lundi 31 décembre 2007

Portrait

Face

Ça lui était tombé dessus comme ça, comme si il c’était enfin coupé une phalange avec la machine de la chaîne huit, celle que l’on sait dangereuse et que l’on utilise toujours par conséquent, avec une concentration extrême. Celle qui fait un peu peur mais qu’on apprend à dominer au final. Ça lui était tombé dessus comme ça, violemment mais sans surprise. Il savait que dans cette annonce, il y avait quelque chose d’irrémédiable, quelque chose qui allait casser sa vie pour le restant de ses jours mais que rien ne pouvait l’empêcher. Et ça lui faisait encore plus mal.
On n’encaisse pas l’annonce de la fermeture de l’usine dans laquelle on travaille depuis trente ans sans que ça blesse au plus profond. A quarante neuf ans, on venait de lui dire qu’ici c’était fini, qu’il n’y aurait plus de boulot et que si il voulait continuer le même métier, c’était possible, mais à deux cent kilomètres de là. « La boite paiera tout ! » avait dit le gars envoyé par la direction. « Le déménagement de ma famille et de mes amis aussi ? » avait répondu un. C’est vrai ça, il pouvait bien tout payer, ça ne rachèterait jamais la vie qu’ils avaient construit là.
De toute façon, depuis que l’usine avait été vendue une première fois il y a dix ans par le fils de celui qui l'avait créé, les choses n’étaient plus pareil. On n’arrêtait pas de leur parler d’économies à faire, de compétitivité à mener, de plan de carrière et de concurrence.
Lui et ses collègues la seule chose qu’ils voulaient c’était un boulot. Bosser, pour payer les traites de la maison et de la voiture et puis des trucs pour les gosses. Peut être même des études. Tout ça en restant là. Là où ils étaient nés, là où leurs parents avaient vécu et où ils étaient enterrés pour certains. Là où ils avaient leurs amis, leur club de foot et leurs habitudes. Là où le mot vie prenait un sens tranquille et serein ; un sens intemporelle et rassurant.
En fait, travailler n’était jamais que la caution de toute cette vie là. Et l’on venait, pour d’obscures raisons, de la lui retirer. Lui qui n’avait jamais couru après l’argent ou la reconnaissance parce que ça c’est pour les autres, lui qui n’avait fait que jouer le jeu sans vraiment jamais en avoir compris les règles, se voyait aujourd’hui, à l’aube de la cinquantaine, à cet âge où l’on aspire à se retirer sans incident, refuser la tranquillité de sa dernière ligne droite.
Évidemment lui et les collègues allaient se battre. Ils allaient faire des grèves, organiser des pétitions et des actions. Mais quelque part au fond de lui, il savait que tout ça n’avait plus de sens, que tout était perdu et qu’il n’était qu’une variable qui venait d’être ajustée au nom d’un idéal qu’il n’avait jamais défendu. Il était le perdant de toute cette affaire et à son âge, c’était juste ça qui était le plus dur à accepter.

mardi 25 décembre 2007

Portrait

Pile
D’une pression appuyée, il pesa sur l’accélérateur. Aussitôt son corps s’enfonça légèrement dans le creux de son siége confortable. La vitesse affichée au tableau de bord s’affola quelques secondes avant de se stabiliser aux alentours des cent cinquante kilomètre heure. A cette heure là de la nuit, il n’y avait plus personne sur le périphérique. Quelques camions sur la voie de droite, traînaient leur poids d’enclume mais lui ne prenait jamais que les extérieurs. Il était pressé et avait les moyens de son impatience alors il ne se privait pas.
Il se passa une main agacée sur le visage, tant pour se réveiller que pour tenter de se détendre. La réunion avait été très dure. Prendre la décision de fermer une usine à quelques semaines des fêtes de fin d’année n’était jamais un choix facile à faire. Mais il était payé pour ça, très bien payé même. Alors il faisait son boulot, du mieux qu’il pouvait. Les syndicats ne se fixaient que sur le sort de quelques dizaines de personnes perdues au fin fond d’une campagne coupée du monde. Ils ne se rendaient pas compte des enjeux financiers qu’il y avait derrière. Cette usine avait été rachetée dans le but de réutiliser les machines qui se trouvaient sur le site dans un autre endroit, plus rentable. L’opération financière était excellente. Il n’y que l’épineuse variable humaine à gérer et c’était à lui qu’était revenu le dossier. Pourtant il n’avait pas été dure. De grosses compensations de départs étaient venues s’ajouter à des solutions de reclassements. Maintenant si les gens ne voulaient pas bouger, qu’est ce qu’il pouvait bien y faire ? Ils proposaient des solutions, aux autres de les accepter.
Ce statisme archaïque et permanent des syndicats le mettait hors de lui. Ils ne se rendaient pas compte dans quel monde on vivait désormais. La petite entreprise à papa, c’était terminée depuis bien longtemps. Il fallait bouger, évoluer, être réactif. Ce n’était pas bien compliquer à comprendre pourtant. Avait il hésité lui, lorsqu’il avait du quitter sa région natale ? Treize déménagements et autant de missions différentes pour en arriver où il en était maintenant. Il était fier de sa progression et il lui était de plus en plus difficile au fur et à mesure où les années passées, de concevoir que d’autres ne veuillent pas faire comme lui. Qu’avaient ils à perdre ? Rien, absolument rien, ils avaient tout à y gagner même. Alors pourquoi s’obstiner à refuser ?
Il jeta un œil sur sa montre. Minuit et demi. Une fois de plus il allait rentrer et tout le monde dormirait. Depuis deux semaines que l’annonce de la fermeture de l’usine avait été faite, il n’avait beaucoup vu sa famille. Sa priorité était ailleurs. Mais bon, les enfants étaient grands et sa femme avait une vie active bien rempli elle aussi. Et puis ça n’était la première ni la dernière que cela se produisait, ils étaient habitués. Dans un mois de toute façon, ils avaient prévu de partir tous ensemble au ski. Ils se verraient à ce moment là.
Il y avait un temps tout, il suffisait de le comprendre. Il arriva devant le portail de la maison, l’ouvrit avec la télécommande, gara le break devant la garage. Inutile de tenter de le rentrer, les voitures de la plus grande et celle de sa femme devaient déjà occuper les deux places à l’intérieur.
Il bu un verre d’eau dans la cuisine, alluma quelques secondes les informations, jeta on œil au Dow Jones. Apparemment la firme de laquelle ils dépendaient maintenant avait absorbé la nouvelle des licenciements avec sérénité. Rassuré il alla se coucher. La décision qu’ils avaient pris était la bonne.

dimanche 23 décembre 2007

samedi 22 décembre 2007

Moment

Deux heure du matin

Son regard se posa sur son réveil qui diffusait dans le noir un éclat grelottant. Deux heure du matin. Une heure creuse au beau milieu de la nuit. Une heure qu’elle ne voyait habituellement jamais ou si peu.
Elle c’était réveillée d’un coup, les yeux grands ouverts, allongée toute droite dans son lit. Il n’y avait pas eu cette transition molle entre les deux mondes. Elle avait directement surgi dans celui des vivants comme si elle était sortie de l’eau après une longue apnée fluide. Son cerveau c’était aussitôt mis en branle, tournant à vide, empli du même noir que celui de sa chambre, uniquement comblé par l’attente qui s’en était suivie. Souple et indolente celle-ci l’avait retenu là, l’empêchant de retomber dans le rêve, mais ne lui donnant rien en retour.
Elle envisagea un instant de se lever ; tant pour se donner un peu de contenance que se prouver qu’elle était bien éveillée. Elle laissa donc s’évaporer une succession d’instants monocordes, tentant de puiser dans le néant, l’énergie d’un mouvement déclencheur. Mais à rester allongé dans le noir, l’esprit navigant dans le rien, elle finit par ne plus savoir vraiment si tout ceci était réel. Et puis la sensation de flotter quelque part entre ici et là bas, écrasée par la nuit, commença à lui donner l’impression de suffoquer. Elle se sentit soudain comprimée par cette obscurité envahissante et cette sensation fit monter en elle un vertige. Elle tenta tant bien que mal de faire face, s’assit d’un bloc sur le bord de son lit comme au bord d’un précipice, les yeux exorbités, la tête entre les mains. Le contact du sol froid sous ses pieds la rassura.
Elle tâtonna, trouva l’interrupteur de sa lampe, l’alluma. La lumière crue et violente lui jeta au visage un sceau d’eau glaciale qu’elle préféra éteindre immédiatement. Trop de réalité dans cet éclairage. Sans repères, elle alla jusqu’au lavabo de la salle de bain, trouva à l'aveuglette le robinet, y bu quelques gorgées froides. De retour dans le couloir, elle hésita une seconde. L’idée de retourner dans son lit l’oppressa. Il y avait quelque chose de vide et d’instable là bas. Elle préféra prendre la direction du salon. La luminosité sombre de la nuit y entrait par la fenêtre dont elle ne fermait jamais les volets.
Bercée par cette mélodie de bleu profond et de noir obscur, elle se recroquevilla dans l’angle de son canapé. Ramenant ses genoux sous son menton, elle se laissa caresser par le froid. Son regard se fixa dans l’espace. Elle était maintenant habitée par l’étrange sentiment d’être précisément au milieu, à l’exact endroit où se rencontre le rêve et la réalité, là où se croise ces deux mondes qui se chevauchent, s’inspirent, se toisent, sans jamais se confondre. Ces deux mondes entre lesquels tout le monde bascule, forcément, sana jamais en avoir totalement conscience. Elle resta ainsi en suspend quelques instants. Puis tout se déroba et dans un élan incontrôlé, elle glissa, emportée par la fatigue et son désir de rêves.

vendredi 21 décembre 2007

Portrait

La dame du premier

La dame du premier n’a pas d’âge. Ou du moins il est impossible de lui en donner un. On se doute bien qu’elle n’est pas si vieille, mais rien pourtant, ne respire plus la jeunesse. C’est à croire qu’elle n’en a jamais eu.
Elle porte des habits aux couleurs neutres, des formes larges. Des lunettes sobres et des chaussures sombres. Elle porte tout ça pour mieux s’effacer, pour mieux disparaître. Ses cheveux sont tirés en arrières. Toujours. De toute façon, ils ne poussent pas ces cheveux là. Ils ont renoncé à toute activité.
Le matin, elle se lève à cinq heure. Elle déjeune, puis va promener son chien, quel que soit le temps. Elle passe pour l’occasion, un imperméable beige trop grand, qui protége aussi bien du froid que de la pluie. L’été, elle sort directement en robe de chambre. Il n’y a personne dans les rues à cette heure là.
Puis elle rentre, s’habille, écoute un peu la radio, toujours la même et à six heure trente, part pour son travail. Là, elle s’assoie derrière son comptoir et coud à la chaîne, des vêtements qu’elle ne voit jamais terminés. Elle le fait de façon mécanique, appliqué. De la sorte, le temps passe plus vite. Elle finit généralement en milieu d’après midi. Elle rentre alors directement chez elle. Parfois, lorsqu’il fait beau ou bien que l’envie lui en prend, elle fait un crochet par la mer. Mais c’est de plus en plus rare, elle ne sait pas quoi y faire. Il est hors de question qu’elle se mette en maillot de bain, quand à marcher sur la plage, elle déteste avoir du sable dans ses chaussures. Alors elle reste là, un peu, à regarder le large. Elle ne rêve pas de grands horizons, ça lui fait peur. Mais toute cette immensité quand même ça l’intrigue. Alors elle regarde.
En rentrant au premier, elle sait qu’elle sera bien. Tout est là, bien en ordre et bien rangé. Le clic-clac de la pendule de la cuisine, le bruit du frigo qui se déclenche, la télé qui lui offre une lucarne sur le monde. Et puis son chien. Le seul être au monde qui la comprenne. Même ses parents ne peuvent pas la comprendre comme lui.
Ses parents. Elle se rend chez eux de temps à autre. Par habitude plus que par envie. Depuis quelques temps d’ailleurs, ils ont vieilli. C’est la première fois qu’elle remarque un changement chez eux. Le père n’est plus aussi fort, ses épaules tombent et son ouïe baisse. La mère n’est plus aussi présente. Ses doigts se raidissent et son pas rapetisse. Pourtant pendant longtemps, ils étaient toujours restés les même. On ne change pas dans leur famille. Pour quoi faire. On voit bien ce que ça a donné le changement sur le petit frère. Depuis qu’il est parti avec cette coiffeuse dans une autre ville, on ne le reconnaît plus.
Alors elle, reste la même. C’est sa façon à elle d’être heureuse. Statique.

jeudi 20 décembre 2007

mercredi 19 décembre 2007

Portrait

Le calme aprés la tempête
Il se tenait face à la mer, les mains dans le dos, le regard perdu. L’immense baie vitrée qui déroulait sa mince pellicule transparente entre lui et les éléments déchaînés, lui donnait le sentiment d’être un magicien. Il était là, debout, tout juste vêtu d’une chemise blanche impeccablement repassée et d’un pantalon de tweed noir sobre alors que face à lui, à tout juste quelques centimètres, la nature hurlait toute sa puissance. Et rien. A peine les bourrasques de vent arrivaient elles parfois à faire vibrer les montants, mais cela ne l’impressionnait pas le moins du monde. Cela faisait d’ailleurs longtemps que plus rien ne l’impressionnait le moins du monde. Les éléments pouvaient se cabrer, foncer comme des bêtes éperdues et ravageuses sur la maison, l’homme restait impavide, un peu hautain. Car il maîtrisait absolument tout son environnement et rien chez lui, ne laissait la place au doute. Il maîtrisait tout, sans faille et sans exception. Comme d’habitude. D’un geste lent, le visage calme, il se tourna pour augmenter le volume de la musique. Le vent disparut sous un maëlstrom de notes virtuoses. C’était lui qui donnait le ton, comme toujours.
Cette villa était décidément un excellent investissement. Mais si la vue y était imprenable, ce n’était pas seulement cela ce qui l’avait décidé. Il y avait ici tout ce dont il avait besoin pour mener à bien ses activités. Autoroute et TGV se trouvaient à porté de main. Un grand terrain pour d’éventuelles venues en hélicoptère. Un réseau de télécommunication performant ; même si pour ce dernier il avait du financer lui-même une partie des installations pour remédier à la lenteur administrative.
Mais tout ceci n’avait été que de l’ordre du détail. Lui, n’en était plus là. Il gérait des destinés. Il pesait sur des axes financiers, politiques. Ses volontés et sa vision de la société influençaient d’autres décisionnaires. Toute sa vie il en avait été ainsi. Décider.
Dehors, les paquets de mer venaient s’échouer sur la côte dans un fracas violent. L’océan jetait dans cet assaut, toute la fureur qu’il avait pu lui-même mettre dans certaines batailles. Il ne bougeait toujours pas.
Et puis il repensa à sa femme. Elle était morte en début d’année et depuis...oui, il pouvait bien le dire, les choses avaient changé. Il avait tout fait pour la sauver, tout ce qui était en son pouvoir et dieu sait qu’il en avait. Mais il avait fallu se rendre à l’évidence et la laisser partir. Il n’avait pas envisagé ça de cette manière. Pas du tout.
Et maintenant, à quatre vingt quatre ans si il conservait encore une prestance et une élégance que les années de sport avait su garder noble, il prenait seulement pleinement conscience qu’il était arrivé à un moment de sa vie où il savait que chaque jours était une nouvelle victoire et non plus une nouvelles aube.
Dehors, la tempête était entrain de se calmer. Les assauts du vent se faisaient moins violents, les vagues moins brutales. La nuit commençait à tomber.

mercredi 12 décembre 2007

Moment

Au bar
Elle était assise juste à côté de lui, à sa droite. Autour de la grande table ronde, sept ou huit personnes discutaient en buvant une bière dans l’ambiance enfumé et bruyante de ce pub du centre ville. Tous riaient, blaguaient, parlaient fort. Mais elle, ne le quittait pas des yeux. Pas une seconde. C’était comme si elle était aimantée par cet homme. Doucement, elle c’était allumée une cigarette en lui prenant délicatement le briquet qu’il avait entre les mains, tout en caresse et le lui avait rendu, tout en souplesse. Puis après avoir aspiré une longue bouffée, avait esquissé un sourire. Un petit sourire gêné. Un sourire qui plisse les lèvres sans entrer franchement dans la joie. Un petit sourire de contrition, qui tente d’éveiller la sympathie, qui ne demande qu’à exploser mais qui attend pour ça une autorisation. Et elle avait attendu comme ça, sans le quitter des yeux, cigarette à la main, l’espoir accroché dans son regard.
Lui impassible, regardait tout le monde sauf elle. Col roulé noir, cheveux courts et visage carré, à l’aise dans la discussion, il multipliait gestes et grands éclats de rires. Il maniait la parole avec éloquence, en faisant parfois un peu trop mais noyant ainsi les espoirs de la fille dans un torrent de paroles qu’il croyait nécessaires. Et à aucun moment il ne tourna la tête sur sa droite. Il n’en n’avait pas besoin, il savait ce qu’il y avait à y voir. Il le connaissait ce visage et il le connaissait ce regard. Et puis il connaissait toute l’histoire. Il savait pourquoi tout ça. Alors il jouait. Il jouait les indifférents majestueux. Ceux qui sûr d’eux, distribuent comme ils l’entendent l’aumône de leur présence.
Mais elle, patiente, attendait. Belle et obstiné, elle continuait de le fixer, l’air faussement boudeuse. Elle savait très bien que chaque minutes qui passait rendait un peu plus ridicule la situation, qu’ils n’allaient pas pouvoir rester ainsi des heures, leurs regards en angle droit. Un regard. Il suffisait d’un regard. Et les minutes passaient. De temps à autre quand même, elle se tournait légèrement pour répondre à une question que lui posait la fille qui était assise à côté, celle à qui elle tournait presque le dos. Elle répondait d’un mot rapide. Puis elle retournait la tête de peur quand même de louper le moindre signe de l’homme en noir.
Puis il perdit la main et se retrouva sur le bord de la conversation. Un nouvel arrivant lui avait volé la vedette. Il tenta bien une ou deux incursion mais le cœur n’y était plus, l’illusion avait pris fin. Dans son dos, elle sourit plus franchement, impassible, balançant une de ses jambes croisée. D’un regard il chercha ses cigarettes sur la table. Elle attendit, le paquet à la main. Il se retourna enfin, le sourire pleins d’excuses et la fixa droit dans les yeux. Et il suffit d’un regard pour que tout reparte.

lundi 10 décembre 2007

Portrait

La vieille dame
C’était une vieille dame. Une vielle dame sur qui pesait le poids de la vie. Elle n’avait pas été riche et encore moins belle. Elle avait été en vie et c’était déjà suffisant pour elle. Elle c’était amusée, un peu. Elle avait aimé aussi, mais y avait rapidement renoncé et avait préféré s’habituer. S’habituer à cet homme qui faisait sa vie sans lui rendre de compte, qui lui avait fait deux enfants parce que bon lorsqu’on est marié, faut bien que ça arrive. S’habituer à la vie à la maison. Et puis au travail. Ça aussi c’est la vie, le travail. Ça n’est ni drôle ni désagréable. Mais comme il faut bien payer le loyer, à manger pour les enfants, quelques habits et puis un peu d’alcool on fait comme tout le monde : on bosse. Parce qu’on est ni meilleur ni moins bon et que tout le monde fait déjà comme ça. Alors elle avait fait comme ça.
Ses enfants. Elle les avait aimé, fort. Comme une mère aime ses enfants lorsqu’ils sont petits, fragiles et qu’ils ont besoin de vous tous les jours. Et puis ils avaient grandi. Et puis ils c’étaient moins bien compris. Pourtant elle, n’avait pas changé. Mais eux avaient voulu voir d’autres choses. Et ces choses là les avaient transformé. Au point que très vite, elle ne les avait plus reconnu. Son mari lui disait que c’était normal. Que la jeunesse c’est fait pour ça ; faire des conneries. Qu’après c’était trop tard. Qu’il y avait tout un tas de responsabilités qui te tombaient dessus, qu’il fallait travailler. Après ce n’était plus pareil. Alors il fallait les laisser faire.
Mais quand même. Elle, elle trouvait que c’était dommage. Elle aurait bien aimé une famille différente. Mais elle c’était habituée. Elle c’était habituée à tout de toute façon. Toute ça vie elle c’était habituée. Habituée à leur petit appartement. Habituée à son travail qui n’était pas facile mais qui augmentait un peu le ordinaire. Habituée aux absences de son mari, à l’indifférence de sa propre mère. Habituée aux coups de téléphones épisodiques de ses deux fils. Surtout celui qui était dans l’armée. Cela faisait deux ans qu’elle n’avait plus de nouvelles, depuis qu’il était parti à l’autre bout du monde. Mais il pensait à elle, elle en était sûre. L’autre passerait le jour de noël sans sa femme, comme d’habitude. Elle ne l’aimait sa bru de toute manière. C’était bien la seule chose à laquelle elle n’avait jamais pu se faire.
Et aujourd’hui sans l’avoir vraiment vu venir, elle était une vieille dame. Une vieille dame qui, si il ne pleuvait pas, venait tous les jours s’asseoir là sur ce banc, pour donner à manger aux pigeons ou juste pour passer un moment. Il fut un temps où une dame un peu comme elle, venait parfois lui tenir compagnie une heure ou deux. Et puis un jour elle n’était plus venue, jamais.
Mais elle, elle avait continué à venir à ce rendez-vous où personne ne l’attendait. A son âge, se disait elle, on ne change pas ses habitudes. On fait les même parcours, les mêmes gestes, aux mêmes heures, comme si cette répétition donnait un avant goût de l’infini. Chaque jour se ressemble. Le temps devient une ligne insécable. Ce que l’on a fait la veille et ce que l’on fera demain est idem. Et cela rassurait la vieille dame. Demain serait sans surprise. Où bien alors celle-ci serait éternelle.

vendredi 7 décembre 2007

mardi 4 décembre 2007

Poème

Une histoire deux vies

Je t’aime.
Je te respire
Je te désire,
Tu t’échappes
Tu me happes,
On s’embrasse
On s’enlace.
Tu m’aimes.

On s’aime toujours.
Vivant sous le même toit
Mourrant d’être sans toi
Il nous arrive malgré tout parfois
De nous haïr, mon amour.

On s’aime encore
Peut-être même plus fort.
Mais le temps passe
Et nos corps se cassent.
Et le temps passe
Mais nos cœurs à jamais, s’enlacent.

mardi 27 novembre 2007

samedi 24 novembre 2007

Poème

Juste avant…

Et lorsqu’à la fin
Il ne me restera plus rien,
Plus rien que le goût du combat
Durant lequel chaque seconde
Est une victoire qui s’en va
J’aurais alors encore la faconde
Des souvenirs de ma vie
Me susurrant sans cesse
Au creux de ma survie :
« Qu’elle était belle, cette prouesse. »

lundi 19 novembre 2007

Poéme

Une larme

Elle éclate
Délicate ;
La goutte
Coupe
L’équilibre
Chaotique
Que calibre
L’extatique
Équation
D’émotions
Démentielles
Substantielles
Contenues
Dans un coin
Ténu
De mon cœur.

Libérant
La douleur
La joie
La peur,
Parfois
L’éclat
Toujours
D’une larme
Au grand jour
Complète
Une vie plate.

dimanche 11 novembre 2007

Poème

Les danseuses

Le mouvement mou de la mer
Ondulant en vagues successives
Balance en une cadence régulière
Des paquets d’algues lascives.

Suivant ce déhanchement fluide
Cette chevelure de Sylphide
Va et vient inlassablement
Roulée qu’elle est par les bras lents
De ce danseur insatiable
Qu’est l’océan malléable.

mercredi 7 novembre 2007

Poème

La surprise

Elle fait tomber l’emprise
D’un quotidien que balise
Les habitudes si bien prises
Au creux de cette méprise :
« La vie dure… »

lundi 5 novembre 2007

Poème

Ma montre c’est arrêtée…

Elle a cessé d’engloutir les secondes
Qui donnaient à ma vie la faconde
D’une illusion féconde
Pour tenter d’habiter ce monde.
Ses petits claquements secs
Ondes électriques extatiques
Qu’elle piquait du bout de son bec
Sont à jamais devenues statiques.

Et pourtant,
Le temps
Et sa course folle
A continué son envol.

Ma montre c’est arrêtée
Mais ailleurs
Une autre,
A du prendre le relais.

samedi 3 novembre 2007

Nouvelle : La jonction des parallèles (3)

La jonction des parallèles (3)
Le ciel gris et encore lourd commençait à se déchirer par endroit et à laisser apparaître de petits morceaux de ciel bleu en cette fin de journée. De courtes rafales de vents soufflaient par moment, agitant parfois des morceaux de plastiques pris dans les arbres, perchés comme des guirlandes de désespoirs.
Il avait croisé des monceaux de mort et des morceaux de vies hébétées, des amas de tout et des fragments de rien, au milieu duquel des hommes erraient, abasourdis par la puissance du choc et l’injustice de celui-ci. Et avec tout cela, avec toutes ces vies broyées, ces vivants qui ne savaient plus pourquoi ils étaient là si ce n’est pour survivre dans un enfer, il disposait de trente quatre seconde pour faire comprendre à tous ceux qui étaient restés là bas, ce qui se passait ici.
Lorsqu’il poussa la porte de sa chambre vers vingt et une heure, il n’avait plus prononcé un mot depuis longtemps. Cette vision de fin du monde dans laquelle étaient englués ces êtres humains l’avait profondément atteint.
La nuit passa. Un peu assis sur le bord de son lit, un peu devant sa table de travail, un peu dans le sommeil, la nuit passa, plaine de fantômes. Vers trois heures du matin le téléphone sonna.
« - Fred ? C’est bon t’es prêt ?
« - Hum….
« - …ça va ? t’as pas l’air euh… ?
« - Non c’est bon. Je passe dans combien de temps ?
« - Je te rappelle dans une heure et tu passes à ce moment là.
« - Ok. A tout à l’heure. »
Une longue et lente heure d’attente commença donc. Privé de sommeil, trop hanté qu’était celui-ci par des visions de morts en sursis mais ne sachant plus quoi faire éveillé, Frédéric resta assis là, passif, en plein milieu de cette nuit malgache. Vint l’heure des trente quatre secondes, le moment où une petite fenêtre d’espoir et d’intérêt allait s’ouvrir en occident pour tous ces gens qui mourraient dans cette île.
« - Tu as l’antenne dans 5secondes, quatre, trois, deux, un, top »
Tout se déroula comme si une autre personne que lui parlait. Il avait l’impression que les mots sortaient sans qu’il ne les comprenne. Il récita son texte tentant à chaque instant de garder ce ton neutre et professionnel qui faisait de lui un journaliste. Mais il se sentait empli de tant de sentiments contradictoires qu’à plusieurs reprises il avait voulu se mettre à hurler dans l’appareil qu’ici les gens mourraient de n’être rien par rapport au reste du monde ; que non seulement ils avaient du subir les assauts dévastateurs de la nature mais qu’ensuite, c’était l’indifférence du reste du monde qui leur était jeté à la figure…il aurait voulu dire tant de choses pendant ces trente quatre secondes, tant de choses.
Puis la fenêtre se referma, le flot d’information reprit son court et c’est alors seulement, que Frédéric éclata en sanglot.

« - Il est sept heure passé de quelques secondes, les informations vous sont présentées par Lucile Daumier.
« - Bonjour. Drame ce matin dans la banlieue sud de Paris, un homme entre dans un café et tire sur le soit disant agresseur de sa fille…
Sans bouger, la voix lointaine et l’esprit encore embrumé de sommeil, Alex lança paresseusement à sa petite amie qui dormait juste à côté de lui :
« - Milie
« -…
« - Milie
« - Humm !
« - Eteint le réveil…
Une voix encore chaude de sommeil venue de dessous l’oreiller lui répondit, étouffée :
« -… J’écoute.
« - Menteuse. »
Il perçut alors le léger bruit d’une main glissant entre les draps chauds, sentit les doigts remonter en chuchotant le long de son corps, s’arrêter un instant sur son torse, le caresser doucement, presque sans le toucher, comme un petit souffle de chaleur. Elle se rapprocha alors, se pelotonna contre lui et d’une voix boudeuse lui dit :
« - J’ai pas envie de me lever. »
« Politique internationale, les Etats-unis maintiennent leurs positions en faveurs d’une intervention en Irak…
« - Non aller vas y. On a dit chacun son tour. Aujourd’hui c’est à toi de préparer le petit déjeuner. »
Elle se rapprocha de lui et lui souffla dans l’oreille :
« - Je vends ma matinée en échange de mon corps, tu n’es pas preneur ? lui glissa t elle d’un ton malicieux.
Tout en la serrant dans ses bras, il répondit :
« - Non. Alors tu sais ce qui te reste à faire…
Emilie fit semblant d’être fâchée et tout en enfilant le tee-shirt de Yann qui traînait par terre, se dirigea vers la cuisine. Elle alluma le second poste de radio, juste assez fort pour l’énerver. Puis elle baissa le son et mis l’eau à bouillir :
« Sport, le PSG écrase Marseille 3 buts à 0 infligeant au club phocéen sa plus lourde défaite de la saison… »
Du fond de son nid douillet, Yann écoutait avec délectation se mélanger ces bruits du matin. Le son effervescent de la bouilloire pour le thé, les bols qui s’entrechoquent, le cliquetis des cuillères. Et puis l’odeur des tartines avant le bruit de leur bond métallique indiquant qu’enfin, elles étaient à point.
« A la bourse de New-York les coût du pétrole s’emballent Stéphane Saulier.
Effectivement Christian, ici à New-York… »
« - C’est prêt ! »
La voix d’Emilie avait glissé dans son oreille sans qu’il ne s’y attende. Il lui arrivait souvent ainsi de se rendormir à moitié, écoutant les nouvelles comme si elles ne lui étaient adressées qu’à lui. Il avait alors l’impression de faire partie de la rédaction, d’être là avec les journalistes qui lui rapportaient les informations. Il avait aussi ses petites habitudes auditives. La voix d’untel lui était, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi d’ailleurs, agréable et familière, alors que le débit de mitraillette d’un autre, l’insupportait.
Il jeta un œil mi-clos au réveil. Sept heures trente quatre ; impossible de se rendormir sans entamer par la suite une course endiablée contre les minutes pour ne pas arriver en retard au boulot. D’un pas mou il se leva, enfila un caleçon, passa un tee-shirt à l’envers et se dirigea vers la table.
« - Et tout de suite, le chronique géopolitique de Martin Béral :
Les relations entre l’Irak et les Etats-Unis…
« - Tu croies qu’il va y avoir la guerre toi, là bas ? » lui demanda Emilie.
« - Je ne sais pas trop. Il y a beaucoup d’argent en jeu alors euh…je pense que c’est plutôt probable. »
Puis il plongea le nez dans son thé, faisant danser les miettes avec sa cuillère dans le liquide ambré. Emilie lui posa encore une ou deux questions puis, face à la mauvaise volonté évidente qu’il mettait à répondre, préféra renoncer. Les minutes passaient et les chroniques s’enchaînaient les unes après les autres. Leur rythme régulier tous les matins avait un côté rassurant pour Yann. Il savait quasiment sans regarder l’heure si il était en avance ou non, si il avait besoin de se presser ou bien si il pouvait prendre encore un peu le temps de se laisser porter par ses pensées encore voilées de rêves. Aujourd’hui il avait un peu de temps. Emilie avait entamée son ballet matinal. Elle courrait d’un bout un l’autre de l’appartement, cherchant son jean posé sur la chaise de la chambre bien en évidence, se maquillant tout en se brossant les dents et ne cessant de répéter :
« - Ohlala, non mais là c’est sûr je vais être en retard… » Encore un ou deux passages, un bisou furtif avec la promesse de s’appeler pour midi, puis la porte claqua et Yann se retrouva seul avec la radio. La ronde des nouvelles avait repris, charriant en vrac politique internationale, science et sport. Mais ce matin là à la fin du journal, surgit une chronique du bout du monde au goût amer. Une nouvelle qui le retint trente quatre secondes de plus que d’habitude sur sa chaise. Une nouvelle portée par une voix à travers laquelle, du fond de sa petit vie à peine effleurée de temps à autre par ce que pouvait être le mot problème, Yann pu lire tour à tour, la déception, l’impuissance, l’horreur et la tristesse profonde et sincère d’un homme désemparé. Trente quatre secondes de désillusions. Ce jour là, le nom de Frédéric Filatreau resta gravé dans sa mémoire.

« - Oui Christian ici il n’y a plus rien et évoquer le mot catastrophe ne signifierait pas grand chose tellement la situation semble désespérée. Les être humains qui ont survécu au cataclysme errent pour la plus part comme des fantômes dans les rues à la recherche d’eau potable et de nourriture. Tout a disparut dans cette île. Le réseau d’eau déjà précaire a explosé en de nombreux endroit, l’électricité n’est plus qu’un souvenir. Les rues ont été envahies par des coulées de boues jusqu’à une hauteur de plus d’un mètre cinquante et comme le soleil a refait son apparition elle commence à durcir empêchant tout déblayage.
J’ai vu hier soir des corps encastrés dans les arbres comme si il s’agissait de simple morceau de linge. L’arrière pays quand a lui est totalement inatteignable. Personne ne sait ce qu’il en est de dizaines de villages qui se trouvaient sur la trajectoire des coulées de boues. L’aide internationale commence tout juste à arriver, mais déjà, les gens ici n’ont absolument plus rien…même plus l’espoir. En direct de Madagascar pour RadioNouvelles, Frédéric Filatreau»

mercredi 31 octobre 2007

Nouvelle : La jonction des paralléles (2)

La jonction des paralléles (2)
Il faisait une chaleur suffocante en dehors de l’appareil. L’air saturé d’humidité et de chaleur emplit ses poumons.
Dès sa descente de l’avion, Frédéric pu se rendre compte à quel point l’ouragan avait frappé fort juste en regardant l’état de l’aéroport. Une partie du toit était arraché, plusieurs vitres brisées, des arbres étaient couchés et il traînait partout sur le sol des objets accumulés en tas hétéroclites. Morceaux de plastiques, de toits, enjoliveurs de voitures, étaient enchevêtrés à des bouts de bois ou de ferraille qui avaient été charriés par le vent et les pluies diluviennes qui s’étaient abattues quelques heures plus tôt sur la région, entassant le tout au grès d’un hasard chaotique.
Aussitôt les formalités administratives accomplies, quelqu’un l’aborda :
« - Monsieur Filatreau ?
« - Lui même.
« - Je suis l’assistant du journaliste que vous remplacez. Kelevo Smabamaluka. Enchanté de vous rencontrer. Vous avez fait bon vol ?
« - Calme. Très calme.
« - Très bien. Si vous voulez bien me suivre, un taxi nous attend à l’extérieur. Il nous conduira jusqu’à votre hôtel. »
L’homme était un malgache assez grand, maigre et qui s’exprimait dans un français quasi impeccable. Sur la route Frédéric n’en revint pas des dégâts. Il avait l’impression que l’on avait enfermé la ville dans une boite, qu’on l’avait secoué violemment pour au final, tout rejeter sur le sol en un vrac invraisemblable. Des gens en guenille faisaient la queue devant les camions citernes qui distribuaient de l’eau potable.
« - Tout le réseau de distribution d’eau qui déjà n’est pas terrible d’habitude, a été anéanti avec cette tempête. Idem pour tout ce qui est nourriture. Actuellement nous ne pouvons survivre que grâce à l’aide internationale. Enfin du moins, ce que l’on veut bien nous envoyer parce qu’il faut bien le dire, pour l’instant nous ne recevons pas grand chose ».
Tout le chemin ne fut qu’une longue vision de misère. « Vision de misère ». Il avait l’impression que ces mots résonnaient dans sa tête sans qu’ils ne puissent trouver leur sens réel. Ils n’étaient que des mots, fades et insipides, charger d’exprimer la réalité du tableau qu’il avait sous les yeux mais ils semblaient ne contenir aucune profondeur, aucune réalité. C’était la première fois qu’il prenait ainsi conscience du décalage qu’il pouvait y avoir entre des mots et la réalité qu’ils étaient censés exprimer. Des mots. Comment allait il pouvoir faire passer toute la détresse de ces êtres humains, uniquement avec des mots. En effet, à la différence de la télévision, lui n’avait pas le pouvoir des images pour heurter ou pour marquer les gens. Il n’avait que celui des mots pour tenter de transmettre son ressenti. Et contrairement à la presse, ses mots, une fois prononcés, disparaissaient dans les souvenirs, emportés pas le flot du reste des informations à suivre. Ils ne pouvaient être relu afin de pouvoir en soupeser toute leur exactitude et tout leur relief ; afin d’en tirer l’analyse la plus juste possible. Mais c’était ce qu’il aimait par-dessus tout dans la radio. La spontanéité et la précision que son travail exigeait. Mais aujourd’hui, face à l’ampleur de la catastrophe, les mots lui semblèrent soudain bien impuissants.
Son téléphone sonna.
« - Oui ?
« - Fred ? C’est Georges. Ça y est t’es sur place ?
« - Ouais.
« - Bon parfait. J’ai réussi à te dégoter trente quatre secondes dans la tranche du matin. Tu passes demain, OK.
« - OK.
« - Bon je te laisse. On est à la bourre sur le bouclage et on est débordés de boulot. Il y a eu une série d’attentat à Jérusalem juste avant le début des journaux de la matinée. Enfin bref ; Bosse bien et essaye de m’envoyer ce que tu vas dire dans la nuit histoire que je jette un oeil avant que tu passes à l’antenne.
« - Tu me fais pas confiance ?
« - Mais si je te fais confiance. C’est juste si tu peux c’est tout. Bon aller je te laisse.»
Frédéric raccrocha. Trente quatre secondes.
Malgré leur quatre-quatre, ils roulaient très lentement. La route, ou du moins ce qu’il en restait, n’était plus qu’une succession de trous plus ou moins profonds, empêchant toute circulation normale. A plusieurs reprises, il durent même descendre du véhicule afin de dégager le chemin de débris divers et variés. Dehors, une odeur de boue mêlée à celle des déchets en décomposition emplissait les narines.
Au début de leur périple, Frédéric questionna Kelevo pour tenter d’en savoir plus sur la situation. Puis petit à petit, celles-ci devinrent inutile, sont regard seul lui suffisant.
Ils arrivèrent à l’hôtel. Malgré les arbres déracinés et les quelques poches et autre tôles ondulés qui jalonnaient le jardin, celui-ci semblait avoir était plutôt épargné.
« - Il est sur un point haut, expliqua Kélévo, ce qui fait que la boue ne l’a pas envahie comme le reste. »
Frédéric hocha la tête.
« - Ne bougez pas. Je pose mes valises et on repart.
« - Tout de suite ?
« - Oui. Tout de suite.
« - Bien. »
Quelques minutes plus tard, le quatre-quatre et ses passagers reprirent leur route chaotique.
« -Vous avez déjà vu l’aéroport et les quartiers nord de la capitale. Le centre ville c’est pire mais on va essayer d’y accéder quand même afin que vous puissiez vous rendre compte. Les rues sont en terre ici et il n’ y a pas d’évacuations. Du coup elles se sont transformées en torrents de boue vue la quantité d’eau qui est tombée, emportant tout sur leur passage. » L’homme continua d’égrainer les conséquences de la catastrophe. Les mots s’enchaînaient les uns derrière les autres et mettaient Frédéric de plus en plus mal à l’aise. Ils avaient une allure de constat, pâle et froid et ne reflétait absolument rien de la réalité présente. En pénétrant petit à petit dans le centre de la ville, il se sentit encore plus profondément envahi par le sentiment de malaise. Trente quatre seconde.
Le petit intervalle dont il disposait lui revint soudain en mémoire. Il avait trente quatre secondes exactement pour tenter de raconter la souffrance, l’ignorance, le désarroi, la douleur et l’abandon. Trente quatre seconde perdues entre le sport et la politique nationale ; trente quatre secondes gagnées sur l’indifférence générale. La sensation de manquer de temps le saisi. Comme si celui-ci s’était soudain rétréci dans son esprit et que les heures qui le séparaient du moment où il allait devoir parler à la radio, s’étaient subitement transformées en minutes.

mardi 23 octobre 2007

Nouvelle: La jonction des parallèles (1).

La jonction des parallèles.


« - Oui…je suis à l’aéroport là. Je me prépare à prendre l’avion pour Antananarivo… je sais mais j’ai pas pu te prévenir plutôt. Notre correspondant sur place a été blessé par l’ouragan et on a été obligés de le rapatrier ; Comme ils cherchaient quelqu’un à la rédaction je me suis proposé… Parce que tu crois que ça m’amuse d’aller là-bas… Non ça devrait aller assez vite. J’arrive, je fais mon reportage, deux ou trois interviews et je rentre… Je sais pas moi, quatre ou cinq jours tout au plus -enfin j’espère, pensa Frédéric pour lui même, parce que déjà que Madagascar c’est pas la joie alors après un ouragan j’ose même pas imaginer.- Pourquoi je me suis proposé ? Ecoute Julie on a déjà eu cette conversation dix mille fois.… Oui je sais, c’est d’ailleurs pour ça que je t’appelle. Il faudrait que tu amènes Léa chez mes parents cette semaine, j’ai tout arrangé avec eux, ils sont au courant… Mais non j’abandonne pas ma fille pour mon travail mais il se trouve que là j’ai un impératif… »
Frédéric sentait que la conversation avec son ex-femme était en train de tourner, comme d’habitude, à l’altercation. Arpentant nerveusement un coin anonyme de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, il tentait tant bien que mal de garder son calme. Evidemment que ses parents ne le remplaceraient pas, il n’en avait jamais été question d’ailleurs. Mais que pouvait il faire de plus pour l’instant ? Et puis ce n’était que pour une absence de cinq jours, une semaine maximum. Léa ne serait quand même pas traumatisée de passer une semaine chez ses grands-parents qui l’adoraient en plus.
« - Bon il faut que j’embarque là… Oui… Je t’appelle quand je rentre. Salut. » Le claquement sec de son portable mit fin à la conversation. Il le fourra au plus profond de sa poche et, tout en prenant une grande inspiration, regarda sans bouger les avions décoller sous la pluie. Il resta planté là un long moment, les mâchoires et les poings serrés. Pourquoi fallait il toujours que son ex femme remette en cause sa façon de faire ? Il ne lui avait jamais rien imposé lui. Alors pourquoi se sentait elle obligée en permanence de venir commenter toutes les décisions qu’il prenait ?
Il aimait son métier, peut être un peu plus que la moyenne certes, mais était ce pour autant que l’on devait comme ça, en permanence, le sermonner sur ce qu’il ne faisait pas ou bien sur ce qu’il faisait mal. Il tentait de faire de son mieux et comme il réussissait à faire mieux au niveau professionnel qu’au niveau familial, il s’y consacrait un peu plus. Cela ne voulait absolument pas dire qu’il en oubliait sa fille loin de là. Mais lorsqu’il y avait des impératifs, il se devait d’être là, c’est tout.
Et puis, il fallait bien qu’il se l’avoue aussi, il adorait le côté imprévu des missions qui lui étaient imparties. Dés qu’on lui demandait si il pouvait se rendre quelque part, il ne disait que rarement non. Il se repassa rapidement le film de ses souvenirs depuis qu’il était arrivé à la rédaction. Il avait déjà couvert deux fois le Kosovo, plusieurs rebellions en Afrique de l’ouest, la mousson en Asie du sud-est l’année dernière et ce systématiquement au pied levé. Dés qu’il y avait un événement quelque part et que le correspondant sur place pour une raison ou pour une autre ne pouvait s’y rendre, c’est lui qu’on envoyait directement de Paris. Il avait souvent à peine le temps de s’imprégner avant de partir de ce qui allait l’attendre sur place. Il avalait rapidement le dossier concocté par une des secrétaires de la rédaction, et s’en remettait la plus part du temps au contact qu’ils avaient sur place. Si il n’en avait pas, la tâche n’en était que plus difficile mais non moins excitante. Parfois, il était tellement pris dans sa dynamique de spontanéité qu’il ne prenait conscience de ce qu’il avait vu ou des risques qu’il avait pu prendre qu’une fois qu’il était de retour à Paris. Sur place, il était là pour faire son travail ; rendre compte d’une situation le plus clairement possible et surtout de la façon la plus neutre. Il était le miroir renvoyant l’image, fidèle, précis. Pour le reste, que pouvait il faire de plus de doute façon ? A chacun son travail. Lui n’était ni une ONG ni un représentant de quoi que ce soit. Il était les yeux et les oreilles objectifs d’un média charger de communiquer au reste de ses concitoyens un fait, la plus part du temps dramatique, qui se déroulait dans un coin du globe. Ni plus, ni moins. Aux autres de faire les commentaires et les analyses. Cette neutralité imposée n’allait pas sans lui poser quelques problèmes de conscience à certain moment, mais il évinçait la plus part du temps la question, préférant se concentrer sur ce qu’il avait à faire.
« Les passagers pour le vol numéro 3547 à destination d’Antananarivo sont priés de se rendre à la porte numéro 7 pour un embarquement immédiat. »
Le vol se passa sans problèmes. Frédéric pensait à un projet d’émission, aux vacances à venir qu’il avait prévu avec sa fille et Véronique sa nouvelle compagne. Elles ne se connaissaient pas encore et cela allait être l’occasion de les présenter. Il sorti son dossier afin de regarder ce qu’il en était exactement de la situation. Les choses ne semblaient pas se présenter sous le meilleur des angles. Madagascar, un des pays les plus pauvre du globe, venait d’être littéralement soufflé par un ouragan. Les échos qu’il en ressortait était un chaos total et une situation explosive car l’eau potable avait complètement disparut, le fragile réseau mis en place quelques années plutôt ayant explosé avec le reste de peu de constructions que comptait ce pays. Ces informations, ils avaient pu les avoir grâce à un contact sur place avec qui il avait rendez vous en arrivant. Mais apparemment, bien peu de journalistes semblaient se rendre là bas pour le moment. Bercé par le rythme régulier du vol, un peu étourdi par les quelques coupes de champagne que lui avait servi l’hôtesse, il finit par s’endormir. Lorsqu’il se réveilla, l’avion amorçait sa descente sur la capitale de Madagascar.

samedi 20 octobre 2007

jeudi 18 octobre 2007

Poème

Au rythme de l’autre

Je te suis
Je te poursuis
Je me fuie
Je t’envie…
Je m’oublie.

mercredi 17 octobre 2007

Nouvelle


Seul


Et là, au milieu de cette nature imposante et omniprésente, au milieu cette nuit où je n’étais plus rien et où soudainement, cette vérité intrinsèque que je fuyais habituellement en courant après mes rendez vous, après ces minutes qui ne cessaient de m’échapper et qui filer à la vitesse du vent, j’ai eu peur. Et le pire, c’est que cette peur n’avait ni noms ni raisons.
Elle m’avait agrippé le ventre, fait trembler le corps et paralysé la gorge. Elle avait obscurci mon esprit pour ne plus en faire qu’un immense champs noir et plein de doutes et tout ça uniquement parce que brusquement, je ne bougeais plus, je n’était plus rien. Je n’avais plus moyen de m’échapper, plus de moyen de me mouvoir dans l’espace pour tenter de faire illusion, j’étais posé, échoué, statique, immobile. Je n’étais plus attendu nul part, je n’étais plus celui qui est en retard ou en avance. Non. J’étais. Et c’était tout. Le flot impétueux du temps dans lequel j’aimais tant naviguer et me perdre habituellement m’avait poussé sur le côté et je me retrouvais comme un tronc d’arbre sorti du courant ; refoulé sur la berge à devoir attendre…
Dans un mouvement compulsif, je tentais désespérément de refaire marcher mon portable. Ce lien permanent avec mon réseau, mon flot, ne pouvait pas m’avoir lâché ainsi. C’était impossible. Et pourtant si. Voilà. Je n’avais plus en face de moi que l’attente. Longue, sombre et inexplorée, j’allais devoir m’y confronter, seul…
Seul ? Après tout, ce n’était pas ce qui me dérangeait le plus car à bien regarder, être seul était un peu l’histoire de ma vie du moment. Depuis qu’on c’était quitté Cécile et moi il y avait environ deux ans maintenant, je n’avais jamais vécu de nouveau en couple. Enfin on c’était quitté…disons que sans vraiment savoir pourquoi ni comment on était arrivé à la fin de l’histoire. Alors plutôt que de continuer à faire semblant, plutôt que de continuer à se voiler la face et à se dire que « peut être ça aller revenir… » on avait choisi d’arrêter. Je l’ai regretté, mais il était trop tard. Trop tard pour la rappeler, pour s’expliquer. La vie passe et parfois on se réveille avec le sentiment contradictoire de ne pas savoir si l’on est heureux qu’il nous reste encore du temps pour faire des choses ou bien l’on doit être terrifié par le temps déjà écoulé. Toujours est-il que depuis, d’aventures en aventures, je comblais certaines de mes soirées de façon sexuellement ludique. Ni plus, ni moins. Mais je n’avais jamais retrouvé aucun intérêt à vivre de nouveau un quotidien avec quelqu’un. Le principal argument était que cette situation m’offrait l’énorme avantage de ne présenter aucune obligation l’un vis-à-vis de l’autre. Tout juste devais je m’en tenir à un semblant d’honnêteté lorsque l’ennuie commençait à poindre à l’idée de la revoir. Mais mes excuses étaient devenues avec le temps et l’habitude, nombreuses et imparables. Et mes compagnes variaient donc de façon régulière et parfois cavalière. Mais je n’avais absolument pas le sentiment de leur manquer de respect en quoi que ce soit. Je ne cherchais qu’à partager des bons moments et cette quête hédoniste incluait parfois des décisions pouvant paraître un peu dure. Disons que je préférais être dur que prisonnier d’une situation sans issue. Ma vie quotidienne était donc baignée d’une douce solitude plus ou moins choisie, ce qui me laissait beaucoup de temps pour moi et pour faire, par conséquent, tout ce que je désirais. Alors pourquoi ais-je eu si peur soudainement de me retrouver ainsi seul au milieu de nul part ? Pourquoi cette peur-panique m’avait-elle prise quelques instants plus tôt, me terrassant comme si j’avais reçu un coup de poing dans le ventre ? Peut être était ce la nuit ? Peut être était-ce toute cette immensité ? Et puis cet isolement, contraint et brusque. Cet isolement qui c’était imposé de lui-même sans me laisser le choix, sans même prendre la peine de me prévenir. Cet isolement qui avait surgit dans ma vie et que j’allais devoir supporter malgré moi au moins jusqu’à demain matin. Car si il est vrai que je vivais seul, je ne vivais pas pour autant isolé. Le secret de l’attraction des grandes villes réside sûrement là dedans. Ce sentiment de pouvoir se permettre de choisir sa vie, d’être parmi sans pour autant avoir le sentiment d’être avec. La vue des autres, la vie des autres, me permettait de fuir de façon plus aisée le vide la mienne.
Mais là, je n’avais plus rien, plus d’écran, plus de bouclier, j’étais seul, au milieu de nul part.

Tout avait commencé quelques jours plus tôt avec ce coup de fil d’un ami :
« - Thomas ?
« - Ouais.
« - Comment ça va ?
« - Comme un mec qui bosse en pensant à ses potes qui sont entrain de se dorer la pilule en Espagne…
« - Oh aller ça va hein ! Ça fait un mois qu’on te propose de venir avec nous…tu devrais je te jure c’est génial comme coin.
« - Mais je ne peux pas marcher je te rappelle, répliquais-je sur un ton faussement énervé. Ma cheville me fait encore un mal de chien dés que je la pose part terre alors si c’est pour aller m’enterrer en pleines Pyrénées espagnole pendant que vous allez vous amuser dans les montagnes non merci, je préfère encore rester là.
« - Bon d’accord tu peux pas marcher ça on avait bien compris ; mais tu peux conduire ?
« - Oui, ça je peux ça…
« - Tu peux parler aussi ; ta cheville elle t’empêche pas de parler ?
« - Non. Non ça c’est bon aussi…
« - Et faire la bouffe ? T’es handicapé au point de pas pouvoir faire la bouffe ?
« - Mais non ça…
« - Bon et nager ?
« - Nager ?
« - Oui nager. L’action de se déplacer dans l’eau. Tu peux le faire ou pas ?
« - Vous avez une piscine dans le camping ?
« - Non. Mais le coin regorge de petits ruisseaux bien frais qui forment des bassins dans lesquels on peut se baigner sans problème. On en a trouvé des qui font rêver j’te jure. Et vraiment pas loin, on peut quasiment y aller en bagnole. Et ici c’est tellement paumé qu’on est toujours tout seul. On c’est fait des pique-niques du diable, avec des bouteilles de rosé, des olives, des salades de tomates…le soleil…les cigales…Pierro est venu avec sa guitare et hier Caro a chanté, c’était extra…
« - …….
« - Là je t’appelle de la ville parce qu’on avait besoin de faire des courses et que là bas la petite épicerie elle est hyper chère et vend pas grand-chose de toute façon. Les portables passent pas et comme on est à plus d’une heure de voiture de la première « ville » si on appeler ça comme ça, on va pas y venir tous les jours…enfin on est là mais après c’est mort, on reviendra dans je sais pas combien de temps, alors si tu veux te décider c’est maintenant ou jamais. De toute façon tu vas pas rester tout seul chez toi, t’es en vacance dans quelques jours…
« - Non j’suis pas tout seul ! Y’a Nico qui bosse sur la côte qui m’a proposé d’aller passer quelques jours chez lui. Il loue une baraque à deux minutes de la plage…
« - Whoua !! Super le plan…trop original. T’as raison vas y je suis sûr que tu vas t’éclater. » Phil adorait ce genre de répliques ironiques et désabusé. De toute façon, c’était vrai qu’à tout bien réfléchir, mes excuses étaient stupides et ne pouvaient tenir la route qu’un court instant. Comment comparer une proposition d’aller rejoindre six de mes amis en Espagne en plein milieu de ce que la plus part qualifiait de petits paradis tant le paysage y était sublime et la vie tranquille et l’idée d’aller passer deux jours sur la côte surchauffée et surbondée en compagnie d’un zombie qui bossait comme un malade parce que c’était la pleine saison. Face à tant de perspicacité, je dû me rendre à l’évidence :
« - Bon…file moi l’adresse. Je suis en vacance vendredi soir et je pense que je partirai samedi matin. Donc je serais là en gros samedi en début d’après midi. ça vous va ?
« - Eh ben voilà ! Alors deux trucs juste avant que je t’explique comment venir. Si tu pouvais amener avec toi un petit ravitaillement, genre des bières parce que ça il en manque toujours, de l’eau en bouteille, quelques fruits et légumes…enfin bon, des trucs à manger quoi, ça nous évitera un aller retour supplémentaire jusqu’ici…et aussi si t’as le temps, si tu pouvais passer chez les parents de Tof prendre son freezbee…
« - Ok ! C’est tout ?
« - Ouais. Alors maintenant pour venir… » S’en était suivi une longue explication au court de laquelle j’avais surtout retenu le paramètre suivant « Surtout faut pas hésiter à continuer. Tu vas voir c’est long et isolé, en plus pendant au moins une heure t’as plus de goudron, mais faut pas hésiter à continuer… »
J’avais continué…jusqu’à ce que je me rende à l’évidence que j’étais vraiment définitivement perdu. La route c’était muée en chemin, cahoteux et chaotique et la nuit m’ayant privé de tout les repères que m’avait cité Phil, avait conduit mes roues jusqu’à ce traître de cul de sac. Tout en effectuant ma manœuvre de retrait accompagné de quelques injures significatives contre la nuit, la route, cette voiture et mes amis en général, j’avais soudain entendu, venant du dessous de mon engin, un bruit terrible. Un de ces bruits qui vous fait dire que cette fois, vous allez en avoir pour cher. J’avais aussitôt stoppé tout mouvement, anxieux, l’oreille aux aguets. Tout avait pourtant continué de tourner normalement. J’étais alors reparti sans plus me soucier de rien, espérant que la casse, si casse il y avait, tiendrait au moins jusqu’au camping… si camping il y a avait.
C’est alors que mes yeux tombèrent sur ma jauge d’essence et c’est à cet instant que je réalisais que casse il y avait eu et apparemment sérieuse puisque mon aiguille chutait dangereusement vers la zone rouge. Dans un mouvement à la fois guidé par la panique et la rage, je tentais d’accélérer espérant peut être que cette opération face apparaître comme par magie au détour d’un virage, le lieu de mes recherches. Mais rien. Cette tentative ridicule et désespérée pour me sortir de ma situation n’avait fait qu’avaler un peu plus vite les quelques gouttes qui restaient encore dans mon réservoir. Et c’est ainsi que je m’étais retrouvé perdu au beau milieu de la campagne espagnol, en pleine nuit et sans aucun moyen de contacter personne. Heureusement que j’avais de quoi manger. Parce que si en plus j’avais du jeûner alors-là ça aurait été le bouquet.
L’odeur d’essence me saisit les narines dés que fut dehors. Abattu et résigné, je m’étais laissé tomber le long de la carrosserie jusqu’à me retrouver assis par terre. Je suis resté comme ça un long moment, à regarder le ciel et les étoiles et c’est là, en faisant le bilan de ma situation au milieu des vapeurs d’essence et de cette nuit brûlante d’été, que j’ai soudain senti monter en moi cette angoisse immense et indicible ; cette peur innommable et innomée qui m’avait assailli de toute sa sournoise insaisissabilité ; cette peur de moi et de mes secrets que cet isolement forcé me faisait soudain exploser à la figure.

Si ma mère me voyait…Je ne sais absolument pas pourquoi en plein milieu de la nuit, à moitié endormi sur la banquette arrière, je me suis mis à penser à elle et à ma famille en général. Peut-être que mon esprit embrouillé avait fait un lien entre cette solitude qui m’avait si brusquement capturée et mes relations avec ma famille. Ou peut être était-ce ce paysage de désert qui m’avait inspiré une telle réflexion. Allez savoir. Mais en tous les cas, je me suis mis à penser à eux.
Je les voyais de façon épisodique. Je les voyais, parce qu’il le fallait bien. Je ne les détestais pas ça c’est sûr ; mais je me sentais…de plus en plus distant. Mes parents m’aimaient, comme on aime un fils…malgré tout et sans être complètement distendus, nos liens n’étaient pas des plus proches. Et sans être complètement dissident, je n’étais malheureusement pas rentré dans les canons de la vie qu’ils avaient tracés pour moi. Contrairement à mon frère cadet qui lui « avait réussi »…Architecte à vingt-quatre ans dans un grand cabinet à Lyon, sa femme, d’une stupide transparence, était déjà enceinte.
« -Quatre ans de moins que toi et déjà tellement d’avance… » m’avait dit une fois ma mère avec la délicatesse qui la caractérise à certains moments. Mais tellement d’avance sur quoi ? Pour aller où ? Je me suis toujours demandé ce que pouvait bien signifier tout cela : être en avance, avoir réussi…Tenant compte du fait évidement que je n’avais absolument pas l’impression d’avoir « raté » quoi que ce soit.
Effectivement, mes études avaient été écourtées en raison d’une forte prédisposition festive et surtout aucune motivation pour la branche commerciale dans laquelle je m’étais engagé par dépit après avoir obtenu mon bac par miracle. J’avais été tellement surpris de m’en être sorti que les demandes que j’avais faite « au cas où », me fichant royalement de leur contenu, c’étaient révélées du jour au lendemain, devoir être ma vie. Je crois d’ailleurs que c’est à cette époque que je me suis mis à courir. Enfin quand je dis à courir, c’est une façon de parler bien sûr…disons que je me suis mis à faire autre chose que ce qui m’était demandé, histoire de me donner de la contenance, histoire aussi de ne pas voir…Alors voilà, de fêtes en petits boulots, de formations en stages, j’avais fini par arriver là où j’en étais maintenant. Et j’en étais plutôt content. Car jamais je n’avais eu l’impression « de perdre mon temps » et « d’avoir gâché mes meilleurs années ». Bien au contraire. J’avais ri j’avais bu. J’avais aimé j’avais lu. J’avais partagé j’avais vécu, avec des gens, tous différents mais dont certains étaient devenus maintenant mes amis. D’autres avaient à jamais disparu, ne laissant qu’une trace, un souvenir agréable ou non, mais ils avaient compté et avaient contribué à ma vie quoi qu’on puisse en dire.
Alors oui, je n’avais sans doute pas suivi « la » route, « le » chemin mais après tout, en était-ce pour autant dommageable ? Apparemment oui, aux vues des quelques remarques susurrées mais inévitables qui tombaient généralement à la fin de certains repas de famille. Apparemment non, aux vues du sentiment de tranquillité que j’éprouvais à l’égard de mes choix.
Certes mon poste ne brillait pas des milles feux de la réussite comme l’entend la société en général. Mais mes revenus me suffisaient à avoir un appartement décent, des sorties plus ou moins culturelles mais régulières et de quoi épargner pour me payer de temps en temps un petit brin de vacances. De quoi mener une vie tranquille en quelque sorte.
Et alors ? Comme si c’était un crime de n’avoir que pour ambition d’apprécier ce genre de vie. Comme si c’était mal de me contenter et d’être satisfait de ce que je vivais pour le moment. Je me souviens d’un jour où mon frère, après une altercation familiale m’avait dit, croyant dans doute me clarifier une situation que je n’avais que trop bien comprise :
« - ça n’est pas un reproche ; on te dit juste que tu ne cherches pas à progresser dans ce que tu fais…voilà c’est tout. » J’étais sorti de table et j’étais rentré chez moi sans prononcer un mot de plus, sous les sonneries incessantes de mon portables emmagasinant les messages d’excuses.
A progresser ? Qu’est ce que ça pouvait bien me faire de progresser. Ils n’écoutaient pas lorsque je leur parlais ou quoi ? Je n’avais pas envi de progresser. J’étais bien comme j’étais, dilettante et insouciant, sans responsabilités et sans volonté d’en avoir.
Je ne cherchais pas à me vendre non parce que je n’avais rien à vendre mais parce que je n’avais pas envi. Plusieurs fois mon père, qui avait travaillé pendant plus de vingt ans pour un cabinet de recrutement, m’avait proposé de « me faire rencontrer des gens ; juste pour voir. » J’avais toujours refusé. Des gens, j’en rencontrais bien assez comme ça.
Je sortis dehors pour fumer une cigarette. L’odeur d’essence était moins forte que tout à l’heure. Je regardais l’heure. Trois heure et demi. On ne pouvait pas dire que j’avais beaucoup dormi. J’allais jusqu’au coffre m’attraper une bouteille d’eau. Ma cheville me faisait mal. Un peu moins sous l’emprise de la panique que lorsque j’avais juste percé mon réservoir, j’entrepris de commencé à regarder autour de moi. Depuis que je m’étais retrouvé stocké là, je ne l’avais pas encore fait. Enfin disons que si, j’avais bien vu où je me trouvais ; quelque part sur le bord d’un chemin-route terreux juste à la sortie d’un virage qui ne menait à rien. Mais j’avais regardé les alentours avec les yeux du prisonnier. Alors j’avais vu, effectivement, qu’il n’y avait aucun moyen de s’échapper.
J’écrasais mon mégot par terre. Tout autour de moi, les montagnes découpaient leurs grands pans noirs dans la nuit étoilée. C’était un spectacle calme et statique. Quelque chose d’immobile et de puissant.
Je tentais de me rendormir mais mes pensées couraient dans ma tête sans que rien ne semble pouvoir les contrôler. C’était un peu comme si, ne pouvant bouger de l’endroit où j’étais tombé en panne, mon esprit tentait de combler mon manque de mouvement. Il s’emballait dans toutes les directions, déterrant de vieux souvenirs, élaborant des plans pour l’avenir avant de plonger, sans que rien n’ai pu le laisser prévoir, dans une histoire enflammé et totalement imaginaire. Vers cinq heure, le ciel se mit à rosir. Une aube pâle et lumineuse commençait à poindre. Vaincu par la fatigue et profitant d’une baisse de la température ambiante, je profitais d’une suspension du ballet infernal qui se jouait dans ma tête pour m’endormir quelque temps. Mais vers huit heure, je fus réveillé de la plus implacable façon qui soit : la chaleur. Malgré les vitres que j’avais laissé légèrement entrouvertes, ma voiture avait fait office, face au soleil naissant, de cocote minute et moi j’étais à l’intérieur. Je me réveillais donc en sueur et sorti rapidement afin de prendre l’air. Dehors, la température était encore acceptable à cette heure de la journée mais la limpidité du ciel laissé augurer que cette situation ne serait que de courte durée. Je jetais un œil au paysage environnant nouvellement éclairé. J’étais sur le haut d’un petit plateau qui dominait une vallée située en contre bas. L’herbe jaune et rase confirmait ce que laissait entrevoir le ciel ; la fournaise.
Mis à part un arbre rabougris et sec situé à quelques centaines de mètres sur ma droite rien de dépassait le mètre de haut. Dans la vallée en revanche, un mince mais touffu cordon vert sombre sinuait en de paresseuses courbes. Mais de là où je me trouvais et compte tenu de l’état de ma cheville, il me serait impossible de l’atteindre pour tenter d’aller me rafraîchir si besoin en était.
Maintenant qu’il faisait jour, je me sentais un peu moins mal à l’aise que durant la nuit. Certes ma situation n’était pas meilleure mais maintenant je pouvais la contempler droit dans les yeux. Jusqu’à dix heure, je grillais quelques cigarettes en regardant autour de moi. Tout était sec et désertique. Pour passer le temps, je m’emparais du journal que j’avais acheté juste avant de partir et qui traînait dans la voiture. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours vu le journal comme quelque chose que je ne pouvais lire qu’en vacance. Peut être parce durant cette période j’avais plus le temps, j’étais moins enclin à regarder la télé. Et puis pour moi qui ne suis pas un grand lecteur, il représentait le format idéal. Je pouvais l’emmener partout avec moi, toute la journée ; le lire n’importe où dans n’importe quel ordre et surtout, il avait un énorme avantage à mes yeux, un avantage qui surclassait de loin tous les autres : il changeait tous les jours. Ce n’était pas comme les livres dont on ne pouvait sortir que par abandon ou par la dernière page. La lecture du journal était libre, papillonnante et dilettante et c’était exactement ce que je recherchais pour agrémenter cette période. J’avais donc pris juste avant de partir, cet accessoire estival indispensable.
Je commençais par tourner les pages, un peu au hasard, cherchant le titre qui m’accrocherait l’œil et me permettrait de dilapider impunément une poignée de minutes. Ce ne fut pas un titre mais un chiffre, qui écorcha mon regard. Trois cent mille. Trois cent mille, était le nombre de personnes, approximativement, tuées l’or d’une guérilla au confins de l’Afrique ; quelque part entre un lieu perdu et un autre qu’on oubliera très vite. Trois cent milles personnes, en trois ans. La gorge me serra soudain. Trois cent MILLE, personnes. Comme ça. Pour une histoire de territoire et de frontières, de rivalités séculaires réactivées aux grés des besoins d’hommes au pouvoir dont ils leur importaient peu qu’une vie disparaisse, pourvu que ledit pouvoir, aille croissant. Une vie. Une vie, une vie une vieunevieunevie… je me répétais ce mot comme si il venait d’acquérir une résonance nouvelle à mes oreilles. J’avais l’impression qu’il explosait sous une dimension supérieur découvrant dans la solitude de cette chaleur espagnole, tout un pan de sa signification jusque là gardé secret. Cette petite étincelle qui tentait de se battre entre le poids du passé et l’incertitude du future, cette petite flammèche unique que chacun tentait de protéger avec ses misérables moyens et qui pouvait vaciller à chaque instant, certains l’écrasait à coup de talon, la noyait sous des torrents d’oppression ou bien l’alimentait du bois de la haine pour la transformer en un incendie destructeur. C’était à croire que détruire la vie des autres était le seul moyen pour l’ambitieux d’exister. A ce chiffre pharaonique de trois cent mille morts, trois-cent-mille-morts, s’ajoutait une photo sur laquelle on pouvait voir trois hommes habillés en tuniques et turbans, lunettes de soleil, riants et fumants une cigarette, montés à l’arrière d’un pick-up sur lequel était chargé une énorme mitrailleuse. Je suis resté ainsi un long moment à regarder ces hommes, les imaginants quelques minutes plus tard entrain de faire hurler ce canon qui allait imposer le silence à ceux qui allait être fauché. Je fermai le journal un instant, contemplai l’immensité de mon impuissance, culpabilisai et finalement, le rouvrit. Les pages défilèrent lentement, dans leur bruit de froissement caractéristique, jusqu’à arriver au sport. Et sans aucune transition, j’ai tenté d’oublier.
Après quelques articles inutiles sur la santé d’untel et le énième scandale de dopage, je finis par reposer mon journal. Mes pensées reprirent leur cours, libres et désordonnées, mais moins tumultueuses que celles de la nuit. Le fantôme des trois cent mille mort me hanta encore quelques instants mais très vite, face à mon inanité, il disparut.
Je mis alors à penser à mon boulot ; en général. Et puis je commençais à passer un par un mes collègues en revu. Dans l’ensemble, on s’entendait tous bien. Evidement et comme partout j’avais plus d’atomes crochus avec certains mais aucun ne m’étais vraiment antipathique. A part Franck. Ce n’était pas tant son caractère autoritaire qui me rebutait le plus mais la façon qu’il avait de rejeter en permanence la faute sur les autres. C’était d’ailleurs un trait de caractère qui m’était particulièrement désagréable chez qui que ce soit. D’une manière générale j’avais remarqué que la catégorie de personne qui partageait le mieux cette façon de faire était les politiciens. Comme tout un chacun, je suivais de loin les émoluments mous de la démocratie française. Non pas que je n’y croyais plus, à à peine trente ans cela aurait paru un peu exagéré, mais disons que je n’avais jamais été convaincu par aucun. Pourtant j’avais suivi, je m’étais intéressé. Mais très vite j’avais trouvé tout cela assez peu enthousiasment. Et puis surtout, je n’avais jamais vu aucun politicien faire son mea-culpa. Aucun n’était jamais venu dire à la face de la France : « Eh bien oui, cher concitoyen, oui, moi et mon gouvernement avons fait une énorme erreur avec ce projet. Il a été mal réalisé, mal pensé, mal ficelé et son application est un désastre… » Ou même l’inverse. L’opposition reconnaissant que « Oui. Nous devons bien l’admettre, la majorité a réussi là un projet remarquable et nous ne pouvons que reconnaître que nous n’avons jamais pensé à faire cela comme ça auparavant. » Jamais. L’histoire était toujours la même. Un projet était voté. L’opposition hurlait à l’infamie en prédisant des catastrophes économiques sans précédent. La majorité se défendait en invoquant des améliorations qui allait profiter à tous les citoyens. Le projet devienait réel et alors s’en suivait, chiffres d’experts à l’appuie, des semaines d’autosatisfaction et de démonstration de l’étendue des dégâts, tout cela agrémenté de débats respirant la mauvaise fois et l’hypocrisie.
Moi je n’avais pas fait d’étude. Enfin disons que diriger un pays, je comprenais bien que ça n’était la même chose que mes problèmes d’informatique au boulot, mais quand même. Est-ce pour autant que l’on devait sans cesse rejeter ainsi la faute sur l’autre ?!
Subrepticement, l’air était entrain de s’emplir d’un contenant des plus ardent que rien ne semblait pouvoir arrêter. Des milliers d’insectes faisaient vibrer l’air en surchauffe rajoutant un peu plus à l’impression de langueur hypnotique qui commençait à m’envahir. Il était maintenant bientôt midi et pas une seule voiture n’était encore passée sur la route en contre bas. En même temps je commençais à me dire qu’en restant là, si d’aventure quelqu’un devait passer sur ladite route, il n’était pas obligatoire qu’il me voit. Le mieux serait donc peut être que je redescende jusqu’à cette route afin de garantir toute mes chances de me sortir de cette situation qui commençait à devenir pesante. Après quelques minutes de réflexions, je me mis donc en devoir de me confectionner un petit sac avec des fruits, de l’eau, quelques chips, mes cigarettes, mes papiers…Cette activité claudicante me redonna un peu de baume au cœur. J’étais sur un nouveau départ. Chaque mouvement m’arrachait un petit rictus à cause de ma cheville et me faisait suer sang et eau à cause de la température caniculaire qu’il faisait. C’est alors que survint un incident aussi stupide qu’étrange. Dans un ultime réflexe citadin, je me mis à faire le tour de ma voiture afin de bien vérifier que celle-ci était fermée. La stupidité de ce geste me frappa alors que j’étais entrain de remonter une des vitres de l’arrière. J’étais tellement conditionné dans ma protection que même là, au milieu de nul part, dans ce no man’s land grillé par un soleil de plomb, j’étais entrain de fermer une voiture qui de toute manière, ne pouvais même plus faire un mètre puisque de surcroît, elle était en panne. Je stoppais là mon élan protectionniste et tout en transpirant je fis un petit bilan de ce que j’amenais dans ma pathétique expédition. Après un dernier regard à mon engin, je m’éloignais en serrant les dents, m’arrêtant tous les dix pas sous l’action combinée de la douleur et à la chaleur.
Je finis par atteindre, la transpiration dégoulinant de mon corps, ce qui constituait la route principale. Enfin disons plutôt que je devrais dire que j’étais sorti de mon sentier et que j’avais rejoins un endroit où j’avais un peu plus de chance de me sortir de mon ornière. Le temps continuait de couler en petites secondes de braise, toutes un peu plus lourde les unes que les autres. Heureusement pour moi, il y avait sur le bord, un gros rocher qui diffusait une ombre salutaire. Je m’installais là, le dos contre la pierre, les yeux sur la route et l’esprit en ballade. Je les imaginais tous, sirotant un verre en discutant les pieds dans un courant d’eau frais, regardants leur montre ; s’étonnant de ne pas me voir encore là, m’inventant milles aventures plus ridicules les unes que les autres pour expliquer mon retard ; s’offusquant faussement en riant de plus bel pour ce qu’ils avaient osé dire ; parlant de tout et de rien, bercés par cette langueur propre aux vacances d’été. Des projets que l’on évoque tout en sachant très bien qu’ils sont irréalisables, seront élaborés jusque dans leur moindre détails, des sujets douloureux évités, des envies créées et des bonnes résolutions prises. Et moi j’étais là, assis le dos sur le rocher, à attendre qu’on veuille bien venir me chercher, qu’on veuille bien enfin me remettre dans le train de vie.
Malgré tout maintenant, après tout ce temps passé là, seul, je n’arrivais pas à regretter la décision que j’avais prise. Certes partir comme ça, en milieu d’après midi pour un endroit aussi perdu n’était pas la meilleur idée que j’ai eu. Et pourtant, ce vendredi midi, dés que mon patron m’avait dit que je pouvais partir, qu’il me donnait mon après-midi, je n’avais pas hésité une seconde. L’idée de rester seul en ville une soirée de plus avait fait la jonction avec celle de me retrouver au plus tôt avec toute ma bande et c’est quasiment sans réfléchir que j’avais décidé de partir Et puis la surprise, la tête qu’ils allaient faire en me voyant ainsi arriver avec presque une journée d’avance, avait fait le reste. Et puis de toute façon comme je n’avais aucun moyen de les prévenir, la surprise c’était un peu imposée d’elle-même. En fait de surprise c’était moi qui m’en retrouvais la victime. Mais après tout, est ce que ça n’était pas le prix à payer parfois ? Si j’avais voulu jouer la sécurité je serais parti comme prévu. Il me serait peut être arrivé une mésaventure identique mais tout se serait finit si vite finalement. Je me dis alors que parfois, la vie pouvait être aussi une histoire d’accidents.
J’avais l’impression, qu’avec la chaleur et la solitude, mes pensées c’étaient plus ou moins apaisées. Elles n’avaient plus le bouillonnement anarchique de cette nuit. Comme si le fait de m’être retrouvé ainsi un temps en marge forcée, m’avait obligé à prendre un peu de recul. Je fermais les yeux. Un léger sourire s’esquissa sur mes lèvres. L’air statique et vibrant m’offrait un carcan rassurant. Puis soudain, dans le lointain, un bruit de moteur. J’ouvrais les yeux. Je pouvais distinguais, quelque part dans la montagne, vers l’opposé de là où j’étais arrivé la veille, un nuage de poussière. Une voiture. Il y avait enfin une voiture qui allait passer sur la route. D’instinct, je me mis à dépoussiéré dans ma tête le peu d’espagnol somnolent qu’il devait peut être encore me rester dans un coin. Mais c’était vain. Tant pis. Je me débrouillerais bien. Claudiquant et excité, je me mis sur le bord de la route, prêt même à me mettre en plein milieu si je voyais que d’aventure, l’automobiliste envisageait de passer sans s’arrêter. La voiture approchait. Je la voyais descendre le long des lacets. Et puis lorsqu’elle fut suffisamment proche, après un très court moment d’hésitation, je me mis à hurler de joie. C’était Philippe. C’était la voiture de Philippe. Quelques secondes plus tard, il en sortit, un sourire narquois aux lèvres :
« - Ben qu’est ce que tu fous là imbécile ? t’as décidé de venir à pied ?
« - Ah c’est super marrant ça comme blague. Ça fait plus de vingt heures que je suis là planté comme con alors vas y mollo !!
« - Vingt heures ?! Au moins ouais.
« - Ben ouais justement. Je voulais vous faire une surprise et je suis parti hier soir parce qu’on m’avait filé mon après-midi au boulot. Alors plutôt que de passer la nuit tout seul en ville, j’ai décider de partir pour arriver pendant la nuit et vous faire la surprise…mais bon, ça c’est pas vraiment passé comme prévu. » Phil me regarda l’air interrogateur. Il ne savait pas si j’étais entrain de me payer sa tête ou pas :
« - Tu…tu rigoles.
« - Non. Pas du tout. Je me suis planté cette nuit. Au lieu de continuer tout droit j’ai pris à l’embranchement sur la gauche là. Et puis en arrivant en haut, ma bagnole est tombée en panne. J’ai crevé mon réservoir. Et comme ici y’a pas de réseau téléphonique, que la moindre barque elle est à des lustres et que je pouvais pas marcher à cause de ma cheville, eh ben depuis j’attends. Voilà. »
Philippe éclata de rire et tout en m’ouvrant la portière reprit :
« - Ah ben alors ça c’est la meilleur des vacances. Moi qui venait justement à ta rencontre parce qu’on se demandait ce que tu faisais…Bon allez monte Indiana Jones. Ah ah ! On va passer prendre tes affaires et demain on reviendra avec de quoi réparer, de l’essence et puis voilà !
« - Et puis voilà, et puis voilà ! On voit bien que c’est pas toi qui vient de passer une nuit et presque une journée tout seul dans la nature.
« - Oh ça va hein, y’a pas de quoi en faire une caisse non plus. Et puis c’est hyper beau le coin non ? »

dimanche 14 octobre 2007

Poème

Goutte de vie

Une goutte d'eau
Une pointe de mot
Qui explose,
Qui s'expose
Dans les fissures d'une terre aride
Sur la blancheur d'une page vide;
Une goutte de vie
Une pointe d'envie.

jeudi 11 octobre 2007

Conte

Le fantôme de mon placard.



J’ai eu un fantôme dans mon placard et je peux vous dire que ça fait bizarre. Tout a commencé un soir, alors qu’il faisait nuit noire et que mon papa venait juste de finir de me raconter une histoire. J’étais entrain de me dire que ce château lugubre avec ces sombres couloirs devait être un chouette terrain d’aventure et qu’un jour moi aussi, j’irai voir ce qui ce cachait vraiment derrière tout ça. Je me voyais déjà en armure étincelante, coupant les têtes de milles monstres sanguinaires, terrassant les horribles sorcières et leurs affreuses créatures sorties tout droit des enfers. J’étais le chevalier Godefroy le Terrible qui marchait dans le noir, une torche à la main et une épée dans l’autre et tout le monde à mon approche tremblait de peur. J’en étais là de mon aventure lorsque soudain, derrière la porte de mon armoire, j’ai entendu gratter. J’arrêtai de m’agiter et j’écoutais un peu plus attentivement. Un autre grincement se fit entendre. Puis un autre. Au bout d’un moment, j’avais même l’impression que quelqu’un était entrain de parler dans cette armoire. Que ça grince derrière cette porte encore je veux bien. Mon idiot de chat Napoléon arrive à se faire enfermer dedans et comme sa principale activité c’est de dormir, des fois quand il se réveille il se retrouve prisonnier. Alors il se met à miauler, à sauter partout et à fiche un bazar pas possible pour qu’on lui ouvre. Mais par contre, même quand il est resté longtemps enfermé, je n’ai jamais entendu Napoléon se mettre à parler. Je me suis donc levé prudemment et tout doucement, je me suis approché de cette porte. L’oreille tendue, le cœur battant et une grosse boule dans le ventre j’ai approché ma main de la poignée. Derrière, le bruit continuait toujours. D’un coup sec j’ai ouvert et là, devant moi, se tenait un fantôme qui a eu l’air aussi surpris que je l’étais. Il m’a regardé avec des grands yeux ouverts et très poliment il m’a demandé :
« - Euh…Vous ne seriez pas par hasard Lord Singuelton ?
« - Ben…non, je lui ai répondu en tenant toujours la poignée de la porte dans la main. Moi je m’appelle Benjamin. Et vous ?
« - Ah ! A fait le fantôme en s’asseyant sur une de mes étagère. Mon dieu ! Mais où suis-je encore tombé ?! » Et il c’est prit la tête dans les mains.
« - Vous êtes là pour me faire peur ? J’ai demandé.
« - Oh non ! Non non non rassure toi. Je suis là par erreur.
« - Mais euh…comment ça par erreur ?
« - Eh bien vois tu petit, nous les fantômes, nous ne faisons pas n’importe quoi. Nous ne faisons pas ce que nous voulons. Nous sommes envoyés chez des gens précis pour les tourmenter parce qu’ils ont été méchants. Mais ceux qui n’ont rien fait, on ne peut pas leur faire peur comme ça, sans raisons.
« - Ah bon ?! Mais pourquoi ? » Le fantôme parut soudain bien embêté.
« - Ben parce que euh… C’est pas bien d’avoir peur.
« - Oh ben si moi j’aime bien. Mon papa des fois il s’amuse à me faire peur en me racontant des histoires ou en imitant le monstre. C’est rigolo. »
Le fantôme me regarda fixement et d’une petite voix agacée me dit :
« - Parce que tu trouves que j’ai une tête de rigolo peut être ?
« - Ben oui. Tu ressembles à mon oncle Anatole. T’es tout grand et tout maigre avec un gros nez et des vêtements trop petits. T’es pas un vrai fantôme. Les vrais fantômes ils sont habillés avec un drap dessus et des chaînes qui pendent et ils font « Hououhou » en passant à travers les murs. Toi t’as même pas réussi à sortir de mon placard. »
Le fantôme se leva d’un bond et les deux mains sur les hanches il s’emporta :
« - Comment ? Pas un vrai fantôme, moi ? Je suis une âme damné moi jeune homme. Je suis un authentique criminel qui faisait peur à tout le monde quand il était encore en vie. Les gens tremblaient en entendant mon nom. Et ce n’est parce que je refuse de porter ce ridicule déguisement que les fantômes d’Ecosse tentent d’imposer à toute la profession que je ne suis pas un véritable fantôme. »
Et puis il se rassit sur l’étagère et se mit à bouder. Non seulement j’avais dans ma chambre un fantôme qui ne faisait pas peur, mais en plus il était boudeur.
« - Bon d’accord, d’habitude tu fais peur. Mais c’est juste que là t’as raté ton entrée ; ça arrive. Je suis sûr que si tu étais arrivé en faisant « Hououhou », j’aurai eu plus peur c’est tout.
« - Mais au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas une chouette moi jeune homme. Je ne fais pas « Hououhou » moi. Je fais des vrais bruits inquiétants moi. Je suis un professionnel moi. Pas un saltimbanque d’opérette.
« - Ah ouais ?! Tu sais faire des bruits qui font peurs ? Tu m’en fais un ? Oh allez s’il te plait un seul et après je te demanderai plus jamais rien, d’accord ? »
Le fantôme me regarda du haut de l’étagère :
« - Bon. Mais tu pleureras pas après ?
« - Non c’est promis.
« - T’appelleras pas ta maman et tout le bazar hein ?
« - Non non j’te jure. Aller vas-y fait un bruit qui fait peur.
« - Tu me le jures ?
« - Oui j’te le jure sur la tête de euh… de la maîtresse ! »
Le fantôme me regarda du haut de son étagère l’air un peu méfiant, puis sur un ton un peu forcé il dit :
« - Bon. D’accord. Mais juste une fois hein !?
« - Oui oui juste une fois. Allez va z’y ! »
Le fantôme descendit vers moi en flottant dans les airs et d’une voix caverneuse et gutturale se mit à proférer :
« - Benjamin je vais te hanter jusqu’à la fin de tes jours !!! » Et ça a super bien marché. Ça a tellement bien marché que je suis parti vers mes draps en courant et que sans m’en rendre compte j’ai du aussi un peu crié parce que le fantôme arrêtait pas de me faire « Chut ! Mais tais toi tu vas réveiller tout le monde !! Tais toi ! » Quand je me suis calmé, je l’entendais dehors qui continuait à faire « Chut !! ». Alors j’ai sorti la tête de mes draps et je l’ai regardé en lui disant :
« - Wouha ! Génial !
« - Oui bon ben ça va… t’as failli me faire repérer avec tes bêtises. » Il avait à peine fini sa phrase que la lumière c’est allumée dans le couloir. Une seconde plus tard, maman ouvrait la porte en essayant de ne pas faire de bruit et à voix basse elle a dit dans le noir :
« - Tu dors mon chéri ? » Moi j’ai continué à faire semblant de dormir pour pas avoir à m’expliquer. Comme je ne bougeais pas, elle a refermé la porte et elle est partie. Une seconde plus tard j’étais debout à la recherche mon fantôme. Mais j’avais beau appeler, rien. Je regardais dans mon coffre à jouets, rien non plus. Sous le lit ; encore du vide. Dans mon armoire… impossible à ouvrir. Je tirais sur la poignée, je vérifiai bien que la clef n’était pas tournée, mais non, pas moyen d’ouvrir cette satanée porte.
« - Fantôme ? Tu t’es enfermé dans mon placard ?
« - Non ! Me répondit une voix dans l’armoire.
« - Si. Tu t’es enfermé dans mon placard. Tu boudes ?
« - Non. J’en ai juste assez. Je veux renter chez moi et faire peur à Lord Singuelton comme c’était prévu.
« - Oh mais non ! Si tu restes tu pourras faire peur à plein de gens ici tu sais.
« - Oui c’est ça ! Pour qu’ils se mettent à crier au moindre petit geste et qu’ils m’attirent des ennuis, non merci ! Je préfère encore aller dans un château. Au moins là, personne ne fait d’histoire. Au pire on croit que le propriétaire est fou et l’on enferme dans un asile mais à moi on me fiche la paix.
« - Oh aller sort ! Tu te rends pas compte comment ça pourrait être génial si on faisait équipe…
« - Mais je ne fais pas équipe avec les humains et encore moi avec les petits garçons ! Le fantôme ouvrit la porte d’un coup sec et bondit vers moi. Je les terrorise, je les rends fou, je leur fais revivre toutes les nuits leurs pires cauchemars ! Tu comprends ça ? Et dans un claquement bruyant, il se renferma dans le placard.
« - D’accord, comme tu veux. Moi je vais me recoucher. Après tout si monsieur le fantôme préfère bouder dans son armoire…
« - MAIS JE NE BOUDE PAS ! »

Le lendemain matin, la première chose que je fis en me réveillant, c’est d’aller ouvrir mon armoire. Mon fantôme était toujours là, endormi au milieu de mes vêtements. Mes tee-shirts et caleçons lui étaient tombaient dessus et on aurait dit un sapin de noël. Mais il ronflait terriblement et je fis tout pour ne pas le réveiller. Sans faire de bruit, je me suis habillé et j’ai couru prendre mon petit déjeuner. Toute la journée à l’école, j’ai pas arrêté de penser à lui. J’étais sûr qu’on pourrait faire plein de trucs rigolo ensemble. Quand la cloche a sonné la sortie je suis rentrée comme une fusée à la maison. Mais en arrivant devant chez moi, je me suis mis à ralentir. Et si maintenant mon fantôme c’était mis dans la tête de me faire peur à chaque fois que je rentre ? Papa et maman arrivaient tard du travail et ma sœur Justine, depuis qu’elle était rentrée au lycée, arrêtait pas de dire qu’elle restait travailler chez sa copine et elle ne revenait souvent que pour l’heure du repas. Du coup à la maison, j’allais y être seul pendant un bon moment. Seul, avec mon fantôme.
C’est pour ça qu’en arrivant, j’ouvrais la porte d’entrée tout doucement, sans la faire grincer comme d’habitude. Si il croyait qu’il allait réussir à me faire peur comme ça cet espèce d’oncle Anatole surgit d’outre-tombe, il se trompait sacrément. A pas de loup, je me faufilais jusqu’à ma chambre, persuadé qu’il était resté enfermé dans mon placard à attendre qu’on le renvoie chez lui. J’ouvrai la porte d’un coup en hurlant comme un fou pour essayer moi aussi de lui faire peur. Mais à part mes pantalons et mes chaussettes, y’a pas grand monde qui a été terrorisé parce que mon fantôme n’était plus là. Un peu déçu, je me suis mis à faire le tour de la maison en regardant dans toutes les pièces. J’ai bien fini par le retrouver mais pas du tout dans la cave ou dans le grenier comme on aurait pu le croire au départ. Non non. Monsieur était allongé sur le canapé du salon, entrain de regarder la télévision :
« - Ben…qu’est ce que tu fais ? je lui ai demandé.
« - ça se voit pas, m’a-t-il répondu sur son un ton bougon.
« - T’essaye même pas de me faire peur ?
« - Non.
« - Pourquoi ? » Le fantôme c’est prit la figure dans les mains et c’est mis à souffler comme papa fait quand je suis pas loin de prendre une raclée. Et puis il c’est assis sur le canapé et a commencé à parler tout doucement :
« - Ecoute euh… petit. La vie d’un fantôme ce n’est pas de faire peur. Faire peur c’est euh…disons même pas une heure dans chaque journée.
« - Ah bon ? Dis je tout étonné. Mais alors qu’est ce que tu fais le reste du temps. »
Là il a baissé les yeux et puis soudain j’ai eu l’impression qu’il avait l’air tout triste :
« - J’attend. » Il y a eu un petit silence mais comme j’avais pas bien compris je lui ai demandé :
« - Mais euh, t’attend quoi ? Que les gens arrive pour leur faire peur ? Parce que si c’est ça moi j’suis là et j’aimerai bien qu’on joue à se faire peur.
« - Mais non j’attend pas les gens pour leur faire peur, a dit le fantôme en se levant d’un coup et en criant très fort. J’attend que le temps passe c’est tout !!! » Et puis comme ça d’un coup, il a disparu. Je suis resté un moment sans bouger. Et puis finalement je me suis levé. J’étais embêté parce qu’en fait, j’avais brusquement l’impression qu’il avait l’air malheureux mon fantôme. Alors je me suis mis à crier à travers la maison.
« - Fantôme ! Fantôme ! Aller viens, arrête de bouder. Aller montre toi. Moi je voulais que tu me fasses peur parce que je croyais que ça te faisais rigoler. Mais si tu veux on peut faire autre chose. Aller montre toi. On aura qu’à jouer à je sais pas moi… à cahe-cache par exemple. Mais t’aurai pas le droit de disparaître à tord et travers hein, sinon c’est pas du jeu. Bon aller viens. »
J’ai cherché et j’ai cherché. A un moment, j’ai même commencé à dire :
« - Bon aller, on dirait qu’on commence à jouer d’accord ? Si je te retrouve à partir de maintenant, après ce sera à toi de me chercher. » Je suis peut-être pas un fantôme, mais les cachettes de la maison, je les connais toute par cœur. Alors au bout d’un moment, j’ai fini par le retrouver, allonger sur une des poutres du grenier. C’était une des vielles cachette de ma grande soeur quand on jouait encore ensemble.
« - Ben qu’est ce que tu fais là-haut ?
« - A ton avis ? »
Je me hissais jusqu’à lui et lui dit :
« - Oh aller ! Tu veux vraiment pas qu’on devienne copain ? Ce serait rigolo tu crois pas ?
« - Non ; ronchonna t il.
« - Mais pourquoi tu t’en vas pas si t’es malheureux ici. T’es un fantôme. Si tu veux tu peux traverser les murs et aller ailleurs. Va te trouver un vieux château et hante le si c’est ça que tu veux faire.
« - Je ne peux pas partir. Quand un fantôme est envoyé quelque part, il ne peut pas quitter la maison où il est. Il attend qu’on le change. C’est tout.
« - Et ça dure longtemps ?
« - On ne sait jamais vraiment. Mais même si pour nous le temps n’a pas vraiment d’importance, une chose n’a pas changé. C’est sa longueur quand on s’ennuie.
« - Ah bon ? On s’ennuie quand on est un fantôme ?
« - Aah ça ! On ne fait presque que ça. Il avait une petite voix toute triste tout d’un coup et il ne ronchonnait plus du tout. Il respira un grand coup et reprit. Hum… si j’avais su…
« - Si t’avais su quoi ?
« - Si j’avais su que tout ce que j’ai fait de mon vivant me mènerai à ça …
« - Mais t’as vraiment tué des gens et tout ? Parce tu sais ce qu’on dit des fantômes nous les humains. Se sont des gens vraiment méchants qui lorsqu’ils étaient vivants ont été tellement…
« - Oui oui ça va, je suis au courant ! Oui j’ai vraiment été comme ça.
« - Mais pourquoi ?
« - Parce que… j’aimai ça.
« - Tu aimais ça ? Mais on peut pas aimer tuer des gens et faire des trucs horribles aux autres, c’est pas possible.
« - Et si pourtant. A l’époque, j’aimais ça. Je pensais que ça allait me donner de l’importance … me faire exister. Que j’allais être reconnu grâce à tout ça. Personne ne m’avait vraiment accordé d’importance jusqu’à ce que je me mette à tuer les autres. Là on a commencé à me craindre. A me respecter. »
Il y eu un long, très long silence. Je ne savais pas trop quoi dire et encore moins quoi faire mais pour la première fois depuis que je connaissais ce fantôme là, je me suis mis à avoir peur. Et puis il c’est remis à parler.
« - Et puis tu vois après, une fois que j’ai été mort et que j’ai été un fantôme, au début j’en étais fier. J’avais réussi. Même la mort ne voulait pas de moi. Et le temps est passé. Les jours, les mois, les années, les dizaines d’années. Puis sont venus les siècles. Et tout ce temps passé à faire peur aux autres m’a en fait montré toute l’étendu de l’inutilité de ce que j’avais pu faire de mon vivant. Qui se souvient de moi aujourd’hui ? A quoi tout cela a t il servi ? A rien et je suis obligé de le constater chaque jour un petit peu plus… Les seules choses qui me restent désormais sont mes regrets et l’ennuie. Et maintenant je n’ai plus qu’une seule interrogation en tête. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Je suis las de toute cette mascarade. J’ai l’impression de plus en plus de ne servir à rien du tout. Et puis regarde. Même en fantôme je ne fais plus peur. »
« - C’est peut être que t’as plus envi d’être un fantôme alors ? »
Il tourna la tête vers moi et tout en me regardant fixement il reprit :
« - Mais que veux tu que je sois d’autre ? Je ne sais faire que ça moi ! »
« - Ah non regarde. Moi t’arrêtes pas de me faire rigoler et de me donner envi de jouer. C’est bien que quelque part tu as changé. Si t’avais vraiment envi de me faire peur tu pourrais le faire ; rappelle toi hier soir. »
Le fantôme resta un long moment à me regarder l’air un peu surpris et puis il leva les sourcils et dit :
« - Hum c’est vrai. Tu as peut être raison. Peut être qu’il est possible de changer…même pour quelqu’un comme moi. »
Il n’avait pas l’air vraiment convaincu mais il avait arrêté de ronchonner et son visage n’affichait plus aucune expression, comme si il était entrain de réfléchir. Comme j’ai entendu la porte d’en bas s’ouvrir je l’ai laissé tout seul en lui demandant si ça aller bien. Mais il ne m’a pas répondu.
Le lendemain matin c’était dimanche et comme personne n’était debout quand je me suis levé, je me suis mis en quête du fantôme. Ça a été facile de le trouver parce qu’il avait pas bougé. Quand je me suis approché de lui, il a sursauté légèrement, un peu comme si je venais de le réveiller et il m’a regardé avec un drôle d’air.
« - Alors on la fait cette partie de cache-cache ? je lui ai dit.
« - Euh…d’accord. Mais…comment on joue ? »
J’ai sauté par terre et je lui ai expliqué les règles. Au début ça a été facile pour moi parce qu’il se cachait toujours dans les placards parce que je lui avait donné que ça comme exemple. Du coup je le trouvais à tous les coups. Et puis petit à petit, il est devenu plus malin voir même super fort. Je sais pas comment il faisait, mais il arrivait à se mettre dans des endroits incroyables ; le bac à linge sale de la salle de bain, le meuble de l’entrée, le lustre du salon. Je l’ai même retrouvé à la dernière partie, dans mon tiroir à chaussettes.
Pendant les trois mois qui suivirent, on n’a pas arrêté de faire les fous tous les deux. On c’est raconté des histoires, on a jouer au loup et aux explorateurs, on a fait peur au chat. Et puis un matin, il est devenu tout bizarre et il c’est mis à disparaître tout doucement. Moi j’ai tout de suite compris que cette fois, il n’était pas entrain de me faire une blague :
« - Alors ça y est, tu t’en vas ?
« - Oui, m’a-t-il répondu tout sourire.
« - Pour une autre maison à hanter ?
« - Non.
« - Mais pour où alors ?
« - Je ne sais pas, me répondit il d’une voix calme. » Et tout en me faisant au revoir de la main, il disparut.