lundi 31 décembre 2007

Portrait

Face

Ça lui était tombé dessus comme ça, comme si il c’était enfin coupé une phalange avec la machine de la chaîne huit, celle que l’on sait dangereuse et que l’on utilise toujours par conséquent, avec une concentration extrême. Celle qui fait un peu peur mais qu’on apprend à dominer au final. Ça lui était tombé dessus comme ça, violemment mais sans surprise. Il savait que dans cette annonce, il y avait quelque chose d’irrémédiable, quelque chose qui allait casser sa vie pour le restant de ses jours mais que rien ne pouvait l’empêcher. Et ça lui faisait encore plus mal.
On n’encaisse pas l’annonce de la fermeture de l’usine dans laquelle on travaille depuis trente ans sans que ça blesse au plus profond. A quarante neuf ans, on venait de lui dire qu’ici c’était fini, qu’il n’y aurait plus de boulot et que si il voulait continuer le même métier, c’était possible, mais à deux cent kilomètres de là. « La boite paiera tout ! » avait dit le gars envoyé par la direction. « Le déménagement de ma famille et de mes amis aussi ? » avait répondu un. C’est vrai ça, il pouvait bien tout payer, ça ne rachèterait jamais la vie qu’ils avaient construit là.
De toute façon, depuis que l’usine avait été vendue une première fois il y a dix ans par le fils de celui qui l'avait créé, les choses n’étaient plus pareil. On n’arrêtait pas de leur parler d’économies à faire, de compétitivité à mener, de plan de carrière et de concurrence.
Lui et ses collègues la seule chose qu’ils voulaient c’était un boulot. Bosser, pour payer les traites de la maison et de la voiture et puis des trucs pour les gosses. Peut être même des études. Tout ça en restant là. Là où ils étaient nés, là où leurs parents avaient vécu et où ils étaient enterrés pour certains. Là où ils avaient leurs amis, leur club de foot et leurs habitudes. Là où le mot vie prenait un sens tranquille et serein ; un sens intemporelle et rassurant.
En fait, travailler n’était jamais que la caution de toute cette vie là. Et l’on venait, pour d’obscures raisons, de la lui retirer. Lui qui n’avait jamais couru après l’argent ou la reconnaissance parce que ça c’est pour les autres, lui qui n’avait fait que jouer le jeu sans vraiment jamais en avoir compris les règles, se voyait aujourd’hui, à l’aube de la cinquantaine, à cet âge où l’on aspire à se retirer sans incident, refuser la tranquillité de sa dernière ligne droite.
Évidemment lui et les collègues allaient se battre. Ils allaient faire des grèves, organiser des pétitions et des actions. Mais quelque part au fond de lui, il savait que tout ça n’avait plus de sens, que tout était perdu et qu’il n’était qu’une variable qui venait d’être ajustée au nom d’un idéal qu’il n’avait jamais défendu. Il était le perdant de toute cette affaire et à son âge, c’était juste ça qui était le plus dur à accepter.

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