mercredi 16 juillet 2008

Moment

La gueule

Ce n’était pas la vieillesse qui lui avait creusé ces rides, c’était la violence de sa vie qui lui avait froissée la gueule. Ses excès l’avaient marqué comme autrefois le bétail gardait à vie la trace du fer brûlant sur ses flancs. Elle, c’était sur la gueule que le fer c’était posé, brutalement. Parce que même si son corps était estampillé de tatouages bleus suintants et tremblotants, que ses seins faussement gonflés coulaient le long de sa poitrine et que dans le replis de sa hanche on pouvait clairement distinguer une longue cicatrice douloureuse, c’était sur son visage qu’on pouvait le mieux lire et le mieux comprendre ce que fut son existence explosive et ravageuse.
Aucune tristesse pourtant. On n’avait pas envi en la regardant de se couler dans une empathie mièvre ou de la plaindre de toutes les difficultés qu’une femme comme elle avait peut être du supporter pour être dans cet état à son âge. Elle n’en laissait pas la possibilité parce que rien, ni dans son regard ni dans sa présence, n’ouvrait la porte aux bons sentiments. Elle portait son passé comme le reste, avec superbe. Et si son sourire un peu cassé sentait la souffrance, il n’en n’était pas moins franc et intense. Nue, les courbes de son corps en errance s’étalaient dans le lit large. Mais au milieu de ce chaos de draps et de démence, c’était son regard qui captait toute l’attention, qui offrait sans arrière pensée toute la vie qui lui restait. Un regard plein de provocation et de puissance, d’un bleu dense et sans nuances.
C’était en substance ce qu’il se disait cette après midi là, en regardant cette photo dans cette expo. Une fois sortie de ce lieu où les clichés étaient affichés sagement dans l’espace et dans le temps, il marcha un long moment avec ce regard gravé dans la mémoire. Ce regard au milieu de cette gueule, cette gueule posé sur ce corps, ce corps échoué dans cette chambre.
Les photos possèdent parfois ce don de vous gifler silencieusement. Elles vous explose en pleine intimité, vous touche au plus profond, sans bruit et sans gesticulation. Aucune ne lui avait fait cet effet là auparavant. Il en avait vu beaucoup pourtant. Par intérêt, par hasard ou tout simplement parce que les photos chocs, ça n’est pas ce qui manque. Mais aucune ne l’avait jamais heurté de la sorte.
La jonction de ce désespoir assumé et de cette volonté de vivre malgré tout avait fait éclater le cadre et l’avait saisi jusque dans sa désinvolture d’enfant gâté. L’art parfois, pouvait donc exister, même pour lui.

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