mardi 31 mars 2009

Le bateau d'Oleg (2)

J’appris rapidement à connaître Oleg. Au début nous n’étions que quatre dans son « équipe ». Il y avait Oleg, bien sûr, sa femme qui était chargée de l’intendance, un charpentier nommé Thomas et moi-même.

Oleg passait des soirées entières à nous expliquer son projet démentiel. Mais plus il en parlait, plus il nous semblait fou.

« - Et donc si j’ai bien compris, fini par dire un soir Thomas, nous construisons le bateau, nous le chargeons et nous partons droit devant nous vendre le tout à l’autre bout du monde. C’est bien ça ?

« - Exactement. Tu as tout compris.

« - Mais si jamais le bateau coule ou si jamais il arrive un malheur, qu’est ce qu’on devient ? » Oleg regarda le feu une longue minute l’air dubitatif. Puis son visage s’éclaira d’un sourire et il dit l’air fier de lui :

« - Il n’arrivera rien. Ne vous inquiétez pas. Ce qui compte pour le moment, c’est d’avancer. Chaque chose en son temps. » Puis il partit dans un grand rire et rajouta :

« - Et puis au pire nous nous serons connus et nous aurons vécu un grand moment ensemble. N’est-ce pas déjà suffisant ? » et après m’avoir mis une grande claque dans le dos qui failli me briser la colonne vertébrale, il décida que c’était l’heure d’aller se coucher.

Alors, suivant Oleg et ses idées folles, nous avancions. Rapidement, le nombre de personnes sur le chantier augmenta. La plaine petit à petit se transforma. Le hangar à bateau grandit, les baraquements se remplirent d’hommes, les docks de stockages sortirent de terre, prêts à accueillir les marchandises. Et partout, le rire d’Oleg éclatait, donnant de l’énergie à tous, balayant les doutes et les peurs.

A la fin de l’hiver pourtant, le premier vrai problème fit son apparition.

« - Oleg, je peux te voir une seconde, demandais-je un jour qu’il commençait à neiger.

« - Entre l’architecte entre. Alors qu’elles sont les nouvelles ?

« - Nous allons avoir un sérieux problème. Il se trouve qu’en discutant avec Thomas sur la taille des bois dont je vais avoir besoin pour réaliser la structure du bateau, il m’a fait part de ses inquiétudes.

« - Raconte.

« - La construction des hangars et des maisons a mobilisé beaucoup de bois et les forêts des alentours ont été vidé de leur bois de structure. Je crois qu’il va falloir que nous fassions venir des poutres d’ailleurs. »

Oleg se leva et tout en se passant la main dans sa grande barbe marmonna une série de paroles incompréhensibles. Puis il finit par dire :

« - Hum hum. Ce n’est pas l’option la plus avantageuse et cela va entraîner de grosses dépenses mais si nous n’avons pas le choix, alors faisons venir du bois d’ailleurs. »

Cette « option » comme il l’appelait, allait nous rajouter des mois de travail. Le temps de commander les nouveaux bois, de les faire venir, de les travailler pour les besoins du bateau etc… cette perspective me plongea soudain dans un profond abattement. Je quittais Oleg en traînant les pieds.

Plusieurs jours passèrent. Je n’allais pas mieux et le mauvais temps qui se déchaînait ne faisait que rajouter à mon humeur massacrante. Un soir, alors que nous étions réuni dans la cabane d’Oleg pour discuter de tout un tas de détails je lui fis soudain part de mon envie d’abandonner :

lundi 30 mars 2009

Le bateau d'Oleg (1)

Le bateau d’Oleg

Oleg Oliakov avait des bras comme des bûches, une barbe noire et broussailleuse contrastant avec son crâne parfaitement rasé et brillant, des mains énormes et un rire à faire trembler les montagnes. Mai Oleg n’était pas seulement immense physiquement. C’était toute sa personne qui était gigantesque. Sa façon dont il brassait de l’air comme un moulin à vent, ses déplacements incessants alimentés par une énergie incroyable étaient autant de témoignages de sa démesure. C’était à croire que chez lui, la fatigue n’était qu’une idée mais rien de plus. Elle ne s’exprimait jamais concrètement, si ce n’est sur l’équipe avec laquelle il travaillait. Car Oleg avait un rêve depuis toujours. Il voulait construire un bateau. Mais pas n’importe quel bateau. Un bateau énorme, à sa mesure à lui. Le bateau le plus grand du monde disait-il. Un bateau à l’intérieur duquel il pourrait mettre des tas et des tas de marchandises et partir les vendre là-bas, dans ces pays lointains qui n’ont pas ce que nous avons ici :

« - Tu comprends l’architecte, m’avait-il expliqué le jour où il était venu me voir pour me parler de son projet, avec un bateau suffisamment grand nous pourrons partir à l’autre bout de la terre, chargés des milles épices d’ici et une fois sur place nous vendrons tout notre stock. Mais surtout, nous ferons des rencontres par milliers, nous allons découvrir le monde, goûter à des plats nouveaux... AHAHAHAHA mon ami !! Grâce au bateau que tu vas nous construire, une nouvelle vie va s’ouvrir à nous. »

Je n’avais pas pu refuser. Ça n’était pas que j’y avais spécialement réfléchi avant. Non non. C’était juste qu’Oleg était tellement sûr que je dirai oui, qu’il me considérait déjà comme faisant parti de l’aventure. Alors j’ai suivi. Comme j’étais à l’époque un tout jeune architecte de marine qui n’avait pas encore prouvé grand chose, je me suis dit qu’à coup sûr, tout ceci était une chance.

Ce n’est qu’une fois sur place que je me suis dit que j’aurai peut-être du le prévenir que je n’étais pas magicien mais seulement architecte.

Oui. Parce que si Oleg ne se laissait abattre par rien, il avait un rapport assez étrange avec la réalité.

« - Mais…je vais devoir construire le plus grand bateau du monde ici ? » demandais-je le jour où il me présenta fièrement une grande plaine vide qui tombait jusqu’à la mer, située juste derrière lui.

« - Exactement. Tu as tout compris mon ami.

« - Mais attend Oleg…Il n’y a rien là. Il n’y a même pas un bâtiment pour nous abriter nous.

« - Qu’est ce que tu crois ? Que je ne le sais pas. »

Son bras énorme vint s’entourer tout autour de mon cou et j’eu soudain le sentiment désagréable d’avoir un énorme anaconda posé sur moi.

« - Regarde et fait jouer ton imagination. Tu vois, là-bas sur la gauche, on va faire monter un hangar pour le futur bateau. Il va falloir qu’il soit immense mais la forêt qui est là, juste derrière, est à moi. On va la raser pour s’en servir pour les hangars. A droite de la plaine par contre, on va construire tout un tas de baraquements pour les hommes qui vont nous aider et pour stocker les marchandises que je commencerai à entreposer pour notre futur voyage.

« - Oui ben avant de parler de marchandises on va déjà parler du bateau parce que là on en est loin Oleg. »

Il se tourna vers moi et mis ses deux grosses mains sur mes épaules. Je dus d’ailleurs à ce moment-là m’enfoncer un peu dans le sol tellement elles étaient lourdes. Me fixant droit dans les yeux il me dit le plus sérieusement du monde :

« - Tu sais construire des bateaux l’architecte ?

« - Oui

« - Tu l’as bien en tête, tu es sûr ?

« - Il faut que j’approfondisse un peu mais oui en gros je sais à quoi il va ressembler et comment je vais m’y prendre pour le construire, répondis-je sans trop y croire.

« - Alors sache que l’essentiel est là. Si tu as l’idée, tout le reste n’est qu’un détail matériel. Ce sont les idées et les projets qui nous font vivre. Et rien ne doit t’arrêter. Laisse aller ton imagination. Je m’occupe du reste. Allez viens, allons manger ! Ce n’est pas bon de se lancer le ventre vide dans de grands projets. » Et de son pas joviale et immense, il partit droit devant lui.

dimanche 29 mars 2009

vendredi 27 mars 2009

Petite phrase

Entendu en attendant le bus: (Fort accent marseillais)
"- Putain t'es fou de fumer ces clopes ! En deux jours elles te font la voix à Garou..."

mercredi 18 mars 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Lassitude.

On ne baise plus. On fait parfois l’amour mais de plus en plus rarement. Et puis quand on s’y lance, c’est gentiment, presque poliment, en s’excusant. Mais on ne baise plus ça non. Disons qu’on se câline sexuellement. C’est doux mais à force, ça n’est plus très excitant. Peut-être est-ce du à l’âge ? Peut-être est-ce une fatalité liée à l’âge, je ne sais pas. Je n’en parle avec personne d’autres. C’est délicat vous me direz. Et puis les gens qui m’entourent et avec qui je serai susceptible d’avoir ce genre de conversation comparative sont peu nombreux. La plupart de mes amis se sont soit remariés, soit séparés et vivent très bien seuls. Mais plus aucun n’a trente ans de mariage comme moi. Alors forcément, ce serait difficile de confronter de manière objective nos points de vue sur la question. Vous pensez bien. Se remarier c’est un peu comme relancer sa carrière et vivre séparé c’est se laisser une parenthèse ouverte. J’imagine donc qu’arrivé à la cinquantaine, les gens comme moi ne baisent plus, parce que c’est comme ça. Et ça me réconforte un peu de me dire que je ne suis pas seul dans ce cas-là. Même si ça n’est jamais qu’un constat. Le pourquoi de tout ça lui, reste perdu quelque part entre la lâcheté, la paresse et la lassitude. Ou peut-être c’est il tout simplement fait dévorer par d’autres priorités qui doucement, ont pris la place du sexe. Même si ça n’est pas le sexe en lui-même que je regrette tout bien réfléchi. Ce qui me manque surtout, au-delà de l’animalité que l’on pouvait mettre dans nos corps dans ces moments-là, c’est le partage que nous mettions dans nos gestes. Cette envie de sentir l’autre, profondément, jusqu’au bout, jusqu’à la jouissance, parfois jusqu’à l’extase. Si si. L’extase. Je pèse mes mots.

Maintenant lorsque je nous regarde, elle parlant aux enfants au téléphone de temps à autre, leur expliquant que ça va, qu’on espère qu’ils vont bien, qu’ils nous manquent un peu, et moi, assis à regarder la télé en écoutant d’une oreille, j’en arrive à me dire qu’en fait, ce qui nous a tué, c’est qu’on se connaît trop.

Je sais ce qu’elle va dire avant qu’elle ne le dise. Je sais exactement à quelle heure elle arrive du boulot. Je sais exactement les gestes que je vais faire le matin en me levant. Je sais parfaitement que son parfum aura envahi la salle de bain avant de partir comme tous les matins, que la chambre sera parfaitement en ordre avant que je ne revienne de me laver les dents. Je sais très bien que le samedi, c’est le jour du marché et qu’invariablement, elle me demandera si je veux m’arrêter boire un café sur la petite place qui le jouxte. Je sais que le soir elle ira se coucher la première et que je resterai seul dans le salon en prétextant que je n’ai pas sommeil. Je sais que c’est elle met la table et que c’est moi qui débarrasse. Je sais tout ça par cœur.

J’ai l’impression d’être coulé dans un bloc d’habitudes inertes que seul le passage d’un des enfants ébroue parfois. Et encore. Nous préparons tellement leur venu que même ça reste tranquillement renversant.

Alors le sexe. Vous pensez bien. Comment le rendre palpitant si l’on sait à l’avance ce qui va se passer, à quelle heure et dans quel but. Ce qui le rend si excitant selon mes souvenirs, c’est lorsqu’on se surprend à  vouloir soudain posséder l’autre si fort que l’on met tout en œuvre pour arriver à ses fins. Quelle que soit l’heure et le lieu. Au contraire, la contrainte devient un jeu. Mais lorsque tout est lisse, propre, répété et bien préparé, que reste t il au sexe ?

samedi 14 mars 2009

Deux fois...

Mauvais temps.

 

« - …Le vélo blanc de Louise, la serviette, le sac à dos….Ah oui la bouteille d’eau… elle est où ? Ok elle est là. Bon ben c’est bon. Tout est dans la voiture on peut y aller.

« - T’es sûr qu’on prend pas les coupe-vents ? Il fait pas super beau non plus Thomas. Moi je pense qu’on devrait au moins les mettre dans le coffre et puis une fois qu’on sera au départ de la piste on verra si on les met ou pas. Non ?

« - Bon d’accord vas-y colle les dans le coffre. Ça coûte rien de toute façon t’as raison. Mais franchement on s’encombre pour rien.

« - On verra bien. Bon Paul, Séraphine, Louise, allez allez, tout le monde dans la voiture. On y va.»

Sophie ouvrit la porte de derrière, jeta en boule les coupe-vents dans le coffre, fit monter la marmaille, attacha tout le monde et enfin, vint s’asseoir avec son mari devant.

« - C’est bon tout le mode est bien attaché ?

« - Ouiiiii » répondirent en coeur trois petites voix enthousiastes.

« - Alors c’est parti. » lança-t-elle d’un ton enjoué. Elle adorait ces moments où ils se retrouvaient tous ensemble. Ces dimanches de printemps où le beau temps laissait pour la première fois depuis de longs mois, l’opportunité de partir toute la journée se promener dans la campagne sans être frigorifié au bout d’une heure.

« - T’as pris le vélo de Louise ?

« - Comment aurais-je pu oublier le vélo de Louise enfin. Elle ne le quitte pas depuis hier. C’est tout juste si elle n’a pas dormi avec. »

La petite dernière avait fêté son anniversaire la veille et avait eu comme elle l’avait demandé, un vélo blanc tout neuf. Un joli vélo blanc, avec vitesses et sans petites roues. Un vélo qui était le sien, rien qu’à elle. Pas un objet qu’elle avait récupéré de son frère ou de sa sœur. Non. Un vélo à elle que personne n’avait jamais utilisé auparavant.  Et blanc s’il vous plaît. Ses parents avaient tenté de savoir pourquoi cette couleur plus qu’une autre mais il n’y avait jamais vraiment eu d’explication rationnelle ou du moins compréhensible pour eux. C’était juste cette couleur qu’elle voulait, un point c’est tout.

Quelques copains de sa classe étaient venus dans l’après-midi pour fêter l’événement et puis le soir, c’était toute la famille qui avait débarqué. C’est à ce moment-là seulement que le vélo lui avait été offert.

C’est à ce moment-là aussi, que Sophie avait ressenti pour la première fois et de façon particulièrement intense, qu’elle ne serait plus jamais enceinte. Jamais cette perspective ne lui avait traversé avec autant de violence l’esprit. Elle était heureuse d’avoir ses trois enfants là n’était pas la question. Mais elle arrivait à un âge où cette question n’était plus devant mais derrière elle. En voyant cet après-midi là tout ce petit monde s’agiter dans tous les sens, en accueillant la mère de Vincent qui était enceinte du deuxième, elle avait réalisé que maintenant cette époque était révolu pour elle. Avoir des enfants ne serait plus jamais un projet. Et depuis hier cette pensée ne la quittait plus. Elle n’était pas envahissante. Elle ne sentait pas qu’elle l’attirait vers un terrain nostalgique ou dépressif. Mais elle était présente et semblait vouloir s’installer. Ses enfants étaient là, devant elle et plus aucun, jamais, ne sortirait de son ventre.

« - Bon alors on les prend ces parkas ou quoi ? » Elle émergea de ses pensées.

« - On a qu’à les mettre au fond de la caisse derrière ton vélo. Ça te fait pas beaucoup plus lourd de toute façon. Et puis comme ça on sera plus tranquille tu crois pas ?

« - Bon d’accord. Louise. LOUISE ! Reste ici ne va pas vers la route. On part de l’autre côté de toute façon. »

Fière de son nouveau vélo, la petite était partie droit devant elle une fois sa selle enfourchée.

« - Venez ici les enfants. Thomas rassembla ses troupes et leur exposa l’itinéraire. Nous allons prendre le petit chemin qui est devant nous là. Jusqu’à la prochaine intersection, vous pouvez rouler à la vitesse que vous voulez mais toujours ensemble. Vous m’avez bien compris ? Tu as compris Paul ? Nous avec maman on vous suit. Aller hop ! Et vous n’êtes pas obligé de rouler comme des missiles. » Ses dernières paroles se perdirent au milieu des cris de joie.

« - ça va ? T’as l’air absente. » s’enquit Thomas auprès de son épouse.

« - Non ça va. Les temps changent c’est tout. Des fois ça me fait bizarre de voir les enfants grandirent. De savoir que nous on ne grandit plus mais qu’on vieillit. C’est étrange. » Thomas ne releva pas.

Peu après leur départ, le temps se mit au gris. Il y eut le vent d’abord, qui tourna à l’aigre. Il se leva par petites saccades froides charriants dans son sillage, une série de nuages tristes.

« - Rah non. Il va pleuvoir et mon vélo va être tout sale ! » râla Louise.

« - T’inquiète pas on le lavera en arrivant. » la rassura Thomas.

Et à mi-parcours, la pluie se mit à tomber. Fine et poisseuse d’abord, s’infiltrant plus qu’elle ne mouillait réellement. Puis vint l’armée des grosses gouttes et leur franc rideau trempé. Heureusement la famille à ce moment-là était déjà à l’abri. Par un coup de chance inespéré, elle avait trouvé sur son parcours une grange ouverte qui semblait plus ou moins abandonnée. Ouverte sur l’extérieur par son immense porte, tout le monde pouvait voir le mauvais temps passer tout en étant chaudement abrité au milieu des bottes de paille.

« - T’es sûr qu’on peut rester là papa ? » demanda à plusieurs reprises Séraphine un brin inquiète.

« - Mais bien sûr ma petite loutre. Allez mange. Quand ça se lèvera, on repartira. »

Le pique-nique fut donc avalé avec vue sur la campagne morne et détrempée dans une ambiance tranquille et rassurée. Les enfants prirent rapidement possession des lieux et les parents, parlèrent de sujets sans reliefs, juste pour le plaisir d’entretenir une conversation d’un dimanche familiale.

Et puis les nuages, balayés par le vent badin, laissèrent place à un ciel bleu abreuvé de soleil. Le mauvais temps ne laissa derrière lui qu’une couche humide que déjà, l’air et la température redevenu printaniers s’appliquaient à gommer. Loin devant, les enfants avaient repris leur course joyeuse tandis que derrière, suivaient les parents, entraînés pars le courant.

vendredi 13 mars 2009

mercredi 11 mars 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Salsa.

Elle alluma la radio et la laissa déverser sans les entendre, les nouvelles du monde qui va mal. A l’intérieur de l’appartement, il faisait une chaleur torride. Si elle avait ouvert les fenêtres ce n’était non pas pour laisser rentrer de l’air frais, cela faisait longtemps qu’il n’y en avait plus la moindre particule nulle part, mais pour écouter les bruits du dehors ; les casseroles qui s’entrechoquent, les assiettes qui claquent, les cris des enfants qui jouent et les lumières qui petit à petit, percent des trous dans la nuit qui s’étale. Cette chaleur moite caressait une partie d’elle qu’elle avait enfoui depuis longtemps sous les tombereaux d’un quotidien sur actif. Après s’être complètement laissé imprégner de la chaleur comme on se serait coulé dans un bain chaud, elle se ravisa quand à son écoute. D’un pas souple elle se dirigea vers sa platine, prit son temps pour choisir un CD et finalement, le sourire aux lèvres, glissa un disque dans la fente et lança la musique. Les notes de salsa commencèrent aussitôt à danser dans les airs animant soudainement l’espace. Elle, debout dans son salon toujours ouvert sur l’extérieur, ferma les yeux tout en balançant doucement son corps. Elle se déhanchait en un mouvement imperceptible comme si quelque chose encore la retenait et l’empêchait de se laisser aller complètement dans les bras de cette musque pourtant si entraînante.

Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas écouté ces sons de chez elle. Elle ne les fuyait pas non. Mais elle savait toute la puissance terriblement nostalgique que renfermaient ces notes. Alors elle avait préféré un temps, les mettre de côté. Le temps de s’habituer à sa nouvelle vie. Le temps d’assumer son choix, celui d’être parti. Mais ce soir, dans cette chaleur suffocante, quelque chose en elle avait cédé. Quelque chose qui mêlait besoin physique et mélancolie doucement impérieuse.

Arrivée dans ce pays loin de ses origines depuis bientôt trois ans, elle avait d’abord éprouvé l’ivresse de la découverte. Couplée à la fierté d’avoir réussi, elle avait tout fait pour s’intégrer dans son nouvel environnement. Comme tout était nouveau, tout était forcément magnifique. Et puis elle c’était tellement battue pour obtenir ce poste, elle avait tellement tout fait pour quitter cette famille qui l’emprisonnait, cette société qu’elle considérait étriquée, ce pays tout entier dans lequel elle ne voyait qu’une prison que lorsque enfin, après des années de combat, des années d’humiliations et de rejets, elle avait fini par obtenir le droit de venir s’installer ici, le saut dans le vide que couvait cette évolution avait été un véritable envol. Elle avait tout laissé là-bas et avait décidé de ne rien emmené ici.

La trahison pour sa famille avait été complète. Elle n’était d’ailleurs pas retournée là-bas depuis son arrivée ici. Pas encore. Elle avait bien parlé avec sa mère au téléphone de temps à autre. Elle avait bien appris que l’un de ses frère c’était marié. Mais la peur de tout affronter d’un coup ce passé qu’elle avait fui avait jusque-là été plus forte.

Mais sans se l’avouer, elle avait bien senti aussi l’or de leur dernière conversation que la colère avait  commencé à laisser place à la résignation. Le carcan commençait à craquer. Alors depuis, elle réfléchissait. Etait-il vraiment nécessaire de retourner dans ce pays qu’elle avait fui, vers cette famille dont elle avait peur ? Et ce que tout ceci pouvait être un piège ? Non. Ses parents étaient des paysans, pas des calculateurs machiavéliques. Ils étaient tellement persuadés de savoir ce qui ferait son bonheur qu’à aucun moment ils n’avaient envisagé qu’il puisse y avoir une autre vie possible. Et leur incompréhension de ses choix les avait rendu un temps, fou de douleur et de tristesse. Mais peut-être étaient ils prêt maintenant. Peut être.

La musique tout autour d’elle continuait de danser, innocente et hermétique à tout ses questionnements. Doucement elle leva les bras, ses hanches se libérèrent enfin et ses jambes, emportées par la joie, suivirent le flot des notes joyeuses.

vendredi 6 mars 2009

Une fois...

Babette

 

« - Le vélo blanc ? Quel vélo blanc ?

« - Celui de Babette. Tu sais celui que lui avait offert mamy avec les petites roues derrière.

« - Ah oui je me souviens. Maintenant que tu me le dis, je m’en rappelle parfaitement même. Mais à mon avis on a du perdre les petites roues parce que je sais que Jean les lui avaient enlevé à un moment donné. C’est sur ce vélo qu’elle a fait ses premiers tours de roues toute seule comme une grande. Je la revois là dans l’allée, entrain d’essayer de tenir droit son guidon. Toujours très appliquée. Toujours à bien écouter ce qu’on lui disait. C’est incroyable à quel point déjà tout petit, les enfants peuvent avoir leur caractère qui se dessine. »

Le regard de sa tante à l’évocation du vélo de sa première fille avait plongé dans la nostalgie comme un baigneur suffocant se serait jeté dans la mer. Elle se leva, le regard toujours posé ailleurs et d’un ton entraînant lui dit :

« - Viens. Allons dans le garage voir où peut bien se trouver ce vélo. » Marc ne se fit pas prier et lui emboîta le pas. En longeant la maison pour rejoindre le garage, il se remémora, en voyant l’étang et les bosquets qui l’entourait, les jours et les jours qu’il avait passé à jouer là, le long de l’eau, avec ses cousines, ses cousins, les voisins. Cette maison renfermait depuis toujours pour lui, une sorte d’aura magique. Un point de l’espace qui lui confirmait que ce qu’il avait vécu dans son enfance n’avait pas été qu’un moment passé, mais une partie de sa vie qu’il portait en lui, bien réel.

« - Vous ne l’avez pas asséché finalement cette mare ?

« - Non. Ton oncle y a pensé à un moment c’est vrai. Lorsque vous avez tous grandi et que plus personne ne venait jouer au milieu de ces arbres, je crois qu’il en a eu un petit peu ras-le-bol de tout entretenir. Et puis Julie a eu son premier enfant, Babette a suivi de très près, vous vous y êtes mis aussi de votre côté de la famille. Bref, on a vu soudainement arriver une nouvelle génération qui c’est aussitôt pris d’affection pour ce quoi là. Ça nous a fait bizarre et on a finalement décidé de tout laisser comme ça.

« - En fait depuis que vous êtes arrivés, vous n’y avez jamais touché à cet coin-là.

« - Peu. En même temps tu sais, il y avait tellement de choses à faire dans la maison et autour pour la rendre vivable que l’étang et ses alentours n’étaient pas du tout mais alors pas du tout notre priorité.

« - C’est marrant hein, mais ça moi je m’en souviens pas trop de la maison en travaux. Je me rappelle que c’était pas comme ça, que dés fois on se douchait dehors au jet d’eau ou qu’on dormait sous la tente, mais c’est vrai qu’on ne réalisait pas à quel point c’était énorme ce que vous aviez entrepris à l’époque.

« - Je crois que si nous aussi nous avions réalisé à quel point ce dans quoi nous nous lancions était si gigantesque, nous nous serions peut-être abstenu. Elle dit ça en riant avec la gaîté qu’elle seule pouvait avoir avec un simple rire. Mais tu sais à quel point ton oncle aime les vieilles maisons. Il était hors de question pour lui de venir ici et d’habiter un pavillon neuf.

En même temps, même si ce ne fut toujours très facile, le souvenir je garde de notre première venue est incroyable. Il régnait une ambiance… comment dire ? Il faut bien voir qu’à l’époque il y avait de la végétation partout. Les murs tenaient debout, la charpente était bonne et une partie des tuiles aussi mais tout, absolument tout le terrain, avait été colonisé par les ronces, par des arbres et que sais je encore. C’était fou. On aurait dit un peu le château de la belle au bois dormant. Evidemment les murs en pierre, le pigeonnier au fond du jardin, cet étang, le four à pain dans la cuisine, tout ça contribuait à créer une atmosphère un peu spécial. Comme si le temps c’était arrêté et qu’il n’attendait que nous pour redémarrer. Il n’y avait pas d’impression d’abandon ici. Juste un arrêt.

« - Et puis tout le monde a participé quand même. Vous avez su rassembler la famille pour faire en sorte de ne pas être tout seul dans l’affaire.

« - On était déjà bien soudé tu sais. Je te rappelle quand même que ton grand-père est mort alors que n’étais même pas né. Mes deux sœurs et moi, nous étions déjà mariés ou presque et tous nos maris ont joué le jeu de nous soutenir nous et maman. Cette maison, elle était un nouveau lieu de rassemblement. Mais ça n’était qu’un lieu. Entre nous déjà, il y avait quelque chose de fort qui nous liait. »

Sa tante fouilla dans les poches tombantes de son vieux gilet qu’elle mettait pour sortir dans le jardin. Le cliquetis du trousseau de clefs tinta dans l’air automnal.

« - Hou je ne sais pas dans quel état on va trouver ce vélo. Ça fait tellement longtemps que personne ne s’en ait plus servi. Je crois que la dernière à avoir posé ses fesses dessus c’est Emma. Mais tu vois quel âge elle a maintenant. » La porte s’ouvrit. A travers une fenêtre poussiéreuse, la lumière de l’extérieur filtrée par les toiles d’araignée tentait de se frayer un passage. Suzie chercha l’interrupteur. Aussitôt qu’elle eut mis la main dessus, l’éclairage jaune sale tomba du plafond.

« - Alooors… le vélo de Bab-bette….Où est ce qu’il peut être ?

« - Je ne t’ai même pas demandé comment elle va ?

« - Oh très bien. Ils devraient venir avec les enfants pour noël. Philippe a beaucoup de boulot avec sa boite et elle s’occupe toujours des enfants. Je ne crois pas qu’elle ait trop envie de recommencer à travailler. Elle s’est trouvée un chouette type avec ce Philippe.

« - Oui. Enfin.

« - Hum…elle n’a pas eu de chance ça c’est sûr. Mais elle ne c’est pas simplifié la tâche non plus.

« - Qu’est ce que tu veux dire ? 

« - Babette a toujours très appliquée et très docile. C’était une enfant qui faisait confiance d’emblée et sans retenue. Petite elle n’était pas farouche pour un sous et en grandissant ça ne c’est pas amélioré. Le problème c’est que certain en ont profité. Mais que veux tu, les enfants tu peux les accompagner jusqu’à un certain âge, après il faut accepter de les voir prendre certaines décisions sans rien dire. Ah ! Je crois je le vois…là bas dans le fond, derrière la brouette, on vois sa petite roue avant qui dépasse.

« - Ah oui. Attend ne bouge pas, je vais le chercher. Voilàààààà. Je l’ai.

« - Qu’est ce que tu comptes en faire ?

« - Le vendre. Mais non je plaisante. Je vais le retaper un peu et mettre Paul dessus.

« - Tu ne veux pas lui en acheter un autre plutôt que d’utiliser cette vieillerie ? Tu vas t’enquiquiner pour rien à le remettre en marche.

« - Mais non ne t’inquiète pas. Regarde il n’est même pas rouillé. Des pneus neufs, une révision des freins et hop c’est reparti. Moi aussi je te rappelle, j’ai appris à faire du vélo sur celui-là.

« - C’était il y a plus de vingt ans Marc. Lui rappela sa tante avec un sourire malicieux aux coins des lèvres.

« -  Et alors ? Raison de plus. »

mercredi 4 mars 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Deuil.

« -Et tu faisais de la photo ?

« - Ben oui.

« - Et pourquoi t’as arrêté ? Elles étaient supers tes photos.

« - C’est précisément pour ça que j’ai arrêté. Parce que mes photos étaient « supers ».

« - Je comprends pas.

« - Pendant vingt ans je n’ai fait que ça. De l’âge de dix-sept ans jusqu’à ce que vous arriviez toi et tes frères, je n’ai fait quasiment que de la photo. J’ai écumé les salons, j’ai organisé des expositions, j’ai rencontré des gens. J’étais tout le temps à droite à gauche à prendre des clichés et à tenter de les vendre. On me payait en pellicules, en liquide, j’avais des contrats en dent de scie mais de petits besoins alors ça compensait. Et puis j’ai rencontré ta mère. Et très vites nous vous avons eu.

« - Me dit pas que c’est à cause de nous que tu as tout arrêté ?

« - Non. C’est grâce à vous que j’ai pu faire le deuil de ce que je ne serais jamais. Tu vois, c’est un métier très difficile photographe. Il y a beaucoup beaucoup de prétendants. J’étais de ceux-là. Mais un jour j’ai réalisé qu’après mes expositions, les commentaires qui en découlaient été toujours les mêmes. Tout était toujours poliment super. Personne ne comprenait ce que je disais. Je faisais du joli travail mais ma voix, mes messages, restaient à l’intérieur des cadres sans pouvoir en sortir.

Je ne touchais pas les gens. C’était terrible parce qu’à chaque fois que j’avais à expliquer ma démarche je réalisais à quel point la marge était immense entre ce que le public voyait et ce que je voulais dire.

Lorsque j’ai rencontré maman, cela correspondait à une époque où je commençais à vraiment très fortement me remettre en question vis à vis à de ce que j’étais entrain de faire. Et j’ai eu peur soudain de me retrouver dans la peau du gars qui sans s’en rendre compte, aurait glissé de rôle du type attendrissant qui joue les artistes à celui du mec ridicule qui s’enfonce dans une impasse.

La différence entre ceux qui vivent de leurs photos et moi, c’est que certaines personnes, lorsqu’elles ouvrent la bouche, chantent. Quoi qu’elle fasse, elle chante et fascine. Moi lorsque j’ouvre la bouche, il n’y a rien qui sort. C’est beau mais terriblement silencieux et sans âme. C’est comme ça. J’ai essayé. Mais ça n’aurait jamais marché.

Mais je ne veux surtout pas que tu crois que j’ai abandonné ou que je me suis avoué vaincu. Je suis simplement arrivé au bout d’une route qui n’était plus la mienne…et j’en ai pris une autre bien plus heureuse, sur laquelle vous avez été mes vraies réussites.

« - Mais…quand même, tu ne crois pas que tu aurais pu devenir un jour ou l’autre un artiste connu  ?

« - Non. Un artiste on le voit et puis on s’en souvient, il te marque l’esprit. Moi on m’oublie, tout simplement. »