lundi 1 octobre 2007

Conte : Le gardien des nuages (1)

Le gardien des nuages



Ce matin là, Alazgard sortie de sa caverne pour voir où en était les nuages. Tout en étirant ses grandes et puissantes ailes, il mit sa main en visière et commença sa tournée d’inspection. A première vue, tout avait l’air d’être en ordre. Les cumulonimbus qu’il avait poussé la veille à l’autre bout de la terre pour arroser les grandes plaines étaient, malgré leur caractère indiscipliné, toujours en place. Un ou deux cumulus traînaient paresseusement leur grosse masse épaisse au dessus du désert de glace, tandis qu’accroché à la montagne, un troupeau d’altocumulus, formait un océan blanc et cotonneux duquel semblait émerger comme de petits îlots abruptes et pointus, le sommet des pics les plus escarpés.
C’était d’ailleurs sur l’un d’eux, qu’Alazagrd avait élu domicile. L’endroit était parfait pour son travail de gardien des nuages. Il lui offrait un point de vue imprenable sur le monde entier et il était ainsi certain de ne jamais oublier quoi que ce soit. Car gardien de nuage n’était pas une tâche facile. De lui dépendait toutes les cultures des hommes et toute la nourriture des animaux et si par malheur il oubliait d’arroser un coin du monde, alors celui-ci pouvait connaître des famines et des jours de désolations terribles. Mais Alazgard était quelqu’un de méticuleux, qui mettait un point d’honneur à ce que son travail soit bien fait.
Ce matin là, après avoir respiré un long moment l’air frais et vivifiant de l’altitude, il décida de partir rassembler les stratocumulus qui s’en étaient allé se disperser de part le monde. Il prit son envol d’un bond puissant puis se laissa tomber comme une pierre. Il accéléra et accéléra encore, le vent le fouettant son visage de plus en plus en fort. Puis d’un seul coup il rouvrit ses grandes ailes et repartit vers les hauteurs en une longue et immense courbe. Une fois revenu à une altitude raisonnable, il prit son rythme de croisière et se mit en quête des nuages qu’il désirait rassembler. Il finit par en repérer tout un groupe du côté de l’océan. Il se mit à tourner autour afin de bien cerner tout l’espace qu’il avait à gérer. Puis, une fois qu’il eut en tête tout ce qu’il avait à faire, il reprit sa danse mais cette fois, il le fit tout en soufflant. Son souffle était un élément primordial, aussi bien de sa personnalité que de son travail. Car tout le secret de son travail réussi résidait dans ce souffle et dans la maîtrise de celui-ci. Chaque nuage, chaque courbe, chaque angle, nécessitait un souffle particulier. Pas question de faire n’importe quoi et de se mettre à souffler à tord et à travers dans le tas. Non. Faire bouger les nuages était une science qui mélangeait à la fois la force et la douceur, la vitesse et la lenteur, la puissance et la délicatesse. Et Alazgard maîtrisait tout cela avec une dextérité sans précédant. Il en tirait une satisfaction avérée et certains, parmi ceux qui le avaient pu le côtoyer, disaient même de lui qu’il en devenait par moment vaniteux.
Mais après tout, que pouvait bien lui importer ces racontars. Son rôle dans le monde était central et il s’acquittait à la perfection de cette tâche. Tout le reste, n’était que des dires liés à la jalousie, pensait-il.
Une fois donc les stratocumulus rassemblés, il décida d’aller survoler un peu la partie ouest du monde. Ce monde dont il était l’un des garants, il ne l’avait d’ailleurs jamais vu que d’en haut. Certes il était bien descendu plusieurs fois au cours de sa vie sur la terre, mais c’était pour des réunions importantes avec des rois et des dieux. Il n’avait donc jamais connu la terre que vu du ciel, projetant les ombres massives de ses protégés sur des régions entières afin de les rafraîchir, dégageant d’autres pour que les rayons des soleils nourrissent la végétation. Tout n’était pas toujours très simples et à certaines saisons il était même parfois un peu débordé, mais dans l’ensemble, les grands mouvements s’opéraient correctement, grâce à ce souffle dont l’avait gâté la nature.
Une fois les stratocumulus déplacés de l’océan vers les territoires du nord, Alazgard laissa son instinct le guider. Arrivé dans la région de l’ouest, il constata que celle-ci commençait à avoir sérieusement besoin d’eau. Il entreprit donc d’aller chercher des nuages plus au sud afin de les faire remonter.
« - D’autant qu’ils viennent de passer plus de trois mois au dessus de la mer et qu’ils doivent donc être maintenant bien chargé de pluie. » se dit il en lui-même. La journée passa donc ainsi, à bouger les nuages d’un bout à l’autre du monde, soufflant pour les déplacer, soufflant pour les arrêter, couvrant grâce à ses ailes des distances incroyables tout en gardant sur la terre, un œil bien veillant.
Parfois le soir venu, lorsqu’il avait eu une rude et longue journée comme celle d’aujourd’hui par exemple, il aimait à s’asseoir en tailleur sur sa terrasse qui dominait le globe et là, juste pour le plaisir, il jouait avec son souffle. Il se mettait dans une direction et lâchait du bout de ses lèvres, de petites brises innocentes. Elles coulaient alors le long de la montagne, déroulant sur le monde, un tapis de fraîcheur. Il faisait cela juste pour le plaisir de sentir jaillir le vent en lui. Il aimait la sensation de légèreté que celui-ci lui procurait dans la gorge. Tout comme il aimait parfois faire fuser des rafales puissantes et sentir le courant fort monter du fond de ses entrailles avant d’exploser dans sa bouche et bondir par ses lèvres. Mais il est vrai que la petite brise du soir, celle qui calme et qui apaise, celle qui pose et qui rafraîchît, avait souvent sa préférence en fin de journée.
Ainsi passait donc la vie d’Alazgard le gardien des nuages. Et ainsi devait elle se passer, pensait il, jusqu’à ce qu’il disparaisse. Mais la vie parfois nous joue des tours, et même les êtres les plus exceptionnels comme pouvait l’être Alazgard, peuvent en être victime.

Un matin donc, alors que le ciel était d’un calme splendide et qu’il volait en direction du nord afin de ranger quelques stratus posés paresseusement là depuis trop longtemps, passa prés de lui un petit oiseau rouge et jaune qui battait des ailes avec force et vigueur. Le gardien des nuages fut un peu surpris de voir un si petit volatile en cet endroit et il feignit donc de l’ignorer.
« - Mais enfin que peut bien fabriquer un si petit individu par ici ? pensa t il en lui-même. Ici c’est le royaume des vents et des nuages. Tout au plus des aigles et des condors, mais lui, qui est il ? Un petit oiseau de rien qui vit habituellement dans les branches des arbres et sous les toits des maisons. Heureusement qu’il n’y en pas tous les jours des comme lui par ici parce que sinon… enfin bon. » Mais le petit oiseau, loin d’être impressionné, commença promptement à lui parler :
« - Bonjour monsieur le gardien, comment allez-vous ? »
Alazgard le regarda du coin de l’œil et la mine fermée lui répondit :
« - Bien bien. Je vais bien merci.
« - ça alors ; si on m’avait dit qu’un jour il me serait donné de voir Alazgard le gardien des nuages, jamais je ne l’aurai cru.
« - Et bien tu vois maintenant c’est fait…mais je suis désolé, j’ai du travail et il faut que j’y aille. »
Le petit oiseau se mit à redoubler de vigueur dans ses battements d’ailes et piailla :
« - Non non attendez, s’il vous plait, juste un instant. » Un peu agacé Alazgard s’arrêta et le regarda d’un œil noir :
« - Je voulais juste vous demander…pourriez vous souffler pour moi, me faire monter encore plus haut. Mes ailes ne me portent plus et pour un petit oiseau comme moi, ça n’est pas facile d’en arriver là où j’en suis désormais. J’aimerais juste aller un tout peu plus haut et pour vous, cela ne vous coûte rien, à peine un petit souffle. S’il vous plait Alazgard, aidez moi à accomplir mon rêve ! »
Alazgard n’en cru pas ses oreilles. Comment ?! Un petit oiseau de rien du tout, qui n’avait rien à faire si haut, osait lui demander à lui, le grand Alzgard, de le porter aux nus. A la limite de la moquerie, il lui répondit d’un air dédaigneux :
« - Veux-tu rire petit oiseau ? Seul l’aigle ou le condor peuvent bénéficier de mon souffle et encore, seul les plus prestigieux d’entre eux. Crois-tu que je sois un ascenseur à oiseaux ? Je suis Alazgard petit passereau et tu n’as rien à me demander.» Et d’un battement d’aile méprisant, il s’envola vers les hauteurs, reprenant son travail comme si de rien n’était.
Quelques instants plus tard, il trouva sur sa route, cachés derrière une montagne immense, une bande de nuages d’orages qui faisaient des ravages. Mais il eut tôt fait de les balayer à coup de bourrasques puissantes. Certes cela ne se fit pas sans quelques réticences et éclairs perfidement lancés dans sa direction mais il finit quand même par en venir à bout. Les nuages qui abritaient les orages étaient les plus rebelles de tous. Ils détestaient qu’on les bougent et plus on leur soufflait dessus plus ils se cabraient et résistaient. Et si par malheur on s’emportait et que l’on se mettait à souffler trop fort pour tenter de les maîtriser, alors ils prenaient un malin plaisir à se transformer en tempête et pouvaient devenir parfois totalement incontrôlables. Il n’y avait plus qu’à attendre qu’ils se calment et cela pouvait prendre parfois des jours et des jours. Autant dire qu’il valait mieux manier ces nuages là avec des pincettes. Mais Alazgard savait tout cela et ne se faisait plus que rarement prendre dans le piége de la tempête.
Une fois donc les orages rassemblés et répandus là où ils devaient l’être, Alzgard fit un grand tour dans le ciel afin de jeter un œil à l’ensemble de son cheptel. Il se laissa flotter dans les airs, regardant le soleil teinter les nuages de pourpres et de roses. Il avait parfois l’impression que ces formes éléphantesques et vaporeuses allaient soudain s’animer, prendre leur propre chemin dans le ciel et se mettre à bouger toute seul. Elles semblaient si pleines, si vivantes avec leurs formes rondes qui changeaient le temps d’un battement de cil. Mais non. Sans lui, les nuages n’étaient plus que des tas de gouttelettes sans vie, incapable de se mouvoir et de porter la pluie, l’ombre ou la neige à travers le monde. Sans lui le ciel ne serait plus qu’une peinture statique. Grâce à lui la terre et ses habitants pouvaient voir chaque jour, chaque heure, comme un moment différent, comme un moment unique, si peu qu’ils prennent une seconde pour regarder en l’air.
Tout dépendait donc de lui et Alazgard en était fier…Et c’est tout gonflé par cette pensée qu’il rentra ce soir là jusqu’au sommet de la montagne. Mais au moment où il replia ses grandes ailes pour rentrer dans sa caverne, il sentit soudain monter en lui une grande amertume. Le contraste avec la fierté qu’il avait éprouvé quelques instants auparavant fut si saisissant qu’il lui en donna presque un vertige. Il se reprit en s’appuyant sur un bord de la paroi et tout en se tenant la tête, il se dit en lui-même :
« - Eh bien mon ami. Ce combat contre les orages t’as peut être fatigué un peu plus que de coutume. » Ce soir là, il se coucha sans manger et dans un dernier souffle, il éteignit sa bougie, ferma les yeux et s’endormie comme une pierre.

Aucun commentaire: