jeudi 10 décembre 2009

Petite phrase

Je crois en toi, démon qui, dément, défie ma foi méfiante.

mardi 8 décembre 2009

Petite phrase

Je croise en toi, des monts qui, déments, défient ma foi méfiante.

lundi 7 décembre 2009

Fuite

Fuite

Elle était la seule à croire
Que m’aimer lui donner à voir
Toute ma vie.
Une vie
Peinte à la va-vite
Une esquisse
Qui s'était écrite
Sur le timbre
D’une voix fêlée
D’un espace brisé.

Les jours
Succèdent aux jours
Sans liens
Morceaux
De rien,
Notre amour
C’est effilé
Et sans retour
C’est défilé.

samedi 28 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Lutins.

« - Monsieur ? Monsieur ? Hein les arbres ils parlent aux gens ? Et entre eux aussi. Hein c’est vrai ? »
En ce début d’après-midi brûlante, je m’étais légèrement endormi sous un des arbres du parc. J’étais venu pour lire un livre que j’avais commencé il y avait des lustres et pour trouver un peu de fraîcheur aussi. Mais j’avais rapidement sombré dans le sommeil, bien avant même d’avoir lu une page dans son intégralité. La nuit courte et festive de la veille couplée à une chaleur accablante et à ce mauvais roman à l’histoire aussi saugrenue qu’alambiquée avait eu raison de ma faible volonté à rester éveillé. Je m’étais donc laissé complètement aller dés les premières attaques de la sieste, heureux quelque part, qu’elle arrive si vite.
De toute façon dés en partant de chez moi je me doutais bien que transporter ce livre de mon appartement à la pelouse du parc n’allait pas le rendre beaucoup plus attrayant. Mais l’idée d’être juste assis sans rien avoir à faire d’autre que regarder les gens passer m’angoissait. Alors j’avais pris ce bouquin histoire de me donner un peu de contenance. Un peu comme j’aurai pris une paire de palme pour aller à la plage, tout en sachant pertinemment que je détestais m’en servir.
Bref, mollement avachi le long du tronc, tentant sans trop y croire de garder un minimum de dignité en lisant et relisant quinze fois la même phrase, j’avais finis par me laisser entraîner par mes propres histoires, bien plus intéressantes. Je naviguais donc dans cet étrange entre monde dans lequel on croit que l’on dirige ses rêves, espace irréel où l’on est certain d’être le maitre de ce qui arrive jusqu’à ce que le réveil vous saisisse et que vous réalisiez à quel point vous étiez enlisé profondément dans le sommeil, loin, bien loin des rives de la réalité.
Moi mon réveil ce jour-là s’incarna en un petit garçon blond au visage parfaitement innocent et au regard fort sérieux. Il devait avoir cinq ou six ans et était accompagné d’une petite fille et d’un autre garçonnet sensiblement plus jeunes. Cet auditoire juvénile me scrutait avec autant d’attention que si j’avais été le dernier survivant sur la terre. Encore enveloppé du brouillard de mes rêveries je bredouillais une réponse pâteuse à propose de cette histoire d’arbre qui parle :
« - De euh…pfff…euh…non. Je crois que non euh…enfin peut être après tout j’en sais rien.
« - Et ils se disent quoi entre eux ? » enchaîna aussitôt mon petit inquisiteur. J’avoue qu’à cet instant la situation me parut un brin surréaliste. Tout en me redressant de mon avachissement pour tenter de reprendre une position à peu prés correct, je jetais un regard circulaire dans l’espoir de voir arriver l’un des parents. Mais rien. Tous les adultes étaient assis sagement sur les pelouses et devisaient entre eux pendant que tous les enfants courraient par grappes dans la touffeur qui les indifféraient. Exceptés les trois miens qui voulaient savoir ce que disaient les arbres aux hommes ou inversement. Un peu pris de cour je balbutiai tout en tentant de rassembler mes idées encore éparpillées :
« - Eh ben ils se disent euh… je ne sais pas moi, la même chose que nous sûrement. Ils se demandent des nouvelles pour savoir si tout va bien par exemple.
« - Et tu crois qu’ils comprennent ce qu’on leur dit ? »
Je n’ai jamais aimé les enfants. Leur spontanéité presque impulsive à poser des questions quasiment avant d’avoir la réponse m’a toujours fatigué, particulièrement chez les tous petits. C’était comme si les réponses importaient peu et que seul comptait le feu nourri de leurs impulsions interrogatives. Je trouvai ça épuisant, tout autant que leur capacité à gesticuler, courir et hurler des heures durant sans aucun moment de pause. J’étais un calme et pourquoi ne pas l’avouer, un mou. Un dilettante qui aimait à marcher d’un pas de sénateur dans la vie et qui appréciait peu d’être bousculé. J’étais très heureux comme ça.
Mais là, cerné par cette cour, adossé à mon arbre avec l’impossibilité de m’échapper et soumis à la question comme si nous étions revenu aux temps de l’inquisition, j’étais l’objet d’une attention trop assidu pour me sentir tout à fait à l’aise. Perdu dans mes conjectures pour trouver une porte de sortie à la fois digne et efficace, je ne vis pas venir l’interrogation suivante :
« - Et qu’est ce qu’il t’as dit à toi l’arbre ? » Autant j’avais été surpris par les autres questions, autant celle-ci me laissa complètement sans voix pendant plusieurs secondes. Mais aucun d’eux ne baissa le regard ou ne sembla envisager l’incongruité de ce qu’il venait de dire. La petite fille insista.
« - Ben oui quand tu faisais dodo tu parlais. On parle pas normalement quand on fait dodo. Ou alors c’est qu’on est fou. T’es pas fou toi hein ?
« - Non ! Non non je ne suis pas fou, répliquais-je en souriant bêtement, enfin pas que je sache en tous les cas, rajoutais-je à voix basse.
- Alors vous vous racontiez quoi toi et l’arbre ? »
Je voyais bien qu’il allait être difficile de me séparer d’eux. J’aurai très bien pu me lever et partir en ignorant leurs questions mais si je n’aimais pas les enfants je n’aimais pas pour autant les savoir tristes, surtout si c’était de mon fait. Mais là vraiment je ne voyais pas ce que je pouvais leur raconter. Je tentais une première esquive en lançant un pathétique mais sans conviction :
« - Rien. On ne c’est rien dit les enfants. On ne c’est rien dit parce que je ne parle pas aux arbres. » C’était comme si chaque mot avait été une gifle ou une punition particulièrement sévère et injuste que je venais de leur infliger. Avec cette phrase je sentais que je venais de briser quelque chose d’important de leur imaginaire. Quelque chose qui avait trait avec la certitude. Leur raisonnement était d’une logique si infaillible qu’il était évident que si je parlais c’était que je parlais à quelqu’un et n’étant entouré de personne au moment même de mon forfait, le seul être potentiellement crédible de recevoir mes confidences était l’arbre sous lequel je me reposais. Face à leurs regards lourds et accusateurs, un malaise me saisit. D’évidence à leurs yeux je mentais. Et être un menteur semblait être une sacrée tare. Je tentais de sourire tout en écarquillant les yeux pour essayer d’amoindrir le choc mais ce fut pire que tout. Je sombrai dans le ridicule accompagné de leur silence soupçonneux en diable. Ils ne bougeaient plus, attendant je ne sais quel revirement de ma part. Celui-ci survint sans même que j’en ai conscience. Guidé par un sentiment de culpabilité et de gêne, je finis par bredouiller presque malgré moi :
« - Non mais euh…C’est que ce qu’on se dit dans ces moments là, c’est un peu secret vous voyez ? » L’énormité de ce que je venais de raconter eut pour effet immédiat de rallumer la joie des bambins. De façon inversement proportionnelle, mon angoisse explosa. Je tentais de réfléchir à ce que je venais de dire pour essayer de trouver un moyen de rebondir mais la petite fille en levant les bras me demanda presque en criant :
- C’est secret pourquoi ? Tu vas être puni si jamais tu nous le dis ? » Je me raccrochais aux branches, trop heureux qu’elle me propose elle même, un échappatoire :
- Oui voilà c’est ça. C’est exactement ça. Je serais puni C’est très secret et je ne dois en parler à personne d’autre qu’à l’arbre.
- Et qui c’est qui te punira ?
- Ben le lutins magiques tiens pardi, s’enflamma celui qui m’avait réveillé. Ceux qui gardent les arbres et qui vivent dans leurs racines. Je le sais. Mon papa m’a raconté hier soir leur histoire. Hein c’est vrai que c’est les lutins qui te punirons ? Peut-être même qu’ils te transformerons en champignon ou en limace.
- Beuuuh ! C’est nul les limaces. » fit le plus jeune en trébuchant un peu sur les mots. Je ne sais pas si ce fut cette flambée imaginative qui contribua à stimuler la mienne ou bien l’enfant qui sommeillait encore en moi qui se révolta face à la perspective d’être transformé en limace mais toujours fut il que je répondis du tac au tac :
- Non mais non hé ho ! Ni champignon ni limace. Moi je ne crains personne parce que cet arbre est mon ami et qu’il me protégera quoi qu’il arrive. Mais si je ne vous en dis pas plus, ce n’est pas parce que j’ai peur d’être transformé en quoi que ce soit, je n’ai peur de rien moi, mais c’est juste que ce que nous avons partagé l’arbre et moi, il m’a demandé de ne pas le répéter. Vous répéteriez un secret qu’un de vos amis vous aurez confié vous ? Un secret que vous auriez juré de ne jamais dévoilé ? » Je pus lire à ce moment là une certaine admiration sceptique sur leurs visages. Bien sûr qu’il était hors de question de trahir un secret. Pour rien au monde cela ne devait se produire. Surtout si votre ami vous avez demandé de garder la chose pour vous.
« - Mais quand même tu parlais bien avec l’arbre tout à l’heure ? » insista la petite.
« - Oui, je parlai avec l’arbre tu avais raison.
« - Ah tu vois on te l’avais dis que c’est vrai qu’on peut parler avec les arbres » dit celui qui m’avait réveillé en se tourna vers le plus jeune. Ils se levèrent comme d’un seul homme m’ignorant complètement et tout en repartant vers un bosquet je les entendais dire :
« - Donc tu vois il faut lui demander à l’arbre avant de lui couper sa branche. Je le savais personne veux jamais me croire, vous m’énervez à la fin. »
Complètement réveillé maintenant, je continuai à les observer un long moment. J’étais sorti de leur monde aussitôt qu’ils avaient eu la réponse qu’ils attendaient de moi et rien ne semblait indiquer qu’à aucun moment, je ne devais de nouveau croiser leur route.

mercredi 11 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le baiser

Le baiser souleva dans son ventre une vague d’adrénaline qui explosa dans son crâne et à travers tout son corps comme une violente décharge. Si la joie était la principale pourvoyeuse de cette excitation, une puissante teinte nostalgique colorait l’ensemble. Elle se délecta de ce cocktail Molotov avec autant de passion que s’il c’était agi de son premier baiser. Du même que celui qu’elle avait échangé avec Xavier son amour de collège, un soir de mai et qui ressurgissait juste à cet instant, inexplicablement.
Elle avait aujourd’hui trente cinq ans et si elle ne c’était jusque-là jamais laissée envahir par les images du passé, elle sentait monter en elle pour la première, dans les prémisses de cette nuit finissante, une irrésistible envie de revenir en arrière. Il y avait dans ce baiser, bien plus que l’aboutissement d’une séduction enivrée et terriblement sensuelle. Il y avait la concrétisation de la fin de cet amour qu’elle avait cru partager avec son mari pendant quinze ans et qui l’avait conduite à ce désastre qu’était l’oubli d’elle-même. Il y avait toutes ces envies réfrénées, ces actes manqués, ces petites frustrations et ces grosses contrariétés sur lesquelles elle c’était construit une nouvelle personnalité.
A la sortie de l’adolescence, elle était alors tellement sûre qu’elle était une adulte accomplie que rien ne la faisait douter quand à l’amour qu’elle éprouvait pour l’homme qu’elle venait de rencontrer. Elle c’était jetée à corps perdue dans l’aventure du couple sans se poser la moindre question. Leur premier était arrivé par hasard et par envie. En l’apprenant, ils avaient ri. Puis lui avait trouvé un poste important loin de leur ville natale. Il avait quitté les amis, la famille, pour tout reconstruire ailleurs, ensemble. Elle, c’était dit qu’elle trouverait une fois sur place. Protégée par celui à qui elle avait liée sa vie, elle avait déroulé toute la panoplie de la femme heureuse sans jamais prendre le temps de s’interroger sur la signification de tout ces rituels. Mariage, deuxième enfant, achat de maison. Petit à petit, sans bruit, le quotidien s’était installé, l’avait étouffé. Pris par un boulot qu’il considérait désormais comme sa priorité, il la laissait assurer avec de plus en plus de distance une intendance qui lui incombait entièrement.
Les premiers moments de solitudes surgirent avec les nuits à attendre. De réunions en séminaires, de formations en voyages d’affaires, sa vie se retrouva cantonnée à espérer que tout ceci dure le moins longtemps possible. Mais c’est l’inverse qui se passait. L’espérance glissa vers la patience qui rapidement, se mua en errance au milieu d’une maison et d’une vie qui lui était de plus en plus étrangère. Elle aimait s’occuper de ses enfants là n’était pas la question. Mais les interrogations commencèrent à effleurer, pour se faire de plus en plus pressantes, de plus en plus perçantes et pour finirent par devenir complètement oppressantes. Ce n’était pas ça qu’elle voulait. Ce n’était pas ça qu’elle avait imaginé. Lui non plus d’ailleurs. Les disputes succédèrent aux moments de glaciations. Les reproches se transformèrent en revendications. Chacun isolé dans sa vie regardait l’autre comme un étranger, lui jetant au visage son lot d’incompréhensions incohérentes. Puis était venu la séparation.
La solitude malgré les enfants, continua de grandir. Elle était comblée de temps à autres par des repas avec des amis, des nuits festives qui faisaient remonter sans cesse les souvenirs de jeunesses. Cette époque qui avait glissé si vite et qu’elle ne voulait pas voir totalement révolue. A trente cinq, pouvait elle sérieusement se considérer comme vieille, ou même mûre ? Non bien sûr, loin de là. Elle avait encore tellement de chose à faire. Lorsque le garçon qui la tenait dans ses bras pour l’embrasser desserra son étreinte, elle baissa presque aussitôt les yeux au sol. Elle appuya sa tête contre son épaule. Elle ne voulait pas le voir. Elle voulait juste se sentir en sécurité, accompagnée de l’illusion charnelle de ce sentiment que ce soir peut être, tout pouvait de nouveau recommencer.

jeudi 5 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le vieil homme et la guerre.

Et l'espace d'une seconde, à la fin du repas, le temps s'est suspendu. Il s'est un peu affaissé sur sa chaise et son regard s'est fixé sur moi :
"- J'ai fait la guerre tu sais..." Il m'a dit ça comme on confie un secret dont on a honte mais qu'on ne peut plus garder pour soi parce qu’on ne sait plus quoi en faire, parce qu'il est devenu trop lourd, trop pesant pour un homme seul. Il a continué à regarder la nappe en la caressant d’un geste mécanique de ses doigts noueux légèrement repliés, les yeux toujours dans le vague.
"- Alors moi quand j'entends parler de la guerre, quand j'entends à la télé qu'il y a des gens qui vont mourir, des femmes et des enfants, je sais ce que ça veut dire. Je sais que c'est moche...qu’y a des gamins qui vont plus dormir des deux côtés...parce que dans ces moments là tu vois des choses…tu vois des choses qu’y vaudrait mieux pas voir...Tu deviens fou. C’est comme un cauchemar dont tu peux plus partir. T’es enfermé là et tu fais…tu fais ce qu’aucun homme ne devrait avoir à faire, jamais. Et puis après, on te laisse avec tout ça. Avec tes souvenirs qui te bouffent parce que les souvenirs c’est comme des vers dans un cadavre, ça s’en va pas t’en qu’y a encore des trucs à grignoter. Et moi toutes les nuits, tous les jours, dés que j’arrête, je sens que ça se met à grouiller dans ma tête. Ça se met à me démanger et à me manger le cerveau. T’es plus jamais tout seul après ça. T’es toujours accompagné par l’ombre de la mort et le poids du remord. "
En même temps qu’il me parlait, je pouvais lire dans ses yeux : « - Dis moi ! dis moi toi qui n’a pas connu la guerre, que j’ai eu raison de faire ce que j’ai fait. Que j’ai eu raison de fuir tout ce que j’avais pu détruire et qu’ici, loin de ma terre natale, avec ce que j’ai pu reconstruire, je peux me dire que finalement, je n’ai pas eu une vie si honteuse. Evidemment ça n’est pas fini. J’aurai encore tellement de choses à faire, tellement de choses à fuir. Mais s’il te plait, dis moi que je n’ai pas tord… »
Sa femme est revenue avant que je ne puisse prendre la parole avec les cafés fumants, les petits gâteaux qu'elle avait fait elle même et toutes ces petites douceurs qui jalonnaient leur quotidien et qu'ils me faisaient partager depuis quelques jours. La conversation reprit son cours, innocente et altière parce que elle, ne voulait pas entendre parler de la guerre. Parce qu’elle en savait sûrement déjà trop et qu’elle savait surtout qu’il n’y avait plus rien à rajouter ni à pardonner. Elle savait qu’ils devaient faire avec. Elle comme lui.
On a continué à parler recettes et pêche au gros. On a continué à parler de la vie, de leur vieillesse, de ma jeunesse, du hasard de notre rencontre et du programme des jours à venir. On a continué à descendre ensemble le long des flots innocents de ces quelques jours que j’étais venu passer là.
Mais ce soir-là, lorsque je l'ai vu assis devant sa télé, regardant défiler les images des informations avec sa mine fatiguée et sa respiration lourde, j'ai vu un homme qui arrivait au bout de son combat. J'ai vu un homme qui commençait à se sentir faiblir et qui savait que bientôt, très bientôt, il n'allait plus pouvoir bouger autant qu'avant, plus pouvoir remplir l'espace et vider sa tête. Ses démons se rapprochaient et il les sentait monter du plus profond de ses cauchemars. Il les sentait le guetter dans l’ombre au coin du lit. Toutes ces images d’horreurs qui lui raccourcissaient ses nuits depuis tant d’années, toutes ces visions de violence qu’il avait fui avec tant d’énergie depuis qu’il était revenu, il les sentait maintenant se profiler comme un courant d’air froid et glacial. Et bientôt, très bientôt, il allait devoir les regarder en face.

samedi 31 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Lâcheté

C’est par mille petits gestes qu’il tua leur couple. Il n’était pas un grand coupeur de tête, un type à esclandre qui quitte sa compagne en cassant la vaisselle, jetant à la figure de l’autre toute sa haine et toute son impuissance. Non. Lui était un besogneux un peu lâche, un peu faible qui, n’osant clamer la vérité pour achever leur histoire, avait préféré emprunter les chemins sales et sinueux du louvoiement, de l’étranglement méticuleux. Sans brusqueries mais surtout sans bruits, la privant d’air sans en avoir l’air, étouffants ses espoirs en masse sous l’édredon doux d’occupations aussi divers qu’inexistantes, il espérait arriver sans forcer à ses fins.
C’était donc sciemment qu’il avait laissé s’installer un terrain neutre entre lui et sa femme. De sorte que se côtoyer était devenue pour eux une habitude ; que cette habitude s’était muée subrepticement en un monceau d’indifférence et que cette indifférence avait asphyxié la moindre initiative, reléguant ce qu’était leur couple à un souvenir lointain et poussiéreux. Leurs existences n’étaient plus que deux parallèles suffisamment proches pour faire croire qu’elles pouvaient encore échanger quelque chose mais si hermétiquement séparées que rien jamais, ne les amèneraient de nouveaux à se croiser. Il avait dilué avec tellement d’application sa fuite, il avait tant camouflé les traces de sa veule échappée dans la continuité des jours gris de son existence terne qu’il était certain qu’elle avait pratiquement perdu sa trace.
Enserrant avec application dans les filets de son indolence apathique cette vie de couple dont il ne voulait plus, posant mille et une petites contraintes comme autant de pièges subtils, laissant filer par abandons successifs mais répétitifs, sa femme ou du moins ce qu’elle représentait encore pour lui, il savait qu’à ce rythme le poison de l’ennui et de l’indifférence allaient tôt ou tard lui faire gagner la partie. Tout n’était qu’une question de temps.
Ce n’était pas qu’il ne l’aimait plus sa femme. C’était surtout qu’il n’avait jamais compris pourquoi ils avaient fait un bout de chemin ensemble. Leur excitation sexuelle des premières semaines avait très rapidement laissé place à un quotidien morne et sans allant. Il avait bien cherché à la quitter à l’époque mais elle était tombée enceinte alors comme il n’était pas non plus un salop total, il était resté. Le gamin l’avait occupé un temps, elle qui ne travaillait pas. Mais le gosse avait grandi et puis bien sûr, il était parti.
Comme il fallait bien qu’elle s’occupe de quelqu’un, elle était revenu vers lui. Pas avec amour, mais avec attention. Il avait beau rentrer tard, partir loin à des réunions et des séminaires pendant des semaines entières, à chaque fois qu’il revenait, elle était toujours là. C’était à croire qu’elle ne se lassait pas. Pourtant il faisait tout pour ne rien arranger. Mais il ne savait pas être violent. Il ne savait pas rendre les gens tristes. Alors il faisait tout pour se faire oublier, espérant secrètement qu’elle prenne bientôt la bonne décision, le laissant enfin seul. Seul, comme il était déjà depuis bien longtemps.

jeudi 29 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Crépuscule

En se couchant derrière la colline, le soleil semblait provoquer un incendie silencieux. Tout le monde savait que c’était la fin, que la nuit allait gagner et que les dégradés de rose, de pourpre et de rouge allaient bientôt être étouffés par le noir constellé d’étoiles lointaines. Le spectacle du passage du jour à la nuit n’amenait néanmoins dans son sillage, ni sentiment de victoire, ni sentiment de défaite. Juste une profonde sensation d’abandon délicieusement palpable. Le train démarra.
Petit à petit dans le creux des vallons, les lumières des maisons commençaient à percer des trous de chaleurs dans l’encre dense qui les englobait. On aurait une mer qui montait. Une mer noire, calme, implacable. Au loin, les derniers rayons s’escrimaient à illuminer une partie du ciel. Celle située juste au dessus de l’horizon. Pressé de sortir, le baroude d’honneur du soleil prenait une dernière ampleur, se teintant de sombre sans même qu’il ne s’en rende compte.
Perdu dans mes pensées je contemplais ce combat de titans, bercé par le rythme doux du train. Des pensées aux rêves, je franchis la frontière sans même m’en apercevoir. Je m’imaginais finir comme Bergman. Seul. Isolé sur une île. Ecoutant de la musique en regardant la mer, ne composant plus que des histoires pour moi même, heureux de m’en nourrir avant de m’en aller mourir.
Parce que j’aimerai mourir comme ça. Comme la nuit remplace le jour. Doucement. Avec certitude et délicatesse. Tout en lenteur et en nécessité. Je me laisserai filer en finesse, jusqu’à l’irrémédiable.
Dehors il faisait maintenant complètement nuit. Une mince bande vermeille sombre rougeoyait encore juste au dessus de la mer. Mais elle était loin, loin. Le combat était perdu. La force n’y était plus. La nuit avait vaincu.
C’est à ce moment là que je me mis à repenser à cette femme avec qui je travaillais plusieurs années auparavant. C’était une femme simple, joyeuse. Une femme qui voyait son travail comme l’aboutissement d’un quotidien qui de toute façon lui aurait échappé s’il n’avait pas été là. Elle accomplissait donc sa tâche comme tous le monde, comme depuis toujours et comme d’autres le feraient après elle. Et puis elle eut un infarctus. A cet âge où l’on ne pense pas encore à la retraite mais où l’on commence malgré tout à prendre ses dispositions. Elle a eu un infarctus comme un pays subit un tremblement de terre. Violent, dévastateur. Ne laissant derrière lui que le spectacle de ce que l’on a pu subir ou l’espoir de se reconstruire. Mais pas les deux. Elle, avait survécu mais n’avait plus su voir désormais, que la mort à venir. Elle l’avait frôlé de si prés que ce n’était plus la vie qui était resté accrochée à elle qui la portait, mais le pan de ce qui avait été emporté qui la lestait. Cet infarctus l’avait ébranlé d’une telle force qu’elle n’était plus qu’un champ de ruine et que l’idée même de se reconstruire était morte avec son accident.
Je l’avais croisé quelques années plus tard totalement par hasard, dans les allées d’un parc. Physiquement, elle n’avait gardé aucune séquelle. Peut être avait elle un peu vieilli. Mais elle, sa personne dans son ensemble, portait dans sa chair les stigmates de la dévastation passée. Son phrasé avait changé. Il était devenu laborieux, distant, indifférent et sans reliefs. Ses épaules c’étaient affaissées. Son sourire n’était plus qu’un rictus douloureux parce qu’il ne voulait plus être heureux. Elle souriait parce qu’il fallait bien, par politesse, mais pas parce qu’elle le voulait. Et ce qui incarnait le plus son renoncement était son regard. Il était absent son regard, comme si elle était déjà un peu parti et qu’elle ne pouvait plus voir le monde réel qui l’entourait.
Dehors il faisait nuit maintenant. Complètement nuit. Les réverbères et les fenêtres formaient des tapis de lumières mais le soleil avait disparu. Totalement.

samedi 24 octobre 2009

Poème

Les traces du savoir

Celui qui suit
Celui qui sait,
S’expose
À servir sans cesse
Un sacerdoce
Qui n’est pas le sien.

jeudi 22 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le soir au concert

Ils avaient du feu dans les doigts, les musiciens. Ils en avaient tellement que la première fois que j’ai ouvert la bouche après le concert, j’ai parlé des magiciens et pas des musiciens. Les notes diaboliques qu’ils faisaient sortir de leurs instruments étaient si intensément juste que les écouter ne c’était pas simplement cantonné pour moi à entendre du son mais plus à m’abandonner à une sarabande spontané, à me laisser emporter par un flot aussi dense qu’imparable. Un flot tournoyant, exubérant, qui c’était emparé de mon cerveau sans aucune retenue, ordonnant à mes jambes de ne pas, de ne surtout pas, rester immobile. Dés les premières mesures je m’étais mis à battre le tempo du pied, du genou, du bassin, pulsation envoûtante faisant vibrer mon corps à l’unisson de la musique, me poussant à chaque nouveaux battement, un peu plus proche de l’abîme. Le talent du groupe avait fait le reste, me projetant en avant, arrêtant le temps, le réduisant à un instant charnel à défaut d’être éternel, allumant un incendie autour de moi, m’obligeant à me lancer dans une série de gesticulations aussi désordonnées que nécessaire comme si soudain le sol s’était transformé en un tapis de lave et que ma vie même, était devenue une partition.
Si le guitariste avait été l’allumette qui avait mis le feu aux poudres, le groupe dans sa totalité, n’était qu’un baril de nitroglycérine.
Protégé derrière son chapeau noir, son regard rivé sur sa guitare, calmement posé sur son tabouret, il opérait je ne sais quel maniement occulte qui avait fait vibrer instantanément la salle, l’air, mon cœur. Il ne jouait pas des notes. Il les faisait danser du bout de ses doigts fins le long des cordes, se servant de celles-ci comme l’aurait fait un archer, fichant les flèches de sa musique au plus profond de nous, nous inoculant à chaque nouveau carreau, un peu plus de ce poison rythmique. Plus personne n’avait d’autre but, d’autre envie, que danser. Danser et rire, danser à en devenir ivre. Danser à en oublier le monde, explosant l’espace et le temps, réduisant le tout à une simple mais vitale pulsation musicale.
Sans violence ni effet de manche, sans spectacle ni démesure, il suivait avec application son inspiration, entraînant dans son sillage au hasard si contrôlé, les spectateurs hypnotisés.
L’émotion n’était pas suggérée, elle était palpable, envahissante, pleine. Elle me pénétrait par les yeux, par les oreilles, par la bouche et par tous les pores de la peau comme une transpiration inversée et obsédante. Les notes parcouraient mes nerfs comme autant d’impulsions électriques vibrillonantes et prenaient possession de mon corps. J’étais une marionnette. Un élément même de la musique.
Lorsque la lumière s’est enfin rallumée et que la magie s’est retirée dans les coins sombres de la salle, aveuglée par les conversations lourdes et la lumière blanche des plafonniers, mon esprit marqué au fer rouge en redemandait encore. Drogué sevré de sa dose, il avait connu l’illusion de l’extase, emprisonné par les jeux de lumière et de musique avant d’être replongé dans le réel sans autre forme de ménagement. Tout autour de moi, je percevais des bribes de conversations. Chacun tentait comme il le pouvait d’entretenir le feu, se fabriquant déjà, à grandes lampées d’anecdotes, les bases des premiers souvenirs. Mais moi je voulais plus. Plus que simplement me rappeler, me remémorer encore et encore les mouvements ondulants et violents de cette mélopée démoniaque. Je voulais vivre et revivre ce moment unique, prolonger à l’infini ce voyage que je venais de faire et que je sentais encore tout autour de moi, là, juste à portée de main.

samedi 3 octobre 2009

Six fois...


Le vélo blanc dont il avait crevé les roues ce soir là, était le premier vélo sur lequel il était tombé en sortant de chez lui. Le premier maillon d’une chaîne dont il se servait désormais pour fouetter de temps à autre le visage d’une société qu’il trouvait trop placide, trop matérialiste. Il c’était habillé d’un jean simple, d’une paire de baskets sombres, d’un tee-shirt blanc sans marque, d’un sweat noir à capuche et dans la plus grande discrétion, sans portefeuille et sans but, il était descendu dans la rue, abrité par la nuit. Ce soir là, au fond de lui, ce premier soir où il avait arpenté les rues comme un anonyme volontaire, quelque chose avait basculé. Entre excitation et sensation grisante de liberté, il c’était à mis à détruire au hasard, des objets qu’il croisait, gonflé du sentiment qu’enfin sa vie par ce geste prenait un sens.
Assis dans son appartement bien propre, au sein de son quartier si lisse, opérant le pendule si sage maison-boulot comme un simple automate de passage, il en avait eu soudain assez de toute cette sérénité, de cette tranquillité bien propre qui lui dictait de rester assis et de prendre simplement ce que la société voulait bien lui donner. Il en avait eu assez et avait senti monter en lui une lassitude lascive couplée d’une envie violente de changement, d’action.
Il aurait pu comme certain de ses collègues, tromper sa femme en espérant par la même tromper son ennui. Mais il aimait sincèrement Cécile et après y avoir bien réfléchi, ce n’était pas de ce côté là qu’il attendait du mouvement. Il voulait quelque chose de plus intense, de plus globale. Quelque chose de porteur, qui l’impliquerait directement, physiquement, lui et ses trente ans pourtant si matériellement bien à l’abri. Il faut dire qu’il travaillait dure pour ça. Mais lui n’avait la sensation de ne faire que ce que l’on attendait de lui. Et cette sensation devenait tellement proéminente qu’elle était en train de devenir oppressante. Et sans savoir pourquoi, s’appliquer à être propre avait fait naître en lui le désir de détruire.
Alors certain soir, après manger, il sortait dehors. Il n’allait même se mettre des verres dans la tête comme la plus part des gens qu’il voyait dans les bars. Non. Il prenait ses baskets, son sweat noir, une bombe de peinture, un briquet, quelques chiffons, le coteau laguiole que lui avait offert son frère pour ses vingt ans et dans le hasard de la nuit, il frappait. Sans but, sans calcul, toujours sur des objets.
Il n’y avait ni acte politique, ni revendication nihiliste de quelque sorte que ce soit. Il n’y avait pas de vengeance exutoire ou de désir d’expression d’une haine envers un système qui l’aurait ignoré ou broyé. Il y avait juste le sentiment grandissant qu’en agissant ainsi, en laissant de longs traits noires et coulants à la bombe sur de jolies murs blancs de propriétés pavillonnaires, en brulant une voiture, en crevant les pneus d’un vélo, en marchant sur les voitures plutôt que sur le trottoir, en grimpant aux échafaudages jusqu’aux toits pour jeter des tuiles jusqu’en bas, en cassant des fenêtres ou des serrures de portes, il contribuait un peu, juste un peu, à être un élément du chaos. Cette chose impalpable, insaisissable qui s’abat au hasard, sans choisir ses victimes dans une couche sociale, un courant politique, une ethnie particulière ou un groupe affilié pour des raisons X ou Y. Cette chose qui fait qu’un matin vous vous levez et que votre vie si bien réglée, bascule, tangue et chavire, parfois jusqu’à vous en faire vomir, parfois jusqu’à vous faire éclater de rire ou de fureur.
Il était là, endossant le costume aveugle du chevalier sombre drapé de hasard. Il était pleinement, complètement, totalement, un élément perturbateur et froid et il aimait ça.
Parce qu’ici, dans cette zone de non droit, il était libre. Il n’était ni pour les noirs ni pour les blancs. Ni pour les bons ni pour les méchants. Il était juste une pulsion, affranchi de toute contrainte, évoluant comme un virus ou un coup de chance, bourré de hasards et de possibilités ouvertes. Il était un ouvreurs de portes détenant milles clefs mais se fichant éperdument de ce qui se déverserait une fois celles-ci ouvertes.
Qui sait comment allait réagir ce jeune garçon qui allait trouver son vélo sans roues ? Allait il hurler ? se résigner ? Voler lui même des roues ? Se mettre à pleurer ? Rire ? Rentrer à pied en sifflant ? Appeler un pote pour venir le chercher ? Faire du stop et tomber sur une femme ?
Quelle tête ferait ce cadre qui au milieu de la nuit, recevrait un appel de la police pour lui signifier que sa voiture partait en torche et qu’il devrait trouver un autre moyen d’aller travail demain ? Allait il déverser inutilement sa rage contre lui qu’il ne saisirait jamais pour répondre lui même à une pulsion de colère aussi vaine qu’incontrôlée ? Allait il s’en foutre éperdument et raccrocher en se disant qu’il verrait bien demain ? Allait il taper sa femme en l’accusant une fois de plus de tous les mots ? Allait il en profiter pour demander une voiture plus grosse auprès de sa direction, action qu’il repoussait depuis si longtemps ?
Assis sur le coin du toit du restaurant sur lequel il était arrivé après avoir escaladé la gouttière, il regardait passer sous lui, des voitures qui paraissaient bien seules à cette heure-ci. Les choses étaient entrain de se calmer.
Le vent violent qu’il avait senti monter en lui à la tombée de la nuit, qui lui avait dicté de courir pour sentir l’air pénétrer en brûlant ses poumons, cette excitation intense de vivre en dehors de la route tracée qui l’avait agité et lui avait pris les jambes sans qu’il ne puisse plus rien contrôler, avait fini par s’apaiser, le laissant las et comblé, sans jamais l’encombrer de regrets. Il repensait juste à cet instant à ce vélo blanc, ce vélo blanc par lequel un soir, tout avait commencé.

lundi 3 août 2009

Petite phrase

Lapsus entendu ce matin à la radio, de la part d'un analyste financier :
"Incontestablement, les marchés sont à la baise...."

mercredi 10 juin 2009

Petite phrase

Entendu au marché :
" Six buts vous avez pris, six. Un, deux, trois, quatre, cinq... rien qu'à les compter ça me fatigue."

mardi 21 avril 2009

Cinq fois...

Dialogues de sourds

« - Le vélo blanc ! Mais non mais…mais depuis le début on dit le blanc pourquoi tu dis le vert maintenant ? … mais c’est celui qu’il veut le blanc on s’en fout que le vert il soit mieux pour le même prix lui c’est le blanc qui lui fait plaisir…Non mais c’est un cadeau pour lui pas pour toi je te rappelle Juliette….Mais tu fais chier à la fin, pourquoi faut toujours que tu reviennes sur ce que tout le monde a décidé avant. On était tous d’accord hier pour le blanc…. C’est l’anniversaire de papa, maman ça fait des mois qu’elle enquête pour savoir quel vélo lui ferait le plus plaisir. Elle est sûre que c’est celui-là alors on prend celui-là point barre. Tu nous emmerdes maintenant à tout vouloir changer à la dernière minute….mais on t’empêche pas de dire ce que tu penses Juliette….Oh et puis merde à la fin fait ce que tu veux ! »

François raccrocha au bord de l’exaspération. Une fois de plus sa sœur avait réussi à le mettre hors de lui. C’était toujours pareil avec elle et avec les membres de sa famille en général d’ailleurs. C’était à croire qu’il était le seul à être doté d’une mémoire. Tous les autres remettaient en permanence ce qui avait été décidé auparavant, balayant de leur inconstance tous les projets établis.

« - Oui maman…Oui j’ai eu Juliette oui…mais non mais c’est pas ça mais c’est lourd à la fin, on décide un truc, on se met tous d’accord et déjà c’est pas facile et elle elle arrive et à la dernière minute elle change tout…quoi ? Non mais attend mais je rêve là ! Bientôt ça va être ma faute…Oh et puis après tout faite comme vous voulez ça m’est bien égale. L’essentiel c’est quand même que papa soit content non ?...Oui sinon ça va merci…mais non maman je suis pas tendu j’ai du boulot par dessus la tête et ça me gonfle qu’on revienne sur ce qu’on a déjà dit c’est tout. Tu vois là ça fait dix minutes que je perds entre Juliette et toi pour régler un truc qui était calé depuis deux semaines…mais non maman ça m’ennuie pas te parler…bon écoute on se voit week-end d’accord ? Faut que j’y aille là. »

Après avoir raccroché, François posa son portable le plus calmement possible sur son bureau, alla jusqu’à la porte sans faire de bruit, la ferma tout doucement pour être bien sûr que personne ne l’entende et se plia ensuite en deux pour hurler sans bruit, la bouche grande ouverte et la haine bien présente. Il mit toute sa rage dans ce hurlement silencieux qui lui déforma le visage en une grimace immonde. C’est à cet instant que Cathy la secrétaire de direction entra dans son bureau sans frapper.

« - Oh pardon ! ça va pas François t’as un problème ?

« - Non non c’est bon tout baigne, dit-il en se relevant subitement tout en faisant semblant de remettre sa cravate en place. Tu pourrais frapper la prochaine fois.

« - Mr Francin est au téléphone, répondit elle en ignorant ce qu’il venait de lui dire. J’essaie de te le passer depuis tout à l’heure mais ça sonne toujours occupé sur ton portable. Je croyais que tu étais sorti. Enfin maintenant comme je sais que tu es là, la prochaine fois qu’il rappelle je te le passerai sur ta ligne fixe.

« - Oui c’est ça. Tu voulais autre chose ?

« - Le dossier rose qui est posé sur le coin de ton bureau. Merci. A tout à l’heure. On mange ensemble ?

« - Non je…j’ai un truc à faire à midi là c’est pas possible.

« - Ah oui ? Un truc à faire avec des nichons et un tailleur ? » François prit une grande respiration, se prit la tête dans les mains et sans s’énerver mais à deux doigts d’exploser quand même répondit :

« - Non Cathy. Un truc à faire que je dois faire tout seul. Sans nichons et sans tailleur.

« - Ah tiens ? Parce qu’il y a une certaine Séraphine qui t’as laissé un message pour savoir si vous mangiez toujours ensemble ce midi ?

« - C’est une collaboratrice d’un autre cabinet, ça te va là ?

« - Oui. Mais elle a des nichons et un tailleur.

« - Comme toutes femmes avec qui je bosse !!!!!! Qu’est ce que ça peut te faire putain ?

« - ça peut me faire que c’est avec elle que tu manges à midi et pas avec moi alors que t’avais dis que c’était avec moi.

« - Eh ben on mangera demain ensemble d’accord ?

« - J’ai le choix ?

« - Pas vraiment. »

Elle partit en claquant la porte. Sa relation avec Cathy avait été jusque-là surtout d’ordre sexuel. Enfin du moins pour lui. Mais apparemment, un certain malentendu était entrain de s’instaurer entre eux. Pourtant elle comme lui avait été d’accord dés le début. Aucun ne cherchait une situation stable et l’idée de coucher de temps à autre ensemble suffisait à les satisfaire. Mais les choses ne semblaient plus si claire.

Après le repas son portable sonna de nouveau. Cette fois c’était sa grand-mère qui voulait lui parler. Il décida de ne pas répondre et replongea toute son attention dans son dossier comme si de rien n’était. Il n’écouta le message qu’une bonne heure plus tard. Et il sentit rapidement de nouveau monter en lui cet étrange sentiment d’être le seul à avoir compris ce qui avait été dit :

« - Oui François c’est Mamy. Je t’appelle pour l’anniversaire de ton père ce week-end. Je lui ai trouvé un jolie chapeau de paille dans un magasin de décoration et de jardinage. Comme il jardine beaucoup en ce moment je suis sûre que ça lui fera plaisir. Et puis je lui ai pris une bêche, une pelle et une brouette parce que vraiment la sienne est toute déglinguée ce n’est pas possible qu’il continue comme ça. Par contre comme je n’ai pas pu tout ramener tu imagines bien, j’ai dit au vendeur de me le garder et que tu passerais prendre le tout d’ici à vendredi. Tu peux faire ça pour ta mamy mon petit chéri ? Aller je t’embrasse. A dimanche. »

Non seulement François revoyait parfaitement la discussion que son père avait eu avec sa grand-mère dans laquelle il disait qu’il adorait ses vieux outils et que pour rien au monde il n’en changerait mais en plus, François avait convenu en la ramenant chez elle la dernière fois qu’elle participe au prix du vélo puisque ce dernier était hors de prix. Enfin du moins c’était ce que lui avait compris à l’issue de la conversation. Et voilà qu’elle venait de lui annoncer qu’elle avait fait cavalier seul sur toute la ligne et que par conséquent sa participation dans le vélo risquait d’être annulée vue le prix qu’elle venait de mettre dans l’outillage. François passa sur le planning qu’il allait devoir gérer pour aller chercher dieu sait où la brouette et tout le bazar qui l’accompagnait :

« - Allo mamy ?

« - Coucou mon petit François. Comment ça va ?

« - Bien bien.

« - T’as eu mon message ?

« - Ben oui c’est pour ça que je t’appelle.

« - Tu peux aller chercher mes affaires alors ça ne te dérange pas ?

« - Non mais mamy, je croyais que tu participais au cadeau avec Juliette maman et moi ? Tu sais pour l’histoire du vélo…

« - Ah oui le vélo….Oh ben je l’ai complètement oublié moi ce vélo. Mais c’est pas grave hein ?! Comme ça il aura plein de cadeaux. C’est ses cinquante ans quand même, faut pas l’oublier.

« - ça, ça risque pas crois moi.

« - Eh ben tant mieux. Allez à dimanche mon chéri. »

vendredi 17 avril 2009

Quatre fois...

Voleurs d'un soir.

« - Le vélo blanc ou le vélo vert ?

« - Je sais pas je m’en fout ! Prends n’importe lequel. Tu crois qu’on est là pour faire un débat sur la couleur ou quoi ? On est là pour chourer un vélo ducon.

« - Oh éh ça va Al Capone. Je te rappelle que si t’avais pas pété le tien comme un con pour faire le malin devant cette gonzesse on en serait pas là alors vas-y mollo hein !! »

Le ton était monté d’un cran depuis qu’ils avaient pénétré dans le jardin de ce pavillon de banlieue.

En passant dans la rue, ils avaient vu la porte du garage mal fermée et avaient aussitôt saisi la bonne opportunité.

« - Bon tu te magnes le cul ou quoi ? On va pas y passer la nuit.

« - Attends ? Juste deux secondes je regarde lequel est le plus léger.

« - Quoi ?

« - Je regarde lequel des deux est le plus léger pour le faire passer par dessus le portail.

« - Ben grouille toi…. Oh putain y’a des phares y’a des phares ! Planque toi ! »

Fred rabattit la porte du garage le plus discrètement possible vers lui, ne laissant qu’une ouverture minuscule pour regarder dehors. Par la seule raie de lumière qui coupait encore la noirceur du garage, il scruta les mouvements de la voiture.

« - Oh meeerde elle se gare juste là.

« - Tu crois que c’est les proprios.

« - Qu’est ce que j’en sais !? Tu crois que j’habite le quartier ou quoi ? Attends ! Attends attends !! Merde ils se dirigent vers le portail. » Fred referma le dernier centimètre encore ouvert et dans un élan furtif entraîna Jean vers le fond. S’agrippant à son bras, il l’obligea à s’accroupir dans un coin, juste derrière une brouette qui traînait là :

« - Viens ! on va se planquer là au cas où ils rappliquent. 

« - Putain tu m’auras tout fais ce soir » protesta Jean en s’accroupissant.

Dehors une voix féminine demanda :

« - Tu as fermé le garage ? Fabien est allé poser son vélo tout à l’heure mais je n’ai pas vérifié s’il l’avait bien refermé à clef ?

« - Oh ma puce on s’en fout qu’il soit fermé ou pas, y’a jamais personne ici.

« - Va vérifier s’il te plait.

« - Bon d’accord. Allez vas-y rentre, je vais voir. »

Les pas de l’homme crissant sur les graviers se rapprochèrent. Il ouvrit la porte en grand, regarda en arrière vers sa femme et demanda à la cantonade suffisamment fort pour qu’elle l’entende :

« - Y’a quelqu’un ?! » Tassés derrière leur brouette, Fred et Jean ne bougeaient pas d’un millimètre. S’ils avaient pu à ce moment précis rentrer dans le béton et l’un et l’autre l’auraient fait sans hésiter. Dehors ils entendirent clairement la femme pouffer de rire en disant :

« - Oh mais t’es nuuul. Allez ferme cette porte et viens. » Le bruit de la poignée grinça, suivi dans le même élan de celui de la clef dans la serrure. Puis les pas s’éloignèrent.

Malgré le départ des propriétaires ni Fred ni Jean n’osèrent bouger avant un long, long moment et ils restèrent comme ça prostré dans le noir sans se regarder jusqu’à ce que Fred finisse par se relever doucement en chuchotant :

« - Tu crois que c’est bon ? On peut y aller ? »

« - Toute façon on va pas aller bien loin maintenant qu’on est enfermé comme deux cons. » ronchonna Jean en s’étirant.

« - On peut quand même sortir par la fenêtre non ?

« - J’espère. Parce que de là à ce qu’elle soit coincée y’a qu’un pas vu comme c’est parti. » Ce disant, Jean s’assit sur un bidon tout en se frottant les mains pour tenter d’enlever la poussière. Fred lui, se dirigea d’un pas résolu vers la fenêtre qui laissait à peine passer une lumière granuleuse et poussiéreuse.

« - Oh putain mais c’est des mygales qui nichent ici c’est pas possible toutes ces toiles d’araignées. Ah c’est dégueulasse !

- Ben si tu t’étais abstenu de faire le con tout à l’heure on se serait évité toutes ces emmerdes je te signale.

- Ah ça y’est j’ai la poignée. Allllllez vient saloperie de fe-neêêêêtre. » invoqua Fred les dents serrées. Elle finit par céder en s’ouvrant d’un coup. Enfin du moins l’un des deux battants s’ouvrit d’un coup.

« - Je crois que l’autre est bloqué.

« - Fait voir ? Ah ouais t’as raison. C’est la rouille qui a tout bouffé le système d’ouverture. » observa Jean un peu dépité.

« - Bon ben on va pas rester à sécher là pendant des heures. Maintenant qu’on est sûr de ne pas pouvoir faire passer le vélo par la fenêtre y’a plus qu’à se tirer. » et joignant le geste à la parole, Fred prit appui sur le rebord et d’un bond, s’extirpa vers l’extérieur. Jean le suivit aussitôt en prenant bien soin de ne pas abîmer ses vêtements dans l’opération. Mais alors qu’il était entrain d’enjamber la fenêtre, son regard se figea en direction du portail.

« - B…bouge pas Fred. Surtout bouge pas.

« - Qu’est ce qu’y à ? Les flics ?

« - Non. Y’a un clebs qui nous regarde et qu’a pas l’air commode. »

Tout doucement, Fred pivota sur lui-même pour regarder derrière lui. A une trentaine de mètres, un espèce de bouldogue baveux les observait l’air sévère. L’espace d’une seconde tout le monde se toisa, immobile et tendu. Puis fusant comme une flèche, le chien se mit à courir en direction des deux intrus qui n’avaient rien à faire sur son territoire à une heure pareille. Électrisé par la peur, Jean bondit hors de la fenêtre comme un diable d’une boîte et se lança à la poursuite de son ami qui se révéla être un coureur incroyablement efficace et difficile à rattraper.

« - Putain mais il sort d’où ce chien ? » hurla t il plein de panique.

« - J’en sais rien ! Coure bordel coure !! »

Ils arrivèrent hors d’haleine à une haie de tuyas dans laquelle ils s’enfoncèrent sans se poser la moindre question. Du grillage qu’ils rencontrèrent juste derrière, Fred garda un souvenir double. Tout d’abord celui d’une joie énorme une fois qu’il fut de l’autre côté. Il lui fut d’ailleurs impossible de savoir comment il réussit à passer ce grillage aussi vite mais la peur révèle parfois des dextérités cachées. Le deuxième souvenir est celui de la tête de Jean. Il n’avait pas réussi à rattraper son léger temps de retard. En arrivant face au grillage, il avait commencé à le grimper pour s’échapper lui aussi. Mais à mi-hauteur, son visage s’était crispé. Fred avait pu voir alors le chien agrippé au bas du pantalon de son ami. Il voulut se mettre à crier autant pour essayer d’effrayer l’animal que pour se soulager. Mais il fut devancé par le bruit du déchirement du tissu. Un coup sec d’abord. Puis un second beaucoup plus long. Jean bascula d’un coup en avant s’écrasant lourdement la tête dans le parterre de fleurs. Derrière la barrière, le chien quasi hystérique aboyait à tout va, un énorme lambeau de pantalon entre les dents.

Clopin-clopant, il quittèrent le second jardin dans lequel ils étaient tombés. Une fois dans la rue Jean commença à pester contre le chien qui lui avait arraché le pantalon découpant celui-ci jusqu’à mi-cuisse, contre le grillage qui lui avait griffé l’un de ses avant-bras et le ventre, contre ce putain de parterre de fleurs de merde et contre son pote qui décidément était trop con.

« - Te plaints pas. » Répliqua Fred un brin narquois.

« - Te plains pas te plains pas. Je t’accompagne et regarde. Un fute en moins, ma chemise déchirée, je suis tout griffé, j’ai failli me faire bouffer par un crétin de clébard sorti tout droit de l’enfer, juste après avoir failli me faire gauler par le proprio à qui on était entrain de chourer un vélo ; tout ça parce que cet imbécile de Fred multiplie les idées à la con depuis le début de la soirée. Tout ce qui sort de ta bouche m’attire des emmerdes. Tu trouves que j’ai pas de raison de me plaindre ?

« - Ben non. Il pourrait pleuvoir. »

jeudi 16 avril 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Sociologie aquatique.

J’ai eu l’occasion à maintes reprises l’or de mes avachissements estivaux le long de points d’eau, de constater à quel point sévissait avec systématisme et récurrence, et ce quel que soit le point de la planète, un genre humain bien particulier l’Homo Platus.

Selon toutes mes observations chacune aussi aléatoires que précise, je peux désormais affirmer sans trembler que ce genre là regroupe quelques caractéristiques bien particulières : Il est généralement, masculin et prolifère l’été, le long des cours d’eau, des piscines, des étangs des mers et des océans ou de toute autre destination aquatique. Souvent jeune, il peut se diviser en deux grandes sous-catégories. L’Homo Platus Ridiculus et l’Homo Platus Abrutius.

Le premier, l’Homo Platus Ridiculus, est plutôt du genre timide. Malingre et souvent mal dans sa peau qu’il a d’ailleurs fort blanche, il voit dans le plongeon, pour on ne sait quelle raison, une sorte de quintessence héroïque, le summum de l’homme accompli. Et par un raisonnement dont lui seul a le secret, il imagine sûrement que cette prouesse physique est le moyen infaillible de séduire l’être désirée. Alors sous l’impulsion molle d’une logique qui lui est propre, il passe tout d’abord plusieurs heures à observer la meilleure façon de pénétrer dans l’onde sans éclaboussures mais avec classe et allure. Cette phase parfois longue, il serait bon souvent, qu’il la prolonge indéfiniment. Car le passage à la phase active de son plan est souvent l’accomplissement même du ridicule.  

Prit soudain d’un spasme électrique, il se jette droit devant lui, certain que les courbes de son corps chétif et blafard, suivront le cheminement de ses répétitions mentales. Mais la réalité brutale, reprend le dessus à cet instant fatal. S’écrasant comme une merde sur le dessus de l’eau plate, il subit la cuisante humiliation de constater que le plongeon n’est ni une abstraction ni même affaire de détermination mais qu’il se joue à l’entraînement et tout d’abord calmement afin d’éviter la cinglante gifle de l’eau sur son honneur public et sa peau désormais rougeoyante. Et si le manque d’entraînement est flagrant, la bêtise innocente est souvent la seule excuse valable.  

Mais maîtriser en amont cette circonvolution physique estivale ne suffit pas à éviter le ridicule. Trop en faire peut tout autant entraîner le quidam sur les chemins de l’opprobre public. Or l’Homo Platus Abrutius excelle dans cette catégorie. Ainsi ai-je pu voir à plusieurs reprises et pour mon plus grand plaisir, l’onde tarter en direct, le flagorneur brillant. D’un tout autre acabit que le précèdent, il est en général et tout en muscle et pédant. Sûr de séduire celle qu’il désire, il se jette nonchalamment à l’eau, traversant sans efforts et presque sans bruits la surface, sur laquelle le soleil luit. Mais il n’est souvent pas le seul à maîtriser l’art de la disparition sous-marine et pour se rendre plus voyant, il doit prendre des risques et se faire distrayant. Mais à trop sortir de ce qu’il sait faire sans effort il se hisse vers des sommets que lui même abhorre. Et finalement ce n’est pas parce qu’on rie fort que l’on n’a pas mal. Le bruit de la claque est souvent d’autant plus retentissant que, prenant de l’élan, l’abruti est monté haut dans le ciel, avant de s’écraser de tout son dos, voir de toute sa face, bien à plat comme une limande.

Moralité, l’excès de confiance lié à l’excès de zèle peut parfois s’avérer tout aussi fatal que leur manque.

mercredi 15 avril 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Trois ans.

« - Whouaaa ! super t’as trouvé du boulot. Putain après trois ans s’est génial.

« - ça fait pas trois ans que je cherche du boulot. ça fait trois ans que je sais ce que je veux faire et que j’attends qu’il y ait une place qui se libère c’est différent.

« - Oui ben quand même. Ça fait trois ans que t’as pas bossé et là ça y est. Tu commences quand ?

« - Au début du mois prochain.

« - Impeccable. T’as le temps d’en profiter encore un peu comme ça. C’est un CDI ?

« - Encore heureux.

« - Ben tout s’arrange c’est super.

« - Ouais tout s’arrange. J’ai plus qu’à me laisser glisser tranquillement jusqu’à la retraite. Je me collerai peut-être une petite dépression vers cinquante ans histoire de pas non plus faire dans le trop lisse. A moins que j’ai quitté ma femme quelques années avant. Ça compenserait. Et puis après je me la coulerai douce à la retraite en attendant de mourir. Ah ! C’est rassurant les CDI tu trouves pas ?

« - Ben ça te fais du bien de trouver du boulot toi. T’aurai préféré rester au chômage toute ta vie peut être ?

« - Je ne sais pas. En tous les cas ce que je sais c’est que le boulot c’est pas ce qui fait la vie. Ça évite d’avoir à se regarder toute la journée ça c’est sûr mais pour le reste, je te le dis, elle n’est pas là la vie. Le boulot c’est une activité rien de plus. Une distraction, une bouée de sauvetage, une raison d’être ou une façon de vivre...Mais ça n’est pas la vie.

Je t’assure qu’en trois ans d’attente j’en ai passé des jours à me regarder au fond, à me questionner, à me demander qu’est ce que tout ça pouvait bien signifier. Pourquoi lui plus que moi avait un boulot ? Pourquoi moi plus que lui j’avais un logement et une vie stable ? Des jours à me demander à quoi pouvait bien servir tout ce cirque. Aller faire la queue à l’agence pour l’emploi, aller aux entretiens, pleurnicher comme un gosse pour avoir des indemnités… Tout ça était tellement stupide que finalement j’en ai pris mon parti. J’ai appris la patience et avec la patience, l’humilité. Tu le crois ça ? Je me revois encore y’a trois ans, arriver remonté comme une pendule sur le marché du travail, plein de mes diplômes, de ma petite expérience et de mes illusions. C’est celles-là qui en ont pris le plus plein la gueule. Mes illusions. J’ai réalisé petit à petit qu’elles étaient celles d’un enfant et que j’évoluais désormais dans un monde d’adulte. Et chez les adultes y’a peu de places pour les illusions. Elles se fracassent contre le réalisme comme du cristal sur une dalle.

« - Si ça t’as pas rendu dépressif le chômage ça t’as au moins rendu philosophe. Heureusement que t’es pas resté plus longtemps sur la touche t’aurai fini mystique.

« - ça m’a pas rendu philosophe. Ça m’a rendu réaliste je viens de te le dire. 

« - Hum. Moi je croyais qu’on était venu boire des coups pour fêter ton retour aux affaires.

« - J’en suis jamais parti des affaires. J’ai juste pris un petit chemin de traverses pendant quelques temps. »

 

vendredi 3 avril 2009

Trois fois...

Antiquité

Le vélo blanc crasseux qu’il venait de s’acheter était une horreur abominable. Sa roue arrière voilée émettait un grincement sinistre. Ses freins étaient cassés à l’avant et à l’arrière du fait du voilage, ils ne remplissaient que partiellement leur office.

« - C’est une antiquité » c’était justifié le vendeur sur le marché aux puces où Pierre l’avait dégauté.

« - Non c’est une merde, avait-il rétorqué en tendant les cinq euros que le forain lui demandait. Mais ça tombe bien c’est exactement ce que je cherche. »

Une antiquité. Pourquoi pas une pièce de musée tant qu’à faire ? Ce qui était vieux et exposé sur un marché n’était pas forcément une pièce rare. Ce qui avait subi les assauts du temps et c’était patiné à son contact n’avait pas toujours pris de la valeur à cette occasion. Bien au contraire. Et ce vélo là en était la preuve. Il avait vieilli, prit des coups, c’était tordu sous le poids de la vie et était devenu au final, moche et sans valeur. Et c’était exactement ce que recherchait Pierre.

Son chouette vélo qu’il avait descendu de Paris pour les vacances, lui avait été volé quasiment dés son arrivée sur la côte. Deux jours qu’il était là et à la première soirée dehors, on le lui avait chouré. Sur le coup ça lui avait foutu les boules à mort. Un vélo tout neuf, sans une rayure. Un vélo qu’on lui avait offert il y avait à peine trois mois. C’était tout juste s’il avait eu le temps de s’y habituer. Il faisait bien attention de ne pas rouler dans le sable avec. Il le rentrait dans le couloir de l’appartement pour ne pas le laisser dehors. Il ne le prêtait pas et avait même refusé de transporter Marc sur son porte-bagage.

« - Quoi ? s’était insurgé ce dernier quand il lui avait exposé son refus. Je peux même pas m’asseoir sur ton porte bagage. Mais je mets ma serviette sous mes fesses...

« - C’est pas question de ça. Mais t’as vu combien tu pèses ? Tu vas voiler ma roue. Et puis t’es pas si loin que ça. Un peu de marche ça te fera pas de mal. » et il avait planté son pote sur place.

Les premiers mètres avec ce vieux clou entre les jambes furent un peu fastidieux. La roue arrière frottait de temps à autre sur le garde boue, ce qui fait qu’il était difficile de prendre de la vitesse. De toute façon comme on ne pouvait pas freiner, ce n’était pas conseiller de rouler à une allure ne serait ce que normale. Non. Il fallait rouler lentement, tranquillement. Rouler comme si le rythme lui même était en vacance.

La selle par contre était super confortable. C’était une vieille selle qui c’était affaissée sans bruit, façonnée par le poids des dizaines de paires de fesses qui s’étaient assises sur elle. Comme le vélo était un poil trop petit pour lui, Philippe avait le sentiment d’être posé plus qu’assis dessus. Le dos arrondi, les genoux remontant un peu plus que la normale, il avançait avec cette drôle d’allure à un rythme que rien ne semblait pouvoir emballer.

Une fois juché sur son drôle de destrier, il lui passa par la tête d’aller se tenter un petit bain matinal. Il était encore tôt, les familles ne seraient pas encore là. Ces amis qu’il devait rejoindre pour boire le café sur la terrasse d’un de leur bar fétiche, ne lui en voudraient certainement pas de l’attendre un peu.

Arrivé sur le parking à vélos, il réalisa qu’il n’avait pas de cadenas. Les baigneurs étaient encore peu nombreux à cette heure-ci  et il était difficile de ce cacher entre deux vélos. Il remarqua alors que sur un des poteaux, un vieux cadenas rouillé pendait là, abandonné. La serrure rongée par le sel avait fini par rendre l’âme, scellant son destin à ce poteau. Pierre s’approcha. Pour se donner bonne conscience, il sortit un trousseau de clefs, fit semblant d’ouvrir la serrure et tout en manipulant le cadenas, l’enroula simplement autour de la potence de son vieux vélo. Il recula d’un pas pour mieux en apprécier l’effet. C’était parfait. On avait vraiment l’impression qu’il était attaché. «  Et puis de toute façon, même si jamais on me le vole, je vais presque aussi vite à pied et je l’ai payé que cinq euros. Ce ne sera pas une bien grosse perte. » Et sur ce constat quasi indifférent sur ce qui pouvait advenir de cette bicyclette, il prit la direction de la plage.

Comme il le soupçonnait, il n’y avait quasiment personne. Le vent se traînait mollement, striant sans y croire la surface miroitante de l’océan. La respiration calme de la mer s’échouant et chuintant sans trêve sur la grève, offrait le spectacle de la sérénité pleine et entière. Sans se donner le temps de réfléchir, Philippe ôta son tee-shirt, camoufla son portefeuille et ses clef à l’intérieur, laissa ses tongs et d’un pas décidé, s’avança vers l’eau. A mi-cuisse il eut un léger instant d’hésitation. La fraîcheur soudaine lui jeta un frisson le long de la colonne. Mais il prit ça comme un encouragement et plongea d’un coup sans réfléchir plus longtemps.

L’eau glissait le long de son corps. Des bruits sourds et aquatiques l’environnèrent, protecteurs. Il aspira une petite quantité d’eau salée dans sa bouche. Les brasses s’enchaînèrent aux brasses. Il sentait qu’il pouvait aller plus loin, encore plus loin, encore un peu plus loin. Puis l’air vint à manquer. Il cessa de nager et se laissa remonter sans efforts. Il perça la surface en crachant l’eau de sa bouche. Avant d’ouvrir les yeux il se passa la main sur le visage. Tout était calme. Il flottait, les yeux fermés, les bras tendus, allongé sur le dos. De temps à autre, son oreille refaisait surface, captant des bruits durs, avant de replonger sous la surface. Il resta comme ça longtemps. Puis de petits tressaillements de froid commencèrent à le parcourir. Il rentra sur le bord. Comme il n’avait pas pris de serviette, il se laissa sécher au soleil grandissant.

De retour au parking à vélo, il retrouva le sien qui l’attendait, fidèle et cabossé. Il l’enfourcha sans avoir à sortir la moindre clef et de son rythme nonchalant, prit la direction du café. Pour la première fois depuis qu’il était là, il avait la sensation d’être vraiment en vacance. En arrivant face au café il retrouva une partie de la bande entrain de discuter de la soirée de la veille, préparant déjà celle du soir à venir.

« - Whoua ! t’as fait des affaires toi ce matin ! » le chambra Céline en le voyant sur sa nouvelle acquisition.

«- Attends c’est une véritable antiquité ! lança-t-il moqueur.

« - Ah bon qu’est ce qu’il fait dire ça ? La rouille sur le cadre ou les pneus craquelés ?

« - Le fait que lorsque t’es posé dessus, tu sens le poids des vacances t’assaillir de sa puissance molle. » Tout le monde partit à rire.

jeudi 2 avril 2009

Le bateau d'Oleg (4)

Avec le printemps, arrivèrent les poutres par la route enfin praticable. Tout le travail accompli au cours de l’hiver prit forme presque d’un seul coup. Ce fut à ce moment là que je réalisais à quel point Oleg avait été fort. En ne laissant jamais la mauvaise humeur et l’abattement nous envahir, nous avions avancé par petits pas, sans nous en rendre compte. Mais maintenant que l’ossature du bateau était positionnée dans le hangar, tout ce que nous avions fait venait s’assembler autour dans un grand élan de joie. Bizarrement, ce ne fut pas à ce moment-là qu’Oleg fut le plus présent. Tout le monde chantait et riait mais lui était enfermé dans son baraquement, sifflotant dans son coin, tranquillement.

Dans le hangar, le bateau grandissait. Son inauguration fut joyeuse. Il s’enfonça d’abord doucement dans les flots avant de se stabiliser à la surface, attendant calmement qu’on le charge, imposant et fier. Si tout le monde hurla de joie lorsqu’on le vit enfin flotter, Oleg lui, resta d’un calme olympien. Il était heureux ça c’est sûr. Son sourire ne le quittait jamais. Mais il n’avait pas besoin d’amener d’énergie. Les choses se faisaient maintenant toute seule.

Le bateau fut chargé et cette opération prit des jours. On sentait qu’à l’approche du départ, l’excitation gagnait à nouveau Oleg. De nouveaux défis allaient s’offrir à nous.

« - Ahaahahahah demain c’est le départ, nous dit-il alors que la nuit était tombée et que nous dînions chez lui. Je suis impatient je ne vous le cache pas. C’est qu’on commençait presque à s’ennuyer ici hein l’architecte ? » Il allait entamer une longue explication lorsque des cris l’interrompirent.

« - Au feu ! Au feu ! » hurlait-on dehors. En sortant, nous découvrîmes les gens courant dans tous les sens, comme pris de folie. Je tournais la tête vers la mer. Et là, je vis de grandes flammes qui s’échappaient du bateau. Il était entrain de brûler. Tout le monde se précipitait vers la grève. Certains pleuraient, d’autres regardaient sans y croire leur rêve et le fruit de tant d’efforts partir en fumée. Je ne peux pas dire combien de temps nous sommes restés comme ça mais j’eu l’impression que cela dura des nuits et des nuits.

Et puis soudain, venant de derrière nous, alors que l’abattement et la tristesse étaient à leur comble, éclata un grand rire. Un grand rire que je connaissais très bien. Dans un même élan, tout le monde se retourna. Oleg était campé en haut de la dune, les deux mains passées dans son grand ceinturon de cuir et il riait, de son rire franc et gigantesque. Sur le coup je crus qu’il était devenu fou. Mais non, rien sur son visage ou dans son regard ne semblait indiquer que la folie l’avait gagné, bien au contraire. D’un pas souple et assuré il descendit jusqu’à nous. Au passage, il releva délicatement un matelot qui c’était laissé tombé par terre abattu par la douleur. Il lui murmura quelque chose qui sembla le regaillardir puis d’une voix forte et pleine de défi nous dit :

« - Bon eh bien ! on dirait bien qu’il va nous falloir racheter du bois. Heureusement que les hangars et tout le reste est déjà construit sinon nous aurions encore perdu un temps fou. » et d’une frappe virile dans mon dos il enchaîna :

« - Tu en est l’architecte hein ? Tu ne vas pas abandonner ? 

Un peu pris au dépourvu je lâchais un timide :

« - Oui oui bien sûr. J’en suis.

« - Parfait alors rentrons ! Demain, nous avons du pain sur la planche. On n’abandonne pas ses rêves sur le bord d’une plage n’est-ce pas ? »

mercredi 1 avril 2009

Le bateau d'Oleg (3)

« - Abandonner ? je crus sur le moment que je venais de m’adresser à lui dans une langue qu’il ne connaissait pas. Abandonner ?! Non mais tu ne sens pas bien l’architecte, me dit-il sur un ton très calme les sourcils froncés. Abandonner parce que des poutres en bois n’arrivent pas ? C’est ridicule.

« - Mais enfin Oleg…on ne peut pas continuer à construire ce bateau sans poutres c’est impossible. Et elles n’arriveront qu’après l’hiver maintenant. Et encore ça n’est même pas sûr. J’ai eu un courrier du fournisseur, il est très loin d’avoir réuni toutes pièces dont nous avons besoin. Il va nous falloir des mois et des mois avant de réussir à les réunir au grand complet. Cela va coûter des sommes folles et… il m’interrompit d’un geste.

« - L’argent c’est mon affaire. Ne t’en fait pas pour ça. Ce projet je veux qu’il voit le jour quel qu’en soit le prix matériel à payer. Il faut bien que tu comprennes quelque chose l’architecte. Il se leva et commença à marcher dans toute la pièce en agitant les bras. Je suis fier que ce bateau voit le jour et avance chaque jour un peu plus. Je suis heureux lorsque j’arrive le matin ici et qu’une nouvelle journée commence avec son lot de problèmes à résoudre et de solutions à trouver. Si j’ai voulu me lancer dans un projet aussi gigantesque c’est parce que bien sûr, je serai le roi de la mer mais c’est aussi et surtout parce que chaque jour, chaque minute qui vient, je les passe à construire, faire avancer, réfléchir…Tu comprends ce que je veux dire l’architecte ? Je n’abandonnerai pas non pas parce que je suis têtu et fier, même si il y a un peu de ça aussi. Non. Je n’abandonnerai pas parce que si ce projet devait se finir aujourd’hui, j’en recommencerai un autre immédiatement derrière. C’est ma vie. C’est la vie construire des choses et les faire aller le plus loin que tu puisses les porter, tu ne crois pas ? »

Je fus un petit peu surpris de l’entendre dire ça. Je balbutiai bêtement :

« - Oui euh…sûrement…enfin peut être…je ne sais pas  mais en tous les cas ce que je sais c’est que là pour le moment niveau poutre…

« - Ne t’occupe plus des poutres. Je vais me charger de trouver un autre fournisseur. Attaque le pont. Nous avons assez de bois pour le pont ?

« - Probablement, répondis-je un peu penaud.

« - Très bien alors évalue ce que nous avons pour faire le pont et commence les découpes.

« - Très bien.

« - Et quitte moi cet air triste un peu. » Il vint s’asseoir juste à côté de moi, me posa une main sur le genou et avec un sourire franc rajouta :

« - Imagine le bateau navigant au large, chargé et fier, fendant les flots avec ses belles lignes que tu lui auras dessinées et auxquelles tu auras pensé pendant tant et tant de temps. N’est-ce pas tout simplement magnifique ?

« - Si. Oui. C’est sûr. » Je commençais à me détendre un petit peu. Il ferma les yeux, tendit les bras et sur un ton théâtral, le sourire aux lèvres, il reprit :

« - Ah ! L’air marin, les embruns, les terres nouvelles...Respire. Vas-y l’architecte, respire avec moi ? Il prenait de grandes inspirations bruyantes et c’était maintenant levé. Les tempêtes et les couchés de soleil, les dauphins à l’étrave et les îles mystérieuses. Il rouvrit les yeux et éclatant de rire il conclut. AHAHAHAHA ! C’est avec tout ça qu’il faut travailler l’architecte. Pas avec des histoires de poutres qui n’arrivent pas à l’heure. »

Je refermais la porte derrière moi. Commencer à se lancer dans le pont alors que nous ne savions même pas si la structure même du bateau allait nous arriver un jour me paraissait complètement dément. Mais en même temps, que faire d’autres ? Et puis Oleg possédait ce don unique de vous faire voir que la vie était belle, même lorsque tout semblait sombre.

Les jours passaient et je n’avais toujours pas de nouvelles des poutres. Après les découpes du pont nous nous attaquâmes à ce qui devait constituer les cabines. Puis nous nous lançâmes dans les soutes et les compartiments de celles-ci. Dans les entrepôts d’à côté, les marchandises continuaient d’arriver.

L’hiver passa, maintenu loin par Oleg et ses histoires rocambolesques. A chaque fois que l’un de nous se mettait à douter, le rire tonitruant de celui qui nous avait recruté faisait exploser la mauvaise humeur qui ne devenait plus, rapidement, qu’un mauvais souvenir.

mardi 31 mars 2009

Le bateau d'Oleg (2)

J’appris rapidement à connaître Oleg. Au début nous n’étions que quatre dans son « équipe ». Il y avait Oleg, bien sûr, sa femme qui était chargée de l’intendance, un charpentier nommé Thomas et moi-même.

Oleg passait des soirées entières à nous expliquer son projet démentiel. Mais plus il en parlait, plus il nous semblait fou.

« - Et donc si j’ai bien compris, fini par dire un soir Thomas, nous construisons le bateau, nous le chargeons et nous partons droit devant nous vendre le tout à l’autre bout du monde. C’est bien ça ?

« - Exactement. Tu as tout compris.

« - Mais si jamais le bateau coule ou si jamais il arrive un malheur, qu’est ce qu’on devient ? » Oleg regarda le feu une longue minute l’air dubitatif. Puis son visage s’éclaira d’un sourire et il dit l’air fier de lui :

« - Il n’arrivera rien. Ne vous inquiétez pas. Ce qui compte pour le moment, c’est d’avancer. Chaque chose en son temps. » Puis il partit dans un grand rire et rajouta :

« - Et puis au pire nous nous serons connus et nous aurons vécu un grand moment ensemble. N’est-ce pas déjà suffisant ? » et après m’avoir mis une grande claque dans le dos qui failli me briser la colonne vertébrale, il décida que c’était l’heure d’aller se coucher.

Alors, suivant Oleg et ses idées folles, nous avancions. Rapidement, le nombre de personnes sur le chantier augmenta. La plaine petit à petit se transforma. Le hangar à bateau grandit, les baraquements se remplirent d’hommes, les docks de stockages sortirent de terre, prêts à accueillir les marchandises. Et partout, le rire d’Oleg éclatait, donnant de l’énergie à tous, balayant les doutes et les peurs.

A la fin de l’hiver pourtant, le premier vrai problème fit son apparition.

« - Oleg, je peux te voir une seconde, demandais-je un jour qu’il commençait à neiger.

« - Entre l’architecte entre. Alors qu’elles sont les nouvelles ?

« - Nous allons avoir un sérieux problème. Il se trouve qu’en discutant avec Thomas sur la taille des bois dont je vais avoir besoin pour réaliser la structure du bateau, il m’a fait part de ses inquiétudes.

« - Raconte.

« - La construction des hangars et des maisons a mobilisé beaucoup de bois et les forêts des alentours ont été vidé de leur bois de structure. Je crois qu’il va falloir que nous fassions venir des poutres d’ailleurs. »

Oleg se leva et tout en se passant la main dans sa grande barbe marmonna une série de paroles incompréhensibles. Puis il finit par dire :

« - Hum hum. Ce n’est pas l’option la plus avantageuse et cela va entraîner de grosses dépenses mais si nous n’avons pas le choix, alors faisons venir du bois d’ailleurs. »

Cette « option » comme il l’appelait, allait nous rajouter des mois de travail. Le temps de commander les nouveaux bois, de les faire venir, de les travailler pour les besoins du bateau etc… cette perspective me plongea soudain dans un profond abattement. Je quittais Oleg en traînant les pieds.

Plusieurs jours passèrent. Je n’allais pas mieux et le mauvais temps qui se déchaînait ne faisait que rajouter à mon humeur massacrante. Un soir, alors que nous étions réuni dans la cabane d’Oleg pour discuter de tout un tas de détails je lui fis soudain part de mon envie d’abandonner :

lundi 30 mars 2009

Le bateau d'Oleg (1)

Le bateau d’Oleg

Oleg Oliakov avait des bras comme des bûches, une barbe noire et broussailleuse contrastant avec son crâne parfaitement rasé et brillant, des mains énormes et un rire à faire trembler les montagnes. Mai Oleg n’était pas seulement immense physiquement. C’était toute sa personne qui était gigantesque. Sa façon dont il brassait de l’air comme un moulin à vent, ses déplacements incessants alimentés par une énergie incroyable étaient autant de témoignages de sa démesure. C’était à croire que chez lui, la fatigue n’était qu’une idée mais rien de plus. Elle ne s’exprimait jamais concrètement, si ce n’est sur l’équipe avec laquelle il travaillait. Car Oleg avait un rêve depuis toujours. Il voulait construire un bateau. Mais pas n’importe quel bateau. Un bateau énorme, à sa mesure à lui. Le bateau le plus grand du monde disait-il. Un bateau à l’intérieur duquel il pourrait mettre des tas et des tas de marchandises et partir les vendre là-bas, dans ces pays lointains qui n’ont pas ce que nous avons ici :

« - Tu comprends l’architecte, m’avait-il expliqué le jour où il était venu me voir pour me parler de son projet, avec un bateau suffisamment grand nous pourrons partir à l’autre bout de la terre, chargés des milles épices d’ici et une fois sur place nous vendrons tout notre stock. Mais surtout, nous ferons des rencontres par milliers, nous allons découvrir le monde, goûter à des plats nouveaux... AHAHAHAHA mon ami !! Grâce au bateau que tu vas nous construire, une nouvelle vie va s’ouvrir à nous. »

Je n’avais pas pu refuser. Ça n’était pas que j’y avais spécialement réfléchi avant. Non non. C’était juste qu’Oleg était tellement sûr que je dirai oui, qu’il me considérait déjà comme faisant parti de l’aventure. Alors j’ai suivi. Comme j’étais à l’époque un tout jeune architecte de marine qui n’avait pas encore prouvé grand chose, je me suis dit qu’à coup sûr, tout ceci était une chance.

Ce n’est qu’une fois sur place que je me suis dit que j’aurai peut-être du le prévenir que je n’étais pas magicien mais seulement architecte.

Oui. Parce que si Oleg ne se laissait abattre par rien, il avait un rapport assez étrange avec la réalité.

« - Mais…je vais devoir construire le plus grand bateau du monde ici ? » demandais-je le jour où il me présenta fièrement une grande plaine vide qui tombait jusqu’à la mer, située juste derrière lui.

« - Exactement. Tu as tout compris mon ami.

« - Mais attend Oleg…Il n’y a rien là. Il n’y a même pas un bâtiment pour nous abriter nous.

« - Qu’est ce que tu crois ? Que je ne le sais pas. »

Son bras énorme vint s’entourer tout autour de mon cou et j’eu soudain le sentiment désagréable d’avoir un énorme anaconda posé sur moi.

« - Regarde et fait jouer ton imagination. Tu vois, là-bas sur la gauche, on va faire monter un hangar pour le futur bateau. Il va falloir qu’il soit immense mais la forêt qui est là, juste derrière, est à moi. On va la raser pour s’en servir pour les hangars. A droite de la plaine par contre, on va construire tout un tas de baraquements pour les hommes qui vont nous aider et pour stocker les marchandises que je commencerai à entreposer pour notre futur voyage.

« - Oui ben avant de parler de marchandises on va déjà parler du bateau parce que là on en est loin Oleg. »

Il se tourna vers moi et mis ses deux grosses mains sur mes épaules. Je dus d’ailleurs à ce moment-là m’enfoncer un peu dans le sol tellement elles étaient lourdes. Me fixant droit dans les yeux il me dit le plus sérieusement du monde :

« - Tu sais construire des bateaux l’architecte ?

« - Oui

« - Tu l’as bien en tête, tu es sûr ?

« - Il faut que j’approfondisse un peu mais oui en gros je sais à quoi il va ressembler et comment je vais m’y prendre pour le construire, répondis-je sans trop y croire.

« - Alors sache que l’essentiel est là. Si tu as l’idée, tout le reste n’est qu’un détail matériel. Ce sont les idées et les projets qui nous font vivre. Et rien ne doit t’arrêter. Laisse aller ton imagination. Je m’occupe du reste. Allez viens, allons manger ! Ce n’est pas bon de se lancer le ventre vide dans de grands projets. » Et de son pas joviale et immense, il partit droit devant lui.