jeudi 26 juin 2008

Conversation

Au pied des ruines.

- Et tu vas acheter cette baraque ?
- Ben ouais pourquoi ?
- Mais…enfin c’est loin de tout. Et puis regarde ça y’a plus le toit il reste que les murs. Y’a tout à faire là dedans.
- Oh ça va n’exagère pas non plus. J’ai fait venir un expert. La charpente est bonne, y’a que la toiture à remplacer. Les fondations tiennent aussi la route et les murs sont sains. Y’a pas tant de gros œuvre que ça en fait.
- Mais t’as jamais tenu un marteau de ta vie tu sais même pas comment on fait du béton. Qu’est ce qu’il te prends ? C’est pas parce qu’elle t’as quitté que t’es autorisé à faire n’importe quoi !
- Arrête avec ça !
- Elle reviendra pas tu sais. C’est un rêve que vous aviez à deux ça. Tout seul tu vas t’y perdre.
- Mais arrêtes j’te dis !!!! J’achète pas cette baraque pour la faire revenir j’achète cette baraque parce que sinon je vais mourir, tu comprends. J’ai trop de temps, trop d’énergie pour me retrouver tout seul comme un con chez moi à rien faire.
Tu sais ce que c’est toi que de rentrer dans une maison vide après avoir vécu pendant vingt ans avec ta femme et tes enfants ? Tu sais ce que c’est que de voir la chambre des enfants sans personne dedans pendant une semaine ? Tu veux que je fasse quoi ? Que j’aille au restau claquer ma tune pour essayer de trouver un coup à tirer comme tous ces glands qui font une cure de jouvence en essayant de revivre leur vingt ans et de noyer leur solitude dans des fausses rencontres ?
Je peux pas faire ça. Je peux pas faire semblant. Alors oui cette baraque c’est de la folie. Je le sais très bien qu’est ce que tu crois. Mais il faut que je construise un truc. Il faut que j’ai un projet parce que ma vie est trop vide sinon. Et j’ai pas envi de sauter dans le vide….C’est pas la folie des grandeurs que j’ai…c’est la peur d’être seul qui me ronge. Avec cette maison, je le serai un petit peu moins. J’espère.
- Et si jamais tu rencontres quelqu’un ?
- Pour ça faut avoir envie. Et puis à notre âge, ça n’a plus la même signification de toute façon.
- Rencontrer quelqu’un c’est pas une question d’âge. Regarde…qui aurez parié qu’au tien t’allais enfin te faire copain avec une pelle ou une truelle.
- T’es con.

mercredi 25 juin 2008

Moment

La gifle

La claque lui gifla la figure pleine de haine et de violence. Une claque lourde de toute l’aigreur et la rancœur accumulée au cours de ces années d’erreurs. Car oui elle le savait désormais, elle en était sûre, tout ceci n’avait été qu’une vaste et profonde méprise. De sa part d’abord mais de la sienne aussi. On ne vit pas accroché à un rêve mais on meurt de s’accrocher à un souvenir. Et cette histoire était morte de n’avoir voulu exister qu’en se nourrissant de ce qui avait été, il y a longtemps, il y a cinq ans exactement. Le souvenir d’un coup de foudre intense, avait été le seul combustible de l’histoire qu’ils avaient voulu prolonger en s’imaginant que la force de ce moment suffirait à leur faire traverser la vie ensemble. Parce que c’est ce qui arrive aux couples qui se forment dans l’amour, normalement. Et le leur fut sincère, énormément. Mais un temps seulement et la sincérité de cet instant seul ne leur avait pas suffit. Maintenant l’état de leur éloignement, de leurs petites trahisons et de leurs grosses hypocrisies leurs éclataient à la figure avec toute la violence de la bombe qui couve et dont on ne se méfie plus, persuadé qu’elle n’exploserait jamais.
Ils avaient évolué mais pas dans le même sens. Il était d’abord devenu distant avant de devenir bêtement absent. Elle l’avait laissé faire, s’arrangeant d’autres manières. Ce n’est que lorsqu’elle commença à réaliser la distance qui les séparait qu’elle comprit à quel point elle ne l’aimait plus. Elle le voyait de loin rentrer tard le soir, partir après elle le matin, l’appeler de temps à autre pour lui dire qu’elle ne devait pas l’attendre, qu’il avait du travail…ou quelque chose de mieux à faire que de rentrer. Elle, jouait la femme faussement offusquée. Leur séparation était née de cet éloignement progressif, lent, passif. Pas d’une haine ou d’un ressentiment. Tout cela était venu plus tard, bien plus tard. A l’éloignement, avait succédé l’indifférence. Feinte d’abord, puis hostile ensuite. L’indifférence qui blesse. C’était à partir de ce moment là que tout avait changé, lorsqu’elle avait commencé à jouer de cette désinvolture qu’ils affichaient chacun de leur côté. Les petites provocations s’étaient muées en attentats ciblés et le jeu c’était transformé en règlement de compte.
Ce soir là, en l’attendant, elle savait quels mots elle devait prononcer sur quel ton, appuyé de quel regard, pour que leur couple explose enfin. Elle serait alors débarrassé de cette mascarade sclérosante et renverrait à son ingratitude cet homme qui pensait que posséder était le synonyme d’aimer. Lorsqu’il entra et que les hostilités débutèrent, effectivement, tout se passa comme prévu. Mise à part cette gifle.

mardi 24 juin 2008

Petite phrase

Chantage : Un solitaire si tu ne veux pas l'être.

lundi 23 juin 2008

Moment

L’échec

Voilà, tout était dit. A cette seconde précise, à cet instant où ses yeux fous de douleur cherchaient en vain son nom, elle savait pertinemment que tout était fini. Ces deux années de travail, ces deux années d’investissement en temps, en énergie, ces deux années d’abnégation de la vie venaient de se matérialiser sur cette petite feuille A4 insipide et le résultat était là, néant. Nul. Rien. Sa gorge se serra. Une dernière fois elle relut les deux noms qui étaient censés encadrer le sien puis elle s’éloigna, définitivement. Elle laissait là ce lieu pour toujours, ce lieu dans lequel elle c’était tellement investie que ses parents pour rire et pour tenter de la détendre, disaient qu’il allait finir par la rendre folle tellement elle en était obsédée.
Depuis longtemps elle savait qu’elle voulait faire ce métier. Et depuis toujours on ne cessait de lui répéter qu’avec du travail, beaucoup de travail, on finissait toujours par obtenir ce pour quoi on se battait. Alors elle avait travaillé, elle c’était battue. Et elle venait de perdre, platement et sans gloire. Elle venait de se faire écraser par plus fort sans doute, par plus chanceux peut être. Il n’y avait dans ce résultat ni recours possible ni possibilité d’envisager un rattrapage quelconque. Il était la lame de la guillotine qui venait d’étêter sans état d’âme ses attentes légitimes. Légitimes oui. Elles étaient en droit de l’être vu ses efforts. Mais cela n’avait pas suffi à concrétiser un résultat.
Autour d’elle certains pleuraient mais pas tous pour la même raison. La délivrance de l’errance du doute sur son avenir possédait quelque chose de douloureux, sauf que toutes les douleurs ne font pas souffrir. Certaines délivrent. La sienne allait l’emprisonner quelques temps. Petit à petit, la boule qu’elle avait dans la gorge et qui l’empêchait de pleurer descendit dans son ventre et se répandit dans son corps, sourde, lourde. Elle fit quelques pas cotonneux jusqu’au fleuve qui coulait en contrebas, paisible et innocent. Sur sa gauche, un groupe de retraités jouaient aux boules, totalement hermétique à l’effervescence qui l’entourait. Deux d’entre eux même, riaient.
Elle, engluée dans son incompréhension, sentait des spasmes d’injustice secouer son ventre. Elle s’assit sans voir, enfouit son visage dans ses mains. Tout était noir.

Petite phrase

Pensée du mauvais élève : Les cours...si seulement ils pouvaient l'être.

vendredi 20 juin 2008

Moment

Dérive.

« - Teeeeerrrrrrre ! hurla la vigie. Terre Terre terre terre teeeeeerre ! » Aussitôt les quelques marins affalés à l’ombre des bastingages levèrent la tête pour voir la direction qu’indiquait le guetteur et se précipitèrent dans un même élan à bâbord. Ce n’était pas un appel c’était une délivrance. L’espoir était au bout de ce doigt, l’espoir de quitter cet espace rance aux relents de mort et de pourriture qu’était entrain de devenir leur coque à la dérive. Depuis des jours qu’ils n’avaient plus comme nourriture que des haricots secs et de la viande pleine de vers, les journées se succédaient en un morne chapelet de douleur. L’eau avait croupis dans les tonneaux et avait une odeur de vieux puit humide et terreux. Sous la chaleur accablante qui semblait avoir transformé la mer en plomb liquide, ils dérivaient aux grés des courants, privés de vent, sans qu’aucune explication n’ait pu être apporté à cette malédiction. Depuis sa disparition, le vent ne s’était plus manifesté que par sautes sporadiques, ânonnement brûlant et trébuchant. Il remuait de temps à autre avec une perversité malsaine les voiles molles qui dégoulinaient le long des vergues mais ne servait à rien d’autre qu’à énerver les espoirs déçus.
Englués ; ils étaient littéralement pris au piége de ce four infernal et n’avaient aucun moyen de s’en sortir. Ils n’avaient qu’à subir, assis ou allongés le long de leurs fantasmes contemplant de leurs regards vides leur malheur s’accrochant à eux comme une sangsue. Chaque jour ils priaient pour que le vent revienne, même en tempête peu importe mais pour qu’enfin quelque chose les fasse se déplacer, vite si possible. Mais non. Le sort en avait décidé tout autrement. Ils restaient désespérément collés à cette mer d’huile, en route vers le néant, obligés d’attendre que les éléments reprennent leurs courses et veuillent bien les entraîner avec eux dans leur élan. Leur seul but quotidien était d’éviter de mourir. Tenir, encore un peu, encore un souffle, pour que peut être la vie reprenne. Les lèvres craquelées par la soif, les yeux gonflés, mangés par le soleil et le sel, leurs déplacements sur le vaisseau ne se réduisaient plus qu’à des errements pour tromper l’ennui et la souffrance. La chaleur coulait le long de leur corps les enveloppant de son manteau moite et suffocant, étouffant dans l’œuf toute initiative.
Lorsque la vigie hurla « Teeerrrreee !!!!! » ils n’y crurent pas d’abord. Mais le silence avait était brisé avec tant de violence qu’il ne pouvait avoir menti. La vérité était dans ce cri. Et la vie aussi. L’espoir de vivre à nouveau. De reprendre en main ce qui les fuyait. Des rives dont ils tentaient tous de s’abreuver du regard, dépendaient désormais la suite de leurs vies.

jeudi 19 juin 2008

Petite phrase

Paradoxe sale : De l’or pur mon amour car l’or dure…

mardi 17 juin 2008

Conversation

« - Et tes parents ?
« - Ils sont morts mes parents.
« - Oh pa…pardon je…je ne savais pas.
« - Ben encore heureux. C’est pas marqué sur ma figure.
« - Mais…je…Pour un premier rendez vous, ça la fout mal quand même.
« - Bah comme ça c’est fait. Et puis de toute manière c’est ce rendez-vous tout en entier qui la fout mal, pas que mes parents soient morts.
« - C’était pas si mal jusque là.
« - Je joue très bien la comédie sur une courte durée. C’est quand je commence à être faux-cul trop longtemps que ça se complique. Tu trouves qu’on a l’air de quoi là ?
« - De deux personnes qui discutent, y’a rien de mal à ça.
« - Ouai, sauf que pour moi tout ça sent le plastique. Y’a pas d’odeur, pas de goût, pas d’aspérité. C’est lisse et ça glisse et moi j’ai pas de prise. Non mais regarde. J’ai même pas eu besoin de te séduire. On s’est balancé trois banalités sur internet, t’arrives déguisée comme sur ta photo des fois que je me sente trompé par la marchandise et depuis qu’on est assis l’un en face de l’autre on ne parle que de choses sans valeurs. Il a suffi que je mette un milligramme d’intimité pour que tu te sentes gêné. Tu trouves ça normale ?
« - Apprendre la mort des parents de quelqu’un c’est jamais très agréable, surtout balancé comme tu me l’as balancé.
« - T’as raison je devrai le mettre sur ma fiche comme ça ferait ça de moins à se dire et on pourrait tranquillement continué à parler dans le vide. Je crois que les rencontres sur internet c’est as fait pour moi.
« - Je crois que les rencontres tout court c’est pas fait pour toi….bon ben comme je suis pas venue pour me faire agresser mais pour passer une bonne soirée à la base, je suis désolée mais je vais pas rester avec toi plus longtemps.
« - C’est ça et bonjour chez toi. »

« - Alors ? Tu l’as baisé ?
« - Y’a que ça qui t’intéresses toi hein ? Tu l’as baisé tu l’as baisé ? Non je l’ai pas baisé. Elle s’est barrée au bout de dix minutes.
« - Quoi ? Mais comment t’as fait c’était tout cuit.
« - Je lui ai dit que mes parents étaient morts.
« - Bien. Bonne idée. Ça a du la mettre en confiance j’imagine. Pffff ! Putain mais qu’est ce que t’es allé lui raconter que tes parents étaient morts, ils pètent la forme. Tu pouvais pas partir poliment genre « heu non désolé je me sens pas bien faut que je rentre» ou un truc comme ça ?
« - Non, ç’aurait été trop facile. Je voulais la choquer. Et puis elle m’a pris la tête d’entrée avec des trucs inintéressants je te jure.
« - Ah ouais parce que toi t’as du briller de mille feux tellement t’étais intéressant non ? Te connaissant t’as du t’asseoir, la voir arriver te dire que ça aller pas le faire du tout et du coup te carapater dans un silence souriant en pensant « j’en ai rien à foutre de ce que tu me racontes. Je t’écoute même pas »
« - Exactement.
« - Mais alors pourquoi tu l’as taclé ?
« - Je voulais la faire réagir.
« - Ah ben ça a bien marché…Tu t’attendais à quoi ?
« - A ça !
« -……c’est pas comme ça que tu vas te trouver une nana mon vieux.
« - ça tombe bien j’ai pas envi de me trouver une nana. J’ai envi de trouver une femme avec qui je vais passer du temps et que tout ça sente un minimum la sincérité. J’ai pas envi de baiser Kelly Tartignolle qu’est pas assez maline pour se rendre compte que non seulement elle ressemble à une photo mais qu’en plus elle en a la conversation.
« - T’es dure.
« - Non. J’ai encore l’innocence de croire que je vais trouver. »

lundi 16 juin 2008

Petite phrase

Détermination : Apanage de ceux qui réussissent.

vendredi 13 juin 2008

Moment

Enterrement

Il n’enterrait pas ses parents, il s’en débarrassait. Dans ce matin morne plombé de ciel gris, entouré de quelques visages vieux aux regards perdus qu’il ne connaissait pas et auxquels il n’irait même pas prendre la peine de parler, il soldait les comptes d’une vie qui avait débuté sur un malentendu. Ce n’était pas qu’il ne les aimait pas ses parents, non ; c’était qu’ils n’avaient rien en commun, avec toute l’immensité que comporte le mot rien. Il n’y avait même pas eu de haine entre eux, juste une indifférence abyssale. Très vite d’ailleurs le malaise s’était installé pour ne plus jamais repartir et même au contraire, grandir. Ses souvenirs d’enfance étaient plats et sans échanges, ses parents, deux adultes fantomatiques et lointains. Lui, existait mais au milieu de l’ignorance. Se hissant dans le silence et envahissant sans complexe l’espace de leurs vies qui n’avaient rien à se dire cette engeance avait trouvé dans cette agglutination de personnes sans liens entre elles, le terrain idéal à son épanouissement bestial.
En regardant aujourd’hui leur tombe, il se souvenait avec horreur de ces longs repas sans un mot, sans un regard ; ces longs repas le nez plongé dans son assiette, nageant dans un ailleurs bien meilleurs que cet espace. Le rituel du repas était absurde mais il subsistait comme une mauvaise habitude et comme personne ne voulait le remettre en cause, alors on s’asseyait et on mangeait. Dans ces moments là son père aurait pu gifler sa mère qu’il ne s’en serait même pas rendu compte. Mais son père n’aurait jamais fait ça. Oh non ! Son père était bien trop effacé pour faire une chose pareille. Son père était comme le ciel de ce matin ; tristement gris, lourdement neutre. Alors on ne faisait rien. On mangeait et puis on allait regarder la télé, avant de partir se coucher, chacun de son côté. Une vie en parallèle les uns des autres.
Pour des raisons médicales obscures mais sûrement fausses il n’avait jamais eu ni de frère ni de sœur. Plus tard il en avait déduit que ses parents s’étaient découragés à sa simple arrivée ; qu’il avait un peu trop dérangé un quotidien bien rangé. Ses géniteurs s’étaient fait avoir une fois et ils avaient tout fait pour que la mésaventure ne se reproduise pas.
Toute son éducation n’avait consisté qu’à lui faire comprendre que sa place était celle de celui qui ne devait pas faire de bruit, pas bouger. C’était d’ailleurs la seule chose pour laquelle il les avaient jamais remercié. Cette instruction fade et insipide avait allumé en lui un feu inversement proportionnel à leurs demandes. Cette rigidité dans l’effacement de soi, après l’avoir un temps accepté, il avait dés sa préadolescence commencé à la faire voler en éclats, à la déconstruire minutieusement et du carcan lourd sous lequel ils avaient voulu l’étouffer il s’était fabriqué un tremplin de liberté. Alimenté par ses lectures, la vie qui courrait dans ses veines et sa curiosité insatiable il c’était éloigné pour ne plus jamais revenir. La pension d’abord, à sa demande, la faculté ensuite puis les études à l’étranger. Pas pour fuir. Pour voir encore et encore, boire à toute cette vie à laquelle on avait tenté de le substituer, à toute cette folie si joyeuse et débordante qui envahissait la terre et dans laquelle il se sentait maintenant si bien. Longtemps il c’était interrogé pour tenter de savoir comment ces gens avaient pu enfanter de quelqu’un comme lui, comment il avait pu devenir l’adulte qu’il était maintenant issu de ce cocon stérile. Il n’avait jamais vraiment trouvé de réponses. Il avait juste fini par accepter.

mercredi 11 juin 2008

Poème

L’éclat

Réduire
Jusqu’à l’épure
Jusqu’à faire luire
Le plus impure
Des mots d’amour
Pour te donner
Ma belle de jour
L’éclat doré
Du mot toujours.

lundi 9 juin 2008

Absurderie

Le monte en l’art.

Il est arrivé un matin, avec son art un peu bizarre. D’entrée personne n’a pu le voir, on a tous été formel au moins sur ce point. Il se tenait voûté dans son grand imperméable noir, son chapeau melon vissé sur la tête ; sur son nez de drôle de lunettes et au bout de son bras droit, une canne. Une canne immense qui prolongeait ses bras gigantesques dont il usait à la manière d’un chef d’orchestre. Il avait l’art de s’en servir comme pour prolonger sa pensée. Il dessinait avec, des arabesques aériennes et rares étaient les moments qui la voyaient calme et sereine.

Mais ce qui nous intrigua le plus dés le début, c’était les absences qu’il pouvait avoir. Autant il savait être volubile et occuper l’espace, mobile et habile de sa démarche de funambule pris dans la tempête, autant en moins d’une seconde sans que rien ne prévienne, il pouvait suspendre son mouvement dans les arts, figé dans le hasard. Son regard s’éloignait alors, accroché à une pensée de passage et il disparaissait, absorbé par des images, des musiques, des chevauchées héroïques.

S’en suivait de longs monologues envahissants, océan de paroles, d’actes, de mouvements. On aurait dit une danse, une représentation de théâtre, un ballet, affolement fragile dans lequel rapidement nous n’arrivions plus à savoir quel était le but de toute cette agitation. Souvent l’or de ces démonstrations l’art autour de lui, devenait irrespirable. Il lui fallait alors l’espace, le temps, du matériel et si possible des ailes pour retranscrire ce que sa balade imaginaire avait gravé comme souvenirs dans son esprit.

« - Des souvenirs ?! nous dit il un jour à mi-chemin entre la surprise et l’exaspération. Ce ne sont pas des souvenirs. Des sensations, des émotions, des idées que je tente avec mes faibles moyens de hisser entre mon monde intérieur et celui où nous cohabitons. Ce ne sont pas des souvenirs. Les souvenirs sont figés. Ce dont je me sers vie, explose, se détruit et se reconstruit sans cesse dans un vaste mouvement permanant. Je monte je descend je puise et m’épuise dans des tourbillons de sentiments et puis je rentre, chargé de couleurs, d’odeurs…il ne me reste plus alors qu’à bricoler pour essayer de matérialiser ce que j’ai vécu. Pourquoi ? Pour rien. Juste comme ça. Parce qu’après tout, faire cela n’est pas plus bête que courir après un ballon, chasser le phoque ou manger du poisson. »

C’était dans ces moments là que son art était le plus étrange. Contrairement à l’art pur que l’on respire aux sommets des académies, le sien semblait saturé de tout, loin des formats en entonnoirs et des idées claires que l’on pouvait y voir. Un art fait d’anarchie, de frontières franchies et de trésors découverts. Remonter à l’art libre comme à une source, c’était peut être ça en fait qui lui donnait cet art si bizarre.

samedi 7 juin 2008

jeudi 5 juin 2008

Portrait

Marée d’été.

Juste après le jusant, lorsque la mer laisse gisant pour un temps court, les bateaux affalés sur le flanc, vient le moment où se dénude une partie de l’océan, offrant aux hommes sur l’estran, un bref aperçu de ses secrets. Le temps de l’étale le vent se repose, ne poussant plus qu’avec nonchalance quelques voiliers traînant au large. Le soleil, écrasant de chaleur prend toute son ampleur, asséchant de son souffle chaud et lourd les fonds marin mis à nu. C’est là, dans les flaques d’eau ténues, retenues par les rochers et les dépressions de sable, au milieu de ce chaos glissant et lisse que se cachent des trésors abandonnés par la mer.
Alors, équipés de crocs de fer, de pelles, de sceaux, d’épuisettes et d’espoirs enfantins, le pêcheur estival part à l’assaut de la forteresse dévoilée. Les vagues au loin, calmes et impatientes attendent le signal de la course qui les autorisera à reprendre le terrain qu’elles ont abandonné quelques heures plus tôt, semant derrière elles de petits morceaux d’océan brut. Mais pour l’heure dans les flaques chaudes, des algues immobiles et fières, attendent le retour du courant pour reprendre leur danse au rythme mou et cadencé. Elles abritent au sein leurs bras souples, crevettes et alevins, explosant comme des traits d’arbalètes à la moindre ombre effleurant leur espace restreint. Mais il suffit d’attendre une poignée de secondes, immobile sur la grève de cette mer miniature, pour les voir reprendre fébrile, leur ballet délicat.
Un peu plus loin, quelques crabes téméraires s’aventurent en dehors de leur refuge aquatique pour aller courir le monde, parcourant de leur démarche diagonale des distances infimes.
Et au milieu de ces fragments d’océan épars, de petits pilleurs en bobs et émerveillement, ramassent ce que le hasard de leurs nasses capture. Plus loin, beaucoup plus loin, des hommes sont partis cueillirent, avec bottes et filets, coquillages et crustacés. Puis le vent tourne, rouvrant les vannes de l’invasion maritime. La mer de son pas allègre et sûr reprend ses droits, libérant les prisonniers de leurs aquariums éphémères, leur offrant de nouveau la liberté toute entière.
Les hommes rentrent au rythme que leur impose le flot et retrouvent leurs frontières. Les bateaux doucement, reprennent leurs balancements passifs. La fraîcheur turbulente du vent écarte faussement la chaleur d’un revers remuant. L’heure maintenant est aux châteaux de sable que l’eau avalera avec voracité et indifférence l’onde fluide et impassible ne laissant jamais sa place, qu’un temps seulement.

dimanche 1 juin 2008