vendredi 18 janvier 2008

Portrait

Transparent

C’était un homme transparent. Aucun moyen d’accrocher quoi que ce soit à sa mémoire pour tenter de se souvenir de son visage, de son corps…de lui. Rien. Au-delà du banal, j’avais en face de moi une sorte d’intégriste de l’intégration, tellement ordinaire qu’il s’en était désintégré, désagrégé dans un quotidien infini. Je le regardais avec sa taille moyenne, sa corpulence en parfait accord avec les normes et je me demandais au fond de moi, qu’est ce qui m’avait poussé à m’arrêter sur cet homme là en particulier ? Qu’est ce qui avait bien pu faire que mon regard avait commencé à décortiquer avec autant d’ardeur cette personne et que mon esprit avait entrepris avec une ferveur chirurgicale, à dépecer sa silhouette alors qu’il incarnait à ce point le rien.
De la couleur de ses vêtements à la formes de ceux-ci jusqu’à la coupe de cheveux si proprement rangée qu’elle donnait le sentiment que dés le sommet du crâne, une sorte de rigidité sévère commençait à s’opérer, cet homme offrait un tout tellement assimilable dans une masse informe que c’est peut être pour cette raison que j’avais commencé à l’observer avec tant d’attention. Le métro surgit avec tout le vacarme qui le caractérisait laissant de marbre mon sujet. Il se leva le visage raide et le regard absent, avança sans même voir jusqu’à une place qu’il avait sûrement du programmé dans sa tête tant il s’y dirigea et s’y assis sans la moindre hésitation. Immédiatement il posa son regard vers l’extérieur, gardant fermé tout accès à sa personnalité.
Je continuais néanmoins à le détailler du coin de l’œil et lui se laissait ostensiblement faire sachant de toute façon qu’il n’avait rien à offrir. Il était la personnification même du non-être physique. J’étais certain que c’était le genre de voisin qui pouvait aménager à côté de chez vous un jour sans que vous vous en rendiez compte et que vous découvriez des années après que cette personne vivait là, juste en dessous de votre appartement.
Bizarrement à aucun moment je n’associais cette transparence physique avec quelque chose d’ennuyeux.
C’était étrange d’ailleurs. Quel genre de personnalité pouvait renfermer un corps si diaphane ? Le métro finit par arriver à sa station et cracha son lot de passagers comme autant de postillons. L’homme fit parti de cet éternuement et tandis qu’il s’éloignait emportant avec lui mes interrogations inutiles, je me disais que tout, jusque dans sa démarche, incarnait celui qui voulait physiquement disparaître aux yeux des autres.
Deux stations plus tard, ce fut à mon tour d’être éjecté. Arrivé devant la porte de mon appartement je tentais de me rappeler avec le plus d’exactitude possible le visage de l’homme mais déjà, les courbes étaient flous et les images se mélangeaient. J’ouvris la porte, posait mon sac, jetais instinctivement un œil dans le miroir de l’entrée et admettait que malgré tous mes efforts, sa photo avait définitivement disparu de mon esprit.

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