dimanche 20 avril 2008

Portrait

Les mains

Elle avait les mains noueuses et creuses. Des mains de travailleuse agricole avec les ongles ébréchés et terreux. Pas sales, terreux. De cette terre lourde et grasse qui accueille la graine et la fait grandir. Alors oui ses ongles étaient noirs mais ils étaient sains et n’avaient rien de repoussant. Ils contrastaient d’ailleurs grandement avec le reste de sa personne plutôt propre et apprêtée. Elle n’était pas vêtue avec une grande excentricité mais avait su éloigner tout classicisme avec de discrètes touches de couleurs. Un collier à grosses perles venu de ce pays qui sent les épices offrait un éclat lumineux à la base de son cou tandis qu’un bracelet d’argent finement ciselé venu lui aussi d’ailleurs, soulignait discrètement son poigner. Le long de ces derniers ses mains parfois courraient, délicates. Elle s’en servait sans ambages avec précisions et vitalité. Elles étaient vivantes ces mains là. Elles étaient généreuses et avait gardé la dextérité et la précision de l’outil qui sert  au contraire de celui qui décore. Elles étaient belles ces mains, belles et calmes.

Elles étaient d’ailleurs bien différentes de celles de son interlocuteur. Lui avait les ongles rongés jusqu’au sang. Rongés jusqu’à les en faire presque disparaître, jusqu’à les réduire à une simple petite excroissance purulente et malsaine. On sentait de la douleur au bout de ces doigts qui ne faisaient que rendre service. D’ailleurs l’utilisation que l’homme faisait de ses mains ne laissait que peu de place à un quelconque espoir de joie. Rapides, nerveuses, elles se courraient l’une après l’autre comme deux animaux sauvages torturés prisonniers au bout d’une laisse. Parfois l’une pianotait sur le clavier de la table une série de notes monocordes pendant que l’autre, s’apprêtait à lui bondir dessus pour mieux tromper son ennui. Suivait généralement ensuite une séance au cours de laquelle, dans un réflexe angoissé, un doigt était porté à la bouche pour être consciencieusement dépouillé de toute éventuelle aspérité, pendant que la main laissée libre servait à remettre en place un inexistant pli sur le pantalon ou le pull. Puis la course reprenait, fatigante. Pas une seule fois le quatuor ne s’effleura.

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