jeudi 3 janvier 2008

Moment

Avant

Il emplit ses poumons d’air frais ; une grande bouffée glacée qu’il sentit s’enfoncer en lui jusqu’au plus profond de ses poumons. Emmitouflé dans son bonnet et sa grosse parka, il s’amusa tout en expirant lentement, à tenter de fabriquer devant son visage, une série de petits nuages. Cela lui rappela ses années de cigarettes, lorsqu’à la fois par habitude et par jeux, il faisait des ronds dans l’air. Activité futile et jubilatoire, il avait finit par devenir expert en la matière. Il faut dire qu’à cette époque là, fumer avait été pour lui bien plus qu’une habitude.
Debout dés cinq heure du matin, il enchaînait les chantiers de travaux publics. Sa spécialité et son expérience lui avaient permis à la longue de devenir une des références dans la région. Mais ceci avait eu un prix. Enormément de travail avait entraîné énormément de pressions et comme le temps n’est pas compressible et qu’il adorait ce qu’il faisait, il avait rapidement fait le choix de partir tôt, rentrer tard, écourter ses week-end et rallonger ses semaines. La cigarette dans tout ça, était son temps mort. Un moment à lui, qu’il s’accordait pour se poser. Peut être une façon dire « Stop ! ».
Une chose était sûre, parmi le flot de fumée incessant qui l’avait accompagné durant toutes ces années, il y en avait qu’il avait préféré à d’autres. Celles des matins d’hivers notamment, celles des matins comme celui-ci. Ces matins où il partait dans la nuit, au moment où le noir tire sur le bleu profond. Ses phares balayaient les champs couverts de givres, illuminant les corps squelettiques des arbres nus. Bizarrement, ça n’était jamais lorsqu’il était dans sa voiture qu’il commençait à fumer. Non. Il préférait attendre d’être dehors, saisi par le froid. Il allumait alors son petit foyer d’un coup de briquet sec et direct et tout en se dirigeant vers les gars qui étaient là à l’attendre, il tirait de longues bouffées chaudes. On se serrait la main, on se faisait des remarques banales, un peu le point sur ce qu’il y avait à faire. Le dernier mégot éteint était le signal du commencement des activités. Rituel délicieusement huilé.
Et puis il y a eu les complications, le coeur qui s’emballe, la volonté de ne pas voir, sa femme qui lui dit qu’il faudrait qu’il se calme peut être un peu mais lui qui ne voyait pas pourquoi ni comment il pourrait faire. Il avança comme ça jusqu’à son infarctus. Urgences, opération, pontage. Il avait frôlé la mort sans en garder le moindre souvenir. Il c’était réveillé à l’hôpital, réparé. Mais tout ça pour lui résonnait surtout comme le glas d’une vie qu’il ne connaîtrait plus jamais. Il avait du arrêter les chantiers et la cigarette. Tout en même temps.
Et aujourd’hui, dans l’air du matin glacé, il faisait des nuages légers et inodores, souples et aériens. Fades.

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