dont le jeu en est le rite. Les lourds tapis moelleux aux couleurs chaudes, posés sur le sol, étouffent tous les sons des pas. Parfois, lorsque votre partie vous a totalement absorbée, vous avez l’impression que les gens qui se déplacent autour de vous, le font en flottant dans les airs, glissant d’une table à une autre en de fluides et silencieux mouvements. Du coup toutes les autres sonorités, celles qui émanent directement du casino et de ses jeux, vous paraissent beaucoup plus distinctes et beaucoup plus parlantes. Tous ces bruits familiers résonnent en moi et m’entêtent comme une litanie exaltante. Les claquements en rafales des cartes sur les tapis de jeux. Le cliquetis des dés qui s’entrechoquent dans les cornets de plastique. La longue course ronde de la petite bille lisse qui tourne dans le cercle de bois de la roulette, attendant que le destin, de sa main ironique, la guide vers l’une des cavités. Rouge ou noir. Défaite ou victoire. Petite étoile guidant les plus fous jusqu’au bout de leur chance ; petite balle tuant les rêveurs sans vigilance. Finalement c’est vers elle que je me dirige.
En passant j’aperçois l’empereur au fond de la salle, attablé à une partie de poker. Il me salue. Deux ans déjà. La plus grosse mise gagnante jamais vue dans un casino. J’étais là le soir de son sacre et je n’ai jamais rien vu d’aussi grand que le coup qu’il avait alors osé tenté et duquel maintenant il tire toute sa notoriété. Un coup de maître, car au delà de la somme pharaonique que cela lui avait rapporté, il en avait tiré une gloire qui accompagnait désormais chacun de ses gestes. Pendant trente six heures d’affilées il avait ratissé absolument tous ses adversaires au poker, amassant plusieurs millions de dollars de gains. Le poker peut être un jeu de bluff et de tactique mais il faut quand même avoir une réussite folle pour tenir trente six heures sans se faire rattraper par la déveine. Mais non content de cet exploit, il s’était levé, avait considéré le public qui s’était groupé autour de sa table pour le regarder jouer et sans rien dire s’était dirigé vers la table de craps située juste à coté. Il avait alors tout posé sur le tapis, et s’était penché à l’oreille du croupier pour lui dire quelque chose. Lorsque ce fut son tour de jouer, ce dernier annonça de sa voix neutre et professionnelle.
« - On joue pour trente fois la mise. Le douze pour trente fois la mise. » et impassible, il lui avait tendu la paire de dés. L’ambiance était devenue électrique. Trente fois la mise sur un chiffre quasiment insortable, surtout après avoir eu autant de chance que lui pendant autant de temps d’affilé. Ce n’était même plus de la provocation mais de la folie. Les paris sur ses chances de réussites ou non explosaient, car au craps on peut parier sur le joueur qui s’apprête à lancer. Tout le monde était devenu comme fou. Il avait atteint le point de non retour et avec lui il avait emmené tous ceux qui fréquentaient ce club et qui rêvaient d’avoir le courage, d’aller un jour jusque là. Je crois que c’est en partie pour ça, que son titre a autant marqué les esprits, car même avant de jeter les dés, son heure avait sonné : gloire ou déboire, tout allait se jouer maintenant, sur cet unique coup de dés. Quoi de plus flatteur pour un joueur ; et tous, nous pouvions vivre cet instant avec lui. Quant enfin l’assistance se fut calmée et qu’il accomplit son geste il n’y eu plus un bruit durant une longue seconde. Puis se fut l’explosion. Le douze. Il avait sorti le douze. Certains restaient la bouche ouverte, sans rien dire, d’autres commençaient déjà à fabriquer sa légende, mais tous nous savions qu’il était en train de vivre le moment le plus important de sa vie de joueur et surtout qu’il s’en était sorti en vainqueur. Il avait dominé la chance, et ça c’était encore plus fort que de se faire rattraper par la malchance. Depuis, une énorme plaque en or trône derrière le bar. Le montant exact de ce que lui à rapporté son coup de dés y est inscrit. Quant on pense que c’est ce qu’il aurait put perdre, on se dit que dans ces moments là ce n’est plus seulement l’appât du gain qui compte mais peut-être le désir profond de provoquer son destin jusque dans ses derniers retranchements. Et de le vaincre, pour mieux en devenir le maître.

Finalement la soirée commence plutôt bien. Les dieux de la roulette me sont favorables. Mes mises me permettent même de me rapporter un nombre conséquent de jetons et plaquettes. Je me sens gai. Le chant de la petite bille roule dans ma tête et me met dans un état d’euphorie. Au bout de plusieurs tours, je tente un gros coup. Les trois quarts de mes gains sur un chiffre. J’ai suffisamment pour me refaire au cas ou de toute façon, alors pourquoi me priver de cette petite sensation si excitante qui me prend lorsque je commence à jouer un peu plus. Après tout je suis là pour ça. Et puis je fais bien puisque je gagne. Tout en continuant de miser je regarde ailleurs. J’irai bien à la table de craps mais il y a vraiment trop de monde pour l’instant. Aller, encore quelques mises à la roulette et après, j’irai lancer les dés. Mais soudain l’ambiance monte d’un cran ; un grec vient d’arriver à la table et joue gros. Par provocation je suis. Et par chance je gagne. Pas sur toutes les mises mais tous mes gros enjeux sont victorieux. Le ton monte et les autres joueurs attablés commencent eux aussi à faire grimper les paris. Rapidement quatre d’entre eux flanchent et abandonnent. On est plus que trois et je continue d’engranger sur les grosses mises. J’aime ces moments où la tension devient un élément à part entière du jeu, où elle est palpable, où elle commence à s’immiscer petit à petit dans mon ventre et dans ma tête. Finalement le grec craque. Les montants commencent à redescendre mais moi j’ai envie de continuer à jouer. La chance est avec moi, ce n’est pas le moment de la laisser partir, d’autant que depuis le début je prends peu de risques et qu’à toutes les fois où j’en ai pris j’ai toujours gagné.
La table de craps s’est un peu libérée. Sans hésiter une seconde je me dirige vers elle. La partie est bien engagée mais l’ambiance est sereine. Je commence par suivre le mouvement puis très vite je tente des mises plus conséquentes. Et très vite la partie s’enflamme. Un russe qui était là depuis le début ne lâche rien et surenchérie en permanence. Sans me laisser emporter je sens quand même que la pression se fait de plus en plus forte. J’essaye de caser quelques mises moins importantes de temps en temps et par bonheur c’est toujours à ce moment là que le mauvais sort décide de frapper. Mais à part ça toutes mes grosses mises sont gagnantes. Au bout d’un nombre incalculable de tours plusieurs gros parieurs ont commencé à s’intéresser à la partie mais je suis maintenant tellement exalté que je ne les remarque que longtemps après leur arrivée. Ce qui m’arrive est complètement fou. J’ai l’impression d’avoir des dés enchantés. Mon cerveau est en ébullition. Ma tête n’est plus que chiffres, statistiques et concentration. La fièvre est en train de m’envahir. J’aime ça et je sens que je peux aller encore plus loin. Mes mains tremblent légèrement et lorsque c’est à moi de lancer j’ai l’impression de voir mes dés danser une sarabande interminable avant que ne tombe leur verdict aléatoire. Entre chaque tour je fume cigarette sur cigarette. La table de jeu, est désormais encerclée par un véritable mur de visages qui s’affairent et qui discutent. Les sons de leurs voix se mélangent et donnent à l’air qui m'enveloppe une vibration sombre et profonde. Soudain je capte une phrase derrière moi. « Avec tout le fric qu’il s’est fait, il vaudrait mieux qu’il s’arrête… » M’arrêter !? Non. Non, surtout pas. Du fric. Mais je me fous du fric. C’est mon heure, ma grande heure que mes dés cadences de leur valse victorieuse. Je sais que je peux encore gagner. Encore un peu. C’est alors que je réalise que l’empereur est là ; juste en face de moi. Il me regarde. Il ne suit même pas le jeu. Il me regarde moi. Puis il se penche vers l’un des hommes qui l’accompagne et lui dit quelque chose. L’homme disparaît, puis réapparaît quelques secondes plus tard. Dans ses mains se trouve l’énorme plaque en or qui orne normalement le fond du bar. Silence dans la salle. Sans dire un mot l’empereur pose sa plaque dans la case qui l’oppose à mes paris. Voilà. J’y suis. J’ai le choix. Je peux me retirer ou bien jouer encore une fois, ma chance. Peut être devrais je dire ma vie, je ne sais plus. Une longue inspiration. Allez je lance, une fois encore, une dernière fois ; une ultime foi dans mes dés et dans cette sensation jouissive de chevaucher mon destin. Mais à la dernière seconde celui ci se cabre et d’une suprême ruade reprend le dessus, me renvoyant dans un silence de mort, son verdict de défaite.
Je suis resté là sans bouger, ne sachant plus quoi faire, ne sachant plus où aller. Mes dés m’avaient mené jusqu’au bout de là où je ne pensais jamais me rendre un jour et ma déchéance était maintenant pleine et entière. A l’autre bout de la table, l’empereur avait déjà disparu emportant avec lui la gloire et la chance. Je me suis levé entouré de commentaires sombres dispensés par des voix lointaines. Ce funèbre cortége sonore m’accompagna jusqu’à ce que la porte claque sur mes talons. La nuit qui s’étendait face à moi, était sombre et glaciale.

samedi 1 septembre 2007

Poème

Ma tête

J’ai la tête ailleurs
Et le cœur rieur ;
Cela donne à ma vie
La couleur de l’envie
D’aller et de courir sans trêves
D’un bout à l’autre de mes rêves.