samedi 6 octobre 2007

Conte : Le gardien des nuages (3)

Le gardien des nuages (3)
Ce soir là en allant se coucher et pour la première fois depuis le début de son existence, Alazgard se sentit seul et isolé. Mais que lui arrivait-il donc ? Tout était la faute de ce maudit oiseau ensorcelé, il en était sûr. C’était lui qui lui avait jeté un sort il ne pouvait en être autrement. Sinon, comment lui, Alazgard le gardien des nuages avait il pu perdre la maîtrise des vents ? C’était impossible. Impossible. Il était trop important, trop essentiel dans la vie de la terre. Un être comme lui ne pouvait connaître l’échec ou la faillite. Seul un malheur provoqué par un autre, un jaloux ou bien un pernicieux, pouvait être venu à bout de sa grandeur. Alzagard sombra dans le sommeil, lesté par ses pensées obscures.
Une nouvelle aube se leva, statique et immobile. Il se réveilla dans la même position dans laquelle il s’était endormi, sur le dos, les bras le long du corps. Il commença à s’activer doucement, se sentant lourd et rigide. Il ouvrit un œil, puis deux, puis son regard se posa sur le paquet informe qu’il avait finit de tisser la veille. Tous ses espoirs reposaient dans ce sac vide aux reflets bleutés. Ce fut d’ailleurs ce même sac qui lui donna sa première pensée positive de la journée. Grâce à lui il allait réussir de nouveau à faire bouger les nuages c’était quasiment certain. Et bientôt, très bientôt, il redeviendrait le maître du ciel. Le pas décidé et le regard ferme, Alazgard se leva et se saisi d’un geste sûr de sa nouvelle invention. Celle-ci allait réussir. Celle-ci devait réussir, il ne pouvait en être autrement.
Pour ne pas mettre tout de suite à rude épreuve son sac, il décida d’y aller progressivement. Il partit à la recherche de cirrostratus. Légers et obéissants, ceux-ci ne posaient jamais le moindre problème l’or de leurs déplacement. Mais en traversant le ciel, il pu constater toute l’étendu des dégâts. Certains nuages avaient tellement grossis à force de rester au dessus de l’océan qu’ils étaient devenus énormes et difformes. Ils n’avaient plus cette puissance fière qu’ils arborent habituellement lorsque, chargés d’eau, ils attendent que les vents les poussent vers la terre pour la nourrir. Non. Là, leur couleur gris plomb les rendait tristes et pesants et l’on sentait rien qu’en les regardants, qu’ils étaient lourds et amers.
D’autres, perdus au dessus d’étendues sèches et désertes, avaient tellement maigris qu’on en venait à se demander ce qu’ils pouvaient bien être à la base. Ils ressemblaient plus à des spectres blêmes errant dans les aires qu’à des nuages traversant le ciel.
Alazgard accéléra, à la fois pour trouver plus vite ceux qu’il voulait déplacer en premier, mais aussi il fallait bien se l’avouer, pour fuir ce spectacle désastreux. Il finit par trouver l’objet de sa recherche au dessus des montagnes du sud. Comme c’était un petit groupe, il n’eut aucun mal à les faire tous rentrer dans le sac. Il passa au dessus d’eux, son sac grand ouvert pendant au dessous de lui. Une fois à l’intérieur, il le referma et d’un coup d’aile décidé, se dirigea vers le nord. Là il rouvrit son sac et un à un, poussa ses passagers légers vers l’extérieur. Tout se passa à merveille, à tel point que d’abord, Alazgard n’y cru pas. Se ne fut que lorsqu’il les vit tous devant lui, dans ce nouvel environnement, qu’il commença à réaliser qu’il avait réussi. Il resta là, à les regarder un petit moment et à savourer ce parfum de début de victoire. Certes déplacer des cirrostratus n’était pas une performance époustouflante en soit, mais après toutes ces semaines d’échec et d’immobilisme, c’était le premier moment de répit dans ce long tunnel sombre qu’il était en train de traverser.
Enthousiasmé par ce signe de bon augure, il se dit en lui-même qu’il pouvait donc maintenant passer aux choses sérieuses. Et des choses sérieuses à faire, il en avait plus d’une. Nettoyer le ciel de fond en comble, arroser la terre là où elle en avait besoin, la faire sécher là où c’était nécessaire, relancer la course des saisons là où trop longtemps, le temps était rester le même, bref, un travail de titan l’attendait. En pensant à tout ça, Alazgard se gonfla d’un nouvel orgueil. Il allait enfin retrouver le rôle primordial qu’était le sien. Et puis après tout, tant pis pour son souffle, il finirant bien par revenir un jour. Tout en pensant à cela, il c’était approché d’un groupe de nimbostratus particulièrement lourds et ventrus, puisqu’ils traînaient au dessus de la mer sans bouger depuis le début des événements. Comme pour les cirrostratus il ouvrit son sac, et tout en passant au dessus d’eux, laissa l’ouverture béante pendre au dessous de lui. Mais contrairement à la fois précédente, dés les premiers rentrés à l’intérieur, le sac s’alourdi considérablement. Etonné mais ne s’arrêtant pas pour autant, Alazgard se demanda ce qui pouvait bien peser ainsi. Un nuage ne pouvait peser un tel poids c’était impossible. Un nuage est fait de vapeur d’eau. Ce n’était quand même pas cette vapeur qui pesait si lourd. Mais plus il remplissait son sac plus celui s’alourdissait.
Il lui était cependant impossible de s’arrêtait là. Si Alazgard arrêtait maintenant de remplir son sac, il faudrait qu’il revienne au moins dix fois à cet endroit pour finir de déplacer tous les nuages qui s’y trouvaient. C’était inenvisageable. Il fallait que son sac tienne pour engranger plus de nuage en lui. Il continua donc de le remplir, les bras de plus en plus tendu par l’effort et par le poids augmentant. Une fois la moitié de la colonie de nuages enfermée, il décida que cela suffisait pour cette fois et qu’il reviendrait chercher les autres plus tard. Dans un effort énorme il referma donc le sac et se mit en devoir de se diriger vers les plaines arides. Elles étaient situées à plusieurs centaines de kilomètres vers le nord et couvrir une telle distance avec un poids si important aller sûrement lui demander plusieurs longues minutes. « Mais vu l’état du ciel et de la terre, se disait il en lui-même, je ne peux pas faire autrement. Il faut que j’agisse et que j’agisse vite… » Mais à peine eut il donné quelques coup d’ailes poussifs pour déplacer lui et son énorme paquetage qu’il commença à sentir celui-ci lui échapper des mains. Emporté vers la terre par le poids, celui-ci lui glissait entre les doigts et il devait s’y agripper avec frénésie pour ne pas le laisser partir. Mais Alazgard s’aperçut aussi bientôt qu’un étrange phénomène était entrain de s’opérer dans ce sac. Il avait l’impression qu’à l’intérieur, quelque chose était entrain de bouger. Or il était pourtant certain de n’y avoir enfermé que des nuages et il était impossible que ceux ci bougent par eux même. Ils avaient besoin du vent, de son souffle, pour cela. Mais au bout de quelques minutes, il dut malgré tout se rendre à l’évidence, quelque chose était entrain de donner des à-coups et même était entrain de se débattre à l’intérieur de ce sac. Il s’arrêta, battant des ailes pour rester sur place. A l’intérieur, les saccades se faisaient plus pressantes et c’est alors qu’il vit les coutures se mettre à se distendre dangereusement. Puis dans un craquement de fin du monde, le sac éclata, libérant dans un désordre chaotique, une horde de nuages gris plomb.
Le ventre d’Alazgard se serra très fort. Dans le sac, il n’y avait rien d’autre que des nuages et Le bruit de la déchirure résonnait à ses oreilles comme le cris de sa défaite et de la rébellion de ces protégés. Tous ses espoirs étaient morts avec l’éclatement de ce sac vide qu’il tenait entre ses mains et qui pendait maintenant mollement sous lui, inerte.
Le visage fermé et le coup d’aile triste, il rentra d’un trait dans sa caverne. D’un geste rageur il jeta le sac dans un coin. Puis d’un revers de main empli d’une colère destructrice, il balaya tout ce qui se trouvait sur sa table de travail ; ses plans, ses outils, ses crayons :
« - Rien, rien, rien. Tout ça ne sert à rien !!! » Hurla t il la voix pleine de rage. Il sentait monter en lui une fureur incontrôlable mais qu’il ne savait pas contre quoi diriger. De désarroi, il cassa sa table à coup de poings. Sa colère se déversa ainsi au hasard pendant plus d’une heure emportant petit à petit tout son mobilier. Puis, à bout de souffle et de nerf, il se recroquevilla contre un mur, les genoux sous le menton et les ailes repliées autour de lui. Le silence tomba, comme une chape de plomb, renforçant encore un peu plus sa sensation d’isolement. Il se laissa envahir par lui, un peu comme si il était entrain de plonger dans les eaux noires et glaciales d’un puits sans fond.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures, après être resté ainsi sans bouger tel une statut de bronze, qu’il remarqua, tapis dans un coin encore plus sombre que le reste, une forme qu’il ne connaissait pas. Intrigué, il tourna légèrement la tête pour pouvoir mieux la voir. La forme semblait se soulever légèrement de temps à autre, comme pour s’emplir d’une respiration calme. Alazgard continua de la regarder sans broncher, laissant le silence s’épaissir un peu plus. Puis la forme se mit à bouger. Elle se dressa d’abord, comme pour se lever, mais elle n’était pas bien haute. Elle se mit à se déplacer en trottinant d’un pas vif allant d’un bout à l’autre de la pièce, semblant inspecter l’ampleur des dégâts. Alazgard ne la quitta pas des yeux dés l’instant où elle c’était mise en mouvement, tentant de comprendre d’abord de quoi il s’agissait et surtout ce qu’elle pouvait bien faire là. Il lui était difficile dans la pénombre de la pièce de discerner exactement les contours et de trouver des indices pouvant le mettre sur la voix mais cette présence ne lui semblait pas hostile. Puis la forme se pencha sur ce qui avait été sa boîte à crayon et qu’il avait, dans son accès de colère, écrasé d’un coup de poing. Les crayons gisaient au milieu des débris de la boîte, le tout étant éparpillée par terre. Un à un, la forme ramassa les instruments. En voyant cela, Alazgard ne pu s’empêcher de dire :
« - Ce n’est pas la peine, ils ne serviront plus maintenant. Vous pouvez les laisser là où ils sont.
La forme s’arrêta net, puis se tourna lentement vers Alazagard, tenant toujours les crayons à la main :
« - Tient tient. Vous avez donc une voix qui vous sert à autre chose qu’à rugir et hurler. »
Alazgard reconnu une instantanément une voix humaine. Tout en prononçant sa phrase, la petite forme se dirigea vers lui, lui permettant maintenant de voir la tête de son interlocuteur. Il s’agissait d’un petit homme chauve, habillé d’une tunique d’une seule pièce d’un mauve délavé et dont la barbe grise coulait jusqu’au bas de son ventre. Il avait un regard perçant qui même à travers ses grosses lunettes laisser transparaître une puissante vivacité d’esprit. Alazgard grommela un vague « Humm » et après une petite seconde de silence reprit :
« - Qu’est ce que vous faite ici. Vous voyez bien que ça n’est pas vraiment le moment. Il se trouve que je suis un peu débordé alors pour les demandes et les réclamations il faudra revenir plus tard. » Le petit homme garda les yeux fixé sur lui et lui dit sur un ton ironique:
« - OHHH pardon ! TU es débordé. TU ne veux voir personne. TU es fâché. En disant cela l’homme lui tourna le dos et entreprit de continuer ses déambulations à travers les décombres de la colère du gardien des nuages. Mais surtout TU ne te demandes pas si d’autres que toi le sont aussi ? il se retourna d’un coup pour lui faire face. Et peut être même qu’ils le sont à cause de toi ? Parce qu’ils doivent subir chaque jour qui passe depuis des mois, le même temps que le veille et que petit à petit, cela les tue. Parce qu’ils t’invoquent, te pries, te supplient de faire quelque chose mais que tu ne les entends pas, trop occupé que tu es à tenter de retrouver TON pouvoir. Car c’est bien ça bien ça ton problème ? Tu as perdu TON pouvoir ? »
Le petit homme ne le quittait pas du regard et restait figé en face de lui sans bouger. Alazgard détourna les yeux l’air agacé.
« - TON pouvoir, reprit l’homme sur le même ton. Mais sais tu seulement à quoi il te sert ce pouvoir ? »
Alzgard ramena son regard sur l’homme et un sourire moqueur s’esquissa au coin de ses lèvres :
« - Es tu en train de plaisanter vieil homme ? Mon pouvoir me sert à déplacer les nuages. Mon pouvoir me donne la maîtrise du ciel et me sert à lui donner la vie. Sans moi, rien ne peut se faire.
« - Moi moi moi moi moi. Sans moi ; mon pouvoir. Tu n’as donc rien compris aussi grand que tu sois et aussi puissant que tu puisses l’être. Toutes ces années passées à accomplir ta tâche ne t’ont ni ouvert les yeux ni enrichit le cœur. Un long silence glacial s’installa puis le petit homme reprit. Non Alazgard, TON pouvoir ne TE sert pas qu’à faire bouger les nuages. TON pouvoir ne TE sert pas qu’à maîtriser le ciel. Non Alazgard.
Le pouvoir qui t’a été donné d’exercer va bien plus loin que le simple contentement de puissance qu’il apporte à ta petite personne. Ce pouvoir sert à la survie de toute la terre. Et que ce soit toi ou un autre qui l’exerce cela n’a aucune importance. Le principal est que les nuages bougent pour que sur la terre, la vie puisse continuer. C’est à cela que sert le pouvoir du gardien des nuages.
« - Croies tu me l’apprendre ?
« - J’en ai bien peur. Depuis que tu as perdu ton souffle, t’es tu seulement rendu une fois sur la terre justement. Cette terre que TON pouvoir est censée abreuver et nourrir. T’y es tu seulement rendu juste une fois, pour te rendre compte de l’étendu des dégâts, pour voir par toi-même, ce qu’il en était vraiment lorsque les vents abandonnaient le ciel ? » Face à cette question, Alzgard se sentit un peu déstabilisé. Effectivement, il fallait bien qu’il se l’avoue, depuis qu’il avait perdu son souffle il ne c’était pas beaucoup préoccupé de ce qui se passait là en bas. Mais bon, il n’y allait déjà pas beaucoup en temps normale alors dans un moment aussi important que celui-là il considérait ça plus comme une perte de temps qu’autre chose. Il tenta donc de balayer la remarque d’une réponse rapide, mais le ton de celle-ci était mal assuré et elle ressemblait plus à une excuse qu’à une réplique :
« - Non. Mais cela n’aurait rien changé.
« - Cela n’aurait sûrement rien changé en effet. Cela ne t’aurais effectivement pas ramené ton souffle. J’en suis quasiment aussi convaincu que toi. Mais cela t’aurai peut être ouvert les yeux sur la réalité de ce qui était entrain de se passer. Et tu aurais peut être fait de meilleurs choix quand à ce que tu aurais du faire.
« - Qu’est ce que vous en savez d’abord ?
« - Ce que j’en sais ? Le vieil homme s’approcha très prés du visage du gardien des nuages. C’est que de voir et de côtoyer la mort, la famine, la détresse, n’est pas du tout la même chose que de l’imaginer bien à l’abri dans sa caverne. » Puis il se détourna et commença à se diriger vers la sortie. Une fois sur le bord de l’endroit où Alazgard prenait son envol habituellement, il mit ses mains dans le dos et continua.
« - Que vois tu d’ici ?
Sans bouger de là où il était, il pouvait répondre au vieil homme. Il connaissait cette vue par cœur, c’était une de ses préférer. Sans vraiment savoir pourquoi, il se mit donc à énumérer tout ce qu’il voyait habituellement lorsqu’il était assis sur ce rebord et qu’il contemplait le monde :
« - De là, je peux voir le début de la grande plaine sur la gauche qui s’étale jusqu’à rencontrer l’horizon. Tout au fond, droit devant vous, les montagnes se découpent dans le ciel en de grands pics sévères. Je m’en sers parfois pour bloquer de gros nuages sans bouger de ce rebord. Et puis il y a aussi la forêt sur la droite qui remonte légèrement sur les contrefort de là où se trouvent ma caverne et disparaît derrière les collines.
« - Moi je ne vois rien sur la gauche parce que les nuages me bouchent la vue, mais je peux dire qu’en dessous, les rivières débordent charriants boues et cadavres. Je le sais parce que c’est de là que je viens. Face à moi je devine des squelettes de montagnes couvert de neiges depuis bien trop longtemps et desquelles toute vie commence à disparaître. Et sur la gauche…le vieil homme s’arrêta comme pour reprendre son souffle mais Alazgard entendit clairement qu’en fait celui-ci tentait d’étouffer un sanglot. Sur la gauche, reprit il d’un ton un peu plus assuré, je vois les débris de ce qui a été ma forêt. Mais il n’en reste quasiment plus rien aujourd’hui tellement le soleil l’a dévoré. » Alazgard fut tellement surpris par cette description qu’il voulut en avoir le cœur net. Doucement il déplia ses ailes, se leva et s’approcha du rebord pour voir le monde. Le choc de la découverte failli l’asseoir. Tout était gris et jaune. On aurait dit que le paysage qu’il voyait autrefois de cet endroit était devenu subitement malade et qu’il était sur le point de mourir.
« - Comment…comment n’ai-je pas pu voir ça ? C’est impossible. Les choses ont changé en quelques heures il ne peut en être autrement…je ne comprend pas. Et tout en disant cela, il jeta un regard éperdu au vieil homme.
« - Non Alazgard, répondit celui-ci. Non les choses n’ont pas changé en quelques heures. Cela fait bien longtemps que les choses ont commencé à changer maintenant, mais toi tu n’as rien vu, aveuglé par ton désir de vouloir à tout prix retrouver ton pouvoir. Tu ne regardais pas là où il fallait regarder. Tu ne m’as même pas vu lorsque tu es rentré tout à l’heure. J’étais là pourtant, assis à la même place et je t’ai vu tout casser chez toi. Je t’ai vu mais toi non. Tu ne m’as même pas effleuré d’un seul regard. Tout n’était que pour ta rage. Comme tout n’a été depuis des semaines, que pour la reconquête de ton pouvoir. »
Alazgard se sentit soudain très mal. Il eut l’impression subite de ne plus pouvoir respirer et fut obliger de s’asseoir. Ses yeux ne pouvaient plus quitter le désastre qui s’étendait à ses pieds. Chaque parcelle de terre lui renvoyait en pleine figure un message de détresse et de désolation.
« - Je…je suis désolé. Je ne m’étais pas rendu compte de la portée de ce qui m’arrivait. Je ne pensais pas que les conséquences en seraient aussi désastreuses. Je suis désolé. Vraiment. »
Le petit homme c’était retourné pour le regarder et le fixait intensément.
« - ça n’est pas suffisant. Il faut que tu voies. Après seulement, nous verrons si tu es vraiment désolé ou non. »
Alazgard mit le vieil homme sur ses épaules et prit son envol pour partir voir le monde. La visite dura plusieurs jours. Plusieurs jours au court desquels ils croisèrent la ruine et la mort. Plusieurs jours au court desquelles Alazgard sentit croître en lui un sentiment de malaise de plus en plus profond. Etait il possible que se soit lui qui soit responsable de toutes ces horreurs ? Puis, le matin du troisième jour alors qu’ils étaient en train de survoler ce qui autrefois était une plaine et qui n’était plus maintenant qu’un marais putride, le vieil homme dit au gardien des nuages :
« - Tu voies cette petite chaumière à l’orée de la forêt ? Très bien, va te poser à côté s’il te plait. »
Alazgard s’exécuta et quelques secondes plus tard, ils étaient tous les deux dans la petite clairière juste devant la chaumière. Le toit était en piteux état, battu qu’il était depuis trop de temps par les pluies. Le vieil homme regarda un long moment la porte d’entrée. On aurait dit soudain qu’il hésitait, qu’il voulait faire quelque chose, mais qu’il ne pouvait pas. Alazgard lui posa une main sur l’épaule et lui demanda tout doucement :
« - Je…je peux faire quelque chose ? »
Le vieil homme le regarda longuement. Puis il prit une grande inspiration, et lui dit :
« - Il faut que tu rentres dans cette maison. Je ne peux rien te dire avant. Quand tu ressortiras, je t’expliquerai. Va maintenant. »
Alazgard s’exécuta sans le contre dire. Il s’approcha, prit dans sa grosse main la petite poignée jaune, la tourna d’un coup sec et dans un grincement de gonds mal huilés, franchit le seuil. Il avança. Dans un claquement, la porte se referma derrière lui. Alazgard, surpris par le bruit, se retourna d’un bloc mais à sa grande surprise, la porte avait disparut. Il se trouvait maintenant dans un jardin. Il faisait beau et chaud et le bruit d’un petit ruisseau coulant juste à côté parvenait comme un chant jusqu’à ses oreilles.
« - Ohé ! Ohé ! » Il tenta d’appeler ainsi plusieurs fois, mais personne ne répondit. Il commença donc à déambuler dans le jardin, faisant le tour des arbres fruitiers, sentant les fleurs ne sachant trop où aller et encore moins quoi faire.
« - Ainsi donc voici que je rencontre enfin le grand Alazgard ! » La voix avait surgit de derrière son épaule. Il se retourna d’un coup. Il vit alors devant lui, une créature aux formes longilignes extrêmement gracieuse et souple. Sa peau était verte claire et elle était habillée d’une tenue bouffante blanches terminée par des liserais bleus aux poignées et aux chevilles. Une ceinture, bleue elle aussi, ceignait ses hanches. Ses deux grands yeux jaunes le regardaient avec intérêt.
« - Effectivement. Et moi, à qui ais je l’honneur ?
« - Peu importe mon nom, vous n’avez jamais entendu parlé de moi. » La créature ramena sa main sous son menton et reprit :
« - En revanche, je sais que je peux vous être d’une très grande aide. En quoi ? »
Alazgard ne s’attendait pas du tout à ça et encore moins à cette question. En quoi pouvait bien lui être utile cette étrange créature ? Le silence s’installa, mais la créature ne le quittait pas des yeux et ne semblait absolument pas vouloir reprendre la parole. Le temps passa sans que le gardien des nuages ne puisse dire si il s’agissait d’un long moment ou non. Dans sa tête, les questions se bousculaient entraînant les contradictions et les demandes. Il revoyait sa vie, il revoyait son voyage sur la terre dévastée. Tant et tant de choses lui traversèrent l’esprit qu’à plusieurs moment il eut l’impression d’être perdu, de ne plus savoir si il était dans un rêve ou bien dans la réalité. Puis, soudain, il finit par dire :
« - Peut être…peut être avez-vous une solution pour remettre les nuages en route ?
« - Certainement, et instantanément, une petite graine bleue apparue dans les mains d’Alazgard. Mais se sera à vous de faire le dernier choix d’utiliser ou non cette solution. Maintenant pour toutes les questions que vous vous posez à propos de moi, de cet endroit et de cette graine, vous demanderez tout cela à Félucius qui se fera, j’en suis sûr, un plaisir de vous répondre. Vous lui passerez d’ailleurs le bonjour amical de ma part. Pour sortir, la porte se trouve derrière vous. » Le temps qu’Alazgard tourne la tête pour voir la porte, la créature avait disparut. Un peu intrigué, il se dirigea donc vers la sortie, serrant dans sa main, l’étrange présent de la non moins étrange créature.
A l’extérieur le temps était exécrable. Il faisait gris sombre et les rafales de pluies et de vents fouettaient un paysage morose. Alazgard s’abrita le visage pour tenter d’apercevoir Félucius, mais il ne vit personne. Il appela :
« - Félucius ! Félucius !
« - Ah te voilà enfin. Tu as donc réussi. Cela fait plus de trois jours que je t’attends. Vient, vient t’abriter avec moi. J’ai aménagé un petit coin dans la grange ou nous serons à l’aise pour discuter. »
Protégeant de ses grandes ailes le petit homme, ils coururent tous les deux jusqu’à la grange située derrière la chaumière. Là, assis dans les bottes de foin, Alazgard ne pu s’empêcher de prendre la parole le premier :
« - Lorsque vous avez dit tout à l’heure que vous m’attendiez depuis trois jours, c’était une expression. Vous ne m’avez pas réellement attendu trois jours. Parce que moi je suis sûr de ne pas être resté autant de temps dans le jardin.
« - Si. Tu es resté trois jours, je te le confirme. C’est la première fois que je vois quelqu’un resté aussi longtemps soit dit en passant.
« - Mais…qu’est ce que c’est que cet endroit exactement ?
« - Ah ! C’est une excellente question. C’est la maison de Goéléne Sétéque. Cela fait longtemps qu’il c’est retiré du monde…enfin du monde, disons de l’environnement dans lequel nous vivons nous. Et il c’est construit derrière les murs de cette chaumière, un monde qui lui appartient à lui, entièrement. C’est un magicien très puissant. Tout le temps que tu es resté qui t’as paru si court, il a en fait exploré ton esprit pour voir si tu allais être sincère ou non lorsque tu lui demanderais de l’aider. Si tu lui avais juste demandé de te rendre ton pouvoir, il n’aurait rien fait. Mais là, apparemment, tu as du lui demander la bonne chose. Car il t’as donné une graine n’est ce pas ? Puis je la voir ? »
Alazgard tendit la main. Au creux de celle-ci, reposait la petite graine bleue.
« - Fantastique, reprit Félucius. Une graine de Séléphyre. Il a donc réussi à créer une graine de Séléphyre.
« - Qu’est ce que c’est ? Demanda Alazgard.
« - C’est une graine très particulière. Il fixa le gardien des nuages dans les yeux et lui dit, car le plus dur reste à venir pour toi. Cette graine en soit ne sert à rien. Elle ne sert qu’à libérer le vœu le plus profond de celui qui la possède. Elle doit donc être avalé par celui qui la détient. Pour toi, une fois cette opération réalisée, il va s’agir de rendre aux nuages leur course en libérant les vents que tu renfermes. Le vieil homme quitta Alazgard des yeux et continua. Mais ceci à un prix. En avalant cette graine et en libérant son vœu, celui qui fait ça disparaît à tout jamais. »
Alazgard accueillit la nouvelle sans sourciller. Ainsi c’était donc ça le choix dont lui avait parlé Goéléne Sétéque en lui remettant la graine. Disparaître à tout jamais, pour que la vie reprenne son cours normale. S’effacer, lui qui se croyait si important, pour que tout redevienne comme avant.
« - J’ai besoin d’être seul » finit il par dire. Le vieil se leva doucement. Ils se regardèrent longuement. Beaucoup de choses s’échangèrent dans ce regard et ils n’eurent pas besoin de se dire au revoir. Félucius quitta la grange sous un crachin triste. Il semblait pleuvoir du gris.
Mais quelques heures plus tard, alors qu’il arrivait au col des deux loups, celui la même qui devait ensuite le conduire jusqu’à la dernière ligne droite pour rentrer chez lui, un vent chaud et puissant se leva semblant l’inciter à accélérer joyeusement la pas. Félucius leva la tête. Dans le ciel, les nuages courraient de nouveaux. Il sourit. Alazagard le gardien des nuages avait vécu, désormais, les vents étaient libres.

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