samedi 28 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Lutins.

« - Monsieur ? Monsieur ? Hein les arbres ils parlent aux gens ? Et entre eux aussi. Hein c’est vrai ? »
En ce début d’après-midi brûlante, je m’étais légèrement endormi sous un des arbres du parc. J’étais venu pour lire un livre que j’avais commencé il y avait des lustres et pour trouver un peu de fraîcheur aussi. Mais j’avais rapidement sombré dans le sommeil, bien avant même d’avoir lu une page dans son intégralité. La nuit courte et festive de la veille couplée à une chaleur accablante et à ce mauvais roman à l’histoire aussi saugrenue qu’alambiquée avait eu raison de ma faible volonté à rester éveillé. Je m’étais donc laissé complètement aller dés les premières attaques de la sieste, heureux quelque part, qu’elle arrive si vite.
De toute façon dés en partant de chez moi je me doutais bien que transporter ce livre de mon appartement à la pelouse du parc n’allait pas le rendre beaucoup plus attrayant. Mais l’idée d’être juste assis sans rien avoir à faire d’autre que regarder les gens passer m’angoissait. Alors j’avais pris ce bouquin histoire de me donner un peu de contenance. Un peu comme j’aurai pris une paire de palme pour aller à la plage, tout en sachant pertinemment que je détestais m’en servir.
Bref, mollement avachi le long du tronc, tentant sans trop y croire de garder un minimum de dignité en lisant et relisant quinze fois la même phrase, j’avais finis par me laisser entraîner par mes propres histoires, bien plus intéressantes. Je naviguais donc dans cet étrange entre monde dans lequel on croit que l’on dirige ses rêves, espace irréel où l’on est certain d’être le maitre de ce qui arrive jusqu’à ce que le réveil vous saisisse et que vous réalisiez à quel point vous étiez enlisé profondément dans le sommeil, loin, bien loin des rives de la réalité.
Moi mon réveil ce jour-là s’incarna en un petit garçon blond au visage parfaitement innocent et au regard fort sérieux. Il devait avoir cinq ou six ans et était accompagné d’une petite fille et d’un autre garçonnet sensiblement plus jeunes. Cet auditoire juvénile me scrutait avec autant d’attention que si j’avais été le dernier survivant sur la terre. Encore enveloppé du brouillard de mes rêveries je bredouillais une réponse pâteuse à propose de cette histoire d’arbre qui parle :
« - De euh…pfff…euh…non. Je crois que non euh…enfin peut être après tout j’en sais rien.
« - Et ils se disent quoi entre eux ? » enchaîna aussitôt mon petit inquisiteur. J’avoue qu’à cet instant la situation me parut un brin surréaliste. Tout en me redressant de mon avachissement pour tenter de reprendre une position à peu prés correct, je jetais un regard circulaire dans l’espoir de voir arriver l’un des parents. Mais rien. Tous les adultes étaient assis sagement sur les pelouses et devisaient entre eux pendant que tous les enfants courraient par grappes dans la touffeur qui les indifféraient. Exceptés les trois miens qui voulaient savoir ce que disaient les arbres aux hommes ou inversement. Un peu pris de cour je balbutiai tout en tentant de rassembler mes idées encore éparpillées :
« - Eh ben ils se disent euh… je ne sais pas moi, la même chose que nous sûrement. Ils se demandent des nouvelles pour savoir si tout va bien par exemple.
« - Et tu crois qu’ils comprennent ce qu’on leur dit ? »
Je n’ai jamais aimé les enfants. Leur spontanéité presque impulsive à poser des questions quasiment avant d’avoir la réponse m’a toujours fatigué, particulièrement chez les tous petits. C’était comme si les réponses importaient peu et que seul comptait le feu nourri de leurs impulsions interrogatives. Je trouvai ça épuisant, tout autant que leur capacité à gesticuler, courir et hurler des heures durant sans aucun moment de pause. J’étais un calme et pourquoi ne pas l’avouer, un mou. Un dilettante qui aimait à marcher d’un pas de sénateur dans la vie et qui appréciait peu d’être bousculé. J’étais très heureux comme ça.
Mais là, cerné par cette cour, adossé à mon arbre avec l’impossibilité de m’échapper et soumis à la question comme si nous étions revenu aux temps de l’inquisition, j’étais l’objet d’une attention trop assidu pour me sentir tout à fait à l’aise. Perdu dans mes conjectures pour trouver une porte de sortie à la fois digne et efficace, je ne vis pas venir l’interrogation suivante :
« - Et qu’est ce qu’il t’as dit à toi l’arbre ? » Autant j’avais été surpris par les autres questions, autant celle-ci me laissa complètement sans voix pendant plusieurs secondes. Mais aucun d’eux ne baissa le regard ou ne sembla envisager l’incongruité de ce qu’il venait de dire. La petite fille insista.
« - Ben oui quand tu faisais dodo tu parlais. On parle pas normalement quand on fait dodo. Ou alors c’est qu’on est fou. T’es pas fou toi hein ?
« - Non ! Non non je ne suis pas fou, répliquais-je en souriant bêtement, enfin pas que je sache en tous les cas, rajoutais-je à voix basse.
- Alors vous vous racontiez quoi toi et l’arbre ? »
Je voyais bien qu’il allait être difficile de me séparer d’eux. J’aurai très bien pu me lever et partir en ignorant leurs questions mais si je n’aimais pas les enfants je n’aimais pas pour autant les savoir tristes, surtout si c’était de mon fait. Mais là vraiment je ne voyais pas ce que je pouvais leur raconter. Je tentais une première esquive en lançant un pathétique mais sans conviction :
« - Rien. On ne c’est rien dit les enfants. On ne c’est rien dit parce que je ne parle pas aux arbres. » C’était comme si chaque mot avait été une gifle ou une punition particulièrement sévère et injuste que je venais de leur infliger. Avec cette phrase je sentais que je venais de briser quelque chose d’important de leur imaginaire. Quelque chose qui avait trait avec la certitude. Leur raisonnement était d’une logique si infaillible qu’il était évident que si je parlais c’était que je parlais à quelqu’un et n’étant entouré de personne au moment même de mon forfait, le seul être potentiellement crédible de recevoir mes confidences était l’arbre sous lequel je me reposais. Face à leurs regards lourds et accusateurs, un malaise me saisit. D’évidence à leurs yeux je mentais. Et être un menteur semblait être une sacrée tare. Je tentais de sourire tout en écarquillant les yeux pour essayer d’amoindrir le choc mais ce fut pire que tout. Je sombrai dans le ridicule accompagné de leur silence soupçonneux en diable. Ils ne bougeaient plus, attendant je ne sais quel revirement de ma part. Celui-ci survint sans même que j’en ai conscience. Guidé par un sentiment de culpabilité et de gêne, je finis par bredouiller presque malgré moi :
« - Non mais euh…C’est que ce qu’on se dit dans ces moments là, c’est un peu secret vous voyez ? » L’énormité de ce que je venais de raconter eut pour effet immédiat de rallumer la joie des bambins. De façon inversement proportionnelle, mon angoisse explosa. Je tentais de réfléchir à ce que je venais de dire pour essayer de trouver un moyen de rebondir mais la petite fille en levant les bras me demanda presque en criant :
- C’est secret pourquoi ? Tu vas être puni si jamais tu nous le dis ? » Je me raccrochais aux branches, trop heureux qu’elle me propose elle même, un échappatoire :
- Oui voilà c’est ça. C’est exactement ça. Je serais puni C’est très secret et je ne dois en parler à personne d’autre qu’à l’arbre.
- Et qui c’est qui te punira ?
- Ben le lutins magiques tiens pardi, s’enflamma celui qui m’avait réveillé. Ceux qui gardent les arbres et qui vivent dans leurs racines. Je le sais. Mon papa m’a raconté hier soir leur histoire. Hein c’est vrai que c’est les lutins qui te punirons ? Peut-être même qu’ils te transformerons en champignon ou en limace.
- Beuuuh ! C’est nul les limaces. » fit le plus jeune en trébuchant un peu sur les mots. Je ne sais pas si ce fut cette flambée imaginative qui contribua à stimuler la mienne ou bien l’enfant qui sommeillait encore en moi qui se révolta face à la perspective d’être transformé en limace mais toujours fut il que je répondis du tac au tac :
- Non mais non hé ho ! Ni champignon ni limace. Moi je ne crains personne parce que cet arbre est mon ami et qu’il me protégera quoi qu’il arrive. Mais si je ne vous en dis pas plus, ce n’est pas parce que j’ai peur d’être transformé en quoi que ce soit, je n’ai peur de rien moi, mais c’est juste que ce que nous avons partagé l’arbre et moi, il m’a demandé de ne pas le répéter. Vous répéteriez un secret qu’un de vos amis vous aurez confié vous ? Un secret que vous auriez juré de ne jamais dévoilé ? » Je pus lire à ce moment là une certaine admiration sceptique sur leurs visages. Bien sûr qu’il était hors de question de trahir un secret. Pour rien au monde cela ne devait se produire. Surtout si votre ami vous avez demandé de garder la chose pour vous.
« - Mais quand même tu parlais bien avec l’arbre tout à l’heure ? » insista la petite.
« - Oui, je parlai avec l’arbre tu avais raison.
« - Ah tu vois on te l’avais dis que c’est vrai qu’on peut parler avec les arbres » dit celui qui m’avait réveillé en se tourna vers le plus jeune. Ils se levèrent comme d’un seul homme m’ignorant complètement et tout en repartant vers un bosquet je les entendais dire :
« - Donc tu vois il faut lui demander à l’arbre avant de lui couper sa branche. Je le savais personne veux jamais me croire, vous m’énervez à la fin. »
Complètement réveillé maintenant, je continuai à les observer un long moment. J’étais sorti de leur monde aussitôt qu’ils avaient eu la réponse qu’ils attendaient de moi et rien ne semblait indiquer qu’à aucun moment, je ne devais de nouveau croiser leur route.

mercredi 11 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le baiser

Le baiser souleva dans son ventre une vague d’adrénaline qui explosa dans son crâne et à travers tout son corps comme une violente décharge. Si la joie était la principale pourvoyeuse de cette excitation, une puissante teinte nostalgique colorait l’ensemble. Elle se délecta de ce cocktail Molotov avec autant de passion que s’il c’était agi de son premier baiser. Du même que celui qu’elle avait échangé avec Xavier son amour de collège, un soir de mai et qui ressurgissait juste à cet instant, inexplicablement.
Elle avait aujourd’hui trente cinq ans et si elle ne c’était jusque-là jamais laissée envahir par les images du passé, elle sentait monter en elle pour la première, dans les prémisses de cette nuit finissante, une irrésistible envie de revenir en arrière. Il y avait dans ce baiser, bien plus que l’aboutissement d’une séduction enivrée et terriblement sensuelle. Il y avait la concrétisation de la fin de cet amour qu’elle avait cru partager avec son mari pendant quinze ans et qui l’avait conduite à ce désastre qu’était l’oubli d’elle-même. Il y avait toutes ces envies réfrénées, ces actes manqués, ces petites frustrations et ces grosses contrariétés sur lesquelles elle c’était construit une nouvelle personnalité.
A la sortie de l’adolescence, elle était alors tellement sûre qu’elle était une adulte accomplie que rien ne la faisait douter quand à l’amour qu’elle éprouvait pour l’homme qu’elle venait de rencontrer. Elle c’était jetée à corps perdue dans l’aventure du couple sans se poser la moindre question. Leur premier était arrivé par hasard et par envie. En l’apprenant, ils avaient ri. Puis lui avait trouvé un poste important loin de leur ville natale. Il avait quitté les amis, la famille, pour tout reconstruire ailleurs, ensemble. Elle, c’était dit qu’elle trouverait une fois sur place. Protégée par celui à qui elle avait liée sa vie, elle avait déroulé toute la panoplie de la femme heureuse sans jamais prendre le temps de s’interroger sur la signification de tout ces rituels. Mariage, deuxième enfant, achat de maison. Petit à petit, sans bruit, le quotidien s’était installé, l’avait étouffé. Pris par un boulot qu’il considérait désormais comme sa priorité, il la laissait assurer avec de plus en plus de distance une intendance qui lui incombait entièrement.
Les premiers moments de solitudes surgirent avec les nuits à attendre. De réunions en séminaires, de formations en voyages d’affaires, sa vie se retrouva cantonnée à espérer que tout ceci dure le moins longtemps possible. Mais c’est l’inverse qui se passait. L’espérance glissa vers la patience qui rapidement, se mua en errance au milieu d’une maison et d’une vie qui lui était de plus en plus étrangère. Elle aimait s’occuper de ses enfants là n’était pas la question. Mais les interrogations commencèrent à effleurer, pour se faire de plus en plus pressantes, de plus en plus perçantes et pour finirent par devenir complètement oppressantes. Ce n’était pas ça qu’elle voulait. Ce n’était pas ça qu’elle avait imaginé. Lui non plus d’ailleurs. Les disputes succédèrent aux moments de glaciations. Les reproches se transformèrent en revendications. Chacun isolé dans sa vie regardait l’autre comme un étranger, lui jetant au visage son lot d’incompréhensions incohérentes. Puis était venu la séparation.
La solitude malgré les enfants, continua de grandir. Elle était comblée de temps à autres par des repas avec des amis, des nuits festives qui faisaient remonter sans cesse les souvenirs de jeunesses. Cette époque qui avait glissé si vite et qu’elle ne voulait pas voir totalement révolue. A trente cinq, pouvait elle sérieusement se considérer comme vieille, ou même mûre ? Non bien sûr, loin de là. Elle avait encore tellement de chose à faire. Lorsque le garçon qui la tenait dans ses bras pour l’embrasser desserra son étreinte, elle baissa presque aussitôt les yeux au sol. Elle appuya sa tête contre son épaule. Elle ne voulait pas le voir. Elle voulait juste se sentir en sécurité, accompagnée de l’illusion charnelle de ce sentiment que ce soir peut être, tout pouvait de nouveau recommencer.

jeudi 5 novembre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le vieil homme et la guerre.

Et l'espace d'une seconde, à la fin du repas, le temps s'est suspendu. Il s'est un peu affaissé sur sa chaise et son regard s'est fixé sur moi :
"- J'ai fait la guerre tu sais..." Il m'a dit ça comme on confie un secret dont on a honte mais qu'on ne peut plus garder pour soi parce qu’on ne sait plus quoi en faire, parce qu'il est devenu trop lourd, trop pesant pour un homme seul. Il a continué à regarder la nappe en la caressant d’un geste mécanique de ses doigts noueux légèrement repliés, les yeux toujours dans le vague.
"- Alors moi quand j'entends parler de la guerre, quand j'entends à la télé qu'il y a des gens qui vont mourir, des femmes et des enfants, je sais ce que ça veut dire. Je sais que c'est moche...qu’y a des gamins qui vont plus dormir des deux côtés...parce que dans ces moments là tu vois des choses…tu vois des choses qu’y vaudrait mieux pas voir...Tu deviens fou. C’est comme un cauchemar dont tu peux plus partir. T’es enfermé là et tu fais…tu fais ce qu’aucun homme ne devrait avoir à faire, jamais. Et puis après, on te laisse avec tout ça. Avec tes souvenirs qui te bouffent parce que les souvenirs c’est comme des vers dans un cadavre, ça s’en va pas t’en qu’y a encore des trucs à grignoter. Et moi toutes les nuits, tous les jours, dés que j’arrête, je sens que ça se met à grouiller dans ma tête. Ça se met à me démanger et à me manger le cerveau. T’es plus jamais tout seul après ça. T’es toujours accompagné par l’ombre de la mort et le poids du remord. "
En même temps qu’il me parlait, je pouvais lire dans ses yeux : « - Dis moi ! dis moi toi qui n’a pas connu la guerre, que j’ai eu raison de faire ce que j’ai fait. Que j’ai eu raison de fuir tout ce que j’avais pu détruire et qu’ici, loin de ma terre natale, avec ce que j’ai pu reconstruire, je peux me dire que finalement, je n’ai pas eu une vie si honteuse. Evidemment ça n’est pas fini. J’aurai encore tellement de choses à faire, tellement de choses à fuir. Mais s’il te plait, dis moi que je n’ai pas tord… »
Sa femme est revenue avant que je ne puisse prendre la parole avec les cafés fumants, les petits gâteaux qu'elle avait fait elle même et toutes ces petites douceurs qui jalonnaient leur quotidien et qu'ils me faisaient partager depuis quelques jours. La conversation reprit son cours, innocente et altière parce que elle, ne voulait pas entendre parler de la guerre. Parce qu’elle en savait sûrement déjà trop et qu’elle savait surtout qu’il n’y avait plus rien à rajouter ni à pardonner. Elle savait qu’ils devaient faire avec. Elle comme lui.
On a continué à parler recettes et pêche au gros. On a continué à parler de la vie, de leur vieillesse, de ma jeunesse, du hasard de notre rencontre et du programme des jours à venir. On a continué à descendre ensemble le long des flots innocents de ces quelques jours que j’étais venu passer là.
Mais ce soir-là, lorsque je l'ai vu assis devant sa télé, regardant défiler les images des informations avec sa mine fatiguée et sa respiration lourde, j'ai vu un homme qui arrivait au bout de son combat. J'ai vu un homme qui commençait à se sentir faiblir et qui savait que bientôt, très bientôt, il n'allait plus pouvoir bouger autant qu'avant, plus pouvoir remplir l'espace et vider sa tête. Ses démons se rapprochaient et il les sentait monter du plus profond de ses cauchemars. Il les sentait le guetter dans l’ombre au coin du lit. Toutes ces images d’horreurs qui lui raccourcissaient ses nuits depuis tant d’années, toutes ces visions de violence qu’il avait fui avec tant d’énergie depuis qu’il était revenu, il les sentait maintenant se profiler comme un courant d’air froid et glacial. Et bientôt, très bientôt, il allait devoir les regarder en face.