vendredi 5 octobre 2007

Conte : Le gardien des nuages (2)

Le gardien des nuages (2)
Le lendemain matin en se réveillant, Alazgard se sentait toujours aussi fatigué. Il avait passé une nuit noire et sans rêves et avait plus l’impression d’émerger d’un long tunnel ténébreux que d’avoir dormi. La seule chose dont il se rappelait avec certitude, c’était d’avoir eut l’étrange sensation d’étouffer à plusieurs reprises dans son sommeil. Comme si il était entrain de se noyer et que l’air venait à lui manquer.
Lentement il mit un pied par terre. Son corps était lourd et il se sentait horriblement las. Il se traîna jusqu’à la sortie, s’étira, bailla et resta un long moment le regard fixé sur le levé de soleil. Puis il ébroua ses longues ailes et d’un bond, prit son envol. Le fait d’être dans les airs lui redonna un peu de légèreté. Lorsqu’il volait, il pouvait sentir le vent contre sa peau. Ce vent qui d’ordinaire sortait de lui, l’entourait et le caressait, le portant sans cesse et sans jamais faillir. Il aimait à jouer avec lui et ce matin là, il y prit encore plus de plaisir que d’habitude.
Revivifié et laissant les idées noires de la nuit peu à peu s’éloigner derrière lui, il décida pour continuer sur cette bonne pente, de s’occuper en premier des cirrus. C’étaient ses nuages préférés.
Il s’en servait pour décorer le ciel et il les accrochait donc de ci de là, au grès de ses souffles et du hasard, zébrant l’azur de leurs bandes blanches et aériennes. Il décida en les voyant, d’aller les positionner juste au dessus de la grande plaine. Leur blancheur cristalline tranchait avec le vert profond de l’herbe en cette saison et rendait une image de calme et de sérénité qu’il appréciait par-dessus tout.
En arrivant donc à leur proximité, il prit une légère inspiration, entrouvrit délicatement la bouche et d’une petite brise, entreprit de les faire bouger. C’est qu’il fallait faire attention de ne pas les briser. Une bourrasque de trop et ils se seraient éparpillés en des milliers de gouttelettes inutiles. Il fallait ensuite attendre des jours et des jours avant qu’ils ne se reconstituent. La prudence était donc de mise. Mais à son grand étonnement, rien ne bougea.
Il entreprit donc de souffler une seconde fois afin que le convoie commence à se mettre en branle. Peut être avait il voulu être si prudent au premier coup qu’il n’avait pas soufflé assez fort. Mais là encore, rien ne se passa. Une légère inquiétude commença à le saisir au ventre car il en était certains, de la façon dont il avait soufflé la second fois, quelque chose aurait du bouger. Il souffla donc une troisième fois de façon plus énergique…puis une quatrième fois, encore plus fort que les précédentes. Son cinquième souffle fut si puissant qu’il aurait du normalement faire reculer tous les nuages de plusieurs kilomètres d’un coup. Mais comme pour les autres essais auparavant, rien ne se passa, pas un nuage ne se déplaça du moindre millimètre. Il commença alors à s’époumoner, tournant autour des cirrus à une vitesse de plus en plus rapide et jurant contre ces satanés nuages qui refusaient maintenant de lui obéir. La scène dura et dura dans le ciel, ne faisant qu’augmenter la rage d’Alazgard. Mais cette colère aérienne ne changea rien à sa situation et au bout de plusieurs heures de vaine lutte, le gardien des nuages dû se rendre à l’évidence ; son souffle avait disparut, et avec lui son pouvoir de faire vivre le ciel.
Décontenancé mais pas abattu pour autant, Alazgard alla se poser sur le sommet d’une montagne avoisinante. Là, le regard grave et le visage fermé, il commença à réfléchir. Ainsi donc pour le moment son pouvoir semblait avoir disparu. Très bien qu’à cela ne tienne. Mais cela n’empêchait pas qu’il fallait qu’il trouve néanmoins absolument un moyen de faire de nouveau bouger les nuages. C’était sa responsabilité et c’était ce qui faisait sa gloire. Car si il n’avait plus cela, qu’allait il devenir ? Pour la première fois peut être depuis qu’il était gardien des nuages, il réalisa à quel point son existence et celles des nuages étaient à ce point liées. Sans lui ils n’étaient rien ; mais sans eux, qu’était il lui ?
La matinée passa sans que rien ne bouge. Le ciel statique donnait au monde le sentiment d’être arrêté. Et du haut de sa montagne, Alazagard n’avait toujours pas retrouvé son souffle. Le début de l’après midi vint. Avec lui, une idée commença à poindre dans l’esprit du gardien. Il ne pouvait plus souffler certes. Mais rien ne l’empêchait d’inventer une machine à faire bouger les nuages. Il rentra alors dans sa grotte en un coup d’aile et commença à réfléchir au problème. Cela dura quelques nuits et quelques jours…quelques nuits et quelques jours au cours desquels sur la terre, les problèmes commencèrent à s’accumuler.
En effet, certaines régions inondées par les pluies incessantes, furent submergées par les eaux, pendant que d’autres, exposées au soleil permanent, grillèrent littéralement.
Le temps passait, les problèmes amplifiaient, mais du fond de sa grotte, Alazgard ne faiblissait pas. Sciant, coupant, calculant, recommençant mille et une fois les choses si nécessaire, il avançait pas à pas dans la construction de la machine qui allait lui redonner toute légitimité dans son royaume aérien.
Au bout d’une semaine environ, son travail fut enfin achevé. Il traîna son invention jusque sur la terrasse d’où il prenait son envol d’habitude, et d’un œil brillant, la regarda à la lumière du jour. Il s’agissait d’une sorte de grand moulin à vent. Pour l’actionner il devait s’asseoir sur une selle et pédaler afin de faire tourner les grandes palles à l’avant. L’ensemble était en bois et paraissait relativement lourd et assez peu maniable, mais le vent qu’il dégageait était en revanche lui, d’une puissance remarquable.
Il décida d’effectuer le premier test aux premiers rayons du soleil le lendemain matin. La nuit passa, anxieuse et sombre et lorsque vint l’aurore pâle et froide, Alazgard était déjà prêt depuis longtemps à prendre son envol. D’un pas sûr, il grimpa à l’intérieur de son engin, le souleva pour faire tenir les bretelles sur ses épaules, prit quelques pas d’élan et d’un bond, se jeta dans le vide. Malgré la puissance de ses ailes et la force de ses bras, il sentit très vite qu’il allait devoir faire de nombreuses pauses afin de se reposer tellement la machine était lourde. Mais là n’était pas son principal soucis. Ce qu’il voulait savoir lui, c’est ce qu’il en était vraiment du « souffle » si l’on pouvait appeler ça comme ça, qu’allait dégager sa machine et surtout la force de celui-ci.
Il choisit pour son premier essai de déplacer un groupe de nimbostratus qui flânaient au dessus de l’océan. Ils étaient sur place depuis tant de jours qu’ils étaient gorgés d’eau et paraissaient lourds et gras. De leurs ventre gris, certains laissaient échapper de longues colonnes de pluie comme on vide un trop plein.
La situation pour ces nuages là ne pouvait plus durer et il fallait absolument agir rapidement si l’on ne voulait pas voir une catastrophe survenir prochainement. Alazgard s’approcha et fit un ou deux tours afin de trouver le meilleur angle d’attaque. Une fois celui-ci repéré, il se cramponna fermement au manche de son moulin volant. Le vent lui sifflait aux oreilles l’emplissant petit à petit d’une confiance nouvelle. Concentré et sûr de lui, il entreprit donc de pédaler afin que le vent se mette à souffler. La machine craqua, grinça, se cabra même un peu l’or des premières bourrasques, mais elle tint. Les muscles tendus, l’œil et l’oreille aux aguets guettant la moindre des réactions de son invention infernale, le gardien des nuages commença à prendre possession du ciel autour des nimbostratus. Après quelques vrilles et virages, encouragé par la façon dont se comportait le moulin, Alazagard décida d’accélérer. Il devait battre des ailes en même temps afin de se maintenir en l’air et cela lui demandait donc un effort considérable mais il ne voulait en aucun cas renoncer. Face à lui, il le sentait, le vent commençait à se lever. C’était un vent désordonné qui se déplaçait par saccades. Mais un fois trouvé la bonne orientation, il semblait apparemment suffisamment fort pour faire bouger les nuages. Et c’est ainsi qu’au bout de quelques minutes, il les vit commencer à se mouvoir.
Il faillit hurler de joie face à cette scène mais se contint, sachant qu’il était encore bien loin du résultat.
Il vira sur la gauche afin d’entamer une grande courbe qui lui permettrait de prendre un peu de recul. Il eut alors la pleine confirmation qu’effectivement, malgré leur poids de pachydermes et les saccades encore désordonnées que provoquaient sa machine en bois, les nuages étaient entrain de reprendre leur course. Il avait réussi. Prit dans son élan et par l’euphorie de sa victoire, il accéléra encore. Les nuages se regroupèrent et commencèrent à se déplacer en une procession ordonnée. Puis vint le moment de les stabiliser au dessus d’une zone précise. C’était l’instant le plus délicat car il fallait énormément se déplacer et ce de façon rapide, tout en soufflant de façon précise et juste, afin que les nuages prennent la bonne place.
Alazgard commença donc à tourner autour d’eux, multipliant les piquets et les virages à quatre vint dix degrés, semant son souffle aux quatre vents, obligé souvent de refaire deux fois la même manœuvre afin de compléter la première. Ce fut d’ailleurs l’or d’une de ces figures périlleuses qu’il dut répéter plus de trois fois afin qu’elle soit accomplit correctement qu’il lui sembla que la machine commença à émettre des grincements étranges. Il écouta plus attentivement, tout en sachant très bien que les choses étant maintenant tellement avancées que si d’aventure il devait y avoir un problème, il ne pourrait pas s’arrêter. Il continua donc son ballet, espérant que le tout tienne jusqu’au bout.
Les minutes passèrent, agitées et vives. Soumis à de grandes forces la plus part du temps contradictoires, les jonctions étaient entrains de se mettre à bouger. Mais il était hors de question de faire une pause maintenant. Les nuages étaient en plein mouvement et si il ne les arrêtait pas, ils allaient partir n’importe où, croiser d’autres nuages engendrant à coup sûr des tempêtes qu’il aurait ensuite encore plus de mal à contrôler. Alzagard continua donc ses piquets, loopings et autres vrilles. Mais l’état de la machine lui, n’alla pas en s’améliorant et soudain, alors qu’il s’apprêtait à commencer à ralentir le rythme, un craquement sinistre déchira ses oreilles et dans la même seconde, l’une des palles se décrocha. Instantanément, tout le reste de l’appareil se trouva en déséquilibre le rendant totalement incontrôlable et c’est précipitamment, qu’il dut quitter la carcasse. Le regard vide et le visage inexpressif, il regarda filer vers le sol son invention démembrée. Il battait machinalement des ailes pour se maintenir en l’air et resta ainsi un long moment à flotter mollement, bien après que cette dernière ne se soit allée s’écraser plusieurs centaines de mètres au dessous de lui.
Puis il regarda les nuages. La plupart avaient continué leur course, poussés par les bourrasques finissantes. Quelques un s’étaient entrechoqués au loin et il entendit bientôt venant de l’horizon, le bruit grondant d’un orage naissant.
La tête basse et la mine assombrie, il retourna dans sa caverne. Ce n’est pas qu’il avait vraiment envie de s’y rendre, mais que pouvait il faire d’autre ? Continuer de contempler le spectacle de désolation que lui offrait le ciel était au dessus de ses forces. Sa caverne, restait donc encore son meilleur refuge.
Une fois chez lui, il s’assit à sa table et commença à jouer du bout de son doigt avec un verre. Il s’amusait à le pousser jusqu’à ce qu’il soit à la limite de perdre l’équilibre. Le jeu dura, toute son attention étant concentrée sur cette tâche impossible qui consistait à tenter de faire tenir ce verre en équilibre sur une toute petite portion de sa base ronde. Il en était peut être à sa millième tentative et était prêt à continuer encore lorsqu’il entendit un bruit de feuilles derrière lui, accompagné d’une respiration lourde. Il se retourna, intrigué. A sa grande surprise il découvrit, se découpant dans la lumière de l’entrée de sa caverne, plantée là de toute sa puissante stature, le roi des végétaux en personne ; le chêne.
Il l’avait déjà rencontré à plusieurs reprises mais ils ne s’étaient que rarement parlés directement. Aussitôt qu’il le vit, Alazgard se leva et se dirigea vers lui, tentant de lui présenter son meilleur sourire. Le chêne avait la mine fatiguée et de grosses cernes sombres pesaient en dessous de ses yeux ronds. La plupart de ses feuilles étaient sèches et il se déplaçait avec grande peine. Ses grands bras noueux pendaient lourdement autour de lui. Sa barbe de lichen était toute clairsemée et lui donnait un air plus vieux que d’habitude. Tout en lui tendant un siége, Alzgard s’enquit de son état :
« - Et bien cher ami, que vous arrive t il ? Vous n’avez pas la mine des meilleurs jours. » Craquant de toutes ses jointures pour s’assoire, le chêne répondit :
« - Ah Alazgard, vous avez bien raison ! Mais malheureusement, mon état n’est que le reflet de biens des miens. » Il y eut un long silence entrecoupé uniquement par le bruit de la respiration du roi qui reprit sur le même ton ;
« - Vous savez, notre vie à nous les végétaux est plutôt stable. Nous aimons poser nos racines quelque part pour y vivre en attendant que le temps passe. Les voyages et le mouvement ne sont bons que lorsque nous sommes graines ou bien pollen mais pour la suite, nous préférons rester sur place. Et ceci a du bon dans l’ensemble. Mais ceci à un prix. Notre vie dépend entièrement de notre environnement. Et ce même environnement dépend entièrement de ce que lui offre le temps. Trop de soleil et nous grillons littéralement, trop d’eau et nous nous noyons. Enfin bref, nous sommes comme tous les autres êtres vivants sur cette terre à cette différence prêt que nous ne pouvons pas bouger lorsque la nécessité s’en fait ressentir. » Assis en face de lui, Alzgard suivait le discours avec un intérêt lointain, pensant plus à ses problèmes de nuages qu’à ce que venait lui raconter le vieil arbre. Et puis il ne voyait pas très bien où il voulait en venir avec ses histoires. Mais celui-ci continua malgré tout :
« - Or voyez vous mon cher en ce moment, et pour la première fois depuis que j’existe, la plus part de mes sujets aurait une grande nécessité à bouger à cause des problèmes liés au fait que les nuages n’ont pas bougé d’un centimètre depuis bien longtemps. Et par conséquent, si je suis venu vous voir aujourd’hui ce n’est pas pour vous racontez ce que vous savez déjà, mais pour vous poser une question simple.
« - Mais je vous en pris je vous écoute.
« - Que se passe t il avec les nuages en ce moment ? Mes congénères de la grande plaines brûlent littéralement depuis bientôt deux semaines, tandis que ceux du littoral sont noyés sous les eaux sans que rien ne semble bouger. Les nuages restent sur place et rien ne semble indiquer que la situation n’évolue bientôt. Alors monsieur le gardien, que se passe t il ? » Un peu pris de court Alazgard répondit en bredouillant :
« - De euh…rien…rien de grave en tous les cas. Il se leva avec empressement et tout en cherchant deux verres pour servir à boire ainsi qu’une bouteille de nectar, il poursuivit sur un ton détendu. Disons que tout ne fonctionne pas exactement comme prévu mais cela devrait rentrer dans l’ordre d’ici quelques jours. Il versa le nectar dans les verres et tout en tendant un à son interlocuteur il continua sur un ton badin. Mais vous savez comme moi ce que c’est que d’avoir des responsabilités, il faut aussi en assumer les mauvais côtés. Et c’est vrai qu’en ce moment je suis plutôt dans le mauvais côté, je le reconnais, mais les choses vont aller mieux d’ici quelques temps ne vous inquiétez pas et vous pouvez d’ores et déjà dire aux vôtres de ne plus s’en faire. Il prit son meilleur sourire et rajouta ; la situation est entre de bonnes mains. »
Le chêne ne le quittait pas des yeux. Il but son nectar par petite gorgée tout en laissant parler Alzgard. Lorsque celui-ci eut finit, il posa doucement son verre sur la table, se leva en craquant de la même façon que lorsqu’il s’était assis et dit au moment de partir :
« - Très bien. Très bien. Je leur dirai donc ça. » Puis il se dirigea vers la sortie de son pas pesant, raccompagné par Alazgard. Au moment de se quitter ils se serrèrent la main et le roi des arbres lui dit :
« - Je dirai que tout va bien parce que rassurer les miens, cela fait aussi partie de ma tâche. Mais si d’aventure un jour je ne me sentais plus à la hauteur de mes responsabilités, alors je les quitterai en laissant la place à quelqu’un de meilleur que moi. Ce peut-être aussi cela, prendre ses responsabilités. » Et de son pas pesant et lourd, il reprit le chemin de la forêt.

Alazgard resta un peu sceptique tout en le regardant partir. Que croyait il celui là ; qu’il n’était plus capable d’être le gardien des nuages ? Et puis de toute façon, qui d’autre pouvait mieux savoir que lui ce qu’il y avait à faire dans le ciel ? C’était lui le gardien depuis toujours. Lui et lui seul. Et c’est lui seul par conséquent qui pouvait trouver la solution. Un peu vexé par cette allusion à moitié cachée que lui avait faite le chêne, il retourna s’enfermer chez lui. Une nouvelle fois il se mit à réfléchir intensément pour tenter de trouver une solution. Le temps passa. Lassé du jeu que lui offrait le verre, il avait fini par en trouver un autre. Il posait devant lui une bougie, regardait la petite flamme se mettre à danser au moment où il l’allumait, puis une fois que celle-ci s’était stabilisée, il emplissait ses poumons d’air et commençait à expulser celui-ci en direction de la flamme dans l’espoir de la voir s’éteindre…ou pour le moins bouger.
Il répéta ce geste pendant des heures et des heures, inlassablement. Parfois la petite flamme se mettait soudainement à trembler. Le coeur palpitant il soufflait alors de plus belle. Mais ce n’était que le fruit de son imagination ou bien d’un courant d’air malicieux. Il reprenait donc son exercice, le cœur un peu plus lourd.
Ce jour là, il en était donc à souffler et à souffler encore tout en tentant de faire les plans d’une machine dans sa tête qui se butait à ne lui présenter que des choses stupides, lorsque lui vint soudain une autre idée ou plutôt, une autre façon d’aborder le problème.
Et si plutôt que de déplacer les nuages avec du vent, il les déplaçait avec un sac ? Aussitôt, il se mit à envisager cette solution avec un enthousiasme nouveau. Si il arrivait à tisser une immense toile légère, il aurait alors avec lui une sorte de gigantesque filet à papillon à l’intérieur duquel il pourrait enfermer les nuages le temps de les amener autre part. Plus de problèmes pour les arrêter ; plus de problèmes pour les faire démarrer…le sac à nuages était la solution à tous ses problèmes, il en était persuadé.
Son principal obstacle résidait maintenant dans la matière qui allait composer le fameux sac. Il fallait que celui-ci soit résistant car certains nuages étaient relativement lourds. Il fallait qu’il soit aussi léger car sinon il ne serait pas maniable et écraserait les nuages les plus fragiles. Et puis il fallait qu’il soit immense car si il devait transporter les nuages un par un, cela ne servirait à rien.
Il se lança donc dans la recherche de la matière la plus appropriée et fini par conclure que la toile d’araignée était sûrement la plus adapté compte tenu de ses exigences. Le plus difficile fut de s’en procurer la quantité suffisante. Mais une fois ceci accompli, il s’enferma dans sa caverne et n’en sorti plus, tissant jour et nuit.
Il avait presque finit son ouvrage lorsqu’un soir, alors qu’il prenait quelques instants de répits, il entendit des pas à l’entrée de sa caverne. Il regarda et vit dans la lumière du soleil couchant, se détacher une silhouette qu’il reconnut tout de suite. Il s’agissait de celle du roi des animaux, le lion. D’ordinaire la tête haute et le port altier, il se présenta devant Alazgard ce jour là, la crinière tombante, l’œil cerné et l’air profondément fatigué. Ce n’était pas la première fois qu’ils se rencontraient tous les deux et même pour tout dire, c’était un des rares avec qui Alazgard aimait à discuter lorsqu’il allait sur terre. Le roi des animaux portait en lui cette noblesse naturelle, ce tempérament de roi instinctif qui faisait l’admiration d’Alazgard. Certes ils ne s’étaient pas vu très souvent mais cela avait suffit à faire qu’ils s’apprécient. Mais aujourd’hui, le roi était bien mal en point et sa démarche pesante et malhabile ne faisait qu’en rajouter à cette situation tragique. Un peu alarmé, le gardien des nuages se leva précipitamment pour accueillir son hôte :
« - Eh bien mon ami, vous voilà en bien triste état. Qu’a-t-il bien pu vous arriver pour que vous vous retrouviez dans une si piteuse apparence ? »
Le lion s’assit pesamment par terre, repris son souffle qui semblait lui échapper à chaque inspiration et d’une voix rauque, commença à parler :
« - Ah Alazgard ! Depuis combien de temps nous connaissons nous maintenant ? Tant et tant d’années que je ne sais même pas si il existe un mot pour nommer tout cela. Il y eut un silence puis il reprit. Je suis le roi des animaux et comme les autres rois, je ne suis que le reflet de mes semblables. Je ne peux continuer d’exister que parce que les miens sont en bonne santé. J’ai besoin de tous les animaux pour continuer ma vie. Mais aujourd’hui, regardez mon état. Il y eut encore un silence, un peu plus pesant que le précédent, puis il continua. Savez vous pourquoi je suis comme ça ?
« - Je sais, je sais, s’emporta à moitié Alazgard mécontent qu’on vienne une nouvelle fois le déranger pour lui dire qu’il ne faisait pas son travail. Et sachez que moi aussi j’ai quelques petits problèmes en ce moment. Mais sachez aussi que je mets tout en œuvre pour tenter de les résoudre et que bientôt, très bientôt même, tout va rentrer dans l’ordre.
« - Mais combien de temps cela va-t-il prendre ?
« - Comment voulez vous que je le sache, explosa Alazgard en se levant d’un bond. Il y eut un long et lourd silence au cour duquel le gardien des nuages tenta de retrouver son calme. Puis il reprit la parole avec une petite voix. Je suis désolé. Pardonnez moi le lion mais je suis un peu surmené en ce moment. »
Le lion le regarda en clignant des yeux et dit :
« - Que se passe t il Alazgard ? Que se passe t il exactement ? »
Le gardien des nuages regarda alors fixement le roi des animaux. Il lu dans son regard une grande détresse et une grande solitude et l’espace d’un instant il voulut tout lui dire, tout lui avouer ; qu’il ne savait pas, qu’il n’arrivait plus à faire de vent, qu’il était perdu et que cela le rendait malheureux. Il voulait lui dire qu’il se sentait dépassé et faible et qu’il n’avait personne avec qui partager cette douleur. Mais face aux conséquences que pouvait entraîner de telles paroles, il préféra se retenir et se contenta de répondre :
« - Rassurez vous, si cela peut vous paraître long, il ne s’agit de rien de grave. J’ai un peu de mal à maîtriser les vents en ce moment. Puis d’une voix douce il rajouta. Mais ne vous inquiétez pas tout est en passe de s’arranger. Vous pouvez retourner parmi les vôtres et vous faire rassurant, je vous en donne ma parole. »
Le lion resta un long moment sans bouger, son regard plongé dans celui d’Alazgard. Puis il se leva, fit quelques pas lourds en direction de la sortie, la tête basse et les épaules chargées. Juste avant de franchir le seuil, il s’adressa une dernière fois à Alazgard :
« - J’espère que vous allez réussir mon ami. Je l’espère du plus profond de mon coeur car autrement je vous le dit sincèrement…nous allons tous mourir. »

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