mardi 14 décembre 2010

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Thomas

« - Thomas ! Thomas ! Qu’es ce tu fous bordel on va être en ret…mais t’es cinglé ou quoi ? Pourquoi tu t’es sapé comme ça ?
« - Pour picoler gratis.
« - Quoi ?
« - Je te parie tous les coups que je vais boire ce soir que non seulement je sors habillé comme ça dans la rue mais qu’en plus je rentre en boîte sans problème.
« - Vas y mais t’es fou ou quoi ?! Tu vas nous pourrir la soirée avec tes conneries on va se faire refouler de partout et tout le monde va se foutre de notre gueule.
« - Mais non ! Aller bouge, on va être en retard. »
Aussitôt dans le rue, Fred du avouer que seule Thomas était capable de faire ce genre de truc sans vaciller le moins du monde sur ses bases. A aucun moment le doute ou la peur du ridicule ne sembla effleurer l’esprit de son ami. Au contraire même, le fait d’être habillé comme un espèce de dandy tout droit sorti d’une boite de peinture en tempête lui donnait une dimension supplémentaire. Et là où la plupart aurait eu l’air d’être déguisé, lui paraissait étonnement classe. Thomas était un acteur né il fallait bien le reconnaître. Un de ces types que peu de choses pouvait désarçonner. Il prenait un malin plaisir en revanche, à provoquer son entourage pour voir la réaction des gens. Car s’il c’était habillé de la sorte ce soir, ce n’était pas pour combler un désir criant d’exister ou de se rendre intéressant. Thomas se foutait complément du regard des autres. Leurs avis comme le jugement qu’ils allaient porter sur lui lui importait peu. Ce n’était pas non plus par goût pour la mode. Il trouvait même les gens qui s’affichaient de manière trop outrancière sous ce jour complètement ridicule. Non, ça n’avait rien à voir avec tout ça. La provocation et la joie irrépressible de sentir se cristalliser autour de lui un certain malaise suffisait à son bonheur.
« - Faut qu’on aille acheter des clopes, j’en n’ai plus ! » dit-il en froissant négligemment le paquet dont il venait de tirer l’ultime cigarette.
« - On n’a qu’à s’arrêter au Globe. C’est à deux minutes et puis comme ça on se jettera un godet en attendant l’heure pour rejoindre Pauline et Thierry. »
Ils s’assirent directement sur les banquettes en skaï pourpre en entrant à droite. La Globe était un bar tout ce qu’il y avait de plus banal, sans personnalité particulière, avec son mobilier bon marché, son panel de couleurs criardes autour de la caisse, son patron moustachu et sa clientèle d’habituée. Evidemment l’accoutrement de Thomas fit l’effet d’une bombe sourde et leur entrée fit baisser d’un ton le temps d’une brève seconde, la plupart des conversations :
« - Je pense qu’ils nous prennent pour des tapettes. » Glissa discrètement Fred à l’oreille de Thomas au moment de s’asseoir.
« - C’est sûr que si jamais tu continues à me susurrer dans l’oreille comme ça ils vont avoir de quoi. Tu veux boire quoi ?
- Ben…ch’ais pas…une bière.
- Tu veux pas une mente à l’eau non plus ?
- Qu’est ce tu prends toi gros malin ?
- Un ricard.
- Alors va pour un ricard connard. »
Thomas se retourna le sourire aux lèvres et se dirigea sans hésiter vers le comptoir, poussant la provocation jusqu’à accomplir un petit pas de danse discret. Dans un coin, un type énorme le fixait d’un air désabusé. Son visage rouge et bouffi en disait long sur la rude vie d’alcoolique qui était la sienne. Flamboyant de jeunesse et d’insolence, Thomas commanda ses deux ricards, s’alluma une cigarette, demanda au patron de monter un poil le volume de la musique et tout en se retournant vers Fred qui éclata de rire, lui balança un clin d’œil plein de malice. La soirée s’annonçait dantesque. Tom, était dans une forme hors norme.