lundi 10 décembre 2007

Portrait

La vieille dame
C’était une vieille dame. Une vielle dame sur qui pesait le poids de la vie. Elle n’avait pas été riche et encore moins belle. Elle avait été en vie et c’était déjà suffisant pour elle. Elle c’était amusée, un peu. Elle avait aimé aussi, mais y avait rapidement renoncé et avait préféré s’habituer. S’habituer à cet homme qui faisait sa vie sans lui rendre de compte, qui lui avait fait deux enfants parce que bon lorsqu’on est marié, faut bien que ça arrive. S’habituer à la vie à la maison. Et puis au travail. Ça aussi c’est la vie, le travail. Ça n’est ni drôle ni désagréable. Mais comme il faut bien payer le loyer, à manger pour les enfants, quelques habits et puis un peu d’alcool on fait comme tout le monde : on bosse. Parce qu’on est ni meilleur ni moins bon et que tout le monde fait déjà comme ça. Alors elle avait fait comme ça.
Ses enfants. Elle les avait aimé, fort. Comme une mère aime ses enfants lorsqu’ils sont petits, fragiles et qu’ils ont besoin de vous tous les jours. Et puis ils avaient grandi. Et puis ils c’étaient moins bien compris. Pourtant elle, n’avait pas changé. Mais eux avaient voulu voir d’autres choses. Et ces choses là les avaient transformé. Au point que très vite, elle ne les avait plus reconnu. Son mari lui disait que c’était normal. Que la jeunesse c’est fait pour ça ; faire des conneries. Qu’après c’était trop tard. Qu’il y avait tout un tas de responsabilités qui te tombaient dessus, qu’il fallait travailler. Après ce n’était plus pareil. Alors il fallait les laisser faire.
Mais quand même. Elle, elle trouvait que c’était dommage. Elle aurait bien aimé une famille différente. Mais elle c’était habituée. Elle c’était habituée à tout de toute façon. Toute ça vie elle c’était habituée. Habituée à leur petit appartement. Habituée à son travail qui n’était pas facile mais qui augmentait un peu le ordinaire. Habituée aux absences de son mari, à l’indifférence de sa propre mère. Habituée aux coups de téléphones épisodiques de ses deux fils. Surtout celui qui était dans l’armée. Cela faisait deux ans qu’elle n’avait plus de nouvelles, depuis qu’il était parti à l’autre bout du monde. Mais il pensait à elle, elle en était sûre. L’autre passerait le jour de noël sans sa femme, comme d’habitude. Elle ne l’aimait sa bru de toute manière. C’était bien la seule chose à laquelle elle n’avait jamais pu se faire.
Et aujourd’hui sans l’avoir vraiment vu venir, elle était une vieille dame. Une vieille dame qui, si il ne pleuvait pas, venait tous les jours s’asseoir là sur ce banc, pour donner à manger aux pigeons ou juste pour passer un moment. Il fut un temps où une dame un peu comme elle, venait parfois lui tenir compagnie une heure ou deux. Et puis un jour elle n’était plus venue, jamais.
Mais elle, elle avait continué à venir à ce rendez-vous où personne ne l’attendait. A son âge, se disait elle, on ne change pas ses habitudes. On fait les même parcours, les mêmes gestes, aux mêmes heures, comme si cette répétition donnait un avant goût de l’infini. Chaque jour se ressemble. Le temps devient une ligne insécable. Ce que l’on a fait la veille et ce que l’on fera demain est idem. Et cela rassurait la vieille dame. Demain serait sans surprise. Où bien alors celle-ci serait éternelle.

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