vendredi 21 décembre 2007

Portrait

La dame du premier

La dame du premier n’a pas d’âge. Ou du moins il est impossible de lui en donner un. On se doute bien qu’elle n’est pas si vieille, mais rien pourtant, ne respire plus la jeunesse. C’est à croire qu’elle n’en a jamais eu.
Elle porte des habits aux couleurs neutres, des formes larges. Des lunettes sobres et des chaussures sombres. Elle porte tout ça pour mieux s’effacer, pour mieux disparaître. Ses cheveux sont tirés en arrières. Toujours. De toute façon, ils ne poussent pas ces cheveux là. Ils ont renoncé à toute activité.
Le matin, elle se lève à cinq heure. Elle déjeune, puis va promener son chien, quel que soit le temps. Elle passe pour l’occasion, un imperméable beige trop grand, qui protége aussi bien du froid que de la pluie. L’été, elle sort directement en robe de chambre. Il n’y a personne dans les rues à cette heure là.
Puis elle rentre, s’habille, écoute un peu la radio, toujours la même et à six heure trente, part pour son travail. Là, elle s’assoie derrière son comptoir et coud à la chaîne, des vêtements qu’elle ne voit jamais terminés. Elle le fait de façon mécanique, appliqué. De la sorte, le temps passe plus vite. Elle finit généralement en milieu d’après midi. Elle rentre alors directement chez elle. Parfois, lorsqu’il fait beau ou bien que l’envie lui en prend, elle fait un crochet par la mer. Mais c’est de plus en plus rare, elle ne sait pas quoi y faire. Il est hors de question qu’elle se mette en maillot de bain, quand à marcher sur la plage, elle déteste avoir du sable dans ses chaussures. Alors elle reste là, un peu, à regarder le large. Elle ne rêve pas de grands horizons, ça lui fait peur. Mais toute cette immensité quand même ça l’intrigue. Alors elle regarde.
En rentrant au premier, elle sait qu’elle sera bien. Tout est là, bien en ordre et bien rangé. Le clic-clac de la pendule de la cuisine, le bruit du frigo qui se déclenche, la télé qui lui offre une lucarne sur le monde. Et puis son chien. Le seul être au monde qui la comprenne. Même ses parents ne peuvent pas la comprendre comme lui.
Ses parents. Elle se rend chez eux de temps à autre. Par habitude plus que par envie. Depuis quelques temps d’ailleurs, ils ont vieilli. C’est la première fois qu’elle remarque un changement chez eux. Le père n’est plus aussi fort, ses épaules tombent et son ouïe baisse. La mère n’est plus aussi présente. Ses doigts se raidissent et son pas rapetisse. Pourtant pendant longtemps, ils étaient toujours restés les même. On ne change pas dans leur famille. Pour quoi faire. On voit bien ce que ça a donné le changement sur le petit frère. Depuis qu’il est parti avec cette coiffeuse dans une autre ville, on ne le reconnaît plus.
Alors elle, reste la même. C’est sa façon à elle d’être heureuse. Statique.

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