lundi 12 mai 2008

Moment

Apnée

Mon corps glisse lentement le long de la surface lisse. La mer est calme. Cette matinée d’été respire la chaleur accablante à venir et moi tout doucement, ondulant comme un serpent, je me laisse aller le long de l’onde tiède. Pas un bateau autour. Seul le bruit de ma respiration dans mon tuba rythme de son va et vient lancinant mon déplacement fluide. Les rochers sous moi forment un tapis chaotique sombre et moelleux, enchevêtrement de concrétions fondues par le hasard. Une inspiration plus profonde que les autres, une myriade de bulles qui s’agitent pour fêter mon départ et voilà que sans effort je m’enfonce dans le silence.

Je replonge en enfance. Mon corps se compresse et de ma jeunesse émane tout un flot d’images en liesses. Cela faisait tellement longtemps que je n’étais pas revenu ici ; tellement longtemps qu’elles étaient restées tapies là, cachées comme des trésors enfouis recouvertes par la gangue grise du quotidien permanent.

Le battement mou et puissant de mes palmes m’entraîne sans peine vers le fond. Il m’attire et attise ma mémoire comme l’aurait fait le souffle pervers du vent d’été lorsque courent les incendies le long de la garrigue. Je reconnais les caches, les gouffres, les cassures…je reconnais tout ce monde du dessous dans lequel j’ai passé tant de temps lorsque j’étais enfant. Tous ces étés caniculaires qui vous effleurent à peine à cet âge là. Ces étés qui durent et qui durent encore ne vous laissant à la rentrée que bronzage et souvenirs ; C’est le long de cette côte que je les ai passé, envoyé ici par mes parents qui travaillaient chez mes grand parents qui eux, avaient fait leur temps. Comme il fallait bien que je m’occupe, j’ai commencé à plonger. Ce fut impressionnant d’abord. L’immensité soudain qui m’était ouverte et à laquelle je n’étais pas forcément préparé. Elle m’a happé dés ma première sortie solitaire et m’a hanté une fois revenu à terre. Et puis je me suis habitué ; pas lassé, habitué. Habitué à dominer ce vide, cet espace. Je l’ai meublé, cartographié, référencé, compris. Petit à petit il est devenu un monde, mon monde, le terrain de jeu de mon adolescence, une aire d’épanouissement sans limites dans laquelle il m’était permis de tout faire. Je n’y croisais jamais personne. Tout m’appartenait.

L’air commence à manquer. Sans hâte mais avec une fermeté sourde il fait sentir son implacable absence. D’une impulsion douce je remonte vers la surface ; rien jamais, ne s’efface.