mercredi 31 octobre 2007

Nouvelle : La jonction des paralléles (2)

La jonction des paralléles (2)
Il faisait une chaleur suffocante en dehors de l’appareil. L’air saturé d’humidité et de chaleur emplit ses poumons.
Dès sa descente de l’avion, Frédéric pu se rendre compte à quel point l’ouragan avait frappé fort juste en regardant l’état de l’aéroport. Une partie du toit était arraché, plusieurs vitres brisées, des arbres étaient couchés et il traînait partout sur le sol des objets accumulés en tas hétéroclites. Morceaux de plastiques, de toits, enjoliveurs de voitures, étaient enchevêtrés à des bouts de bois ou de ferraille qui avaient été charriés par le vent et les pluies diluviennes qui s’étaient abattues quelques heures plus tôt sur la région, entassant le tout au grès d’un hasard chaotique.
Aussitôt les formalités administratives accomplies, quelqu’un l’aborda :
« - Monsieur Filatreau ?
« - Lui même.
« - Je suis l’assistant du journaliste que vous remplacez. Kelevo Smabamaluka. Enchanté de vous rencontrer. Vous avez fait bon vol ?
« - Calme. Très calme.
« - Très bien. Si vous voulez bien me suivre, un taxi nous attend à l’extérieur. Il nous conduira jusqu’à votre hôtel. »
L’homme était un malgache assez grand, maigre et qui s’exprimait dans un français quasi impeccable. Sur la route Frédéric n’en revint pas des dégâts. Il avait l’impression que l’on avait enfermé la ville dans une boite, qu’on l’avait secoué violemment pour au final, tout rejeter sur le sol en un vrac invraisemblable. Des gens en guenille faisaient la queue devant les camions citernes qui distribuaient de l’eau potable.
« - Tout le réseau de distribution d’eau qui déjà n’est pas terrible d’habitude, a été anéanti avec cette tempête. Idem pour tout ce qui est nourriture. Actuellement nous ne pouvons survivre que grâce à l’aide internationale. Enfin du moins, ce que l’on veut bien nous envoyer parce qu’il faut bien le dire, pour l’instant nous ne recevons pas grand chose ».
Tout le chemin ne fut qu’une longue vision de misère. « Vision de misère ». Il avait l’impression que ces mots résonnaient dans sa tête sans qu’ils ne puissent trouver leur sens réel. Ils n’étaient que des mots, fades et insipides, charger d’exprimer la réalité du tableau qu’il avait sous les yeux mais ils semblaient ne contenir aucune profondeur, aucune réalité. C’était la première fois qu’il prenait ainsi conscience du décalage qu’il pouvait y avoir entre des mots et la réalité qu’ils étaient censés exprimer. Des mots. Comment allait il pouvoir faire passer toute la détresse de ces êtres humains, uniquement avec des mots. En effet, à la différence de la télévision, lui n’avait pas le pouvoir des images pour heurter ou pour marquer les gens. Il n’avait que celui des mots pour tenter de transmettre son ressenti. Et contrairement à la presse, ses mots, une fois prononcés, disparaissaient dans les souvenirs, emportés pas le flot du reste des informations à suivre. Ils ne pouvaient être relu afin de pouvoir en soupeser toute leur exactitude et tout leur relief ; afin d’en tirer l’analyse la plus juste possible. Mais c’était ce qu’il aimait par-dessus tout dans la radio. La spontanéité et la précision que son travail exigeait. Mais aujourd’hui, face à l’ampleur de la catastrophe, les mots lui semblèrent soudain bien impuissants.
Son téléphone sonna.
« - Oui ?
« - Fred ? C’est Georges. Ça y est t’es sur place ?
« - Ouais.
« - Bon parfait. J’ai réussi à te dégoter trente quatre secondes dans la tranche du matin. Tu passes demain, OK.
« - OK.
« - Bon je te laisse. On est à la bourre sur le bouclage et on est débordés de boulot. Il y a eu une série d’attentat à Jérusalem juste avant le début des journaux de la matinée. Enfin bref ; Bosse bien et essaye de m’envoyer ce que tu vas dire dans la nuit histoire que je jette un oeil avant que tu passes à l’antenne.
« - Tu me fais pas confiance ?
« - Mais si je te fais confiance. C’est juste si tu peux c’est tout. Bon aller je te laisse.»
Frédéric raccrocha. Trente quatre secondes.
Malgré leur quatre-quatre, ils roulaient très lentement. La route, ou du moins ce qu’il en restait, n’était plus qu’une succession de trous plus ou moins profonds, empêchant toute circulation normale. A plusieurs reprises, il durent même descendre du véhicule afin de dégager le chemin de débris divers et variés. Dehors, une odeur de boue mêlée à celle des déchets en décomposition emplissait les narines.
Au début de leur périple, Frédéric questionna Kelevo pour tenter d’en savoir plus sur la situation. Puis petit à petit, celles-ci devinrent inutile, sont regard seul lui suffisant.
Ils arrivèrent à l’hôtel. Malgré les arbres déracinés et les quelques poches et autre tôles ondulés qui jalonnaient le jardin, celui-ci semblait avoir était plutôt épargné.
« - Il est sur un point haut, expliqua Kélévo, ce qui fait que la boue ne l’a pas envahie comme le reste. »
Frédéric hocha la tête.
« - Ne bougez pas. Je pose mes valises et on repart.
« - Tout de suite ?
« - Oui. Tout de suite.
« - Bien. »
Quelques minutes plus tard, le quatre-quatre et ses passagers reprirent leur route chaotique.
« -Vous avez déjà vu l’aéroport et les quartiers nord de la capitale. Le centre ville c’est pire mais on va essayer d’y accéder quand même afin que vous puissiez vous rendre compte. Les rues sont en terre ici et il n’ y a pas d’évacuations. Du coup elles se sont transformées en torrents de boue vue la quantité d’eau qui est tombée, emportant tout sur leur passage. » L’homme continua d’égrainer les conséquences de la catastrophe. Les mots s’enchaînaient les uns derrière les autres et mettaient Frédéric de plus en plus mal à l’aise. Ils avaient une allure de constat, pâle et froid et ne reflétait absolument rien de la réalité présente. En pénétrant petit à petit dans le centre de la ville, il se sentit encore plus profondément envahi par le sentiment de malaise. Trente quatre seconde.
Le petit intervalle dont il disposait lui revint soudain en mémoire. Il avait trente quatre secondes exactement pour tenter de raconter la souffrance, l’ignorance, le désarroi, la douleur et l’abandon. Trente quatre seconde perdues entre le sport et la politique nationale ; trente quatre secondes gagnées sur l’indifférence générale. La sensation de manquer de temps le saisi. Comme si celui-ci s’était soudain rétréci dans son esprit et que les heures qui le séparaient du moment où il allait devoir parler à la radio, s’étaient subitement transformées en minutes.

mardi 23 octobre 2007

Nouvelle: La jonction des parallèles (1).

La jonction des parallèles.


« - Oui…je suis à l’aéroport là. Je me prépare à prendre l’avion pour Antananarivo… je sais mais j’ai pas pu te prévenir plutôt. Notre correspondant sur place a été blessé par l’ouragan et on a été obligés de le rapatrier ; Comme ils cherchaient quelqu’un à la rédaction je me suis proposé… Parce que tu crois que ça m’amuse d’aller là-bas… Non ça devrait aller assez vite. J’arrive, je fais mon reportage, deux ou trois interviews et je rentre… Je sais pas moi, quatre ou cinq jours tout au plus -enfin j’espère, pensa Frédéric pour lui même, parce que déjà que Madagascar c’est pas la joie alors après un ouragan j’ose même pas imaginer.- Pourquoi je me suis proposé ? Ecoute Julie on a déjà eu cette conversation dix mille fois.… Oui je sais, c’est d’ailleurs pour ça que je t’appelle. Il faudrait que tu amènes Léa chez mes parents cette semaine, j’ai tout arrangé avec eux, ils sont au courant… Mais non j’abandonne pas ma fille pour mon travail mais il se trouve que là j’ai un impératif… »
Frédéric sentait que la conversation avec son ex-femme était en train de tourner, comme d’habitude, à l’altercation. Arpentant nerveusement un coin anonyme de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, il tentait tant bien que mal de garder son calme. Evidemment que ses parents ne le remplaceraient pas, il n’en avait jamais été question d’ailleurs. Mais que pouvait il faire de plus pour l’instant ? Et puis ce n’était que pour une absence de cinq jours, une semaine maximum. Léa ne serait quand même pas traumatisée de passer une semaine chez ses grands-parents qui l’adoraient en plus.
« - Bon il faut que j’embarque là… Oui… Je t’appelle quand je rentre. Salut. » Le claquement sec de son portable mit fin à la conversation. Il le fourra au plus profond de sa poche et, tout en prenant une grande inspiration, regarda sans bouger les avions décoller sous la pluie. Il resta planté là un long moment, les mâchoires et les poings serrés. Pourquoi fallait il toujours que son ex femme remette en cause sa façon de faire ? Il ne lui avait jamais rien imposé lui. Alors pourquoi se sentait elle obligée en permanence de venir commenter toutes les décisions qu’il prenait ?
Il aimait son métier, peut être un peu plus que la moyenne certes, mais était ce pour autant que l’on devait comme ça, en permanence, le sermonner sur ce qu’il ne faisait pas ou bien sur ce qu’il faisait mal. Il tentait de faire de son mieux et comme il réussissait à faire mieux au niveau professionnel qu’au niveau familial, il s’y consacrait un peu plus. Cela ne voulait absolument pas dire qu’il en oubliait sa fille loin de là. Mais lorsqu’il y avait des impératifs, il se devait d’être là, c’est tout.
Et puis, il fallait bien qu’il se l’avoue aussi, il adorait le côté imprévu des missions qui lui étaient imparties. Dés qu’on lui demandait si il pouvait se rendre quelque part, il ne disait que rarement non. Il se repassa rapidement le film de ses souvenirs depuis qu’il était arrivé à la rédaction. Il avait déjà couvert deux fois le Kosovo, plusieurs rebellions en Afrique de l’ouest, la mousson en Asie du sud-est l’année dernière et ce systématiquement au pied levé. Dés qu’il y avait un événement quelque part et que le correspondant sur place pour une raison ou pour une autre ne pouvait s’y rendre, c’est lui qu’on envoyait directement de Paris. Il avait souvent à peine le temps de s’imprégner avant de partir de ce qui allait l’attendre sur place. Il avalait rapidement le dossier concocté par une des secrétaires de la rédaction, et s’en remettait la plus part du temps au contact qu’ils avaient sur place. Si il n’en avait pas, la tâche n’en était que plus difficile mais non moins excitante. Parfois, il était tellement pris dans sa dynamique de spontanéité qu’il ne prenait conscience de ce qu’il avait vu ou des risques qu’il avait pu prendre qu’une fois qu’il était de retour à Paris. Sur place, il était là pour faire son travail ; rendre compte d’une situation le plus clairement possible et surtout de la façon la plus neutre. Il était le miroir renvoyant l’image, fidèle, précis. Pour le reste, que pouvait il faire de plus de doute façon ? A chacun son travail. Lui n’était ni une ONG ni un représentant de quoi que ce soit. Il était les yeux et les oreilles objectifs d’un média charger de communiquer au reste de ses concitoyens un fait, la plus part du temps dramatique, qui se déroulait dans un coin du globe. Ni plus, ni moins. Aux autres de faire les commentaires et les analyses. Cette neutralité imposée n’allait pas sans lui poser quelques problèmes de conscience à certain moment, mais il évinçait la plus part du temps la question, préférant se concentrer sur ce qu’il avait à faire.
« Les passagers pour le vol numéro 3547 à destination d’Antananarivo sont priés de se rendre à la porte numéro 7 pour un embarquement immédiat. »
Le vol se passa sans problèmes. Frédéric pensait à un projet d’émission, aux vacances à venir qu’il avait prévu avec sa fille et Véronique sa nouvelle compagne. Elles ne se connaissaient pas encore et cela allait être l’occasion de les présenter. Il sorti son dossier afin de regarder ce qu’il en était exactement de la situation. Les choses ne semblaient pas se présenter sous le meilleur des angles. Madagascar, un des pays les plus pauvre du globe, venait d’être littéralement soufflé par un ouragan. Les échos qu’il en ressortait était un chaos total et une situation explosive car l’eau potable avait complètement disparut, le fragile réseau mis en place quelques années plutôt ayant explosé avec le reste de peu de constructions que comptait ce pays. Ces informations, ils avaient pu les avoir grâce à un contact sur place avec qui il avait rendez vous en arrivant. Mais apparemment, bien peu de journalistes semblaient se rendre là bas pour le moment. Bercé par le rythme régulier du vol, un peu étourdi par les quelques coupes de champagne que lui avait servi l’hôtesse, il finit par s’endormir. Lorsqu’il se réveilla, l’avion amorçait sa descente sur la capitale de Madagascar.

samedi 20 octobre 2007

jeudi 18 octobre 2007

Poème

Au rythme de l’autre

Je te suis
Je te poursuis
Je me fuie
Je t’envie…
Je m’oublie.

mercredi 17 octobre 2007

Nouvelle


Seul


Et là, au milieu de cette nature imposante et omniprésente, au milieu cette nuit où je n’étais plus rien et où soudainement, cette vérité intrinsèque que je fuyais habituellement en courant après mes rendez vous, après ces minutes qui ne cessaient de m’échapper et qui filer à la vitesse du vent, j’ai eu peur. Et le pire, c’est que cette peur n’avait ni noms ni raisons.
Elle m’avait agrippé le ventre, fait trembler le corps et paralysé la gorge. Elle avait obscurci mon esprit pour ne plus en faire qu’un immense champs noir et plein de doutes et tout ça uniquement parce que brusquement, je ne bougeais plus, je n’était plus rien. Je n’avais plus moyen de m’échapper, plus de moyen de me mouvoir dans l’espace pour tenter de faire illusion, j’étais posé, échoué, statique, immobile. Je n’étais plus attendu nul part, je n’étais plus celui qui est en retard ou en avance. Non. J’étais. Et c’était tout. Le flot impétueux du temps dans lequel j’aimais tant naviguer et me perdre habituellement m’avait poussé sur le côté et je me retrouvais comme un tronc d’arbre sorti du courant ; refoulé sur la berge à devoir attendre…
Dans un mouvement compulsif, je tentais désespérément de refaire marcher mon portable. Ce lien permanent avec mon réseau, mon flot, ne pouvait pas m’avoir lâché ainsi. C’était impossible. Et pourtant si. Voilà. Je n’avais plus en face de moi que l’attente. Longue, sombre et inexplorée, j’allais devoir m’y confronter, seul…
Seul ? Après tout, ce n’était pas ce qui me dérangeait le plus car à bien regarder, être seul était un peu l’histoire de ma vie du moment. Depuis qu’on c’était quitté Cécile et moi il y avait environ deux ans maintenant, je n’avais jamais vécu de nouveau en couple. Enfin on c’était quitté…disons que sans vraiment savoir pourquoi ni comment on était arrivé à la fin de l’histoire. Alors plutôt que de continuer à faire semblant, plutôt que de continuer à se voiler la face et à se dire que « peut être ça aller revenir… » on avait choisi d’arrêter. Je l’ai regretté, mais il était trop tard. Trop tard pour la rappeler, pour s’expliquer. La vie passe et parfois on se réveille avec le sentiment contradictoire de ne pas savoir si l’on est heureux qu’il nous reste encore du temps pour faire des choses ou bien l’on doit être terrifié par le temps déjà écoulé. Toujours est-il que depuis, d’aventures en aventures, je comblais certaines de mes soirées de façon sexuellement ludique. Ni plus, ni moins. Mais je n’avais jamais retrouvé aucun intérêt à vivre de nouveau un quotidien avec quelqu’un. Le principal argument était que cette situation m’offrait l’énorme avantage de ne présenter aucune obligation l’un vis-à-vis de l’autre. Tout juste devais je m’en tenir à un semblant d’honnêteté lorsque l’ennuie commençait à poindre à l’idée de la revoir. Mais mes excuses étaient devenues avec le temps et l’habitude, nombreuses et imparables. Et mes compagnes variaient donc de façon régulière et parfois cavalière. Mais je n’avais absolument pas le sentiment de leur manquer de respect en quoi que ce soit. Je ne cherchais qu’à partager des bons moments et cette quête hédoniste incluait parfois des décisions pouvant paraître un peu dure. Disons que je préférais être dur que prisonnier d’une situation sans issue. Ma vie quotidienne était donc baignée d’une douce solitude plus ou moins choisie, ce qui me laissait beaucoup de temps pour moi et pour faire, par conséquent, tout ce que je désirais. Alors pourquoi ais-je eu si peur soudainement de me retrouver ainsi seul au milieu de nul part ? Pourquoi cette peur-panique m’avait-elle prise quelques instants plus tôt, me terrassant comme si j’avais reçu un coup de poing dans le ventre ? Peut être était ce la nuit ? Peut être était-ce toute cette immensité ? Et puis cet isolement, contraint et brusque. Cet isolement qui c’était imposé de lui-même sans me laisser le choix, sans même prendre la peine de me prévenir. Cet isolement qui avait surgit dans ma vie et que j’allais devoir supporter malgré moi au moins jusqu’à demain matin. Car si il est vrai que je vivais seul, je ne vivais pas pour autant isolé. Le secret de l’attraction des grandes villes réside sûrement là dedans. Ce sentiment de pouvoir se permettre de choisir sa vie, d’être parmi sans pour autant avoir le sentiment d’être avec. La vue des autres, la vie des autres, me permettait de fuir de façon plus aisée le vide la mienne.
Mais là, je n’avais plus rien, plus d’écran, plus de bouclier, j’étais seul, au milieu de nul part.

Tout avait commencé quelques jours plus tôt avec ce coup de fil d’un ami :
« - Thomas ?
« - Ouais.
« - Comment ça va ?
« - Comme un mec qui bosse en pensant à ses potes qui sont entrain de se dorer la pilule en Espagne…
« - Oh aller ça va hein ! Ça fait un mois qu’on te propose de venir avec nous…tu devrais je te jure c’est génial comme coin.
« - Mais je ne peux pas marcher je te rappelle, répliquais-je sur un ton faussement énervé. Ma cheville me fait encore un mal de chien dés que je la pose part terre alors si c’est pour aller m’enterrer en pleines Pyrénées espagnole pendant que vous allez vous amuser dans les montagnes non merci, je préfère encore rester là.
« - Bon d’accord tu peux pas marcher ça on avait bien compris ; mais tu peux conduire ?
« - Oui, ça je peux ça…
« - Tu peux parler aussi ; ta cheville elle t’empêche pas de parler ?
« - Non. Non ça c’est bon aussi…
« - Et faire la bouffe ? T’es handicapé au point de pas pouvoir faire la bouffe ?
« - Mais non ça…
« - Bon et nager ?
« - Nager ?
« - Oui nager. L’action de se déplacer dans l’eau. Tu peux le faire ou pas ?
« - Vous avez une piscine dans le camping ?
« - Non. Mais le coin regorge de petits ruisseaux bien frais qui forment des bassins dans lesquels on peut se baigner sans problème. On en a trouvé des qui font rêver j’te jure. Et vraiment pas loin, on peut quasiment y aller en bagnole. Et ici c’est tellement paumé qu’on est toujours tout seul. On c’est fait des pique-niques du diable, avec des bouteilles de rosé, des olives, des salades de tomates…le soleil…les cigales…Pierro est venu avec sa guitare et hier Caro a chanté, c’était extra…
« - …….
« - Là je t’appelle de la ville parce qu’on avait besoin de faire des courses et que là bas la petite épicerie elle est hyper chère et vend pas grand-chose de toute façon. Les portables passent pas et comme on est à plus d’une heure de voiture de la première « ville » si on appeler ça comme ça, on va pas y venir tous les jours…enfin on est là mais après c’est mort, on reviendra dans je sais pas combien de temps, alors si tu veux te décider c’est maintenant ou jamais. De toute façon tu vas pas rester tout seul chez toi, t’es en vacance dans quelques jours…
« - Non j’suis pas tout seul ! Y’a Nico qui bosse sur la côte qui m’a proposé d’aller passer quelques jours chez lui. Il loue une baraque à deux minutes de la plage…
« - Whoua !! Super le plan…trop original. T’as raison vas y je suis sûr que tu vas t’éclater. » Phil adorait ce genre de répliques ironiques et désabusé. De toute façon, c’était vrai qu’à tout bien réfléchir, mes excuses étaient stupides et ne pouvaient tenir la route qu’un court instant. Comment comparer une proposition d’aller rejoindre six de mes amis en Espagne en plein milieu de ce que la plus part qualifiait de petits paradis tant le paysage y était sublime et la vie tranquille et l’idée d’aller passer deux jours sur la côte surchauffée et surbondée en compagnie d’un zombie qui bossait comme un malade parce que c’était la pleine saison. Face à tant de perspicacité, je dû me rendre à l’évidence :
« - Bon…file moi l’adresse. Je suis en vacance vendredi soir et je pense que je partirai samedi matin. Donc je serais là en gros samedi en début d’après midi. ça vous va ?
« - Eh ben voilà ! Alors deux trucs juste avant que je t’explique comment venir. Si tu pouvais amener avec toi un petit ravitaillement, genre des bières parce que ça il en manque toujours, de l’eau en bouteille, quelques fruits et légumes…enfin bon, des trucs à manger quoi, ça nous évitera un aller retour supplémentaire jusqu’ici…et aussi si t’as le temps, si tu pouvais passer chez les parents de Tof prendre son freezbee…
« - Ok ! C’est tout ?
« - Ouais. Alors maintenant pour venir… » S’en était suivi une longue explication au court de laquelle j’avais surtout retenu le paramètre suivant « Surtout faut pas hésiter à continuer. Tu vas voir c’est long et isolé, en plus pendant au moins une heure t’as plus de goudron, mais faut pas hésiter à continuer… »
J’avais continué…jusqu’à ce que je me rende à l’évidence que j’étais vraiment définitivement perdu. La route c’était muée en chemin, cahoteux et chaotique et la nuit m’ayant privé de tout les repères que m’avait cité Phil, avait conduit mes roues jusqu’à ce traître de cul de sac. Tout en effectuant ma manœuvre de retrait accompagné de quelques injures significatives contre la nuit, la route, cette voiture et mes amis en général, j’avais soudain entendu, venant du dessous de mon engin, un bruit terrible. Un de ces bruits qui vous fait dire que cette fois, vous allez en avoir pour cher. J’avais aussitôt stoppé tout mouvement, anxieux, l’oreille aux aguets. Tout avait pourtant continué de tourner normalement. J’étais alors reparti sans plus me soucier de rien, espérant que la casse, si casse il y avait, tiendrait au moins jusqu’au camping… si camping il y a avait.
C’est alors que mes yeux tombèrent sur ma jauge d’essence et c’est à cet instant que je réalisais que casse il y avait eu et apparemment sérieuse puisque mon aiguille chutait dangereusement vers la zone rouge. Dans un mouvement à la fois guidé par la panique et la rage, je tentais d’accélérer espérant peut être que cette opération face apparaître comme par magie au détour d’un virage, le lieu de mes recherches. Mais rien. Cette tentative ridicule et désespérée pour me sortir de ma situation n’avait fait qu’avaler un peu plus vite les quelques gouttes qui restaient encore dans mon réservoir. Et c’est ainsi que je m’étais retrouvé perdu au beau milieu de la campagne espagnol, en pleine nuit et sans aucun moyen de contacter personne. Heureusement que j’avais de quoi manger. Parce que si en plus j’avais du jeûner alors-là ça aurait été le bouquet.
L’odeur d’essence me saisit les narines dés que fut dehors. Abattu et résigné, je m’étais laissé tomber le long de la carrosserie jusqu’à me retrouver assis par terre. Je suis resté comme ça un long moment, à regarder le ciel et les étoiles et c’est là, en faisant le bilan de ma situation au milieu des vapeurs d’essence et de cette nuit brûlante d’été, que j’ai soudain senti monter en moi cette angoisse immense et indicible ; cette peur innommable et innomée qui m’avait assailli de toute sa sournoise insaisissabilité ; cette peur de moi et de mes secrets que cet isolement forcé me faisait soudain exploser à la figure.

Si ma mère me voyait…Je ne sais absolument pas pourquoi en plein milieu de la nuit, à moitié endormi sur la banquette arrière, je me suis mis à penser à elle et à ma famille en général. Peut-être que mon esprit embrouillé avait fait un lien entre cette solitude qui m’avait si brusquement capturée et mes relations avec ma famille. Ou peut être était-ce ce paysage de désert qui m’avait inspiré une telle réflexion. Allez savoir. Mais en tous les cas, je me suis mis à penser à eux.
Je les voyais de façon épisodique. Je les voyais, parce qu’il le fallait bien. Je ne les détestais pas ça c’est sûr ; mais je me sentais…de plus en plus distant. Mes parents m’aimaient, comme on aime un fils…malgré tout et sans être complètement distendus, nos liens n’étaient pas des plus proches. Et sans être complètement dissident, je n’étais malheureusement pas rentré dans les canons de la vie qu’ils avaient tracés pour moi. Contrairement à mon frère cadet qui lui « avait réussi »…Architecte à vingt-quatre ans dans un grand cabinet à Lyon, sa femme, d’une stupide transparence, était déjà enceinte.
« -Quatre ans de moins que toi et déjà tellement d’avance… » m’avait dit une fois ma mère avec la délicatesse qui la caractérise à certains moments. Mais tellement d’avance sur quoi ? Pour aller où ? Je me suis toujours demandé ce que pouvait bien signifier tout cela : être en avance, avoir réussi…Tenant compte du fait évidement que je n’avais absolument pas l’impression d’avoir « raté » quoi que ce soit.
Effectivement, mes études avaient été écourtées en raison d’une forte prédisposition festive et surtout aucune motivation pour la branche commerciale dans laquelle je m’étais engagé par dépit après avoir obtenu mon bac par miracle. J’avais été tellement surpris de m’en être sorti que les demandes que j’avais faite « au cas où », me fichant royalement de leur contenu, c’étaient révélées du jour au lendemain, devoir être ma vie. Je crois d’ailleurs que c’est à cette époque que je me suis mis à courir. Enfin quand je dis à courir, c’est une façon de parler bien sûr…disons que je me suis mis à faire autre chose que ce qui m’était demandé, histoire de me donner de la contenance, histoire aussi de ne pas voir…Alors voilà, de fêtes en petits boulots, de formations en stages, j’avais fini par arriver là où j’en étais maintenant. Et j’en étais plutôt content. Car jamais je n’avais eu l’impression « de perdre mon temps » et « d’avoir gâché mes meilleurs années ». Bien au contraire. J’avais ri j’avais bu. J’avais aimé j’avais lu. J’avais partagé j’avais vécu, avec des gens, tous différents mais dont certains étaient devenus maintenant mes amis. D’autres avaient à jamais disparu, ne laissant qu’une trace, un souvenir agréable ou non, mais ils avaient compté et avaient contribué à ma vie quoi qu’on puisse en dire.
Alors oui, je n’avais sans doute pas suivi « la » route, « le » chemin mais après tout, en était-ce pour autant dommageable ? Apparemment oui, aux vues des quelques remarques susurrées mais inévitables qui tombaient généralement à la fin de certains repas de famille. Apparemment non, aux vues du sentiment de tranquillité que j’éprouvais à l’égard de mes choix.
Certes mon poste ne brillait pas des milles feux de la réussite comme l’entend la société en général. Mais mes revenus me suffisaient à avoir un appartement décent, des sorties plus ou moins culturelles mais régulières et de quoi épargner pour me payer de temps en temps un petit brin de vacances. De quoi mener une vie tranquille en quelque sorte.
Et alors ? Comme si c’était un crime de n’avoir que pour ambition d’apprécier ce genre de vie. Comme si c’était mal de me contenter et d’être satisfait de ce que je vivais pour le moment. Je me souviens d’un jour où mon frère, après une altercation familiale m’avait dit, croyant dans doute me clarifier une situation que je n’avais que trop bien comprise :
« - ça n’est pas un reproche ; on te dit juste que tu ne cherches pas à progresser dans ce que tu fais…voilà c’est tout. » J’étais sorti de table et j’étais rentré chez moi sans prononcer un mot de plus, sous les sonneries incessantes de mon portables emmagasinant les messages d’excuses.
A progresser ? Qu’est ce que ça pouvait bien me faire de progresser. Ils n’écoutaient pas lorsque je leur parlais ou quoi ? Je n’avais pas envi de progresser. J’étais bien comme j’étais, dilettante et insouciant, sans responsabilités et sans volonté d’en avoir.
Je ne cherchais pas à me vendre non parce que je n’avais rien à vendre mais parce que je n’avais pas envi. Plusieurs fois mon père, qui avait travaillé pendant plus de vingt ans pour un cabinet de recrutement, m’avait proposé de « me faire rencontrer des gens ; juste pour voir. » J’avais toujours refusé. Des gens, j’en rencontrais bien assez comme ça.
Je sortis dehors pour fumer une cigarette. L’odeur d’essence était moins forte que tout à l’heure. Je regardais l’heure. Trois heure et demi. On ne pouvait pas dire que j’avais beaucoup dormi. J’allais jusqu’au coffre m’attraper une bouteille d’eau. Ma cheville me faisait mal. Un peu moins sous l’emprise de la panique que lorsque j’avais juste percé mon réservoir, j’entrepris de commencé à regarder autour de moi. Depuis que je m’étais retrouvé stocké là, je ne l’avais pas encore fait. Enfin disons que si, j’avais bien vu où je me trouvais ; quelque part sur le bord d’un chemin-route terreux juste à la sortie d’un virage qui ne menait à rien. Mais j’avais regardé les alentours avec les yeux du prisonnier. Alors j’avais vu, effectivement, qu’il n’y avait aucun moyen de s’échapper.
J’écrasais mon mégot par terre. Tout autour de moi, les montagnes découpaient leurs grands pans noirs dans la nuit étoilée. C’était un spectacle calme et statique. Quelque chose d’immobile et de puissant.
Je tentais de me rendormir mais mes pensées couraient dans ma tête sans que rien ne semble pouvoir les contrôler. C’était un peu comme si, ne pouvant bouger de l’endroit où j’étais tombé en panne, mon esprit tentait de combler mon manque de mouvement. Il s’emballait dans toutes les directions, déterrant de vieux souvenirs, élaborant des plans pour l’avenir avant de plonger, sans que rien n’ai pu le laisser prévoir, dans une histoire enflammé et totalement imaginaire. Vers cinq heure, le ciel se mit à rosir. Une aube pâle et lumineuse commençait à poindre. Vaincu par la fatigue et profitant d’une baisse de la température ambiante, je profitais d’une suspension du ballet infernal qui se jouait dans ma tête pour m’endormir quelque temps. Mais vers huit heure, je fus réveillé de la plus implacable façon qui soit : la chaleur. Malgré les vitres que j’avais laissé légèrement entrouvertes, ma voiture avait fait office, face au soleil naissant, de cocote minute et moi j’étais à l’intérieur. Je me réveillais donc en sueur et sorti rapidement afin de prendre l’air. Dehors, la température était encore acceptable à cette heure de la journée mais la limpidité du ciel laissé augurer que cette situation ne serait que de courte durée. Je jetais un œil au paysage environnant nouvellement éclairé. J’étais sur le haut d’un petit plateau qui dominait une vallée située en contre bas. L’herbe jaune et rase confirmait ce que laissait entrevoir le ciel ; la fournaise.
Mis à part un arbre rabougris et sec situé à quelques centaines de mètres sur ma droite rien de dépassait le mètre de haut. Dans la vallée en revanche, un mince mais touffu cordon vert sombre sinuait en de paresseuses courbes. Mais de là où je me trouvais et compte tenu de l’état de ma cheville, il me serait impossible de l’atteindre pour tenter d’aller me rafraîchir si besoin en était.
Maintenant qu’il faisait jour, je me sentais un peu moins mal à l’aise que durant la nuit. Certes ma situation n’était pas meilleure mais maintenant je pouvais la contempler droit dans les yeux. Jusqu’à dix heure, je grillais quelques cigarettes en regardant autour de moi. Tout était sec et désertique. Pour passer le temps, je m’emparais du journal que j’avais acheté juste avant de partir et qui traînait dans la voiture. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours vu le journal comme quelque chose que je ne pouvais lire qu’en vacance. Peut être parce durant cette période j’avais plus le temps, j’étais moins enclin à regarder la télé. Et puis pour moi qui ne suis pas un grand lecteur, il représentait le format idéal. Je pouvais l’emmener partout avec moi, toute la journée ; le lire n’importe où dans n’importe quel ordre et surtout, il avait un énorme avantage à mes yeux, un avantage qui surclassait de loin tous les autres : il changeait tous les jours. Ce n’était pas comme les livres dont on ne pouvait sortir que par abandon ou par la dernière page. La lecture du journal était libre, papillonnante et dilettante et c’était exactement ce que je recherchais pour agrémenter cette période. J’avais donc pris juste avant de partir, cet accessoire estival indispensable.
Je commençais par tourner les pages, un peu au hasard, cherchant le titre qui m’accrocherait l’œil et me permettrait de dilapider impunément une poignée de minutes. Ce ne fut pas un titre mais un chiffre, qui écorcha mon regard. Trois cent mille. Trois cent mille, était le nombre de personnes, approximativement, tuées l’or d’une guérilla au confins de l’Afrique ; quelque part entre un lieu perdu et un autre qu’on oubliera très vite. Trois cent milles personnes, en trois ans. La gorge me serra soudain. Trois cent MILLE, personnes. Comme ça. Pour une histoire de territoire et de frontières, de rivalités séculaires réactivées aux grés des besoins d’hommes au pouvoir dont ils leur importaient peu qu’une vie disparaisse, pourvu que ledit pouvoir, aille croissant. Une vie. Une vie, une vie une vieunevieunevie… je me répétais ce mot comme si il venait d’acquérir une résonance nouvelle à mes oreilles. J’avais l’impression qu’il explosait sous une dimension supérieur découvrant dans la solitude de cette chaleur espagnole, tout un pan de sa signification jusque là gardé secret. Cette petite étincelle qui tentait de se battre entre le poids du passé et l’incertitude du future, cette petite flammèche unique que chacun tentait de protéger avec ses misérables moyens et qui pouvait vaciller à chaque instant, certains l’écrasait à coup de talon, la noyait sous des torrents d’oppression ou bien l’alimentait du bois de la haine pour la transformer en un incendie destructeur. C’était à croire que détruire la vie des autres était le seul moyen pour l’ambitieux d’exister. A ce chiffre pharaonique de trois cent mille morts, trois-cent-mille-morts, s’ajoutait une photo sur laquelle on pouvait voir trois hommes habillés en tuniques et turbans, lunettes de soleil, riants et fumants une cigarette, montés à l’arrière d’un pick-up sur lequel était chargé une énorme mitrailleuse. Je suis resté ainsi un long moment à regarder ces hommes, les imaginants quelques minutes plus tard entrain de faire hurler ce canon qui allait imposer le silence à ceux qui allait être fauché. Je fermai le journal un instant, contemplai l’immensité de mon impuissance, culpabilisai et finalement, le rouvrit. Les pages défilèrent lentement, dans leur bruit de froissement caractéristique, jusqu’à arriver au sport. Et sans aucune transition, j’ai tenté d’oublier.
Après quelques articles inutiles sur la santé d’untel et le énième scandale de dopage, je finis par reposer mon journal. Mes pensées reprirent leur cours, libres et désordonnées, mais moins tumultueuses que celles de la nuit. Le fantôme des trois cent mille mort me hanta encore quelques instants mais très vite, face à mon inanité, il disparut.
Je mis alors à penser à mon boulot ; en général. Et puis je commençais à passer un par un mes collègues en revu. Dans l’ensemble, on s’entendait tous bien. Evidement et comme partout j’avais plus d’atomes crochus avec certains mais aucun ne m’étais vraiment antipathique. A part Franck. Ce n’était pas tant son caractère autoritaire qui me rebutait le plus mais la façon qu’il avait de rejeter en permanence la faute sur les autres. C’était d’ailleurs un trait de caractère qui m’était particulièrement désagréable chez qui que ce soit. D’une manière générale j’avais remarqué que la catégorie de personne qui partageait le mieux cette façon de faire était les politiciens. Comme tout un chacun, je suivais de loin les émoluments mous de la démocratie française. Non pas que je n’y croyais plus, à à peine trente ans cela aurait paru un peu exagéré, mais disons que je n’avais jamais été convaincu par aucun. Pourtant j’avais suivi, je m’étais intéressé. Mais très vite j’avais trouvé tout cela assez peu enthousiasment. Et puis surtout, je n’avais jamais vu aucun politicien faire son mea-culpa. Aucun n’était jamais venu dire à la face de la France : « Eh bien oui, cher concitoyen, oui, moi et mon gouvernement avons fait une énorme erreur avec ce projet. Il a été mal réalisé, mal pensé, mal ficelé et son application est un désastre… » Ou même l’inverse. L’opposition reconnaissant que « Oui. Nous devons bien l’admettre, la majorité a réussi là un projet remarquable et nous ne pouvons que reconnaître que nous n’avons jamais pensé à faire cela comme ça auparavant. » Jamais. L’histoire était toujours la même. Un projet était voté. L’opposition hurlait à l’infamie en prédisant des catastrophes économiques sans précédent. La majorité se défendait en invoquant des améliorations qui allait profiter à tous les citoyens. Le projet devienait réel et alors s’en suivait, chiffres d’experts à l’appuie, des semaines d’autosatisfaction et de démonstration de l’étendue des dégâts, tout cela agrémenté de débats respirant la mauvaise fois et l’hypocrisie.
Moi je n’avais pas fait d’étude. Enfin disons que diriger un pays, je comprenais bien que ça n’était la même chose que mes problèmes d’informatique au boulot, mais quand même. Est-ce pour autant que l’on devait sans cesse rejeter ainsi la faute sur l’autre ?!
Subrepticement, l’air était entrain de s’emplir d’un contenant des plus ardent que rien ne semblait pouvoir arrêter. Des milliers d’insectes faisaient vibrer l’air en surchauffe rajoutant un peu plus à l’impression de langueur hypnotique qui commençait à m’envahir. Il était maintenant bientôt midi et pas une seule voiture n’était encore passée sur la route en contre bas. En même temps je commençais à me dire qu’en restant là, si d’aventure quelqu’un devait passer sur ladite route, il n’était pas obligatoire qu’il me voit. Le mieux serait donc peut être que je redescende jusqu’à cette route afin de garantir toute mes chances de me sortir de cette situation qui commençait à devenir pesante. Après quelques minutes de réflexions, je me mis donc en devoir de me confectionner un petit sac avec des fruits, de l’eau, quelques chips, mes cigarettes, mes papiers…Cette activité claudicante me redonna un peu de baume au cœur. J’étais sur un nouveau départ. Chaque mouvement m’arrachait un petit rictus à cause de ma cheville et me faisait suer sang et eau à cause de la température caniculaire qu’il faisait. C’est alors que survint un incident aussi stupide qu’étrange. Dans un ultime réflexe citadin, je me mis à faire le tour de ma voiture afin de bien vérifier que celle-ci était fermée. La stupidité de ce geste me frappa alors que j’étais entrain de remonter une des vitres de l’arrière. J’étais tellement conditionné dans ma protection que même là, au milieu de nul part, dans ce no man’s land grillé par un soleil de plomb, j’étais entrain de fermer une voiture qui de toute manière, ne pouvais même plus faire un mètre puisque de surcroît, elle était en panne. Je stoppais là mon élan protectionniste et tout en transpirant je fis un petit bilan de ce que j’amenais dans ma pathétique expédition. Après un dernier regard à mon engin, je m’éloignais en serrant les dents, m’arrêtant tous les dix pas sous l’action combinée de la douleur et à la chaleur.
Je finis par atteindre, la transpiration dégoulinant de mon corps, ce qui constituait la route principale. Enfin disons plutôt que je devrais dire que j’étais sorti de mon sentier et que j’avais rejoins un endroit où j’avais un peu plus de chance de me sortir de mon ornière. Le temps continuait de couler en petites secondes de braise, toutes un peu plus lourde les unes que les autres. Heureusement pour moi, il y avait sur le bord, un gros rocher qui diffusait une ombre salutaire. Je m’installais là, le dos contre la pierre, les yeux sur la route et l’esprit en ballade. Je les imaginais tous, sirotant un verre en discutant les pieds dans un courant d’eau frais, regardants leur montre ; s’étonnant de ne pas me voir encore là, m’inventant milles aventures plus ridicules les unes que les autres pour expliquer mon retard ; s’offusquant faussement en riant de plus bel pour ce qu’ils avaient osé dire ; parlant de tout et de rien, bercés par cette langueur propre aux vacances d’été. Des projets que l’on évoque tout en sachant très bien qu’ils sont irréalisables, seront élaborés jusque dans leur moindre détails, des sujets douloureux évités, des envies créées et des bonnes résolutions prises. Et moi j’étais là, assis le dos sur le rocher, à attendre qu’on veuille bien venir me chercher, qu’on veuille bien enfin me remettre dans le train de vie.
Malgré tout maintenant, après tout ce temps passé là, seul, je n’arrivais pas à regretter la décision que j’avais prise. Certes partir comme ça, en milieu d’après midi pour un endroit aussi perdu n’était pas la meilleur idée que j’ai eu. Et pourtant, ce vendredi midi, dés que mon patron m’avait dit que je pouvais partir, qu’il me donnait mon après-midi, je n’avais pas hésité une seconde. L’idée de rester seul en ville une soirée de plus avait fait la jonction avec celle de me retrouver au plus tôt avec toute ma bande et c’est quasiment sans réfléchir que j’avais décidé de partir Et puis la surprise, la tête qu’ils allaient faire en me voyant ainsi arriver avec presque une journée d’avance, avait fait le reste. Et puis de toute façon comme je n’avais aucun moyen de les prévenir, la surprise c’était un peu imposée d’elle-même. En fait de surprise c’était moi qui m’en retrouvais la victime. Mais après tout, est ce que ça n’était pas le prix à payer parfois ? Si j’avais voulu jouer la sécurité je serais parti comme prévu. Il me serait peut être arrivé une mésaventure identique mais tout se serait finit si vite finalement. Je me dis alors que parfois, la vie pouvait être aussi une histoire d’accidents.
J’avais l’impression, qu’avec la chaleur et la solitude, mes pensées c’étaient plus ou moins apaisées. Elles n’avaient plus le bouillonnement anarchique de cette nuit. Comme si le fait de m’être retrouvé ainsi un temps en marge forcée, m’avait obligé à prendre un peu de recul. Je fermais les yeux. Un léger sourire s’esquissa sur mes lèvres. L’air statique et vibrant m’offrait un carcan rassurant. Puis soudain, dans le lointain, un bruit de moteur. J’ouvrais les yeux. Je pouvais distinguais, quelque part dans la montagne, vers l’opposé de là où j’étais arrivé la veille, un nuage de poussière. Une voiture. Il y avait enfin une voiture qui allait passer sur la route. D’instinct, je me mis à dépoussiéré dans ma tête le peu d’espagnol somnolent qu’il devait peut être encore me rester dans un coin. Mais c’était vain. Tant pis. Je me débrouillerais bien. Claudiquant et excité, je me mis sur le bord de la route, prêt même à me mettre en plein milieu si je voyais que d’aventure, l’automobiliste envisageait de passer sans s’arrêter. La voiture approchait. Je la voyais descendre le long des lacets. Et puis lorsqu’elle fut suffisamment proche, après un très court moment d’hésitation, je me mis à hurler de joie. C’était Philippe. C’était la voiture de Philippe. Quelques secondes plus tard, il en sortit, un sourire narquois aux lèvres :
« - Ben qu’est ce que tu fous là imbécile ? t’as décidé de venir à pied ?
« - Ah c’est super marrant ça comme blague. Ça fait plus de vingt heures que je suis là planté comme con alors vas y mollo !!
« - Vingt heures ?! Au moins ouais.
« - Ben ouais justement. Je voulais vous faire une surprise et je suis parti hier soir parce qu’on m’avait filé mon après-midi au boulot. Alors plutôt que de passer la nuit tout seul en ville, j’ai décider de partir pour arriver pendant la nuit et vous faire la surprise…mais bon, ça c’est pas vraiment passé comme prévu. » Phil me regarda l’air interrogateur. Il ne savait pas si j’étais entrain de me payer sa tête ou pas :
« - Tu…tu rigoles.
« - Non. Pas du tout. Je me suis planté cette nuit. Au lieu de continuer tout droit j’ai pris à l’embranchement sur la gauche là. Et puis en arrivant en haut, ma bagnole est tombée en panne. J’ai crevé mon réservoir. Et comme ici y’a pas de réseau téléphonique, que la moindre barque elle est à des lustres et que je pouvais pas marcher à cause de ma cheville, eh ben depuis j’attends. Voilà. »
Philippe éclata de rire et tout en m’ouvrant la portière reprit :
« - Ah ben alors ça c’est la meilleur des vacances. Moi qui venait justement à ta rencontre parce qu’on se demandait ce que tu faisais…Bon allez monte Indiana Jones. Ah ah ! On va passer prendre tes affaires et demain on reviendra avec de quoi réparer, de l’essence et puis voilà !
« - Et puis voilà, et puis voilà ! On voit bien que c’est pas toi qui vient de passer une nuit et presque une journée tout seul dans la nature.
« - Oh ça va hein, y’a pas de quoi en faire une caisse non plus. Et puis c’est hyper beau le coin non ? »

dimanche 14 octobre 2007

Poème

Goutte de vie

Une goutte d'eau
Une pointe de mot
Qui explose,
Qui s'expose
Dans les fissures d'une terre aride
Sur la blancheur d'une page vide;
Une goutte de vie
Une pointe d'envie.

jeudi 11 octobre 2007

Conte

Le fantôme de mon placard.



J’ai eu un fantôme dans mon placard et je peux vous dire que ça fait bizarre. Tout a commencé un soir, alors qu’il faisait nuit noire et que mon papa venait juste de finir de me raconter une histoire. J’étais entrain de me dire que ce château lugubre avec ces sombres couloirs devait être un chouette terrain d’aventure et qu’un jour moi aussi, j’irai voir ce qui ce cachait vraiment derrière tout ça. Je me voyais déjà en armure étincelante, coupant les têtes de milles monstres sanguinaires, terrassant les horribles sorcières et leurs affreuses créatures sorties tout droit des enfers. J’étais le chevalier Godefroy le Terrible qui marchait dans le noir, une torche à la main et une épée dans l’autre et tout le monde à mon approche tremblait de peur. J’en étais là de mon aventure lorsque soudain, derrière la porte de mon armoire, j’ai entendu gratter. J’arrêtai de m’agiter et j’écoutais un peu plus attentivement. Un autre grincement se fit entendre. Puis un autre. Au bout d’un moment, j’avais même l’impression que quelqu’un était entrain de parler dans cette armoire. Que ça grince derrière cette porte encore je veux bien. Mon idiot de chat Napoléon arrive à se faire enfermer dedans et comme sa principale activité c’est de dormir, des fois quand il se réveille il se retrouve prisonnier. Alors il se met à miauler, à sauter partout et à fiche un bazar pas possible pour qu’on lui ouvre. Mais par contre, même quand il est resté longtemps enfermé, je n’ai jamais entendu Napoléon se mettre à parler. Je me suis donc levé prudemment et tout doucement, je me suis approché de cette porte. L’oreille tendue, le cœur battant et une grosse boule dans le ventre j’ai approché ma main de la poignée. Derrière, le bruit continuait toujours. D’un coup sec j’ai ouvert et là, devant moi, se tenait un fantôme qui a eu l’air aussi surpris que je l’étais. Il m’a regardé avec des grands yeux ouverts et très poliment il m’a demandé :
« - Euh…Vous ne seriez pas par hasard Lord Singuelton ?
« - Ben…non, je lui ai répondu en tenant toujours la poignée de la porte dans la main. Moi je m’appelle Benjamin. Et vous ?
« - Ah ! A fait le fantôme en s’asseyant sur une de mes étagère. Mon dieu ! Mais où suis-je encore tombé ?! » Et il c’est prit la tête dans les mains.
« - Vous êtes là pour me faire peur ? J’ai demandé.
« - Oh non ! Non non non rassure toi. Je suis là par erreur.
« - Mais euh…comment ça par erreur ?
« - Eh bien vois tu petit, nous les fantômes, nous ne faisons pas n’importe quoi. Nous ne faisons pas ce que nous voulons. Nous sommes envoyés chez des gens précis pour les tourmenter parce qu’ils ont été méchants. Mais ceux qui n’ont rien fait, on ne peut pas leur faire peur comme ça, sans raisons.
« - Ah bon ?! Mais pourquoi ? » Le fantôme parut soudain bien embêté.
« - Ben parce que euh… C’est pas bien d’avoir peur.
« - Oh ben si moi j’aime bien. Mon papa des fois il s’amuse à me faire peur en me racontant des histoires ou en imitant le monstre. C’est rigolo. »
Le fantôme me regarda fixement et d’une petite voix agacée me dit :
« - Parce que tu trouves que j’ai une tête de rigolo peut être ?
« - Ben oui. Tu ressembles à mon oncle Anatole. T’es tout grand et tout maigre avec un gros nez et des vêtements trop petits. T’es pas un vrai fantôme. Les vrais fantômes ils sont habillés avec un drap dessus et des chaînes qui pendent et ils font « Hououhou » en passant à travers les murs. Toi t’as même pas réussi à sortir de mon placard. »
Le fantôme se leva d’un bond et les deux mains sur les hanches il s’emporta :
« - Comment ? Pas un vrai fantôme, moi ? Je suis une âme damné moi jeune homme. Je suis un authentique criminel qui faisait peur à tout le monde quand il était encore en vie. Les gens tremblaient en entendant mon nom. Et ce n’est parce que je refuse de porter ce ridicule déguisement que les fantômes d’Ecosse tentent d’imposer à toute la profession que je ne suis pas un véritable fantôme. »
Et puis il se rassit sur l’étagère et se mit à bouder. Non seulement j’avais dans ma chambre un fantôme qui ne faisait pas peur, mais en plus il était boudeur.
« - Bon d’accord, d’habitude tu fais peur. Mais c’est juste que là t’as raté ton entrée ; ça arrive. Je suis sûr que si tu étais arrivé en faisant « Hououhou », j’aurai eu plus peur c’est tout.
« - Mais au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas une chouette moi jeune homme. Je ne fais pas « Hououhou » moi. Je fais des vrais bruits inquiétants moi. Je suis un professionnel moi. Pas un saltimbanque d’opérette.
« - Ah ouais ?! Tu sais faire des bruits qui font peurs ? Tu m’en fais un ? Oh allez s’il te plait un seul et après je te demanderai plus jamais rien, d’accord ? »
Le fantôme me regarda du haut de l’étagère :
« - Bon. Mais tu pleureras pas après ?
« - Non c’est promis.
« - T’appelleras pas ta maman et tout le bazar hein ?
« - Non non j’te jure. Aller vas-y fait un bruit qui fait peur.
« - Tu me le jures ?
« - Oui j’te le jure sur la tête de euh… de la maîtresse ! »
Le fantôme me regarda du haut de son étagère l’air un peu méfiant, puis sur un ton un peu forcé il dit :
« - Bon. D’accord. Mais juste une fois hein !?
« - Oui oui juste une fois. Allez va z’y ! »
Le fantôme descendit vers moi en flottant dans les airs et d’une voix caverneuse et gutturale se mit à proférer :
« - Benjamin je vais te hanter jusqu’à la fin de tes jours !!! » Et ça a super bien marché. Ça a tellement bien marché que je suis parti vers mes draps en courant et que sans m’en rendre compte j’ai du aussi un peu crié parce que le fantôme arrêtait pas de me faire « Chut ! Mais tais toi tu vas réveiller tout le monde !! Tais toi ! » Quand je me suis calmé, je l’entendais dehors qui continuait à faire « Chut !! ». Alors j’ai sorti la tête de mes draps et je l’ai regardé en lui disant :
« - Wouha ! Génial !
« - Oui bon ben ça va… t’as failli me faire repérer avec tes bêtises. » Il avait à peine fini sa phrase que la lumière c’est allumée dans le couloir. Une seconde plus tard, maman ouvrait la porte en essayant de ne pas faire de bruit et à voix basse elle a dit dans le noir :
« - Tu dors mon chéri ? » Moi j’ai continué à faire semblant de dormir pour pas avoir à m’expliquer. Comme je ne bougeais pas, elle a refermé la porte et elle est partie. Une seconde plus tard j’étais debout à la recherche mon fantôme. Mais j’avais beau appeler, rien. Je regardais dans mon coffre à jouets, rien non plus. Sous le lit ; encore du vide. Dans mon armoire… impossible à ouvrir. Je tirais sur la poignée, je vérifiai bien que la clef n’était pas tournée, mais non, pas moyen d’ouvrir cette satanée porte.
« - Fantôme ? Tu t’es enfermé dans mon placard ?
« - Non ! Me répondit une voix dans l’armoire.
« - Si. Tu t’es enfermé dans mon placard. Tu boudes ?
« - Non. J’en ai juste assez. Je veux renter chez moi et faire peur à Lord Singuelton comme c’était prévu.
« - Oh mais non ! Si tu restes tu pourras faire peur à plein de gens ici tu sais.
« - Oui c’est ça ! Pour qu’ils se mettent à crier au moindre petit geste et qu’ils m’attirent des ennuis, non merci ! Je préfère encore aller dans un château. Au moins là, personne ne fait d’histoire. Au pire on croit que le propriétaire est fou et l’on enferme dans un asile mais à moi on me fiche la paix.
« - Oh aller sort ! Tu te rends pas compte comment ça pourrait être génial si on faisait équipe…
« - Mais je ne fais pas équipe avec les humains et encore moi avec les petits garçons ! Le fantôme ouvrit la porte d’un coup sec et bondit vers moi. Je les terrorise, je les rends fou, je leur fais revivre toutes les nuits leurs pires cauchemars ! Tu comprends ça ? Et dans un claquement bruyant, il se renferma dans le placard.
« - D’accord, comme tu veux. Moi je vais me recoucher. Après tout si monsieur le fantôme préfère bouder dans son armoire…
« - MAIS JE NE BOUDE PAS ! »

Le lendemain matin, la première chose que je fis en me réveillant, c’est d’aller ouvrir mon armoire. Mon fantôme était toujours là, endormi au milieu de mes vêtements. Mes tee-shirts et caleçons lui étaient tombaient dessus et on aurait dit un sapin de noël. Mais il ronflait terriblement et je fis tout pour ne pas le réveiller. Sans faire de bruit, je me suis habillé et j’ai couru prendre mon petit déjeuner. Toute la journée à l’école, j’ai pas arrêté de penser à lui. J’étais sûr qu’on pourrait faire plein de trucs rigolo ensemble. Quand la cloche a sonné la sortie je suis rentrée comme une fusée à la maison. Mais en arrivant devant chez moi, je me suis mis à ralentir. Et si maintenant mon fantôme c’était mis dans la tête de me faire peur à chaque fois que je rentre ? Papa et maman arrivaient tard du travail et ma sœur Justine, depuis qu’elle était rentrée au lycée, arrêtait pas de dire qu’elle restait travailler chez sa copine et elle ne revenait souvent que pour l’heure du repas. Du coup à la maison, j’allais y être seul pendant un bon moment. Seul, avec mon fantôme.
C’est pour ça qu’en arrivant, j’ouvrais la porte d’entrée tout doucement, sans la faire grincer comme d’habitude. Si il croyait qu’il allait réussir à me faire peur comme ça cet espèce d’oncle Anatole surgit d’outre-tombe, il se trompait sacrément. A pas de loup, je me faufilais jusqu’à ma chambre, persuadé qu’il était resté enfermé dans mon placard à attendre qu’on le renvoie chez lui. J’ouvrai la porte d’un coup en hurlant comme un fou pour essayer moi aussi de lui faire peur. Mais à part mes pantalons et mes chaussettes, y’a pas grand monde qui a été terrorisé parce que mon fantôme n’était plus là. Un peu déçu, je me suis mis à faire le tour de la maison en regardant dans toutes les pièces. J’ai bien fini par le retrouver mais pas du tout dans la cave ou dans le grenier comme on aurait pu le croire au départ. Non non. Monsieur était allongé sur le canapé du salon, entrain de regarder la télévision :
« - Ben…qu’est ce que tu fais ? je lui ai demandé.
« - ça se voit pas, m’a-t-il répondu sur son un ton bougon.
« - T’essaye même pas de me faire peur ?
« - Non.
« - Pourquoi ? » Le fantôme c’est prit la figure dans les mains et c’est mis à souffler comme papa fait quand je suis pas loin de prendre une raclée. Et puis il c’est assis sur le canapé et a commencé à parler tout doucement :
« - Ecoute euh… petit. La vie d’un fantôme ce n’est pas de faire peur. Faire peur c’est euh…disons même pas une heure dans chaque journée.
« - Ah bon ? Dis je tout étonné. Mais alors qu’est ce que tu fais le reste du temps. »
Là il a baissé les yeux et puis soudain j’ai eu l’impression qu’il avait l’air tout triste :
« - J’attend. » Il y a eu un petit silence mais comme j’avais pas bien compris je lui ai demandé :
« - Mais euh, t’attend quoi ? Que les gens arrive pour leur faire peur ? Parce que si c’est ça moi j’suis là et j’aimerai bien qu’on joue à se faire peur.
« - Mais non j’attend pas les gens pour leur faire peur, a dit le fantôme en se levant d’un coup et en criant très fort. J’attend que le temps passe c’est tout !!! » Et puis comme ça d’un coup, il a disparu. Je suis resté un moment sans bouger. Et puis finalement je me suis levé. J’étais embêté parce qu’en fait, j’avais brusquement l’impression qu’il avait l’air malheureux mon fantôme. Alors je me suis mis à crier à travers la maison.
« - Fantôme ! Fantôme ! Aller viens, arrête de bouder. Aller montre toi. Moi je voulais que tu me fasses peur parce que je croyais que ça te faisais rigoler. Mais si tu veux on peut faire autre chose. Aller montre toi. On aura qu’à jouer à je sais pas moi… à cahe-cache par exemple. Mais t’aurai pas le droit de disparaître à tord et travers hein, sinon c’est pas du jeu. Bon aller viens. »
J’ai cherché et j’ai cherché. A un moment, j’ai même commencé à dire :
« - Bon aller, on dirait qu’on commence à jouer d’accord ? Si je te retrouve à partir de maintenant, après ce sera à toi de me chercher. » Je suis peut-être pas un fantôme, mais les cachettes de la maison, je les connais toute par cœur. Alors au bout d’un moment, j’ai fini par le retrouver, allonger sur une des poutres du grenier. C’était une des vielles cachette de ma grande soeur quand on jouait encore ensemble.
« - Ben qu’est ce que tu fais là-haut ?
« - A ton avis ? »
Je me hissais jusqu’à lui et lui dit :
« - Oh aller ! Tu veux vraiment pas qu’on devienne copain ? Ce serait rigolo tu crois pas ?
« - Non ; ronchonna t il.
« - Mais pourquoi tu t’en vas pas si t’es malheureux ici. T’es un fantôme. Si tu veux tu peux traverser les murs et aller ailleurs. Va te trouver un vieux château et hante le si c’est ça que tu veux faire.
« - Je ne peux pas partir. Quand un fantôme est envoyé quelque part, il ne peut pas quitter la maison où il est. Il attend qu’on le change. C’est tout.
« - Et ça dure longtemps ?
« - On ne sait jamais vraiment. Mais même si pour nous le temps n’a pas vraiment d’importance, une chose n’a pas changé. C’est sa longueur quand on s’ennuie.
« - Ah bon ? On s’ennuie quand on est un fantôme ?
« - Aah ça ! On ne fait presque que ça. Il avait une petite voix toute triste tout d’un coup et il ne ronchonnait plus du tout. Il respira un grand coup et reprit. Hum… si j’avais su…
« - Si t’avais su quoi ?
« - Si j’avais su que tout ce que j’ai fait de mon vivant me mènerai à ça …
« - Mais t’as vraiment tué des gens et tout ? Parce tu sais ce qu’on dit des fantômes nous les humains. Se sont des gens vraiment méchants qui lorsqu’ils étaient vivants ont été tellement…
« - Oui oui ça va, je suis au courant ! Oui j’ai vraiment été comme ça.
« - Mais pourquoi ?
« - Parce que… j’aimai ça.
« - Tu aimais ça ? Mais on peut pas aimer tuer des gens et faire des trucs horribles aux autres, c’est pas possible.
« - Et si pourtant. A l’époque, j’aimais ça. Je pensais que ça allait me donner de l’importance … me faire exister. Que j’allais être reconnu grâce à tout ça. Personne ne m’avait vraiment accordé d’importance jusqu’à ce que je me mette à tuer les autres. Là on a commencé à me craindre. A me respecter. »
Il y eu un long, très long silence. Je ne savais pas trop quoi dire et encore moins quoi faire mais pour la première fois depuis que je connaissais ce fantôme là, je me suis mis à avoir peur. Et puis il c’est remis à parler.
« - Et puis tu vois après, une fois que j’ai été mort et que j’ai été un fantôme, au début j’en étais fier. J’avais réussi. Même la mort ne voulait pas de moi. Et le temps est passé. Les jours, les mois, les années, les dizaines d’années. Puis sont venus les siècles. Et tout ce temps passé à faire peur aux autres m’a en fait montré toute l’étendu de l’inutilité de ce que j’avais pu faire de mon vivant. Qui se souvient de moi aujourd’hui ? A quoi tout cela a t il servi ? A rien et je suis obligé de le constater chaque jour un petit peu plus… Les seules choses qui me restent désormais sont mes regrets et l’ennuie. Et maintenant je n’ai plus qu’une seule interrogation en tête. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Je suis las de toute cette mascarade. J’ai l’impression de plus en plus de ne servir à rien du tout. Et puis regarde. Même en fantôme je ne fais plus peur. »
« - C’est peut être que t’as plus envi d’être un fantôme alors ? »
Il tourna la tête vers moi et tout en me regardant fixement il reprit :
« - Mais que veux tu que je sois d’autre ? Je ne sais faire que ça moi ! »
« - Ah non regarde. Moi t’arrêtes pas de me faire rigoler et de me donner envi de jouer. C’est bien que quelque part tu as changé. Si t’avais vraiment envi de me faire peur tu pourrais le faire ; rappelle toi hier soir. »
Le fantôme resta un long moment à me regarder l’air un peu surpris et puis il leva les sourcils et dit :
« - Hum c’est vrai. Tu as peut être raison. Peut être qu’il est possible de changer…même pour quelqu’un comme moi. »
Il n’avait pas l’air vraiment convaincu mais il avait arrêté de ronchonner et son visage n’affichait plus aucune expression, comme si il était entrain de réfléchir. Comme j’ai entendu la porte d’en bas s’ouvrir je l’ai laissé tout seul en lui demandant si ça aller bien. Mais il ne m’a pas répondu.
Le lendemain matin c’était dimanche et comme personne n’était debout quand je me suis levé, je me suis mis en quête du fantôme. Ça a été facile de le trouver parce qu’il avait pas bougé. Quand je me suis approché de lui, il a sursauté légèrement, un peu comme si je venais de le réveiller et il m’a regardé avec un drôle d’air.
« - Alors on la fait cette partie de cache-cache ? je lui ai dit.
« - Euh…d’accord. Mais…comment on joue ? »
J’ai sauté par terre et je lui ai expliqué les règles. Au début ça a été facile pour moi parce qu’il se cachait toujours dans les placards parce que je lui avait donné que ça comme exemple. Du coup je le trouvais à tous les coups. Et puis petit à petit, il est devenu plus malin voir même super fort. Je sais pas comment il faisait, mais il arrivait à se mettre dans des endroits incroyables ; le bac à linge sale de la salle de bain, le meuble de l’entrée, le lustre du salon. Je l’ai même retrouvé à la dernière partie, dans mon tiroir à chaussettes.
Pendant les trois mois qui suivirent, on n’a pas arrêté de faire les fous tous les deux. On c’est raconté des histoires, on a jouer au loup et aux explorateurs, on a fait peur au chat. Et puis un matin, il est devenu tout bizarre et il c’est mis à disparaître tout doucement. Moi j’ai tout de suite compris que cette fois, il n’était pas entrain de me faire une blague :
« - Alors ça y est, tu t’en vas ?
« - Oui, m’a-t-il répondu tout sourire.
« - Pour une autre maison à hanter ?
« - Non.
« - Mais pour où alors ?
« - Je ne sais pas, me répondit il d’une voix calme. » Et tout en me faisant au revoir de la main, il disparut.

mardi 9 octobre 2007

Poème

Trois petits flocons

Trois petits flocons,
Fraguement d'un ciel de plomb,
Virvoltent, aérien.

Trois petites photos
allongées sur le dos
Somnolent, l'air de rien.

Trois pétales d'hiver, dansent,
Farandole toute en cadance;

Trois souvenirs de papier,
Morceaux de vie égarée,

S'en vont sans bruit,
Rejoindrent l'oubli.

lundi 8 octobre 2007

samedi 6 octobre 2007

Conte : Le gardien des nuages (3)

Le gardien des nuages (3)
Ce soir là en allant se coucher et pour la première fois depuis le début de son existence, Alazgard se sentit seul et isolé. Mais que lui arrivait-il donc ? Tout était la faute de ce maudit oiseau ensorcelé, il en était sûr. C’était lui qui lui avait jeté un sort il ne pouvait en être autrement. Sinon, comment lui, Alazgard le gardien des nuages avait il pu perdre la maîtrise des vents ? C’était impossible. Impossible. Il était trop important, trop essentiel dans la vie de la terre. Un être comme lui ne pouvait connaître l’échec ou la faillite. Seul un malheur provoqué par un autre, un jaloux ou bien un pernicieux, pouvait être venu à bout de sa grandeur. Alzagard sombra dans le sommeil, lesté par ses pensées obscures.
Une nouvelle aube se leva, statique et immobile. Il se réveilla dans la même position dans laquelle il s’était endormi, sur le dos, les bras le long du corps. Il commença à s’activer doucement, se sentant lourd et rigide. Il ouvrit un œil, puis deux, puis son regard se posa sur le paquet informe qu’il avait finit de tisser la veille. Tous ses espoirs reposaient dans ce sac vide aux reflets bleutés. Ce fut d’ailleurs ce même sac qui lui donna sa première pensée positive de la journée. Grâce à lui il allait réussir de nouveau à faire bouger les nuages c’était quasiment certain. Et bientôt, très bientôt, il redeviendrait le maître du ciel. Le pas décidé et le regard ferme, Alazgard se leva et se saisi d’un geste sûr de sa nouvelle invention. Celle-ci allait réussir. Celle-ci devait réussir, il ne pouvait en être autrement.
Pour ne pas mettre tout de suite à rude épreuve son sac, il décida d’y aller progressivement. Il partit à la recherche de cirrostratus. Légers et obéissants, ceux-ci ne posaient jamais le moindre problème l’or de leurs déplacement. Mais en traversant le ciel, il pu constater toute l’étendu des dégâts. Certains nuages avaient tellement grossis à force de rester au dessus de l’océan qu’ils étaient devenus énormes et difformes. Ils n’avaient plus cette puissance fière qu’ils arborent habituellement lorsque, chargés d’eau, ils attendent que les vents les poussent vers la terre pour la nourrir. Non. Là, leur couleur gris plomb les rendait tristes et pesants et l’on sentait rien qu’en les regardants, qu’ils étaient lourds et amers.
D’autres, perdus au dessus d’étendues sèches et désertes, avaient tellement maigris qu’on en venait à se demander ce qu’ils pouvaient bien être à la base. Ils ressemblaient plus à des spectres blêmes errant dans les aires qu’à des nuages traversant le ciel.
Alazgard accéléra, à la fois pour trouver plus vite ceux qu’il voulait déplacer en premier, mais aussi il fallait bien se l’avouer, pour fuir ce spectacle désastreux. Il finit par trouver l’objet de sa recherche au dessus des montagnes du sud. Comme c’était un petit groupe, il n’eut aucun mal à les faire tous rentrer dans le sac. Il passa au dessus d’eux, son sac grand ouvert pendant au dessous de lui. Une fois à l’intérieur, il le referma et d’un coup d’aile décidé, se dirigea vers le nord. Là il rouvrit son sac et un à un, poussa ses passagers légers vers l’extérieur. Tout se passa à merveille, à tel point que d’abord, Alazgard n’y cru pas. Se ne fut que lorsqu’il les vit tous devant lui, dans ce nouvel environnement, qu’il commença à réaliser qu’il avait réussi. Il resta là, à les regarder un petit moment et à savourer ce parfum de début de victoire. Certes déplacer des cirrostratus n’était pas une performance époustouflante en soit, mais après toutes ces semaines d’échec et d’immobilisme, c’était le premier moment de répit dans ce long tunnel sombre qu’il était en train de traverser.
Enthousiasmé par ce signe de bon augure, il se dit en lui-même qu’il pouvait donc maintenant passer aux choses sérieuses. Et des choses sérieuses à faire, il en avait plus d’une. Nettoyer le ciel de fond en comble, arroser la terre là où elle en avait besoin, la faire sécher là où c’était nécessaire, relancer la course des saisons là où trop longtemps, le temps était rester le même, bref, un travail de titan l’attendait. En pensant à tout ça, Alazgard se gonfla d’un nouvel orgueil. Il allait enfin retrouver le rôle primordial qu’était le sien. Et puis après tout, tant pis pour son souffle, il finirant bien par revenir un jour. Tout en pensant à cela, il c’était approché d’un groupe de nimbostratus particulièrement lourds et ventrus, puisqu’ils traînaient au dessus de la mer sans bouger depuis le début des événements. Comme pour les cirrostratus il ouvrit son sac, et tout en passant au dessus d’eux, laissa l’ouverture béante pendre au dessous de lui. Mais contrairement à la fois précédente, dés les premiers rentrés à l’intérieur, le sac s’alourdi considérablement. Etonné mais ne s’arrêtant pas pour autant, Alazgard se demanda ce qui pouvait bien peser ainsi. Un nuage ne pouvait peser un tel poids c’était impossible. Un nuage est fait de vapeur d’eau. Ce n’était quand même pas cette vapeur qui pesait si lourd. Mais plus il remplissait son sac plus celui s’alourdissait.
Il lui était cependant impossible de s’arrêtait là. Si Alazgard arrêtait maintenant de remplir son sac, il faudrait qu’il revienne au moins dix fois à cet endroit pour finir de déplacer tous les nuages qui s’y trouvaient. C’était inenvisageable. Il fallait que son sac tienne pour engranger plus de nuage en lui. Il continua donc de le remplir, les bras de plus en plus tendu par l’effort et par le poids augmentant. Une fois la moitié de la colonie de nuages enfermée, il décida que cela suffisait pour cette fois et qu’il reviendrait chercher les autres plus tard. Dans un effort énorme il referma donc le sac et se mit en devoir de se diriger vers les plaines arides. Elles étaient situées à plusieurs centaines de kilomètres vers le nord et couvrir une telle distance avec un poids si important aller sûrement lui demander plusieurs longues minutes. « Mais vu l’état du ciel et de la terre, se disait il en lui-même, je ne peux pas faire autrement. Il faut que j’agisse et que j’agisse vite… » Mais à peine eut il donné quelques coup d’ailes poussifs pour déplacer lui et son énorme paquetage qu’il commença à sentir celui-ci lui échapper des mains. Emporté vers la terre par le poids, celui-ci lui glissait entre les doigts et il devait s’y agripper avec frénésie pour ne pas le laisser partir. Mais Alazgard s’aperçut aussi bientôt qu’un étrange phénomène était entrain de s’opérer dans ce sac. Il avait l’impression qu’à l’intérieur, quelque chose était entrain de bouger. Or il était pourtant certain de n’y avoir enfermé que des nuages et il était impossible que ceux ci bougent par eux même. Ils avaient besoin du vent, de son souffle, pour cela. Mais au bout de quelques minutes, il dut malgré tout se rendre à l’évidence, quelque chose était entrain de donner des à-coups et même était entrain de se débattre à l’intérieur de ce sac. Il s’arrêta, battant des ailes pour rester sur place. A l’intérieur, les saccades se faisaient plus pressantes et c’est alors qu’il vit les coutures se mettre à se distendre dangereusement. Puis dans un craquement de fin du monde, le sac éclata, libérant dans un désordre chaotique, une horde de nuages gris plomb.
Le ventre d’Alazgard se serra très fort. Dans le sac, il n’y avait rien d’autre que des nuages et Le bruit de la déchirure résonnait à ses oreilles comme le cris de sa défaite et de la rébellion de ces protégés. Tous ses espoirs étaient morts avec l’éclatement de ce sac vide qu’il tenait entre ses mains et qui pendait maintenant mollement sous lui, inerte.
Le visage fermé et le coup d’aile triste, il rentra d’un trait dans sa caverne. D’un geste rageur il jeta le sac dans un coin. Puis d’un revers de main empli d’une colère destructrice, il balaya tout ce qui se trouvait sur sa table de travail ; ses plans, ses outils, ses crayons :
« - Rien, rien, rien. Tout ça ne sert à rien !!! » Hurla t il la voix pleine de rage. Il sentait monter en lui une fureur incontrôlable mais qu’il ne savait pas contre quoi diriger. De désarroi, il cassa sa table à coup de poings. Sa colère se déversa ainsi au hasard pendant plus d’une heure emportant petit à petit tout son mobilier. Puis, à bout de souffle et de nerf, il se recroquevilla contre un mur, les genoux sous le menton et les ailes repliées autour de lui. Le silence tomba, comme une chape de plomb, renforçant encore un peu plus sa sensation d’isolement. Il se laissa envahir par lui, un peu comme si il était entrain de plonger dans les eaux noires et glaciales d’un puits sans fond.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures, après être resté ainsi sans bouger tel une statut de bronze, qu’il remarqua, tapis dans un coin encore plus sombre que le reste, une forme qu’il ne connaissait pas. Intrigué, il tourna légèrement la tête pour pouvoir mieux la voir. La forme semblait se soulever légèrement de temps à autre, comme pour s’emplir d’une respiration calme. Alazgard continua de la regarder sans broncher, laissant le silence s’épaissir un peu plus. Puis la forme se mit à bouger. Elle se dressa d’abord, comme pour se lever, mais elle n’était pas bien haute. Elle se mit à se déplacer en trottinant d’un pas vif allant d’un bout à l’autre de la pièce, semblant inspecter l’ampleur des dégâts. Alazgard ne la quitta pas des yeux dés l’instant où elle c’était mise en mouvement, tentant de comprendre d’abord de quoi il s’agissait et surtout ce qu’elle pouvait bien faire là. Il lui était difficile dans la pénombre de la pièce de discerner exactement les contours et de trouver des indices pouvant le mettre sur la voix mais cette présence ne lui semblait pas hostile. Puis la forme se pencha sur ce qui avait été sa boîte à crayon et qu’il avait, dans son accès de colère, écrasé d’un coup de poing. Les crayons gisaient au milieu des débris de la boîte, le tout étant éparpillée par terre. Un à un, la forme ramassa les instruments. En voyant cela, Alazgard ne pu s’empêcher de dire :
« - Ce n’est pas la peine, ils ne serviront plus maintenant. Vous pouvez les laisser là où ils sont.
La forme s’arrêta net, puis se tourna lentement vers Alazagard, tenant toujours les crayons à la main :
« - Tient tient. Vous avez donc une voix qui vous sert à autre chose qu’à rugir et hurler. »
Alazgard reconnu une instantanément une voix humaine. Tout en prononçant sa phrase, la petite forme se dirigea vers lui, lui permettant maintenant de voir la tête de son interlocuteur. Il s’agissait d’un petit homme chauve, habillé d’une tunique d’une seule pièce d’un mauve délavé et dont la barbe grise coulait jusqu’au bas de son ventre. Il avait un regard perçant qui même à travers ses grosses lunettes laisser transparaître une puissante vivacité d’esprit. Alazgard grommela un vague « Humm » et après une petite seconde de silence reprit :
« - Qu’est ce que vous faite ici. Vous voyez bien que ça n’est pas vraiment le moment. Il se trouve que je suis un peu débordé alors pour les demandes et les réclamations il faudra revenir plus tard. » Le petit homme garda les yeux fixé sur lui et lui dit sur un ton ironique:
« - OHHH pardon ! TU es débordé. TU ne veux voir personne. TU es fâché. En disant cela l’homme lui tourna le dos et entreprit de continuer ses déambulations à travers les décombres de la colère du gardien des nuages. Mais surtout TU ne te demandes pas si d’autres que toi le sont aussi ? il se retourna d’un coup pour lui faire face. Et peut être même qu’ils le sont à cause de toi ? Parce qu’ils doivent subir chaque jour qui passe depuis des mois, le même temps que le veille et que petit à petit, cela les tue. Parce qu’ils t’invoquent, te pries, te supplient de faire quelque chose mais que tu ne les entends pas, trop occupé que tu es à tenter de retrouver TON pouvoir. Car c’est bien ça bien ça ton problème ? Tu as perdu TON pouvoir ? »
Le petit homme ne le quittait pas du regard et restait figé en face de lui sans bouger. Alazgard détourna les yeux l’air agacé.
« - TON pouvoir, reprit l’homme sur le même ton. Mais sais tu seulement à quoi il te sert ce pouvoir ? »
Alzgard ramena son regard sur l’homme et un sourire moqueur s’esquissa au coin de ses lèvres :
« - Es tu en train de plaisanter vieil homme ? Mon pouvoir me sert à déplacer les nuages. Mon pouvoir me donne la maîtrise du ciel et me sert à lui donner la vie. Sans moi, rien ne peut se faire.
« - Moi moi moi moi moi. Sans moi ; mon pouvoir. Tu n’as donc rien compris aussi grand que tu sois et aussi puissant que tu puisses l’être. Toutes ces années passées à accomplir ta tâche ne t’ont ni ouvert les yeux ni enrichit le cœur. Un long silence glacial s’installa puis le petit homme reprit. Non Alazgard, TON pouvoir ne TE sert pas qu’à faire bouger les nuages. TON pouvoir ne TE sert pas qu’à maîtriser le ciel. Non Alazgard.
Le pouvoir qui t’a été donné d’exercer va bien plus loin que le simple contentement de puissance qu’il apporte à ta petite personne. Ce pouvoir sert à la survie de toute la terre. Et que ce soit toi ou un autre qui l’exerce cela n’a aucune importance. Le principal est que les nuages bougent pour que sur la terre, la vie puisse continuer. C’est à cela que sert le pouvoir du gardien des nuages.
« - Croies tu me l’apprendre ?
« - J’en ai bien peur. Depuis que tu as perdu ton souffle, t’es tu seulement rendu une fois sur la terre justement. Cette terre que TON pouvoir est censée abreuver et nourrir. T’y es tu seulement rendu juste une fois, pour te rendre compte de l’étendu des dégâts, pour voir par toi-même, ce qu’il en était vraiment lorsque les vents abandonnaient le ciel ? » Face à cette question, Alzgard se sentit un peu déstabilisé. Effectivement, il fallait bien qu’il se l’avoue, depuis qu’il avait perdu son souffle il ne c’était pas beaucoup préoccupé de ce qui se passait là en bas. Mais bon, il n’y allait déjà pas beaucoup en temps normale alors dans un moment aussi important que celui-là il considérait ça plus comme une perte de temps qu’autre chose. Il tenta donc de balayer la remarque d’une réponse rapide, mais le ton de celle-ci était mal assuré et elle ressemblait plus à une excuse qu’à une réplique :
« - Non. Mais cela n’aurait rien changé.
« - Cela n’aurait sûrement rien changé en effet. Cela ne t’aurais effectivement pas ramené ton souffle. J’en suis quasiment aussi convaincu que toi. Mais cela t’aurai peut être ouvert les yeux sur la réalité de ce qui était entrain de se passer. Et tu aurais peut être fait de meilleurs choix quand à ce que tu aurais du faire.
« - Qu’est ce que vous en savez d’abord ?
« - Ce que j’en sais ? Le vieil homme s’approcha très prés du visage du gardien des nuages. C’est que de voir et de côtoyer la mort, la famine, la détresse, n’est pas du tout la même chose que de l’imaginer bien à l’abri dans sa caverne. » Puis il se détourna et commença à se diriger vers la sortie. Une fois sur le bord de l’endroit où Alazgard prenait son envol habituellement, il mit ses mains dans le dos et continua.
« - Que vois tu d’ici ?
Sans bouger de là où il était, il pouvait répondre au vieil homme. Il connaissait cette vue par cœur, c’était une de ses préférer. Sans vraiment savoir pourquoi, il se mit donc à énumérer tout ce qu’il voyait habituellement lorsqu’il était assis sur ce rebord et qu’il contemplait le monde :
« - De là, je peux voir le début de la grande plaine sur la gauche qui s’étale jusqu’à rencontrer l’horizon. Tout au fond, droit devant vous, les montagnes se découpent dans le ciel en de grands pics sévères. Je m’en sers parfois pour bloquer de gros nuages sans bouger de ce rebord. Et puis il y a aussi la forêt sur la droite qui remonte légèrement sur les contrefort de là où se trouvent ma caverne et disparaît derrière les collines.
« - Moi je ne vois rien sur la gauche parce que les nuages me bouchent la vue, mais je peux dire qu’en dessous, les rivières débordent charriants boues et cadavres. Je le sais parce que c’est de là que je viens. Face à moi je devine des squelettes de montagnes couvert de neiges depuis bien trop longtemps et desquelles toute vie commence à disparaître. Et sur la gauche…le vieil homme s’arrêta comme pour reprendre son souffle mais Alazgard entendit clairement qu’en fait celui-ci tentait d’étouffer un sanglot. Sur la gauche, reprit il d’un ton un peu plus assuré, je vois les débris de ce qui a été ma forêt. Mais il n’en reste quasiment plus rien aujourd’hui tellement le soleil l’a dévoré. » Alazgard fut tellement surpris par cette description qu’il voulut en avoir le cœur net. Doucement il déplia ses ailes, se leva et s’approcha du rebord pour voir le monde. Le choc de la découverte failli l’asseoir. Tout était gris et jaune. On aurait dit que le paysage qu’il voyait autrefois de cet endroit était devenu subitement malade et qu’il était sur le point de mourir.
« - Comment…comment n’ai-je pas pu voir ça ? C’est impossible. Les choses ont changé en quelques heures il ne peut en être autrement…je ne comprend pas. Et tout en disant cela, il jeta un regard éperdu au vieil homme.
« - Non Alazgard, répondit celui-ci. Non les choses n’ont pas changé en quelques heures. Cela fait bien longtemps que les choses ont commencé à changer maintenant, mais toi tu n’as rien vu, aveuglé par ton désir de vouloir à tout prix retrouver ton pouvoir. Tu ne regardais pas là où il fallait regarder. Tu ne m’as même pas vu lorsque tu es rentré tout à l’heure. J’étais là pourtant, assis à la même place et je t’ai vu tout casser chez toi. Je t’ai vu mais toi non. Tu ne m’as même pas effleuré d’un seul regard. Tout n’était que pour ta rage. Comme tout n’a été depuis des semaines, que pour la reconquête de ton pouvoir. »
Alazgard se sentit soudain très mal. Il eut l’impression subite de ne plus pouvoir respirer et fut obliger de s’asseoir. Ses yeux ne pouvaient plus quitter le désastre qui s’étendait à ses pieds. Chaque parcelle de terre lui renvoyait en pleine figure un message de détresse et de désolation.
« - Je…je suis désolé. Je ne m’étais pas rendu compte de la portée de ce qui m’arrivait. Je ne pensais pas que les conséquences en seraient aussi désastreuses. Je suis désolé. Vraiment. »
Le petit homme c’était retourné pour le regarder et le fixait intensément.
« - ça n’est pas suffisant. Il faut que tu voies. Après seulement, nous verrons si tu es vraiment désolé ou non. »
Alazgard mit le vieil homme sur ses épaules et prit son envol pour partir voir le monde. La visite dura plusieurs jours. Plusieurs jours au court desquels ils croisèrent la ruine et la mort. Plusieurs jours au court desquelles Alazgard sentit croître en lui un sentiment de malaise de plus en plus profond. Etait il possible que se soit lui qui soit responsable de toutes ces horreurs ? Puis, le matin du troisième jour alors qu’ils étaient en train de survoler ce qui autrefois était une plaine et qui n’était plus maintenant qu’un marais putride, le vieil homme dit au gardien des nuages :
« - Tu voies cette petite chaumière à l’orée de la forêt ? Très bien, va te poser à côté s’il te plait. »
Alazgard s’exécuta et quelques secondes plus tard, ils étaient tous les deux dans la petite clairière juste devant la chaumière. Le toit était en piteux état, battu qu’il était depuis trop de temps par les pluies. Le vieil homme regarda un long moment la porte d’entrée. On aurait dit soudain qu’il hésitait, qu’il voulait faire quelque chose, mais qu’il ne pouvait pas. Alazgard lui posa une main sur l’épaule et lui demanda tout doucement :
« - Je…je peux faire quelque chose ? »
Le vieil homme le regarda longuement. Puis il prit une grande inspiration, et lui dit :
« - Il faut que tu rentres dans cette maison. Je ne peux rien te dire avant. Quand tu ressortiras, je t’expliquerai. Va maintenant. »
Alazgard s’exécuta sans le contre dire. Il s’approcha, prit dans sa grosse main la petite poignée jaune, la tourna d’un coup sec et dans un grincement de gonds mal huilés, franchit le seuil. Il avança. Dans un claquement, la porte se referma derrière lui. Alazgard, surpris par le bruit, se retourna d’un bloc mais à sa grande surprise, la porte avait disparut. Il se trouvait maintenant dans un jardin. Il faisait beau et chaud et le bruit d’un petit ruisseau coulant juste à côté parvenait comme un chant jusqu’à ses oreilles.
« - Ohé ! Ohé ! » Il tenta d’appeler ainsi plusieurs fois, mais personne ne répondit. Il commença donc à déambuler dans le jardin, faisant le tour des arbres fruitiers, sentant les fleurs ne sachant trop où aller et encore moins quoi faire.
« - Ainsi donc voici que je rencontre enfin le grand Alazgard ! » La voix avait surgit de derrière son épaule. Il se retourna d’un coup. Il vit alors devant lui, une créature aux formes longilignes extrêmement gracieuse et souple. Sa peau était verte claire et elle était habillée d’une tenue bouffante blanches terminée par des liserais bleus aux poignées et aux chevilles. Une ceinture, bleue elle aussi, ceignait ses hanches. Ses deux grands yeux jaunes le regardaient avec intérêt.
« - Effectivement. Et moi, à qui ais je l’honneur ?
« - Peu importe mon nom, vous n’avez jamais entendu parlé de moi. » La créature ramena sa main sous son menton et reprit :
« - En revanche, je sais que je peux vous être d’une très grande aide. En quoi ? »
Alazgard ne s’attendait pas du tout à ça et encore moins à cette question. En quoi pouvait bien lui être utile cette étrange créature ? Le silence s’installa, mais la créature ne le quittait pas des yeux et ne semblait absolument pas vouloir reprendre la parole. Le temps passa sans que le gardien des nuages ne puisse dire si il s’agissait d’un long moment ou non. Dans sa tête, les questions se bousculaient entraînant les contradictions et les demandes. Il revoyait sa vie, il revoyait son voyage sur la terre dévastée. Tant et tant de choses lui traversèrent l’esprit qu’à plusieurs moment il eut l’impression d’être perdu, de ne plus savoir si il était dans un rêve ou bien dans la réalité. Puis, soudain, il finit par dire :
« - Peut être…peut être avez-vous une solution pour remettre les nuages en route ?
« - Certainement, et instantanément, une petite graine bleue apparue dans les mains d’Alazgard. Mais se sera à vous de faire le dernier choix d’utiliser ou non cette solution. Maintenant pour toutes les questions que vous vous posez à propos de moi, de cet endroit et de cette graine, vous demanderez tout cela à Félucius qui se fera, j’en suis sûr, un plaisir de vous répondre. Vous lui passerez d’ailleurs le bonjour amical de ma part. Pour sortir, la porte se trouve derrière vous. » Le temps qu’Alazgard tourne la tête pour voir la porte, la créature avait disparut. Un peu intrigué, il se dirigea donc vers la sortie, serrant dans sa main, l’étrange présent de la non moins étrange créature.
A l’extérieur le temps était exécrable. Il faisait gris sombre et les rafales de pluies et de vents fouettaient un paysage morose. Alazgard s’abrita le visage pour tenter d’apercevoir Félucius, mais il ne vit personne. Il appela :
« - Félucius ! Félucius !
« - Ah te voilà enfin. Tu as donc réussi. Cela fait plus de trois jours que je t’attends. Vient, vient t’abriter avec moi. J’ai aménagé un petit coin dans la grange ou nous serons à l’aise pour discuter. »
Protégeant de ses grandes ailes le petit homme, ils coururent tous les deux jusqu’à la grange située derrière la chaumière. Là, assis dans les bottes de foin, Alazgard ne pu s’empêcher de prendre la parole le premier :
« - Lorsque vous avez dit tout à l’heure que vous m’attendiez depuis trois jours, c’était une expression. Vous ne m’avez pas réellement attendu trois jours. Parce que moi je suis sûr de ne pas être resté autant de temps dans le jardin.
« - Si. Tu es resté trois jours, je te le confirme. C’est la première fois que je vois quelqu’un resté aussi longtemps soit dit en passant.
« - Mais…qu’est ce que c’est que cet endroit exactement ?
« - Ah ! C’est une excellente question. C’est la maison de Goéléne Sétéque. Cela fait longtemps qu’il c’est retiré du monde…enfin du monde, disons de l’environnement dans lequel nous vivons nous. Et il c’est construit derrière les murs de cette chaumière, un monde qui lui appartient à lui, entièrement. C’est un magicien très puissant. Tout le temps que tu es resté qui t’as paru si court, il a en fait exploré ton esprit pour voir si tu allais être sincère ou non lorsque tu lui demanderais de l’aider. Si tu lui avais juste demandé de te rendre ton pouvoir, il n’aurait rien fait. Mais là, apparemment, tu as du lui demander la bonne chose. Car il t’as donné une graine n’est ce pas ? Puis je la voir ? »
Alazgard tendit la main. Au creux de celle-ci, reposait la petite graine bleue.
« - Fantastique, reprit Félucius. Une graine de Séléphyre. Il a donc réussi à créer une graine de Séléphyre.
« - Qu’est ce que c’est ? Demanda Alazgard.
« - C’est une graine très particulière. Il fixa le gardien des nuages dans les yeux et lui dit, car le plus dur reste à venir pour toi. Cette graine en soit ne sert à rien. Elle ne sert qu’à libérer le vœu le plus profond de celui qui la possède. Elle doit donc être avalé par celui qui la détient. Pour toi, une fois cette opération réalisée, il va s’agir de rendre aux nuages leur course en libérant les vents que tu renfermes. Le vieil homme quitta Alazgard des yeux et continua. Mais ceci à un prix. En avalant cette graine et en libérant son vœu, celui qui fait ça disparaît à tout jamais. »
Alazgard accueillit la nouvelle sans sourciller. Ainsi c’était donc ça le choix dont lui avait parlé Goéléne Sétéque en lui remettant la graine. Disparaître à tout jamais, pour que la vie reprenne son cours normale. S’effacer, lui qui se croyait si important, pour que tout redevienne comme avant.
« - J’ai besoin d’être seul » finit il par dire. Le vieil se leva doucement. Ils se regardèrent longuement. Beaucoup de choses s’échangèrent dans ce regard et ils n’eurent pas besoin de se dire au revoir. Félucius quitta la grange sous un crachin triste. Il semblait pleuvoir du gris.
Mais quelques heures plus tard, alors qu’il arrivait au col des deux loups, celui la même qui devait ensuite le conduire jusqu’à la dernière ligne droite pour rentrer chez lui, un vent chaud et puissant se leva semblant l’inciter à accélérer joyeusement la pas. Félucius leva la tête. Dans le ciel, les nuages courraient de nouveaux. Il sourit. Alazagard le gardien des nuages avait vécu, désormais, les vents étaient libres.

vendredi 5 octobre 2007

Conte : Le gardien des nuages (2)

Le gardien des nuages (2)
Le lendemain matin en se réveillant, Alazgard se sentait toujours aussi fatigué. Il avait passé une nuit noire et sans rêves et avait plus l’impression d’émerger d’un long tunnel ténébreux que d’avoir dormi. La seule chose dont il se rappelait avec certitude, c’était d’avoir eut l’étrange sensation d’étouffer à plusieurs reprises dans son sommeil. Comme si il était entrain de se noyer et que l’air venait à lui manquer.
Lentement il mit un pied par terre. Son corps était lourd et il se sentait horriblement las. Il se traîna jusqu’à la sortie, s’étira, bailla et resta un long moment le regard fixé sur le levé de soleil. Puis il ébroua ses longues ailes et d’un bond, prit son envol. Le fait d’être dans les airs lui redonna un peu de légèreté. Lorsqu’il volait, il pouvait sentir le vent contre sa peau. Ce vent qui d’ordinaire sortait de lui, l’entourait et le caressait, le portant sans cesse et sans jamais faillir. Il aimait à jouer avec lui et ce matin là, il y prit encore plus de plaisir que d’habitude.
Revivifié et laissant les idées noires de la nuit peu à peu s’éloigner derrière lui, il décida pour continuer sur cette bonne pente, de s’occuper en premier des cirrus. C’étaient ses nuages préférés.
Il s’en servait pour décorer le ciel et il les accrochait donc de ci de là, au grès de ses souffles et du hasard, zébrant l’azur de leurs bandes blanches et aériennes. Il décida en les voyant, d’aller les positionner juste au dessus de la grande plaine. Leur blancheur cristalline tranchait avec le vert profond de l’herbe en cette saison et rendait une image de calme et de sérénité qu’il appréciait par-dessus tout.
En arrivant donc à leur proximité, il prit une légère inspiration, entrouvrit délicatement la bouche et d’une petite brise, entreprit de les faire bouger. C’est qu’il fallait faire attention de ne pas les briser. Une bourrasque de trop et ils se seraient éparpillés en des milliers de gouttelettes inutiles. Il fallait ensuite attendre des jours et des jours avant qu’ils ne se reconstituent. La prudence était donc de mise. Mais à son grand étonnement, rien ne bougea.
Il entreprit donc de souffler une seconde fois afin que le convoie commence à se mettre en branle. Peut être avait il voulu être si prudent au premier coup qu’il n’avait pas soufflé assez fort. Mais là encore, rien ne se passa. Une légère inquiétude commença à le saisir au ventre car il en était certains, de la façon dont il avait soufflé la second fois, quelque chose aurait du bouger. Il souffla donc une troisième fois de façon plus énergique…puis une quatrième fois, encore plus fort que les précédentes. Son cinquième souffle fut si puissant qu’il aurait du normalement faire reculer tous les nuages de plusieurs kilomètres d’un coup. Mais comme pour les autres essais auparavant, rien ne se passa, pas un nuage ne se déplaça du moindre millimètre. Il commença alors à s’époumoner, tournant autour des cirrus à une vitesse de plus en plus rapide et jurant contre ces satanés nuages qui refusaient maintenant de lui obéir. La scène dura et dura dans le ciel, ne faisant qu’augmenter la rage d’Alazgard. Mais cette colère aérienne ne changea rien à sa situation et au bout de plusieurs heures de vaine lutte, le gardien des nuages dû se rendre à l’évidence ; son souffle avait disparut, et avec lui son pouvoir de faire vivre le ciel.
Décontenancé mais pas abattu pour autant, Alazgard alla se poser sur le sommet d’une montagne avoisinante. Là, le regard grave et le visage fermé, il commença à réfléchir. Ainsi donc pour le moment son pouvoir semblait avoir disparu. Très bien qu’à cela ne tienne. Mais cela n’empêchait pas qu’il fallait qu’il trouve néanmoins absolument un moyen de faire de nouveau bouger les nuages. C’était sa responsabilité et c’était ce qui faisait sa gloire. Car si il n’avait plus cela, qu’allait il devenir ? Pour la première fois peut être depuis qu’il était gardien des nuages, il réalisa à quel point son existence et celles des nuages étaient à ce point liées. Sans lui ils n’étaient rien ; mais sans eux, qu’était il lui ?
La matinée passa sans que rien ne bouge. Le ciel statique donnait au monde le sentiment d’être arrêté. Et du haut de sa montagne, Alazagard n’avait toujours pas retrouvé son souffle. Le début de l’après midi vint. Avec lui, une idée commença à poindre dans l’esprit du gardien. Il ne pouvait plus souffler certes. Mais rien ne l’empêchait d’inventer une machine à faire bouger les nuages. Il rentra alors dans sa grotte en un coup d’aile et commença à réfléchir au problème. Cela dura quelques nuits et quelques jours…quelques nuits et quelques jours au cours desquels sur la terre, les problèmes commencèrent à s’accumuler.
En effet, certaines régions inondées par les pluies incessantes, furent submergées par les eaux, pendant que d’autres, exposées au soleil permanent, grillèrent littéralement.
Le temps passait, les problèmes amplifiaient, mais du fond de sa grotte, Alazgard ne faiblissait pas. Sciant, coupant, calculant, recommençant mille et une fois les choses si nécessaire, il avançait pas à pas dans la construction de la machine qui allait lui redonner toute légitimité dans son royaume aérien.
Au bout d’une semaine environ, son travail fut enfin achevé. Il traîna son invention jusque sur la terrasse d’où il prenait son envol d’habitude, et d’un œil brillant, la regarda à la lumière du jour. Il s’agissait d’une sorte de grand moulin à vent. Pour l’actionner il devait s’asseoir sur une selle et pédaler afin de faire tourner les grandes palles à l’avant. L’ensemble était en bois et paraissait relativement lourd et assez peu maniable, mais le vent qu’il dégageait était en revanche lui, d’une puissance remarquable.
Il décida d’effectuer le premier test aux premiers rayons du soleil le lendemain matin. La nuit passa, anxieuse et sombre et lorsque vint l’aurore pâle et froide, Alazgard était déjà prêt depuis longtemps à prendre son envol. D’un pas sûr, il grimpa à l’intérieur de son engin, le souleva pour faire tenir les bretelles sur ses épaules, prit quelques pas d’élan et d’un bond, se jeta dans le vide. Malgré la puissance de ses ailes et la force de ses bras, il sentit très vite qu’il allait devoir faire de nombreuses pauses afin de se reposer tellement la machine était lourde. Mais là n’était pas son principal soucis. Ce qu’il voulait savoir lui, c’est ce qu’il en était vraiment du « souffle » si l’on pouvait appeler ça comme ça, qu’allait dégager sa machine et surtout la force de celui-ci.
Il choisit pour son premier essai de déplacer un groupe de nimbostratus qui flânaient au dessus de l’océan. Ils étaient sur place depuis tant de jours qu’ils étaient gorgés d’eau et paraissaient lourds et gras. De leurs ventre gris, certains laissaient échapper de longues colonnes de pluie comme on vide un trop plein.
La situation pour ces nuages là ne pouvait plus durer et il fallait absolument agir rapidement si l’on ne voulait pas voir une catastrophe survenir prochainement. Alazgard s’approcha et fit un ou deux tours afin de trouver le meilleur angle d’attaque. Une fois celui-ci repéré, il se cramponna fermement au manche de son moulin volant. Le vent lui sifflait aux oreilles l’emplissant petit à petit d’une confiance nouvelle. Concentré et sûr de lui, il entreprit donc de pédaler afin que le vent se mette à souffler. La machine craqua, grinça, se cabra même un peu l’or des premières bourrasques, mais elle tint. Les muscles tendus, l’œil et l’oreille aux aguets guettant la moindre des réactions de son invention infernale, le gardien des nuages commença à prendre possession du ciel autour des nimbostratus. Après quelques vrilles et virages, encouragé par la façon dont se comportait le moulin, Alazagard décida d’accélérer. Il devait battre des ailes en même temps afin de se maintenir en l’air et cela lui demandait donc un effort considérable mais il ne voulait en aucun cas renoncer. Face à lui, il le sentait, le vent commençait à se lever. C’était un vent désordonné qui se déplaçait par saccades. Mais un fois trouvé la bonne orientation, il semblait apparemment suffisamment fort pour faire bouger les nuages. Et c’est ainsi qu’au bout de quelques minutes, il les vit commencer à se mouvoir.
Il faillit hurler de joie face à cette scène mais se contint, sachant qu’il était encore bien loin du résultat.
Il vira sur la gauche afin d’entamer une grande courbe qui lui permettrait de prendre un peu de recul. Il eut alors la pleine confirmation qu’effectivement, malgré leur poids de pachydermes et les saccades encore désordonnées que provoquaient sa machine en bois, les nuages étaient entrain de reprendre leur course. Il avait réussi. Prit dans son élan et par l’euphorie de sa victoire, il accéléra encore. Les nuages se regroupèrent et commencèrent à se déplacer en une procession ordonnée. Puis vint le moment de les stabiliser au dessus d’une zone précise. C’était l’instant le plus délicat car il fallait énormément se déplacer et ce de façon rapide, tout en soufflant de façon précise et juste, afin que les nuages prennent la bonne place.
Alazgard commença donc à tourner autour d’eux, multipliant les piquets et les virages à quatre vint dix degrés, semant son souffle aux quatre vents, obligé souvent de refaire deux fois la même manœuvre afin de compléter la première. Ce fut d’ailleurs l’or d’une de ces figures périlleuses qu’il dut répéter plus de trois fois afin qu’elle soit accomplit correctement qu’il lui sembla que la machine commença à émettre des grincements étranges. Il écouta plus attentivement, tout en sachant très bien que les choses étant maintenant tellement avancées que si d’aventure il devait y avoir un problème, il ne pourrait pas s’arrêter. Il continua donc son ballet, espérant que le tout tienne jusqu’au bout.
Les minutes passèrent, agitées et vives. Soumis à de grandes forces la plus part du temps contradictoires, les jonctions étaient entrains de se mettre à bouger. Mais il était hors de question de faire une pause maintenant. Les nuages étaient en plein mouvement et si il ne les arrêtait pas, ils allaient partir n’importe où, croiser d’autres nuages engendrant à coup sûr des tempêtes qu’il aurait ensuite encore plus de mal à contrôler. Alzagard continua donc ses piquets, loopings et autres vrilles. Mais l’état de la machine lui, n’alla pas en s’améliorant et soudain, alors qu’il s’apprêtait à commencer à ralentir le rythme, un craquement sinistre déchira ses oreilles et dans la même seconde, l’une des palles se décrocha. Instantanément, tout le reste de l’appareil se trouva en déséquilibre le rendant totalement incontrôlable et c’est précipitamment, qu’il dut quitter la carcasse. Le regard vide et le visage inexpressif, il regarda filer vers le sol son invention démembrée. Il battait machinalement des ailes pour se maintenir en l’air et resta ainsi un long moment à flotter mollement, bien après que cette dernière ne se soit allée s’écraser plusieurs centaines de mètres au dessous de lui.
Puis il regarda les nuages. La plupart avaient continué leur course, poussés par les bourrasques finissantes. Quelques un s’étaient entrechoqués au loin et il entendit bientôt venant de l’horizon, le bruit grondant d’un orage naissant.
La tête basse et la mine assombrie, il retourna dans sa caverne. Ce n’est pas qu’il avait vraiment envie de s’y rendre, mais que pouvait il faire d’autre ? Continuer de contempler le spectacle de désolation que lui offrait le ciel était au dessus de ses forces. Sa caverne, restait donc encore son meilleur refuge.
Une fois chez lui, il s’assit à sa table et commença à jouer du bout de son doigt avec un verre. Il s’amusait à le pousser jusqu’à ce qu’il soit à la limite de perdre l’équilibre. Le jeu dura, toute son attention étant concentrée sur cette tâche impossible qui consistait à tenter de faire tenir ce verre en équilibre sur une toute petite portion de sa base ronde. Il en était peut être à sa millième tentative et était prêt à continuer encore lorsqu’il entendit un bruit de feuilles derrière lui, accompagné d’une respiration lourde. Il se retourna, intrigué. A sa grande surprise il découvrit, se découpant dans la lumière de l’entrée de sa caverne, plantée là de toute sa puissante stature, le roi des végétaux en personne ; le chêne.
Il l’avait déjà rencontré à plusieurs reprises mais ils ne s’étaient que rarement parlés directement. Aussitôt qu’il le vit, Alazgard se leva et se dirigea vers lui, tentant de lui présenter son meilleur sourire. Le chêne avait la mine fatiguée et de grosses cernes sombres pesaient en dessous de ses yeux ronds. La plupart de ses feuilles étaient sèches et il se déplaçait avec grande peine. Ses grands bras noueux pendaient lourdement autour de lui. Sa barbe de lichen était toute clairsemée et lui donnait un air plus vieux que d’habitude. Tout en lui tendant un siége, Alzgard s’enquit de son état :
« - Et bien cher ami, que vous arrive t il ? Vous n’avez pas la mine des meilleurs jours. » Craquant de toutes ses jointures pour s’assoire, le chêne répondit :
« - Ah Alazgard, vous avez bien raison ! Mais malheureusement, mon état n’est que le reflet de biens des miens. » Il y eut un long silence entrecoupé uniquement par le bruit de la respiration du roi qui reprit sur le même ton ;
« - Vous savez, notre vie à nous les végétaux est plutôt stable. Nous aimons poser nos racines quelque part pour y vivre en attendant que le temps passe. Les voyages et le mouvement ne sont bons que lorsque nous sommes graines ou bien pollen mais pour la suite, nous préférons rester sur place. Et ceci a du bon dans l’ensemble. Mais ceci à un prix. Notre vie dépend entièrement de notre environnement. Et ce même environnement dépend entièrement de ce que lui offre le temps. Trop de soleil et nous grillons littéralement, trop d’eau et nous nous noyons. Enfin bref, nous sommes comme tous les autres êtres vivants sur cette terre à cette différence prêt que nous ne pouvons pas bouger lorsque la nécessité s’en fait ressentir. » Assis en face de lui, Alzgard suivait le discours avec un intérêt lointain, pensant plus à ses problèmes de nuages qu’à ce que venait lui raconter le vieil arbre. Et puis il ne voyait pas très bien où il voulait en venir avec ses histoires. Mais celui-ci continua malgré tout :
« - Or voyez vous mon cher en ce moment, et pour la première fois depuis que j’existe, la plus part de mes sujets aurait une grande nécessité à bouger à cause des problèmes liés au fait que les nuages n’ont pas bougé d’un centimètre depuis bien longtemps. Et par conséquent, si je suis venu vous voir aujourd’hui ce n’est pas pour vous racontez ce que vous savez déjà, mais pour vous poser une question simple.
« - Mais je vous en pris je vous écoute.
« - Que se passe t il avec les nuages en ce moment ? Mes congénères de la grande plaines brûlent littéralement depuis bientôt deux semaines, tandis que ceux du littoral sont noyés sous les eaux sans que rien ne semble bouger. Les nuages restent sur place et rien ne semble indiquer que la situation n’évolue bientôt. Alors monsieur le gardien, que se passe t il ? » Un peu pris de court Alazgard répondit en bredouillant :
« - De euh…rien…rien de grave en tous les cas. Il se leva avec empressement et tout en cherchant deux verres pour servir à boire ainsi qu’une bouteille de nectar, il poursuivit sur un ton détendu. Disons que tout ne fonctionne pas exactement comme prévu mais cela devrait rentrer dans l’ordre d’ici quelques jours. Il versa le nectar dans les verres et tout en tendant un à son interlocuteur il continua sur un ton badin. Mais vous savez comme moi ce que c’est que d’avoir des responsabilités, il faut aussi en assumer les mauvais côtés. Et c’est vrai qu’en ce moment je suis plutôt dans le mauvais côté, je le reconnais, mais les choses vont aller mieux d’ici quelques temps ne vous inquiétez pas et vous pouvez d’ores et déjà dire aux vôtres de ne plus s’en faire. Il prit son meilleur sourire et rajouta ; la situation est entre de bonnes mains. »
Le chêne ne le quittait pas des yeux. Il but son nectar par petite gorgée tout en laissant parler Alzgard. Lorsque celui-ci eut finit, il posa doucement son verre sur la table, se leva en craquant de la même façon que lorsqu’il s’était assis et dit au moment de partir :
« - Très bien. Très bien. Je leur dirai donc ça. » Puis il se dirigea vers la sortie de son pas pesant, raccompagné par Alazgard. Au moment de se quitter ils se serrèrent la main et le roi des arbres lui dit :
« - Je dirai que tout va bien parce que rassurer les miens, cela fait aussi partie de ma tâche. Mais si d’aventure un jour je ne me sentais plus à la hauteur de mes responsabilités, alors je les quitterai en laissant la place à quelqu’un de meilleur que moi. Ce peut-être aussi cela, prendre ses responsabilités. » Et de son pas pesant et lourd, il reprit le chemin de la forêt.

Alazgard resta un peu sceptique tout en le regardant partir. Que croyait il celui là ; qu’il n’était plus capable d’être le gardien des nuages ? Et puis de toute façon, qui d’autre pouvait mieux savoir que lui ce qu’il y avait à faire dans le ciel ? C’était lui le gardien depuis toujours. Lui et lui seul. Et c’est lui seul par conséquent qui pouvait trouver la solution. Un peu vexé par cette allusion à moitié cachée que lui avait faite le chêne, il retourna s’enfermer chez lui. Une nouvelle fois il se mit à réfléchir intensément pour tenter de trouver une solution. Le temps passa. Lassé du jeu que lui offrait le verre, il avait fini par en trouver un autre. Il posait devant lui une bougie, regardait la petite flamme se mettre à danser au moment où il l’allumait, puis une fois que celle-ci s’était stabilisée, il emplissait ses poumons d’air et commençait à expulser celui-ci en direction de la flamme dans l’espoir de la voir s’éteindre…ou pour le moins bouger.
Il répéta ce geste pendant des heures et des heures, inlassablement. Parfois la petite flamme se mettait soudainement à trembler. Le coeur palpitant il soufflait alors de plus belle. Mais ce n’était que le fruit de son imagination ou bien d’un courant d’air malicieux. Il reprenait donc son exercice, le cœur un peu plus lourd.
Ce jour là, il en était donc à souffler et à souffler encore tout en tentant de faire les plans d’une machine dans sa tête qui se butait à ne lui présenter que des choses stupides, lorsque lui vint soudain une autre idée ou plutôt, une autre façon d’aborder le problème.
Et si plutôt que de déplacer les nuages avec du vent, il les déplaçait avec un sac ? Aussitôt, il se mit à envisager cette solution avec un enthousiasme nouveau. Si il arrivait à tisser une immense toile légère, il aurait alors avec lui une sorte de gigantesque filet à papillon à l’intérieur duquel il pourrait enfermer les nuages le temps de les amener autre part. Plus de problèmes pour les arrêter ; plus de problèmes pour les faire démarrer…le sac à nuages était la solution à tous ses problèmes, il en était persuadé.
Son principal obstacle résidait maintenant dans la matière qui allait composer le fameux sac. Il fallait que celui-ci soit résistant car certains nuages étaient relativement lourds. Il fallait qu’il soit aussi léger car sinon il ne serait pas maniable et écraserait les nuages les plus fragiles. Et puis il fallait qu’il soit immense car si il devait transporter les nuages un par un, cela ne servirait à rien.
Il se lança donc dans la recherche de la matière la plus appropriée et fini par conclure que la toile d’araignée était sûrement la plus adapté compte tenu de ses exigences. Le plus difficile fut de s’en procurer la quantité suffisante. Mais une fois ceci accompli, il s’enferma dans sa caverne et n’en sorti plus, tissant jour et nuit.
Il avait presque finit son ouvrage lorsqu’un soir, alors qu’il prenait quelques instants de répits, il entendit des pas à l’entrée de sa caverne. Il regarda et vit dans la lumière du soleil couchant, se détacher une silhouette qu’il reconnut tout de suite. Il s’agissait de celle du roi des animaux, le lion. D’ordinaire la tête haute et le port altier, il se présenta devant Alazgard ce jour là, la crinière tombante, l’œil cerné et l’air profondément fatigué. Ce n’était pas la première fois qu’ils se rencontraient tous les deux et même pour tout dire, c’était un des rares avec qui Alazgard aimait à discuter lorsqu’il allait sur terre. Le roi des animaux portait en lui cette noblesse naturelle, ce tempérament de roi instinctif qui faisait l’admiration d’Alazgard. Certes ils ne s’étaient pas vu très souvent mais cela avait suffit à faire qu’ils s’apprécient. Mais aujourd’hui, le roi était bien mal en point et sa démarche pesante et malhabile ne faisait qu’en rajouter à cette situation tragique. Un peu alarmé, le gardien des nuages se leva précipitamment pour accueillir son hôte :
« - Eh bien mon ami, vous voilà en bien triste état. Qu’a-t-il bien pu vous arriver pour que vous vous retrouviez dans une si piteuse apparence ? »
Le lion s’assit pesamment par terre, repris son souffle qui semblait lui échapper à chaque inspiration et d’une voix rauque, commença à parler :
« - Ah Alazgard ! Depuis combien de temps nous connaissons nous maintenant ? Tant et tant d’années que je ne sais même pas si il existe un mot pour nommer tout cela. Il y eut un silence puis il reprit. Je suis le roi des animaux et comme les autres rois, je ne suis que le reflet de mes semblables. Je ne peux continuer d’exister que parce que les miens sont en bonne santé. J’ai besoin de tous les animaux pour continuer ma vie. Mais aujourd’hui, regardez mon état. Il y eut encore un silence, un peu plus pesant que le précédent, puis il continua. Savez vous pourquoi je suis comme ça ?
« - Je sais, je sais, s’emporta à moitié Alazgard mécontent qu’on vienne une nouvelle fois le déranger pour lui dire qu’il ne faisait pas son travail. Et sachez que moi aussi j’ai quelques petits problèmes en ce moment. Mais sachez aussi que je mets tout en œuvre pour tenter de les résoudre et que bientôt, très bientôt même, tout va rentrer dans l’ordre.
« - Mais combien de temps cela va-t-il prendre ?
« - Comment voulez vous que je le sache, explosa Alazgard en se levant d’un bond. Il y eut un long et lourd silence au cour duquel le gardien des nuages tenta de retrouver son calme. Puis il reprit la parole avec une petite voix. Je suis désolé. Pardonnez moi le lion mais je suis un peu surmené en ce moment. »
Le lion le regarda en clignant des yeux et dit :
« - Que se passe t il Alazgard ? Que se passe t il exactement ? »
Le gardien des nuages regarda alors fixement le roi des animaux. Il lu dans son regard une grande détresse et une grande solitude et l’espace d’un instant il voulut tout lui dire, tout lui avouer ; qu’il ne savait pas, qu’il n’arrivait plus à faire de vent, qu’il était perdu et que cela le rendait malheureux. Il voulait lui dire qu’il se sentait dépassé et faible et qu’il n’avait personne avec qui partager cette douleur. Mais face aux conséquences que pouvait entraîner de telles paroles, il préféra se retenir et se contenta de répondre :
« - Rassurez vous, si cela peut vous paraître long, il ne s’agit de rien de grave. J’ai un peu de mal à maîtriser les vents en ce moment. Puis d’une voix douce il rajouta. Mais ne vous inquiétez pas tout est en passe de s’arranger. Vous pouvez retourner parmi les vôtres et vous faire rassurant, je vous en donne ma parole. »
Le lion resta un long moment sans bouger, son regard plongé dans celui d’Alazgard. Puis il se leva, fit quelques pas lourds en direction de la sortie, la tête basse et les épaules chargées. Juste avant de franchir le seuil, il s’adressa une dernière fois à Alazgard :
« - J’espère que vous allez réussir mon ami. Je l’espère du plus profond de mon coeur car autrement je vous le dit sincèrement…nous allons tous mourir. »