mercredi 31 octobre 2007

Nouvelle : La jonction des paralléles (2)

La jonction des paralléles (2)
Il faisait une chaleur suffocante en dehors de l’appareil. L’air saturé d’humidité et de chaleur emplit ses poumons.
Dès sa descente de l’avion, Frédéric pu se rendre compte à quel point l’ouragan avait frappé fort juste en regardant l’état de l’aéroport. Une partie du toit était arraché, plusieurs vitres brisées, des arbres étaient couchés et il traînait partout sur le sol des objets accumulés en tas hétéroclites. Morceaux de plastiques, de toits, enjoliveurs de voitures, étaient enchevêtrés à des bouts de bois ou de ferraille qui avaient été charriés par le vent et les pluies diluviennes qui s’étaient abattues quelques heures plus tôt sur la région, entassant le tout au grès d’un hasard chaotique.
Aussitôt les formalités administratives accomplies, quelqu’un l’aborda :
« - Monsieur Filatreau ?
« - Lui même.
« - Je suis l’assistant du journaliste que vous remplacez. Kelevo Smabamaluka. Enchanté de vous rencontrer. Vous avez fait bon vol ?
« - Calme. Très calme.
« - Très bien. Si vous voulez bien me suivre, un taxi nous attend à l’extérieur. Il nous conduira jusqu’à votre hôtel. »
L’homme était un malgache assez grand, maigre et qui s’exprimait dans un français quasi impeccable. Sur la route Frédéric n’en revint pas des dégâts. Il avait l’impression que l’on avait enfermé la ville dans une boite, qu’on l’avait secoué violemment pour au final, tout rejeter sur le sol en un vrac invraisemblable. Des gens en guenille faisaient la queue devant les camions citernes qui distribuaient de l’eau potable.
« - Tout le réseau de distribution d’eau qui déjà n’est pas terrible d’habitude, a été anéanti avec cette tempête. Idem pour tout ce qui est nourriture. Actuellement nous ne pouvons survivre que grâce à l’aide internationale. Enfin du moins, ce que l’on veut bien nous envoyer parce qu’il faut bien le dire, pour l’instant nous ne recevons pas grand chose ».
Tout le chemin ne fut qu’une longue vision de misère. « Vision de misère ». Il avait l’impression que ces mots résonnaient dans sa tête sans qu’ils ne puissent trouver leur sens réel. Ils n’étaient que des mots, fades et insipides, charger d’exprimer la réalité du tableau qu’il avait sous les yeux mais ils semblaient ne contenir aucune profondeur, aucune réalité. C’était la première fois qu’il prenait ainsi conscience du décalage qu’il pouvait y avoir entre des mots et la réalité qu’ils étaient censés exprimer. Des mots. Comment allait il pouvoir faire passer toute la détresse de ces êtres humains, uniquement avec des mots. En effet, à la différence de la télévision, lui n’avait pas le pouvoir des images pour heurter ou pour marquer les gens. Il n’avait que celui des mots pour tenter de transmettre son ressenti. Et contrairement à la presse, ses mots, une fois prononcés, disparaissaient dans les souvenirs, emportés pas le flot du reste des informations à suivre. Ils ne pouvaient être relu afin de pouvoir en soupeser toute leur exactitude et tout leur relief ; afin d’en tirer l’analyse la plus juste possible. Mais c’était ce qu’il aimait par-dessus tout dans la radio. La spontanéité et la précision que son travail exigeait. Mais aujourd’hui, face à l’ampleur de la catastrophe, les mots lui semblèrent soudain bien impuissants.
Son téléphone sonna.
« - Oui ?
« - Fred ? C’est Georges. Ça y est t’es sur place ?
« - Ouais.
« - Bon parfait. J’ai réussi à te dégoter trente quatre secondes dans la tranche du matin. Tu passes demain, OK.
« - OK.
« - Bon je te laisse. On est à la bourre sur le bouclage et on est débordés de boulot. Il y a eu une série d’attentat à Jérusalem juste avant le début des journaux de la matinée. Enfin bref ; Bosse bien et essaye de m’envoyer ce que tu vas dire dans la nuit histoire que je jette un oeil avant que tu passes à l’antenne.
« - Tu me fais pas confiance ?
« - Mais si je te fais confiance. C’est juste si tu peux c’est tout. Bon aller je te laisse.»
Frédéric raccrocha. Trente quatre secondes.
Malgré leur quatre-quatre, ils roulaient très lentement. La route, ou du moins ce qu’il en restait, n’était plus qu’une succession de trous plus ou moins profonds, empêchant toute circulation normale. A plusieurs reprises, il durent même descendre du véhicule afin de dégager le chemin de débris divers et variés. Dehors, une odeur de boue mêlée à celle des déchets en décomposition emplissait les narines.
Au début de leur périple, Frédéric questionna Kelevo pour tenter d’en savoir plus sur la situation. Puis petit à petit, celles-ci devinrent inutile, sont regard seul lui suffisant.
Ils arrivèrent à l’hôtel. Malgré les arbres déracinés et les quelques poches et autre tôles ondulés qui jalonnaient le jardin, celui-ci semblait avoir était plutôt épargné.
« - Il est sur un point haut, expliqua Kélévo, ce qui fait que la boue ne l’a pas envahie comme le reste. »
Frédéric hocha la tête.
« - Ne bougez pas. Je pose mes valises et on repart.
« - Tout de suite ?
« - Oui. Tout de suite.
« - Bien. »
Quelques minutes plus tard, le quatre-quatre et ses passagers reprirent leur route chaotique.
« -Vous avez déjà vu l’aéroport et les quartiers nord de la capitale. Le centre ville c’est pire mais on va essayer d’y accéder quand même afin que vous puissiez vous rendre compte. Les rues sont en terre ici et il n’ y a pas d’évacuations. Du coup elles se sont transformées en torrents de boue vue la quantité d’eau qui est tombée, emportant tout sur leur passage. » L’homme continua d’égrainer les conséquences de la catastrophe. Les mots s’enchaînaient les uns derrière les autres et mettaient Frédéric de plus en plus mal à l’aise. Ils avaient une allure de constat, pâle et froid et ne reflétait absolument rien de la réalité présente. En pénétrant petit à petit dans le centre de la ville, il se sentit encore plus profondément envahi par le sentiment de malaise. Trente quatre seconde.
Le petit intervalle dont il disposait lui revint soudain en mémoire. Il avait trente quatre secondes exactement pour tenter de raconter la souffrance, l’ignorance, le désarroi, la douleur et l’abandon. Trente quatre seconde perdues entre le sport et la politique nationale ; trente quatre secondes gagnées sur l’indifférence générale. La sensation de manquer de temps le saisi. Comme si celui-ci s’était soudain rétréci dans son esprit et que les heures qui le séparaient du moment où il allait devoir parler à la radio, s’étaient subitement transformées en minutes.

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