mercredi 24 décembre 2008

Petite phrase

Ne nous laissons pas dévorer par l'avaleur travail.

vendredi 19 décembre 2008

Petite phrase

Pour un repas musical réussi, cuisinez un dos de sole.

mercredi 17 décembre 2008

Conversation.

Mensonge

« - Et alors quoi ?

« - Et alors je lui ai rien dit.

« - …En même temps c’était y’a dix ans maintenant. On peut presque dire qu’il y a prescription.

« - Tu crois que la mémoire fait prescription peut être ? La question qu’il m’a posé c’est « est ce que tu as déjà trompé maman ? » en me regardant droit dans les yeux. Tu vois. C’est pas anodin quand ton gamin te demande ça alors que ça fait dix ans qu’il est avec la même fille.

« - Tu crois qu’il compte la tromper ?

« - Je sais pas et je veux pas le savoir. Tout ce que je sais c’est ce que je lui ai répondu. Je pouvais pas lui dire "oui" tu comprends ?... je pouvais pas endosser la responsabilité de son éventuelle infidélité. C’est pas possible ça. Alors j’ai menti. Maintenant s’il veut la tromper ben qu’il le fasse mais sans moi.

« - Mais les enfants t’es sûr qu’ils ont rien vu à l’époque ? Parce que moi je m’en rappelle y’avait quand même pas mal d’eau dans le gaz dans votre maison à ce moment là.

« - T’as toujours été mon pote je t’ai toujours tout dit à toi. Les gamins c’est pas pareil. On a toujours tout fait pour les préserver. C’est pas question de donner l’image du couple modèle mais disons que nos problèmes de culs, même si on s’enguelait un peu devant eux, on se les ait toujours gardé pour nous. Et puis de toute façon elle n’a jamais eu la preuve non plus que je l’avais trompé. Y’a que toi qui était au courant. Comment tu veux que les enfants l’aient su ?

« - Oh tu sais les gosses ils sont moins cons qu’ils en ont l’air. On pense qu’on les balade avec nos histoires mais ils ont vite fait de comprendre nos salades.

« - Ouais enfin de là à deviner que j’ai trompé leur mère y’a quand même une marge.

« - Peut être qu’il voulait juste savoir si t’étais honnête en fait. Peut-être qu’il a su que t’avais trompé sa mère et qu’il voulait voir si t’avais le cran de lui avouer.

« - Mais je te dis que personne ne peut savoir que j’ai trompé leur mère. Ça n’est pas possible !

« - Ben alors pourquoi il t’aurait demandé si tu l’avais déjà fait ?

« - Parce que je suis son père et que pour lui c’est un truc que je n’aurai jamais pu faire. Il voulait juste en avoir le cœur net au cas où un jour lui-même soit confronté au désir de trompé sa copine. Enfin c’est ce que je me dis.

« - Et pourquoi tu lui as pas juste dit la vérité ? Après tout votre couple a survécu, vous pouvez aussi faire valeur d’exemple.

« - Parce que je préfère garder l’image du père infaillible aux yeux de mon fils. »

Portrait

Marche

S’il marchait lentement ce n’était pas parce qu’il était fatigué ou qu’il avait mal quelque part. S’il marchait si lentement c’était parce que malgré son âge, il avait tout son temps. Absolument tout son temps. Tellement de temps qu’il ne savait pratiquement plus quoi en faire de cette orgie de secondes qui se succédaient au rythme lent de journées toutes semblables. Alors pour aller faire la moindre course, la plus petite chose, il c’était mis petit à petit, à marcher tout doucement ; Tout-dou-ce-ment ; Rallongeant démesurément cette simple activité, l’étirant jusqu’à la limite de la rupture, jusqu’à l’absurde parfois. Il tuait ainsi le temps en le noyant dans des cheminements journaliers incessants. Il ne prenait à ce propos pas spécialement plaisir à les faire ces petits bouts de route. Mais qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse un soleil harassant ou un temps tout à fait clément, qu’il se rendent à la cuisine ou bien aux toilettes, qu’il ne s’agisse même que d’aller jeter la poubelle ou regarder le temps par la fenêtre, il s’astreignait à cette lenteur dispersive. Chaque pas était autant de millisecondes qui n’étaient pas passées à être assis à regarder passer la vie, à contempler ses souvenirs ou à dévisager l’instant présent. Chez lui, entre ces quatre murs qu’il ne connaissait que trop bien, les journées s’étiraient en répétitions balbutiantes comme si le disque soudain s’était rayé et était resté bloqué sur une seule et même longue journée, alternées seulement par quelques intempéries dehors et assombrie par la nuit.

Mais même la nuit n’était plus le temps du repos. Elle était juste une journée obscure. A-t-on encore besoin de se reposer à son âge ? Alors quand le sommeil se faisait rare, qu’il se levait pour aller boire ou simplement faire un tour dans son appartement, il faisait de tous petits pas, lents et parfaitement calculés. Parce qu’un pas était une concentration. Il n’était pas une exécution mécanique de son cerveau. Il n’était plus ce déplacement souple et altier qui l’avait conduit à travers la vie avec détermination. Ses pas désormais étaient des calculs d’équilibre précis, des positionnements de corps dans l’espace. Ces pas étaient une façon d’exister, d’être ancré dans un réel qui le fuyait, étouffé par l’ennui de l’esprit et la vieillesse du corps.

Peut-être effleurait-il aussi, à mettre tant d’application dans cette si petite activité, ce qu’il avait ressenti enfant. Les premiers pas sont le début d’une longue aventure, chancelante d’abord avant de devenir avec le temps, plus affirmée. Il s’était d’ailleurs dit un jour que le temps ne faisait que reprendre cet équilibre si difficilement acquis autrefois. C’était sans doute pour cette raison qu’il était si fier d’avoir eu jusque-là le dernier mot.

vendredi 12 décembre 2008

Conversation.

Relation(s).

« - C’est quoi cette merde ?

« - Ben c’est une oeuvre l’art.

« - Tu rigoles ou quoi ?! Il a collé trois trucs ensemble et foutu une musique insupportable dans le fond, crois moi ça c’est pas de l’art. C’est du foutage de gueule.

« - C’est pas parce que tu ne comprends pas que t’es obligé d’être critique comme ça.

« - Ah oui, c’est vrai…je comprend pas…ben vas y alors explique moi toi qui comprend mieux parce que là je serai quand même curieux de savoir ce que tu vas pouvoir me raconter sur ce tas de…de…machins enchevêtrés qui vont du bleu ciel minable au vert sale affreux.

« - Ce tas de machins est un amas d’objets trouvés au hasard de la rue. Ce ne sont que des choses que l’artiste a trouvé dans son quartier. Il les a empilé de tel sorte que cela donne une impression pyramidale, en référence aux pyramides d’Egypte ou sud-américaine. Il y a donc une dimension sacré dans sa démarche. L’objet est déifié, il a cherché à lui donner de l’importance, à le sortir de sa simple fonction première. Mais en mettant du vert sali à la base, les salissures sont volontaires vois-tu, il symbolise la terre souillée par nos éléments entassés. Et comme le vert est aussi symbole de l’espoir, même l’espoir est contaminé. Cette terre qui comme tu le vois d’ailleurs, porte complètement le poids de nos déchets qui montent jusqu’au ciel…ciel incarné par la couleur bleue qu’il a situé en haut de son montage.

« - Hum hum… Et à vu de nez comme ça tu dirais qu’il est en quelle classe l’élève qui a fait ça ? CM1 ou CM2 ?

« - Roh tu m’énerves avec ton esprit étriqué ! Tout n’est pas toujours binaire, je suis désolé de te l’apprendre. C’est fou ce que tu peux être moqueur et mesquin quand tu comprends pas un truc.

« - Non mais attend je vais t’expliquer quelque chose moi. Ce tas de merdes trouvées dans la rue, iraient directement à la beine à ordure s’il n’était pas installé ici, au milieu de cette galerie avec un tas de cons prétentieux pour le regarder. Il ne ressemble à rien, il est hideux, il ne parle de rien et mieux, n’évoque rien. L’aspect esthétique a été broyé au profit d’un message débile et niais à souhait, vu et revu dix mille fois dans toutes les cours d’écoles ces dernières années. La seule justification de sa présence ici est du au fait que le petit génie qui a pondu ce truc couche avec le galeriste depuis six mois. Et c’est tout. »

jeudi 11 décembre 2008

Portrait

Prime jeunesse

Sur les décombres d’un ancien royaume en ruine, s’élevait face à moi mais de manière infime, une silhouette féminine. Car si la féminité avait avoir uniquement avec la plastique, alors oui peut être, la forme qui était assise en face de moi aurait pu s’enorgueillir de cette appellation. Mais malheureusement comme pour beaucoup de choses, il ne suffit que de quelques instants pour que l’apparence explose sous les assauts d’une vérité plus profonde. Et pour cette femme qui était assise là, juste en face de moi, la déflagration avait été dévastatrice.

Les lambeaux de ce qu’elle fut pendaient encore ça et là. Mais son visage trop tendu, écorché par une paire de lèvres maquillées à outrance ne faisait que souligner ce qu’elle avait perdu. Ce corps qu’elle croyait impeccable n’était que le reflet du délabrement de sa personne toute entière. Serrée dans ses vêtements moulants, sa maigreur artificielle obtenue par une discipline de fer et sûrement quelques compléments alimentaires, supportait maintenant mal le poids des années de contraintes. Ses seins horriblement rebondis juraient au milieu d’une poitrine qui peinait à les soulever parfois. Sa coiffure qui devait être sophistiqué il y a encore quelques temps, était maintenant extravagante. D’une couleur hésitante, ses cheveux clairsemés hérissés au-dessus d’elle, laissaient entrevoir un crâne de plus en plus apparent. Tout ce qu’elle dégageait été une triste impression de faux et de cliquant.

Les imitations de marques râpées aux entournures qu’elle portait comme un étendard de sa réussite factice, son faux sac dont le brillant s’échappait par paillettes et qui semait autour de lui un désagréable nuage étoilé, ses ongles outrageusement manucurés, tout cet ensemble hurlait le mensonge bon marché.

Et s’il ne c’était pas agi d’un être humain, je veux dire, si cette personne avait été une actrice dans un film, elle eut été éminemment drôle. Mais là, assise en face de moi dans ce bus anonyme qui nous amenait elle et moi vers le centre ville, je la trouvais triste.

La seule chose qu’elle ne laissait pas voir, la seule chose qu’elle s’appliquait à cacher était son regard. Sous d’épaisses lunettes noires, elle avait enseveli ce qui peut-être aurait pu la trahir et montrer à tous que si elle tenait tant à offrir encore et toujours une fausse jeunesse à son corps, c’était parce que son cœur lui, avait depuis longtemps rendu l’âme.

 

mercredi 10 décembre 2008

Portrait

Fumeur

Rien qu’à la façon dont ce type fumait sa clope, il était possible de savoir que c’était un vrai fumeur. Un de ceux qui fume par plaisir et non par nécessité toxicologique. Un de ceux qui aime sentir cette sensation âcre et chaude couler le long de sa gorge et qui se délecte des parfums lourds et enivrants émanant de cet encens païen. Pas un fumeur qui s’en allume une comme il aurait mis un coup de poing dans une porte pour se défouler et faire exploser un excédant d’humeur. Pas un de ceux non plus qui mâchouille leur éternel mégot comme d’autre de vieilles habitudes tristes, laissant pendre aux coin de leurs lèvres un machin esseulé et fané. Non. Lui il fumait à pleine bouche, à pleins poumons.

Lorsqu’elle n’était pas à ses lèvres, il tenait sa cigarette entre le pouce et l’index, son bras pendant le long de son corps. Pour mieux protéger le foyer encore, il le glissait à l’intérieur de la paume de sa main. Blottie là, la fumée lui montait alors comme un lierre éphémère le long de la manche, végétale docile et souple. Et lorsqu’il portait la tige à sa bouche, c’était toujours en la gardant prisonnière de cette manière.

Assis à la terrasse d’un café face à la mer, il se délectait simplement de cet instant. A chaque fois qu’il la portait l’objet de ses désirs à ses lèvres, on sentait qu’il prenait le temps de savourer sa bouffée, s’en rassasiant pleinement. Il tirait une série de petites saccades qui l’enveloppaient de la volupté grise de ses volutes agiles et son visage s’effaçait alors presque entièrement derrière un nuage épais. Puis après avoir tiré longuement une dernière fois dessus, il aspirait une longue goulée ; Qu’il ne recrachait que longtemps après. Il expirait alors en un souffle plein, les vapeurs exquises de son contentement.

Le visage calme et souriant, un café fort posé sur la table attendait son tour en refroidissant doucement. Il serait avalé d’un trait comme un détail à régler avant de partir. Pour l’heure l’homme goûtait au plaisir de son passe-temps favori, tout en regardant la mer face à lui.

vendredi 5 décembre 2008

Petite phrase

Entendu au marché:
"- Elles viennent d'où vos tomates ?
"- Quoi elles viennent d'où les tomates ?! Tu crois que je leur demande les papiers aux tomates quand elles arrivent ? Elles viennent de là où ils font les tomates et puis c'est tout. On est pas chez Sarkozy ici hein..."

mardi 2 décembre 2008

Moment

Lèvres

Pour une fois, elle avait mis un peu d’amour dans ses lèvres les rendants pulpeuses et douces au moment de me dire au revoir. De cette souplesse glissante qui incite à s’enfoncer dans cet interstice si délicieusement tiède. C’était de plus en plus rare. Ou du moins c’était suffisamment rare pour que je le remarque ce matin-là. À tel point que m’y suis attardé goulûment, goûtant avec délice à cette voluptueuse seconde de surprise.

L’un comme l’autre nous ne mettions plus depuis longtemps que de l’habitude dans chacun de nos gestes matinaux, y compris dans le baiser d’au revoir. Il en devenait automatique et froid. Ce n’était pas pour autant une mise à distance haineuse ou lâche qui se dessinait dans cette gestuelle machinale. C’était juste qu’à force de marcher l’un à côté de l’autre, nous avions creusé des sillons parallèles. Toujours très proches c’est vrai, nourri par une nuée de petites ramifications transversales, mais le cheminement de nos corps faisait que malgré tout, nous nous touchions de moins en moins.

Je me levais le premier ; toujours. Je préparais le petit-déjeuner. Le carillonnement des bols réveillait la famille. Elle levait les enfants. Nous déjeunions ensemble en écoutant la radio. Nous nous préparions puis nous partions chacun de notre côté, contents sûrement à la simple idée de nous revoir le soir venu.

Mais un simple affleurement comme celui de ce matin-là avait suffi à raviver une flamme assoupie.

Assis comme tous les jours dans ce train qui me menait au travail, je passais une langue avide et discrète sur mes lèvres pour tenter d’y capter le reste de la trace de son rouge à lèvre. J’esquissais un sourire. Dehors, il pleuvait. La journée s’annonçait excellente.

lundi 1 décembre 2008

Petite phrase

La solidarité est une région de l'âme humaine peuplée d'Elans. Mais c'est un animal qui se fait de plus en plus rare, tué qu'il est par un drôle de parasite trés argenté : l'individualisme.

vendredi 28 novembre 2008

Petite phrase

" Mathématiques de la vie ; 1+1=3. Allez comprendre."
Anonyme

mercredi 26 novembre 2008

Conversation.

Panique

« - Alors d’abord je t’emmerde…non mais je sais que tu le sais mais je suis contente de te le dire de vivre voix. Ça te paraît peut-être con mais ça me soulage tu vois…Deuxièmement toi et ta pute à dix balle vous pouvez…oui c’est une pute à dix balle…non mais t’as vu sa dégaine elle s’habille dans le noir c’est pas possible…oui non mais arrête de me couper la parole. Pendant trois ans tu m’as mené en bateau en me faisant croire que ci que là, que c’était moi et pas elle et le jour où je t’appelle pour te dire que je suis enceinte tu te casses alors tu permets je vais causer et tu vas m’écouter pour une fois. Parce que moi je suis peut-être naïve mais je suis pas irrespectueuse si un gros con comme toi peut voir ce que ça veut dire le respect. Moi je t’ai jamais menti et c’est sûrement pour ça que t’as pu me balader comme tu l’as fait. Avec moi tu savais toujours où t’allais alors que moi je te suivais en plein brouillard et putain ça a été dure. Mais je t’aimais. Me demande pas pourquoi c’est comme ça. J’arrive toujours pas à comprendre comment j’ai pu aimer un porc comme toi maintenant que le rideau est tombé. Tant que tu couchais un peu à droite à gauche j’ai souffert j’ai accepté mais je t’en ai jamais voulu. Peut-être parce que tous les matins c’était à côté de moi que tu te réveillais et que ça me rassurait quelque part de me dire que malgré tout tu rentrais toutes les nuits. Tes trompries c’était dure mais pas insurmontable. Après tout c’était toujours moi chez qui tu revenais. Mais être une sale merde au point de se barrer parce que je suis enceinte…et se barrer comme un voleur en plus. T’es venu prendre tes affaires en pleine journée. Tu te rends compte de ça. Pendant que j’étais au boulot… T’as paniqué ? Non mais je rêve. T’as paniqué !? Et moi je fais quoi alors hein ? Qu’est ce que je fais moi tu peux me le dire ? Qu’est ce que je fais si je panique aussi ? … Tu vas me filer de l’argent ? Mais t’as rien compris ou quoi ? Tu sais où tu peux te le foutre mettre ton fric de merde ? C’est pas une histoire d’argent. Ça n’a jamais été une histoire d’argent bordel. »

vendredi 21 novembre 2008

Conversation.

Pause clope.

« - T’aurai une cigarette steplait ?

« - J’ai que des roulés.

« - ça fera l’affaire.

« - ça fait longtemps que t’es là?

« - Dans cette boîte ? Deux ans.

« - Et alors ? Il est cool le boss ?

« - Si tu fais ce qu’on demande y’a pas de soucis. Ça fait combien de temps que t’es dans les échafaudages ?

« - Un an. J’ai fait la grande tour en ville l’année dernière. Après ils ont voulu me filer une mission dans une usine d’empaquetage. Mais j’ai redemandé rapido les échafaudages. Ça paye mieux.

« - T’étais à la grande tour ? T’as bossé avec Frezzato et le grand Jules alors ?

« - Ouai. Tu sais ce qu’ils deviennent ?

« -…Frezzato il s’est tué y’a un mois. Tombé d’une travée. A un an la retraite putain vraiment c’est con.

« - Merde. Ch’avais pas.

« - Le grand Jules il c’est trouvé une gonzesse. Il va être papa et il bosse dans une grande surface. Il gagne moins mais comme il avait le vertige il se sent mieux. Bon t’as fini ?

« - Presque.

« - Eh ben tise mon gars. C’est la pause clope c’est pas la pause glande. »

 

jeudi 20 novembre 2008

Conversation

Après le boulot.

 

« - Salut

« - Salut ça va ?

« - Ben ouais ma foi.

« - Alors t’es restée tard au final hier soir ?

« - Oh ben m’en parle pas. Après l’apéro au magasin, Philippe nous a tous emmené boire un coup.

« - Ah ouais où ça ?

« - Sur la grande place. Au bar qu’est tout rouge là tu vois.

« - Ah oui je vois. Et alors c’était sympas ?

« - Ouais ouais carrément.

« -…et c’est tout ? C’était carrément sympas et c’est tout ?

« - Ben oui qu’est ce que tu veux que je te raconte. On a bu des verres on a discuté et puis voilà.

« - Boh attend t’as toujours des trucs à me raconter d’habitude quand vous sortez. Il t’as encore tourné autour ?

« - Non. Pas lui en tous les cas…

« - AH ! Bon mais qui alors ?

« - Bon je te le dis mais tu le répètes à personne hein parce que sinon ça va foutre la merde.

« - Pourquoi ? C’est qui ?

« - François. Le grand de la compta.

« - Nooooooonn. Celui qu’est marié depuis même pas deux ans ?

« - Ouais lui. On a parlé on a parlé. Il m’a dit qu’entre lui et sa femme ça marchait plus très fort depuis qu’ils étaient mariés. Un peu comme s’il n’y avait plus de challenge tu voies. Il n’a plus besoin de la séduire quoi. Faut dire qu’elle a pas l’air vraiment marrante non plus.

« - Ah ben ça c’est sûr que si c’est lui qui te l’as décrit et qu’il avait envi de coucher avec toi, il a pas du lui faire de cadeaux, ça forcément. Bon et alors comment ça c’est fini ?

« - Ben comme on commençait a avoir pas mal picolé et que finalement il me faisait bien rire avec ses histoires on a fini avec deux autres par aller boire des verres chez moi. Et il est reparti super tard.

« - Mais vous avez couché ensemble ?

« - Oh disons qu’on s’est un peu tripoté. Mais j’ai mis le ohlà avant qu’on s’emballe de trop.

« - Pourquoi ?

« - Oh èh ça va hein ! C’est pas parce que j’aime bien le cul que je couche avec n’importe quoi n’importe comment non plus… Et puis ils aiment bien quand on les fait mariner un peu. »

mercredi 19 novembre 2008

Moment

Confirmation.

Assis face au miroir chez le coiffeur, il entretenait sans grand intérêt une conversation sur les résultats sportifs du week-end. Face à lui se reflétait les scènes de vies qui se déroulaient dans son dos, sur le petit marché qui tentait de se réchauffer en ce début d’hiver. La foule allait et venait, offrant un spectacle agité et désordonné.

Malgré le froid vif, la terrasse du café ne désemplissait pas. Et c’est au milieu de ce ballet, alors que le coiffeur continuait de bavarder et que ses cheveux rétrécissaient, qu’il aperçut sa femme. Il n’y crut d’abord pas. Elle ne travaillait pas dans ce coin là de la ville et il n’avait pas souvenir qu’à aucun moment elle lui avait dit qu’elle devait se rendre par ici aujourd’hui. Comme il c’était décidé à la dernière minute et complètement par hasard à s’arrêter chez ce coiffeur, elle non plus ne pouvait pas savoir qu’il se trouvait là. Peut-être avait-elle décidé de venir boire un café avec une copine. Après tout, pourquoi pas. Il continua de l’observer tout en répondant de façon lointaines aux questions du coiffeur. C’était étrange de la voir ainsi, sans qu’elle sache qu’il l’observait. Elle tripotait nerveusement son téléphone. Il lui tardait maintenant d’en avoir finit avec sa coupe de cheveux, tant parce que la conversation commençait à lui peser que parce qu’il voulait aller la rejoindre.

Lorsque le coiffeur en eut enfin terminé avec lui, il se leva, paya, enfila son blouson et s’apprêta à sortir. Ce fut à cet instant qu’il le vit s’approcher de sa femme. Tout sourire, comme elle. La main sur la poignée de la porte il resta un long moment suspendu dans le vide. Quelque part derrière lui une voix lui demandait s’il avait oublié quelque chose. Il dut probablement répondre que non, puis il sortit. C’est à ce moment-là qu’elle le vit. Et c’est à ce moment-là, dans ce regard qu’elle lui lança, dans cette indifférence qu’elle lui manifesta, qu’il comprit que cette fois tout était définitivement terminé. 

mardi 18 novembre 2008

Poème

Ici

J’ai ouvert des portes

Fondu des lingots

Trouvé des vérités accortes

Des mensonges en halos,

Deviné l’éternité

Embrassé la laideur

Et emprunt de brièveté

Effleuré le bonheur.

 

J’ai traversé tant de terres

D’immensités fugaces

Que malgré quatre frontières

La page reste un espace,

D’errances

Immenses.

lundi 17 novembre 2008

Absurderie

Seulitude.

La seulitude était à son sens la seule attitude sensée à cette altitude. Comment amener raisonnablement qui ce soit dans ces hautes sphères, aussi sot soit il ? Ici, il gelait à s’en faire sauter cerveau, l’air était sec et les secondes ne signifiaient plus rien. Seul subsistait ce délicieux sentiment d’absolu, cette douce sensation de n’appartenir qu’à sa seule et unique seulitude. Car oui, à cette altitude, même si l’homme n’en avait pas l’habitude, on y trouvait la liberté dans toute sa démente amplitude. Ici il pouvait dessiner sans censure, de lonnnnnnngues arabesques, sentir couler le long de lui l’air limpide, vider ses pensées jusqu’à n’être plus qu’un souffle dans l’immensité. A cette altitude il n’y avait plus ni pesanteur ni problèmes, tout était léger et bohême.

C’était surtout pour ça qu’il gardait pour lui seul le secret de la clef qui lui permettait de quitter ainsi le sol. Il l’avait trouvé un soir totalement par hasard, qui traînait là dans le noir, assise à regarder sans voir, passer des trains hurleurs.

«- Avez vous vu l’heure ? » fut sa première question, à ce qui lui semblait être une hallucination. C’était sûrement la chose la plus stupide à demander à une clef ; Que pouvait bien lui importer l’heure ? « Près de minuit. » Lui avait-elle pourtant répondu d’un ton triste. « Et je m’ennuie. » Avait-elle rajouté sur un ton tout aussi morne.

« Peut-être pourrais-je vous distraire ? » demanda-t-il timide.

« Aimeriez-vous aller dans les airs ? » lui lança-t-elle sans quitter des yeux, le train qui passait au loin.

« Dans les airs…mais…mais j’en rêve. Quel secret une clef peut-elle garder qui me garantisse à coup sûr de décoller ? » La petite clef leva sa tête vers lui, lui sourit. D’un bond souple elle se leva, sauta sans effort jusqu’à son épaule et lui glissa tout doucement :

« - Ferme les yeux. » Il s’exécuta avec soin. Il ne se passa d’abord rien. A peine un petit tourbillon vint il le titiller. Puis il entendit la voix de la clef, douce et claire :

« - Enfin ! Enfin je te trouve. D’ordinaire, je suis solitaire, c’est ce qui me lie à l’air, car si je suis une clef de sol, c’est dans l’éther que se trouve ma vraie nature. Et c’est uniquement lorsque je trouve un esprit libre, réellement libre, capable de comprendre la partition que je lui joue, que ma présence prend tout son sens. Je donne à l’errance, un goût d’éternelle partance et chaque jour en ma compagnie, n’est plus le lendemain de la veille ou la veille du lendemain, mais un instant unique, précieux, puissant. Je suis la musique et c’est ensemble maintenant que nous volerons. »

vendredi 14 novembre 2008

Moment

Impeccable.

Assise au bout de son lit, un chiffon à la main, elle regardait la chambre. Tout y était impeccablement rangé, parfaitement pensé, proprement ordonné. Le tapis qu’ils avaient acheté en Turquie se mariait à la perfection avec les ocres du petit fauteuil années vingt qu’ils venaient de faire refaire chez le tapissier. Et cette harmonie de couleur répondait elle-même parfaitement à ce meuble lourd qu’ils avaient fini par trouver après des années à chiner et qui trônait maintenant sur le grand mur face au lit. Pas un grain de poussière ne venait entacher ce tableau digne d’un magazine de décoration. Et aussi loin que son esprit pouvait la porter, pas une ombre ne pouvait assombrir l’ensemble de cet équilibre stable.

Elle se leva, se dirigea vers la cuisine pour se servir un verre d’eau et tout au long de son cheminement regarda chacun des meubles si patiemment trouvé, chaque bibelot si brillement disposé, chaque livre si élégamment posé dans ce désordre si bien pensé. Tout était à sa place, parfaitement à sa place, impeccablement à sa place. Et tout en se faisant couler l’eau dans son verre, elle sentit soudain son corps s’écraser, se serrer, comme compressé au milieu de toute cette perfection bon enfant.

Son mari l’aimait, ses enfants vivaient une adolescence rebelle mais somme toute assez banale, ses parents étaient en vie et glissaient doucement vers la vieillesse, sans bruits. Elle avait un boulot sympas, un crédit pour la maison qu’ils allaient finir de payer dans quelques temps, des projets de vacances à l’étranger. Ils avaient des amis fidèles et une famille comme toutes les autres, avec ses histoires et ses réconciliations. Leur santé ne présageait rien de terrible et si une étude commanditée par un de ces nombreux instituts  de sondage venait à être publiée, elle était certaine de se retrouver dedans, en pleine moyenne, bien au milieu. Un encéphalogramme social plat. Pas un angle obtus ne venait écorcher la vision de cette vie propre. Tout était huilé à la perfection et fonctionnait tellement bien que ce matin-là, sans même savoir pourquoi, elle se sentit glisser sur une pente savonneuse le long de laquelle elle n’avait aucun moyen de trouver la moindre prise. Une pente lisse et sans rayure, qui la guidait jusqu’à une mort bien préparée elle aussi, avec convention obsèques et héritage organisé chez le notaire. Sa seule issue ce matin-là, se situait là.

Toujours avec son chiffon à la main, son verre d’eau dans l’autre, elle s’assit dans son canapé confortable et baissa la tête. A quarante cinq ans, le goût des grands projets c’était petit à petit fondu dans la quiétude d’un quotidien qui avait su étouffer avec une redoutable minutie les ambitions de sa jeunesse. Et elle n’arrivait plus aujourd’hui à trouver les ressorts qui lui avaient permis jusqu’alors de voir dans toute cette existence, le bonheur simple d’exister.

Avec lenteur elle se leva, traîna sa mélancolie à travers les pièces au hasard de ses pas. Elle était lourde, prisonnière. Vers midi un bruit de clefs dans la serrure retentit. Ils rentraient. La vie allait reprendre.

jeudi 13 novembre 2008

Conte : La baie des cormorans (9)

Tout en parlant, Léonide et sa grand-mère avaient repris petit à petit le chemin de la maison. Elles étaient maintenant à la porte de celle-ci et comme la vieille dame était en train de terminer son récit la petit lui demanda :

« - Dit mamie, pourquoi est ce que tu m’as raconté toute cette histoire ?

« - Comme ça…pour le plaisir. Pour que tu saches que cette baie n’est pas tout à fait comme les autres…que ce n’est pas rien de vivre dans un endroit pareil. » Comme elles enlevaient leurs bottes et qu’elles s’apprêtaient à préparer un grand bol de lait chaud, la grand-mère d’un ton innocent demanda à Léonide :

« - Dit moi ma petite  fille, est ce que tu ne voudrais aller me chercher ma barrette de nacre dans le tiroir de ma coiffeuse. Tu sais le meuble qui est dans la chambre que maman prépare toujours lorsque je viens ?

« - Oui bien sûr. » Et aussitôt Léonide fila dans les escaliers pour chercher la barrette. Elle n’avait pas trop l’occasion d’aller dans cette chambre. D’abord parce qu’il n’y avait rien de spéciale à y faire et puis ensuite parce que même si c’était une chambre pour les amis, c’était sa grand-mère qui y dormait le plus souvent. Alors c’était quand même un petit peu sa chambre. Elle entra, trouva le meuble, ouvrit le tiroir, fouilla d’une main le fond. Ses doigts rencontrèrent quelque chose qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle pouvait connaître. Intriguée, elle sortit l’objet de sa trouvaille. Et là, devant elle, apparut un superbe hippocampe blanc, sec, mais parfaitement bien conservé. Elle ouvrit la bouche comme si elle avait voulu crier mais pas un son n’en sorti. Un hippocampe blanc…dans le tiroir de sa grand-mère…se pourrait il que…ne pouvant retenir sa question, elle descendit les escaliers quatre à quatre, tenant devant elle, le précieux animal. Elle pénétra dans la cuisine, les yeux grands comme des soucoupes. La vielle femme était assise tranquillement face à son bol fumant.

« - Mamie, t’as vu ce que j’ai trouvé dans ton tiroir.

« - Ah oui tient ! Un hippocampe blanc…dit elle avec un sourire malicieux. C’est un animal bien étrange n’est ce pas ?

« - Étrange mais…et l’histoire que tu viens de me raconter…est ce que toi et papy vous étiez…

« - …le prince et la princesse de la baie ? » Le silence tomba sur la pièce. « - Non ma chérie. Cet hippocampe n’est pas à moi. Il appartenait à ma grand-mère à moi qui elle-même le tenait de sa grand-mère à elle. Tout comme l’histoire que je t’ai raconté. Mais tu sais ma chérie, le plus important dans une légende, ça n’est pas qu’elle soit vraie ou non, le plus important est qu’elle fasse rêver. Tout le reste, n’a pas vraiment d’importance. »

mercredi 12 novembre 2008

Conte : La baie des cormorans (8)

« - C’est lui qui me trouvera…ah tien ! C’est nouveau ça. Bon. Il ne me reste plus qu’à attendre alors. » Le prince regarda tout autour de lui. Il n’avait donc plus rien à chercher. Il n’avait qu’à attendre et à être attentif.

Il se laissa alors doucement remonter vers la surface. La plaine s’étalait à perte de vue. Elle ondoyait parfois lorsque le courant jouait avec les algues. On pouvait y voir des collines et des vallées toutes en rondeurs ondulant calmement sous le tapis vert. Et toute une vie s’animait au dessus de cette masse épaisse et continue. Des poissons, seuls ou en banc se promenaient, chassaient, divaguaient, virevoltaient çà et là. Le prince se laissa aller à la contemplation de ce spectacle. Cela le changeait tellement de ce qu’il avait pu voir jusqu’alors. Et puis, était ce le fait qu’il n’avait pour ainsi dire, plus rien à faire qui avait ainsi modifié sa vision du monde. Toujours était il qu’il voyait maintenant autour de lui un monde totalement nouveau, entièrement à explorer. Il n’était plus un prince qui se rendait d’un endroit à un autre avec la nécessité de trouver ce qu’il cherchait. Il était un petit poisson au milieu d’une immensité toute entière à explorer. Et l’envie de découvrir était entrain de gonfler en lui.

Puis ses pensées allèrent vers la fille de la baie. Il la revoyait, nageant entre deux eaux, se dirigeant vers lui comme si elle-même avait été un être de la mer. Son cœur se mit à battre et tout autour de lui tout lui paru soudain bien triste.

Il était en train de dériver au lentement lorsque son regard fut attirer par une étrange tâche blanche posée en plein milieu des algues. Il commençait à faire nuit et comme celle-ci brillait légèrement, il était quasiment impossible de ne pas la remarquer. Il plongea vers le fond pour se fondre dans la masse d’algues. Puis discrètement, il tenta de s’approcher de la tâche lumineuse. C’est à ce moment là qu’une voix lui parla dans sa tête :

« - Inutile de te cacher. C’est toi que j’attendais. » Complètement surpris il répondit :  

« - Moi ? Vous êtes sûr ?! Comment pouvez vous savoir ?

« - Ne t’en fait pour ça. Avant que tu ne montes sur mon dos et que je te conduise dans le monde que tu désires tu dois savoir une chose. Nous ne nous ne sommes pas fait, toi comme moi pour évoluer dans le monde des airs et des vents. En montant sur mon dos, tu bénéficieras de mon aura magique pour quelques heures. Passé ce délais et une fois le soleil revenu, tu devras impérativement venir me rejoindre là où tu m’as laissé et nous devrons retourner sous l’eau quoi qu’il arrive. Si tu ne reviens pas avant ce moment là, je te laisserai seul et tu mourras. Mais rassure toi. Tant que je serai en dehors de l’eau tout ira bien pour toi. Alors ? On y va ? »

Sans hésiter une seule seconde, le prince enfourcha l’hippocampe blanc qui aussitôt fila comme le vent. Le vent. Se fut cette sensation étrange qui fit ouvrir les yeux au prince. Ils étaient en train de galoper le long de la plage qui bordait la baie des cormorans. La lune inondait la nuit de sa lumière douce. Tout en haut de la colline qui surplombait la baie, une petite lueur éclairait les fenêtres d’une maison.

« - Va, c’est la haut qu’elle habite. Mais surtout n’oublie pas. Reviens avant le jour sinon…. » Le prince entendit à peine la dernière recommandation. Il courut tout le long du petit sentier qui le conduisit jusqu’à la demeure. L’air emplissait ses poumons. Essoufflé et euphorique, il frappa d’une main tremblante à la porte. Quelques secondes plus tard, celle-ci s’ouvrait et pour la première fois, ils purent se parler.

La nuit s’envola, pleine de paroles et de charmes. Le prince crut vivre un rêve. Lorsqu’il ouvrit les yeux le matin, sa première réaction fut de sauter hors du lit. Le soleil courrait sur sa peau et….non ; il passa sa main sur tout son corps ; il n’était pas mort. Il regarda la pièce tout autour de lui. Sur la petite table de chevet, celle qui était située sous la fenêtre et qui donnait sur la mer, il vit posé là, un petit hippocampe blanc, sec, parfaitement conservé. Un sourire illumina son visage. Il descendit l’escalier jusqu’à la cuisine, l’hippocampe à la main. Elle le regarda l’air malicieux :

« - Je l’ai trouvé en allant me promener ce matin sur la plage. J’ai pensé que se serait un joli cadeau. Ils sont rares ceux qui sont tout blanc comme ça. »

Le prince n’eut jamais à retourner sous la mer et il put rester avec la fille de la baie des cormorans. Il ne chercha jamais à savoir comment et pourquoi il avait pu ainsi rester là. Mais le bonheur qui l’envahi à se moment là le porta chaque jour. Le bonheur d’avoir pu changer son destin et d’avoir été libre.

mardi 11 novembre 2008

Moment

Retour.

Le ciel était solide, engoncé dans un gris de glace rendant les bruits cassants et creux. Je marchais avec mes rêves le long de la grève du lac, écoutant le discret clapotis des vaguelettes. Sur ma droite, une maison aux murs gris était doucement entrain de mourir. Un lierre gigantesque l’enserrait dans sa main sournoise, s’insinuant dans ses fentes, ses fissures, écartant de sa poigne immuable et lente la moindre ouverture, le moindre petit espace, le plus petit interstice. A l’étage des fenêtre vides jetaient sur ce paysage morne, un regard indifférent. Les volets de part et d’autre tombaient comme des paupières fatiguées. Et moi je marchais, bercé par ces odeurs de marais, illuminé par le gris glauque que renvoyait la surface du lac. Je marchais dans ce paysage humide où l’air stagnait comme dans une vieille flaque et je prenais un plaisir immense à chaque foulée supplémentaire, à chaque inspiration bourrée de moisissure et de bois en décomposition.

Plus tard je croisais l’odeur lourde d’un feu de cheminée. Après avoir remonté mon col, j’enfonçais mes mains dans mes poches chaudes, pensant à la douceur de l’âtre qui rougeoyait quelque part.

L’humidité dégoulinait le long des branches décharnées, tombant au sol en rafale de gouttes froides au moindre souffle de vent. Je quittais la compagnie du lac gris pour m’enfoncer dans la forêt. Ou du moins ce qu’il en restait à cette époque de l’année. N’ayant pas encore tout à fait quitté l’automne mais n’étant pas nous plus pleinement entrée dans l’hiver, elle était recouverte de cette humidité gluante qui pénètre au plus profond pour favoriser l’éclosion de la pourriture.

Le craquement des brindilles sous mes pieds m’indiquèrent que je quittais le chemin. Une petite colonie de champignons gonflés d’eau sur lesquels déambulaient quelques limaces étalaient leur chaire visqueuse à côté de bogues de châtaignes vides.

Les festins allaient se faire de plus rare dans les mois à venir. La nature allait rentrer dans cette longue torpeur givrée, entourée de nuit et cernée par le froid. Le printemps à venir resterait terré au plus profond des canaux des arbres et la vie ne serait bientôt plus qu’une évocation, un murmure, une trace animale dans la boue au bord d’une flaque libre de glace.

Et moi je marchais lentement, tranquillement, au seuil de cet hiver imminent, de cet hiver qui se faisait presque désirer tant sa marque avait déjà imprégné les alentours. Il ne manquait plus que le carcan de glace et de la neige mais à bien regarder le ciel, on sentait déjà son haleine souffler. Je finis par ressortir des bois. De nouveau le lac vide s’étalait devant moi. J’étais maintenant à l’embranchement qui allait me ramener jusqu’au barrage. De là je me laisserai couler le long de la rivière en aval, sur le chemin plein de glaise collante jusqu’à la petite départementale où m’attendait ma voiture.

La lumière commençait à tomber mais je ne pressais pas le pas, bien au contraire. J’étais chez moi et j’avais tout mon temps.

jeudi 6 novembre 2008

Petite phrase

Petite phrase entendue aujourd'hui dans un square :
" Il a eu quand même une super vie ... c'est pas tous les chiens qui sont allés en Afrique quand même."

mercredi 5 novembre 2008

Conte : La baie des cormorans (7)

Puis petit à petit il se calma. Il commença à regarder tout autour de lui. Il n’y avait rien que de l’eau, sans barrières, sans limites. Des ombres gigantesques se profilaient au loin. L’espace d’un instant, il recula. Son dos vint s’appuyer contre la muraille qu’avait fait ériger son père. Non. Il ne pouvait pas revenir en arrière. C’était face à lui maintenant, qu’il devait nager. Dans les premiers temps, il croisa beaucoup d’espèce qu’il connaissait déjà dans sa baie. C’était une sensation étrange que de ne pas connaître les visages, les prénoms. Chez lui tout le monde le connaissait et le respectait. Ici rien. Les poissons le regardaient passer avec indifférence peut être même un peu de mépris. Ici, face à la grandeur de l’océan, il n’était rien. Il nagea ainsi pendant trois jours, droit devant lui, sans parler à personne, à la fois émerveillé et terrifié par ce monde qui semblait ne jamais se terminer.

Et plus il avançait, plus tout semblait grandir autour de lui. La distance entre le fond et la surface devint si grande, que bientôt il ne put même plus distinguer le premier. Une sourde inquiétude monta soudain en lui. Certes le vieux poisson volant lui avait dit de nager droit vers le large. Et c’est ce qu’il avait fait. Mais le plateau, il ne le voyait toujours pas. Il se décida à aller demander sa route à poisson de passage. Or un mérou se promenait par là, énorme et nonchalant.

« - Excusez moi…hum hum…excusez moi.

« - Oui ? lui répondit le mérou de sa voix de baryton.

« - Je…je suis à la recherche d’un endroit nommé la grande plaine. J’ai là bas un ami que je dois voir mais je me suis un peu égaré en route et euh…je ne sais plus trop où je me trouve.

« - La grande plaine ? Ah oui, bien sûr. Mais tu es allé trop loin au large. Il faut que tu reviennes sur tes traces petit. Et puis il faut que tu remontes la côte vers le sud. C’est tout prés. A peine trois jours en nageant correctement. En plus tu as de la chance. Le courant te porte dans ce sens là. »

Trois jours. Et pour ce mérou, ça n’était rien. Trois jours à nager sans s’arrêter. Sans attendre le prince se mit en route. Un peu porté par le courant, un peu porté par son courage et son excitation du à toutes ces nouvelles découvertes, il nagea. Mais en longeant la côte, il découvrit des paysages bien plus diversifiés que lorsqu’il avait nagé droit vers le large. Il passa ainsi au dessus de bancs de sables immenses, qui dessinaient au sol des vagues statiques et claires. Il découvrit des amas rocheux si grands et si pleins qu’il préféra ne même pas s’y aventurer de peur de s’y perdre à tout jamais. Il dormit au creux d’algues douces comme la peau d’une murène et goûta des plats dont il ignorait l’existence. Enfin, après trois jours de nage et de découvertes, la grande plaine commença à se dérouler sous ses nageoires. C’était une étendue d’algues qui se perdait dans le lointain. Une prairie sous la mer à travers laquelle courrait toutes sortes d’animaux. Mais elle était si grande que très vite, le prince se demanda comment il allait bien pouvoir trouver l’hippocampe blanc au milieu de tout ça.

Au beau milieu de l’étendue, une anguille était en train de serpenter tranquillement. Le prince s’approcha d’elle. Il prit son courage à deux mains et demanda :

« - Excusez moi. Je voudrais savoir si par hasard vous aviez vu récemment un hippocampe blanc dans les parages. On m’a dit qu’il était par là il y a encore quelques temps et ….enfin voilà euh… comme je ne sais pas trop comment faire pour le trouver, je me suis dit que le mieux était encore de demander.

« - L’hippocampe blanc ? Cela ne sert à rien que tu le cherches. Tu ne le trouveras jamais. C’est lui qui te trouvera si vous devez vraiment vous rencontrez. » Et sur ces paroles un peu mystérieuses, l’anguille disparu au milieu des algues.

mardi 4 novembre 2008

Conte : La baie des cormorans (6)

Le prince leva la tête. Face à lui, la grande muraille s’élevait, imposante et écrasante. C’était la marée haute. Avec un peu de chance, l’eau atteignait quasiment le haut de la muraille. En prenant suffisamment d’élan, peut être pourrait il arriver alors à surmonter ce tas de pierres et retomber de l’autre côté, là où se trouvait l’océan immense et l’hippocampe blanc. Oui peut être...alors, tout lui serait ouvert. La découverte de l’autre monde, la rencontre avec la fille du bord de l’eau....Les images et les envies lui tournaient dans les têtes obsédantes et tourbillonnantes. Elles écartaient sur leur passage, toute raison et toute logique. Et soudain, il se mit à la nager vers la surface, filant droit devant lui. Sous son ventre, le mur défilait de plus en plus vite. Il ne réfléchissait plus à rien. La pression au fur et à mesure qu’il montait, se faisait moins dense. Il glissait dans l’eau fluide avec une légèreté et une agilité incroyable. Il avait les yeux fermés. Agir agir agir !!! Nager. Encore. Toujours. Plus vite. Plus fort. Puis soudain...plus rien. Il sentit son corps comme en apesanteur. Sa respiration fut subitement coupée et une violente gifle froide le saisi. Il ouvrit les yeux. Tout autour de lui, il y avait une immensité sombre et bruyante. Il faisait nuit, la lune brillait dans le ciel. Tout le temps qu’il fut en l’air, ce fut un immense sentiment de liberté. Une joie profonde s’empara de lui lorsqu’il vit le mur s’effacer sous lui. Il avait réussi. A peine une seconde plus tard, il retombait de l’autre côté de l’enceinte. Transi par son exploit, il eut du mal tout d’abord à tenir en place. Il dansait dans tous les sens en fusant comme une étoile filante. Tout ! Tout était possible maintenant. Il n’y avait plus aucune barrière devant, plus rien ne pouvait l’empêcher de trouver l’hippocampe blanc. 

lundi 3 novembre 2008

Conte : La baie des cormorans (5)

“- Eh bien voilà...Comme vous le savez peut être, mon père me réserve ce royaume de la baie des cormorans. Il veut que je sois son successeur, celui qui continuera ce qu’il a commencé. Mais moi, ça ne me dit rien du tout. Je n’ai absolument pas envi de continuer à vive ici et pour tout dire, je n’ai même plus envi de vivre sous la mer.” Il marqua un temps d’arrêt pour voir quelle serait la réaction du poisson volant à l’évocation de cette idée. Mais ce dernier, resta de marbre, le sourire gravé sur ses lèves et le regard avide de connaître la suite.

“- En fait, j’aimerai rejoindre le monde de l’air et des vents, celui qui est de l’autre côté de la surface. Juste un jour, juste une nuit. Il y a là quelqu’un avec qui j’aimerai parler rire et échanger. Mais pour l’instant nous ne pouvons rien faire d’autre que de nous deviner, nous effleurer. Elle a bien tenté de venir elle, dans notre monde. Mais tout est si rapide, si basique. Je sens que l’on a plus de choses à échanger qu’une nage. Ah, j’aimerai tellement pouvoir aller la rejoindre dans son monde. Ne serait ce qu’une fois....”

Le petit prince baissa les épaules. Le vieux poisson volant détendit ses grandes ailes, inspira une grande bouffée et doucement, vint poser une main amicale sur l’épaule abattue du petit prince :

“- Je peux peut être t’aider. Il se trouve que je sais où tu peux rencontrer l’hippocampe blanc.

“- Rencontrer qui ? demanda la petit prince.

“- L’hippocampe blanc. C’est un animal très rare et comme tous les animaux rares, il possède des vertus magiques uniques. Mais il ne viendra pas à toi. Il faudra que tu ailles le chercher.

“- Mais il me permettrait de faire quoi par exemple...insista-t-il intrigué.

“- Je ne sais pas, je n’ai jamais à eu à faire à lui directement. Mais je sais qu’il est très puissant. Va, trouve le et je suis certain qu’il pourra faire quelque chose pour toi.

“- Et où puis-je le trouver ?

“- Juste avant que nous arrivions et que nous soyons obligé de venir nous abriter dans votre baie je l’ai aperçu qui galopait sur le plateau des algues, droit devant vers le large. Si tu te dépêches, je pense que tu peux encore l’y trouver.

“- Mais mais mais...pour aller sur la grande plaine, il faut d’abord que je franchisse la muraille et ça, c’est impossible.

“- Impossible ? Et comment avons nous fait ?

“- Mais vous ce n’est pas pareil ! Vous avez des ailes. Moi je n’ai rien.

“- Si. Tu as envi d’accomplir tes rêves et ça, ça vaut toutes ailes du monde crois moi. Ne te laisse pas abattre par un mur. Un mur se saute, se franchit, se contourne, il y a toujours une solution. Toujours. A moins que tu ne veuille rester là et accomplir le destin tout tracé que ton père te réserve?! A toi de voir. Moi je t’ai dit que tu pouvais. Maintenant celui qui pourra agir, c’est toi et uniquement toi.” 

vendredi 31 octobre 2008

Conte : La baie des cormorans (4)

“- Dite moi monsieur, quand on dit que vous êtes un poisson volant, est ce vrai que cela veut dire que vous pouvez quitter le monde de l’eau pour aller dans celui des airs ?

“- Exectement

“- Waouh...dans les airs !!!. Alors vous êtes souvent de l’autre côté ?

“- Souvent souvent....quand je me déplace oui.

“- Et c’est comment de l’autre côté ?

“- De l’autre côté c’est....comment dire, un autre monde. Il y a le soleil qui te brûle la peau si tu restes trop longtemps sous ses rayons, il y a le vent qui te porte et te pousse, il y le bruit des oiseaux et de la mer, le bruit des vagues et des bateaux. Il y a les humains qui crient lorsqu’ils te voient surgirent des flots...il y a tant de chose différentes d’ici. Tout est beaucoup plus bruyant et sauvage. C’est...indescriptible tant qu’on ne l’a pas vécu.

“- Et l’on peut y rester longtemps nous ?

“- Nous ? Le peuple de la mer tu veux dire ? Oh non. Ce monde là on l’effleure. On y passe comme des flèches mais on n’y reste pas. Où alors on y meure.

“- ça n’est jamais arrivé que l’un d’entre nous reste à tout jamais de l’autre côté ?

“- Non je ne crois pas non. En tous les cas, je ne vois pas comment cela serait possible.”

Un peu abattu par cette révélation, le petit prince quitta la table. Sans trop y réfléchir, il se laissa dériver vers les rochers là où chaque jour, il venait jouer avec la jeune fille. Puis il se laissa dériver par les courants de la baie et finit par arriver au pied des remparts. Une équipe de crabes était en train de réparer une brèche. Ils le saluèrent poliment au passage.

C’est alors que surgit de nulle part, un des poisson volant qui avait été invité au banquet mais avec lequel le prince n’avait pas pu parler. Il était plus âgé que les autres et affichait en toute circonstance, un sourire joyeux :

“- Tu me sembles bien triste mon garçon.

“- Triste ? N’y aurait il pas de quoi ? Je suis enfermé dans une baie par un mur infranchissable et la seule personne avec qui j’aurai réellement envi de passer du temps m’est totalement inaccessible. Vous ne trouver pas qu’il y ait là lieu d’être triste ?

“- Non au contraire. Je trouve qu’il y a plutôt là une formidable opportunité de partir à la découverte d’une nouvelle vie.

“- D’une nouvelle vie ?! Mais ma vie n’aura jamais rien de neuf ! Je suis l’héritier d’un roi qui refuse le monde extérieur et qui nous a tous enfermé avec lui. Je ne suis pas malheureux. Mais que voulez vous que je fasse pour échapper à tout ça ? Vous pouvez me le dire ?

“-  Quoi faire ? Mais tout justement. Car il y a beaucoup, beaucoup d’autres possibilités. Tu sais, j’ai voyagé à travers les mers du monde entier et ces années d’errances poussées par les courants et les vents m’ont appris deux choses. La première c’est qu’il ne faut jamais se contenter de ce que l’on connaît. Ça n’est pas le monde. Ça n’est qu’une petite, microscopique, infime partie de l’immensité qui nous entoure. Et la seconde, c’est que c’est dans cette immensité que réside la solution à tous nos problèmes. Ce n’est pas parce que tu ne trouves pas ici, autour de toi, ce que tu cherches, que cela n’existe pas. Bien au contraire.

“- Une solution à chaque problème ? Même si le mien parait incroyablement difficile voir impossible à résoudre ?

“- Dis moi toujours...” renchérit le vieux poisson volant l’air complice. Le petit prince le regarda longuement. Ce poisson là, n’était du genre à parler pour ne rien dire. On sentait dans son regard toute la quiétude de celui qui était sorti de mille piéges, de milles chausses trappes et qui maintenant, désirait plus que tout au monde faire partager aux autres sa longue expérience.

jeudi 30 octobre 2008

Conte : La baie des cormorans (3)

L’été approchait chaque jour un peu plus et les températures ne cessaient de grimper. Avec elles, la fille s’aventurait toujours un peu plus loin dévoilant au prince, de nouvelles parties de son corps. Celui-ci, timide et respectueux à la fois, c’était d’abord tenu à distance. Puis il avait commencé à venir nager auprès d’elle. Tournant autour d’abord. Puis se rapprochant à chaque baignade. Ils avaient finit par se frôler, s’effleurer ; frissonnant l’un l’autre.

Vers mi-juillet les vents tombèrent, les nuages s’enfuirent, laissant au soleil la plein et entière jouissance d’inonder la terre. Ce qu’il fit sans se priver. Les températures devinrent caniculaires. Ce fut à ce moment là que la fille plongea complètement dans la baie. Corps et tête, entièrement, sans retenue. Le prince qui depuis longtemps attendait ce moment, s’approcha doucement. Ensemble, ils se mirent à danser dans les eaux de la baie. Et le ballet, dura tout l’été. Étrange et silencieux. Entrecoupé de remontées à la surface pour pouvoir respirer, de sorties trop longue pour qu’elle puisse se réchauffer. Puis vint l’automne. Le froid. De nouveau, la fille repassa de l’autre côté de la surface, floue, lointaine. Et pourtant toujours présente, chaque jour.

La situation devint difficile et pour elle et pour lui. Ils voulaient aller plus loin mais ne pouvaient se parler, se toucher. Toujours ce problème de froid, de distance, de respiration. Et en plein cœur de l’hiver, il arriva même qu’elle ne puisse se rendre à l’océan tant le temps était exécrable.

Or un jour que le prince se promenait seul à travers le royaume, il sentit comme une profonde agitation agiter tout le monde :

“- Ils sont là venez vite !

“- Comment ? de l’extérieur ?

“- Mais ils volent je vous dis. Ils volent au dessus des eaux... Pour eux, il n’y a pas de barrières...”

Intrigué, le prince interpella une sole qui passait par là et lui demanda :

“- Excusez moi mais...pourriez vous m’expliquer ce qui se passe ?

“- Comment mon prince ? Vous n’êtes pas encore au courant ? Les poissons volants. Une troupe de poissons volants a réussi à passer par dessus les remparts l’autre nuit. Ils disent que c’était pour se protéger de la tempête. Cela fait si longtemps que l’on n’a pas vu quelqu’un de l’extérieur...pouvez vous imaginer ?

“- Et où peut on les voir ces poissons volants ?

“- Sur la grande place. C’est là qu’ils se sont établis.”

Aussitôt, le prince voulu voir lui aussi ces étrangers venu de l’autre côté du mur. Ainsi sa mère ne lui avait pas menti. Il y avait bien de l’eau de l’autre côté des murailles et des poissons différents de ceux qui vivaient et nageaient dans cette baie. Et aussi extraordinaire que ça puisse paraître, certains savaient même voler. Et cela signifiait beaucoup pour le prince. Cela voulait dire qu’ils pouvaient passer de ce monde à celui extérieur. Celui où se trouvait celle qu’il voyait depuis plusieurs mois et qui vivait là bas.

En arrivant sur la grande place, tout le monde était déjà là. Les crevettes et les bigorneaux, les soles et les sardines, les anchois et les homards, il n’en manquait pas un à l’appel. Et au milieu de cette foire improvisée, une dizaine de poissons volants se pavanait. En tant que prince de la baie, une place de choix lui fut rapidement attribuée. Mais tout le monde les bombardait de questions et eux jouaient le jeux, répondant avec un grand sourire, trop content que l’on s’intéresse ainsi à leur modeste personne.

Une fois l’euphorie retombée, le roi de la baie invita ces inattendues convives à se joindre à sa table. C’est là que le prince assis à côté de l’un d’eux, put enfin assouvir sa curiosité :

mardi 28 octobre 2008

Conte : La baie des cormorans (2)

Puis l’enfant vint à naître et se fut un grand jour pour tout le royaume. C’était un poisson et le roi fut ravi. Il avait maintenant un héritier. Il savait que quelqu’un lui succéderait quoi qu’il arrive. Les remparts eux, restèrent. Certes ils avaient étaient colonisés par des algues, moules et autres huîtres qui en avaient fait leurs domaines. Quelques berniques et même des bernard-l’hermite y avaient élus domiciles. Mais l’accès à la mer profonde et infinie, restait irrémédiablement fermé. Le petit prince grandit avec cette barrière. Comme il n’avait connu que ça, il ne s’inquiéta jamais de savoir ce que l’on trouvait derrière. Le mur était là. C’était comme ça. Il savait bien que de l’autre côté, s’étendait un autre monde. Mais comme il pouvait y avoir accès, il ne s’inquiétait pas outre mesure. Chapeauté par son père, il découvrit le royaume de la baie des cormorans et la meilleure façon de l’administré. Mais guidé par sa mère, il s’ouvrit d’un autre côté aussi à une vie différente que celle du petit enclos de la baie.

“- Dehors, de l’autre côté du mur, il y a un monde vaste et étendu, lui disait elle parfois lorsque la nuit était tombée et qu’ils se retrouvaient seules. Un monde si grand, que tu ne pourras jamais le parcourir en entier. Il y a des poissons différents dans chaque région, chaque baie à sa particularité et le long des côtes il y a des centaines de royaumes comme le nôtre. J’ai vu des bancs gigantesque composé de milliards de sardines et puis des requins un peu marteaux parfois.”

Mais le petit prince ne semblait pas impressionné par cette immensité que lui décrivait sans cesse sa mère. Certes cela devait être différent d’ici mais après tout, c’était encore la mer. Et puis comment savoir si effectivement de l’autre côté du mur, il y a avait réellement quelque chose ? Alors que dans l’autre sens, lorsque l’on tournait sa tête vers l’endroit d’où venait le jour, il semblait y avoir tant de choses à découvrir. Tant de choses magnifiques et mystérieuses :

“- Et de l’autre côté maman...je veux dire, derrière la surface de l’eau, au delà, là où le fond rejoint la surface, qu’y a t il par là ?

“- Par là mon enfant, on trouve un monde dans lequel nous peuple de la mer, ne pouvons pas vivre. Mais on dit qu’il y a des êtres superbes capables de nous attirer avec la simple beauté de leurs chants. On dit que la plus part des êtres de ce côté ne peuvent pas quitter le sol et que ceux qui le peuvent, sont recouverts d’étranges choses nommées “plumes”...On dit aussi que la lumière est si forte qu’elle nous brûle sur place si nous tentons de nous rendre là-bas...On dit tant de choses.”

Malgré les descriptions peu engageante de sa mère, plus le prince grandissait, plus il se sentait attiré par cet étrange monde d’au delà de la surface.  Plus que vers l’infini des océans.

Or un jour qu’il nageait le long des rochers, laissant à peine sa nageoire dorsale dépasser hors de l’eau, il entendit venir vers lui un son qu’il n’avait jamais perçu auparavant. Il s’immobilisa et commença à chercher du regard d’où pouvait bien provenir cette étrange mélodie. Au bout de quelques instants, se découpant dans la lumière, il finit par apercevoir une de ces personnes dont lui avait parlé sa mère. Elle se tenait toute droite mais se déplaçait avec autant de légèreté et de grâce qu’une anguille. Sa tête était entourée d’un paquet d’algues souples qui bougeaient en même temps qu’elle dans un mouvement limpide. A sa vue, le cœur prince se serra tant il la trouva belle. Il n’y avait rien d’explicable ou de rationnel. Ce sentiment avait surgit en lui et rein ne semblait pouvoir le contrôler. Caché au milieu des rochers, le prince l’observa tout le temps que celle-ci resta sur le bord de l’eau à jouer avec les vagues.

Ce petit manége dura quelques temps. Très vite, la fille de l’autre côté de la surface se rendit compte de la présence du prince. Intriguée d’abord, elle avait été un peu effrayée. Puis elle c’était habituée et au bout de quelques jours, le cherchait même du regard dés qu’elle commençait à sauter d’un rocher à l’autre.

Vint le printemps et ses premières journées chaudes. La fille enleva ses chaussures, retroussa son pantalon et risqua un orteil dans l’eau glacée de la baie. Pour se rafraîchir. Du côté du prince, la vision se fit plus net. 

lundi 27 octobre 2008

Conte : La baie des cormorans (1)

L'histoire de la petite Léonide n'est pas des plus banal. Elle était née d'un père fabriquant d'imperméables et d'une mère qui aimait la mer et habitait avec eux dans une petite maison qui donnait sur la baie des cormorans. Cette histoire commence un jour qu’elle se promenait seule, sautant d’un rocher à l’autre, esquivant la langue traîtresse des vagues, fouillant dans les trous d’eau. Scrutant l’horizon, elle devina au loin une forme assise.

Elle se dirigea vers elle, continuant de sa danse légère à jouer avec les flots, intriguée par la présence de quelqu’un dans les parages. Il faut dire qu’il n’y avait pas grand monde habituellement par ici. Parfois Eugène, le gros pêcheur, venez jeter ses lignes et traîner sa barbe broussailleuse sur le bord des falaises mais c’était généralement plus tard dans la journée, après le déjeuner.

Il y a avait aussi de temps à autre Louis et sa maman triste. Mais Léonide savait par avance qu’ils allaient venir, car ils ne manquaient pas d’appeler pour savoir si il faisait beau, si la mer était calme ou bien si il n’y avait pas trop de vent.

On pouvait aussi croiser par hasard des promeneurs égarés ou bien des familles excitées mais des gens assis face à la mer, immobiles comme des pierres ça, Léonide n’en avait jamais vu. Mais plus elle s’approchait, plus elle sentait son pas s’accélérer et son coeur dans sa poitrine, battre plus fort. Enfin lorsqu’elle en fut certaine elle se mit à courir à en perdre haleine:

“- Mamiiiiie !!! Mamie tu es venue et tu n’as même pas prévenue.

“- Et non ma chérie. Aujourd’hui je n’ai rien dit. C’était pour te faire la surprise.

“- Qu’est ce qu tu fais assises ici toute seule sur la plage ?

“- Je te regardais mon enfant...Et en te voyant, je repensais à une vieille légende qui entoure cette baie.

“- Ah oui laquelle ? » Sa grand-mère la prit par la main, lui sourit et tout en se dirigeant vers un renfoncement protégé du vent, elle lui dit :

“- Assied toi là. Voilà. Viens contre moi. Regarde, d’ici on peut voir toute la baie. Ecoute moi maintenant. Il y a des années et des années, moi-même je n’étais pas encore née, vivait ici sous les eaux de cette anse, un roi terrible. Tu vois ces rochers au loin, ceux qui dépassent et qui font que la mer moutonne lorsqu’elle monte où qu’elle descend et bien on dit que se sont les restes des hauts remparts de son château. Il les avait fait construire pour empêcher quiconque de pénétrer ici et rester le seul maître des lieux. Mais beaucoup disait qu’en fait, au delà de vouloir garder son royaume, c’était sa femme qu’il voulait enfermer à tout jamais. En effet, le roi avait parait-il réussi à séduire une magnifique sirène. Comme à l’époque, tous les gros poissons de la côte en étaient amoureux, il y avait eu une lutte sans merci afin de savoir lequel aurait le privilège de passer sa vie avec elle. Et c’est ce roi, celui de la petite baie des cormorans qui l’avait emporté. Il faut dire qu’à ce moment là, il était beau et séduisant et que même si son domaine était parmi les plus petit, il n’en était pas pour autant mal garni. Et puis il avait su se montrer tendre; attentionné, plein de promesses...enfin bref, il avait su faire ce qu’il fallait pour que la sirène le remarque et ne puisse pas lui résister.

Or une fois qu’ils eurent commencé à se fréquenter, les choses allèrent très vite. Ils se marièrent et la sirène quitta son rocher pour devenir la reine de la baie des cormorans. Au début, tout se passa pour le mieux et le roi et la reine vivaient heureux. Mais peu à peu, l’ambiance se dégrada entre eux. Le roi s’avéra être un mari jaloux refusant par exemple que la reine ne se rende seule dans sa famille. Il prétextait que la côte était dangereuse, qu’elle pouvait se faire attaquer, que tous les gens qui l’entouraient ne lui voulaient pas que du bien. Il disait aussi que pour l’image du royaume, il était très mauvais qu’une reine se promène ainsi sans son mari, d’autant plus qu’à l’extérieur, tout était si dangereux alors qu’ici au moins elle ne risquait rien.

Mais la reine était têtue et à plusieurs reprises, elle sortit et partit nager vers le large, voir famille et amis comme si de rien était. Le temps passa. Malgré les crises de jalousie du roi, la reine ne continua de n’en faire qu’à sa tête. Mais un événement vint changer radicalement la donne lorsque la reine tomba enceinte. Le couple royale allait avoir un enfant. A compter de ce moment là, la jalousie du roi redoubla. Prétextant sans cesse que “non vraiment, il n’était plus possible qu’elle mette une nageoire dehors maintenant qu’elle portait dans son ventre un possible héritier pour le royaume.” Le roi devint de plus en plus intransigeant.

“- Votre royaume, votre royaume, vous ne pensez qu’à ça, lui dit un soir la reine. Mais moi je veux faire autre chose. Je ne me suis pas marié avec vous pour vous regarder gérer votre domaine. Et je ne suis pas l’un de vos sujet”

Peu de temps après, des bruits commencèrent à courir. On disait qu’ils ne s’aimaient plus, que le roi était violent. Ce dernier, devint très susceptible et sans raisons apparentes, s’en prit à ses voisins, les accusant de vouloir l’envahir, de vouloir lui prendre son royaume, sa femme...

Et c’est ainsi qu’une nuit, alors que a reine était couchée et que la mer était haute, le roi, décida de faire construire des remparts pour interdire et contrôler toutes les allées et venues dans sa baie. Une fois l’accès au large totalement clos, comme les poissons ne se tournent jamais vers la terre, le roi poisson se savait tranquille. Désormais il était le seul maître chez lui et plus rien jamais, ne viendrait s’opposer à sa vision des choses.

Lorsqu’au petit matin la reine murène vit la muraille haute et puissante se dressait devant elle, elle s’empressa de nager jusqu’au roi et de lui demander :

“- Qu’est ceci mon ami ? Vous ne m’en aviez jamais rien dit.

“- Une protection madame. Contre nos dangereux voisins qui me jalousent et m’envient mon si beau royaume.

“- Une protection ? Mais une protection dont on ne peut s’échapper, ne se nommerait elle pas plutôt prison ?

“- Allons ma reine, vous avez tout ce qu’il vous faut ici. De l’eau pour nager, des crevettes pour manger, des crabes pour vous servir, des anguilles pour vous divertir...que désirez vous de plus ?

“- Ma liberté. Voilà ce que je désirerai plus que tout au monde.

“- Vous l’avez d’ors et déjà à travers tous le royaume qui est bien assez grand pour une reine quand bien même se soit une sirène. Et je vous assure que dés que les relations diplomatiques seront meilleurs à l’extérieur, je rouvrirai de nouveau l’accès à la baie et vous pourrez de nouveau aller et venir à votre guise.” La reine s’enfuit. Prisonnière ! Elle était maintenant prisonnière et ne pouvait rien y faire. Dans son ventre cependant, la vie continuait de grandir. Les marées se succédaient les unes aux autres, berçant de leurs mouvements réguliers, son quotidien désormais bien terne.

jeudi 23 octobre 2008

Petite phrase

L’homme est fait pour oublier. Les livres sont là pour le lui rappeler.

 

mercredi 22 octobre 2008

Portrait

Puissance.

 

De toute façon il n’était pas comme nous. C’est sûrement pour ça qu’on avait commencé à lui donner des coups de pieds. Pour voir si comme à nous ça faisait lui mal lorsqu’il les recevait. Ça n’avait rien de méchant ni de personnel. C’était juste un test scientifique un peu brutal ; Fallait bien qu’on vérifie quand même ! Avec son nez glaireux, ses épaules voûtées et ses cheveux gras dés le début il ne nous avait pas inspiré confiance. Trop différent. Et puis il était toujours habillé avec de vieux vêtements qui étaient aussi moches et sales que lui. Alors qu’il soit un peu plus sales ou un peu plus déchirés ne changeait pas grand chose à l’affaire. Ah ! Le salir. Ça non plus nous ne nous en sommes pas privé. « Salissez-le-salop ! » Hurlait-on telle une meute exaltée. Car tous réunis nous nous sentions forts ; forts et imbattables face à ce petit être chétif que nous pouvions brisés par notre seul volonté. Son regard torve se baissait et finissait par implorer, minable, battu. Mais au fond, je le sais, au plus profond de nous, nous ne lui voulions pas de mal. Ce que nous voulions surtout, c’était se sentir fort. Sentir cette puissance nous étreindre le ventre lorsque nous criions tous ensemble des insultes interdites. Sentir nos jambes trembler lorsque nous nous mettions à courir une fois nos forfaits accomplis. Et rire aux éclats, toujours ensemble, pour ne pas perdre la face vis à vis des autres, même si un curieux goût amer envahissait notre gorge.

En tapant sur le plus faible c’était tous ces sentiments que nous croisions, qui nous explosaient au visage et dont nous nous délections jusqu’à l’ivresse : la puissance du clan qui nous protégeait de tout, nous permettait tout, nous dédouanait de toute responsabilité. Le fait accusateur dissolu, chacun en emportant avec lui une petite part, toute petite, légère.

Car à aucun moment nous ne nous sommes dit que ce que nous faisions pouvait être injuste ou stupide. Après tout, il n’avait qu’à se défendre. Qui pouvait l’empêcher de se servir de ses poings, de ses chaussures ou de ses dents pour nous contrer ? Personne. Nous attendions une réaction. Mais rien. Alors nous insistions et en nous, hurlait la joie d’être les plus forts.

De toute façon ça n’était jamais vraiment totalement l’un ou totalement l’autre le responsable. Nous étions tous au même niveau et nous nous le répétition chacun dans notre for intérieur. Ce n’est que lorsque est survenu le drame, lorsqu’il y eut le coup de trop, celui qui fut fatal à notre exutoire, que j’ai pris conscience de la portée de ce que nous faisions. Ce sang qui coulait de la plaie béante de son crâne emportait bien plus que la seule vie de celui que nous frappions avec tant d’ardeur, nous, les petits puissants.

jeudi 16 octobre 2008

Petite phrase

La plupart des hommes politiques sont des gens  importants qui cherchent à tout prix  à laisser une crasse.

mardi 14 octobre 2008

Portrait

L’autre

 

« Avant de s'en prendre aux traders, il faut voir que le système global était contraignant. Il était impossible, sans perdre son job, de garder une quelconque éthique et de garder un quelconque sens des réalités. »

 

Trader anonyme Le Monde 08 octobre 2008

 

“- De toute façon tu sais quoi ? Si toi tu ne veux pas le faire, y’a plein de gens derrière la porte qui n’attendent que ça. Alors soit tu fais ce qu’on te demande, soit tu vas chercher ailleurs. Ce n’est pas une menace. Mais c’est comme ça que ça fonctionne. Soit c’est toi, soit c’est un autre. Mais on ne peut pas remettre en cause ce genre de décision. Comprends bien ; il y a des stratégies qui peut-être nous échappent à nous sur le terrain mais qui sont pensées en haut lieu. Alors applique ce qu’on te demande d’appliquer, c’est pour ça qu’on te paye. Autrement tu es prévenu, je trouve quelqu’un d’autre.”

Cette dernière phrase lui raisonnait dans la tête comme une ritournelle entêtante. « Autrement, je trouve quelqu’un autre » Quinze ans qu’il bossait dans cette boîte, quinze ans qu’il était là jour et nuit et qu’il ne disait rien, qu’il appliquait le protocole sans broncher et aujourd’hui, maintenant qu’il avait acquis un peu de grade, maintenant qu’il avait des responsabilités, maintenant qu’il pensait enfin pouvoir dire et faire certaines choses, on lui rétorquait que non, toujours pas. Les décisions n’étaient pas pour lui. Il était un exécutant. Il n’était que l’infime engrenage doré d’un système. Son rôle devait se borner à appliquer des ordres même contraires à la logique. Passe encore pour la logique. Mais pouvait-il continuer à appliquer des ordres qui allaient soudain contre sa conscience ? Ce qu’on lui demandait de faire n’était ni logique ni à son sens, humain. Tricher, faire croire que, gonfler des positions pour en influencer d’autre, il avait appris à faire vivre avec. Il avait appris parce qu’il se disait que quelque part, dans ce grand barnum économique, ce qu’il enlevait d’un côté, quelqu’un ailleurs finissait pas s’y retrouver quand même et que ça compensait ce qu’il avait supprimé de l’autre côté. Il créait des équilibres instables car rien ne devait l’être par peur que la machine ne se fige. Mais ses actions ne tuaient personnes. C’était un jeu et il était joueur.

Mais là quelque chose était entrain de merder. Il ne pouvait plus suivre. Au-delà de sa conscience, c’était le système tout entier qui était entrain de déraper. Ce qu’on lui demandait de faire était bien plus que mentir ou tricher. Ce qu’on lui demander de faire était bien plus que jouer. Ce qu’on lui demandait de faire était de saborder le navire sur lequel il était, lui et toutes les personnes autour de lui.

Mais le pire dans tout ça était qu’il savait pertinemment que quelqu’un quelque part attendait sa place. Le pire était de savoir que l’autre à qui on allait demander de commettre ce qu’il ne voulait plus faire allait opérer sans sourciller. Et contre ça, il ne pouvait pas lutter. Parce qu’il n’était pas seul cet autre là. Ils étaient mille autres à pouvoir et à vouloir faire ce que lui refusait. Il pouvait montrer son désaccord, le hurler à la gueule de ce con qui ne voulait rien entendre. Il pouvait menacer et s’emporter. Contre ça, contre l’autre, contre celui qui était prêt à tout pour prendre sa place, il ne pouvait rien.

D’un geste il releva son col pour se protéger du froid. Il fouilla nerveusement dans les poches de sa gabardine, sortit un paquet de cigarettes. La fumée épaisse s’écoula de sa bouche lentement. Son regard se perdit dans l’eau de la rivière qui s’écoulait paresseusement sous lui. 

« Après tout, peut-être est-ce comme ça que meurt une société ? se dit-il. Peut-être est-ce parce que qu’il y a toujours quelqu’un pour prendre la place de celui qui veut dire stop, quelqu’un qui a suffisamment faim et suffisamment d’ambition pour s’intercaler là où la raison aurait dû prendre le dessus que tout finit un jour ou l’autre par déraper. » Mais pour cette fois c’était maintenant certain, il ne serait pas l’autre.