vendredi 15 février 2008

Conte

Hélios et Luna (2)
Il y eut d’abord ceux qui tombèrent sous le charme, comme hypnotisés par le petit être. Sa fragilité, ses sourires francs, ses mimiques sincères et son regard claire, eurent tôt fait de les conquérir. Ils y voyaient là non seulement un enfant-dieu, mais aussi et surtout, un dieu en devenir. Et quelque au fond d’eux, changeait à cette évocation. Ce petit dieu allait grandir, se développer et très certainement amener avec lui quelque chose de nouveau. La vie et son arrivée, allait irrémédiablement changer les choses.
Mais il y avait aussi un autre camp. Un camps beaucoup, beaucoup plus nombreux celui là. Un camp qui n’entendait pas du tout de cette oreille, la façon dont était en train de se dérouler les choses. Pour eux, la règle, la seule et unique règle qui prévalait dans le monde des dieux, le seul interdit qui leur était imposé, avait été transgressé. Et pour cette raison unique il était inutile de chercher à savoir quoi que ce soit de plus. Ils hurlèrent au crime et firent immédiatement appelle au conseil des dieux pour juger cette inadmissible affaire qui risquait à coup sûr, de remettre en cause tout l’équilibre de leur monde si parfait. Et ce fut eux qui finirent par avoir gain de cause.
Se tint donc le conseil des dieux, rigide et solennel. Hélios et Luna se présentèrent, main dans la main à l’entrée du bâtiment, la petite Tierra blottie dans les bras de son père. Luna, d’une blancheur de lait, ne voulait pas qu’on les sépare. Elle était prête à tout pour qu’ils restent ensemble. Hélios, le regard dure et le souffle court, tentait de garder son calme. Son tempérament de feu avait tendance à lui faire monter à la tête des accès de violence. Mais il savait qu’aujourd’hui, face au conseil, ce genre de comportement serait suicidaire. Il fallait qu’il se contrôle. Pourtant il avait tellement envi de hurler. De hurler à la face de tous ces dieux qui se disaient si sages, qu’ils n’avaient rien fait de mal. Qu’au contraire si aujourd’hui Tierra était là, c’était bien la preuve que leur amour avec Luna était réel et qu’ils ne pouvaient pas être sanctionnés pour ça ; c’était impossible. Ils ne parlèrent pas beaucoup en attendant que le conseil ne débute. Hélios fit tout pour se montrer rassurant et Luna fit tout pour se montrer confiante. Mais l’un et l’autre sentaient bien qu’au fond d’eux, une peur sourde commençait à poindre. Ils attendirent. Enfin, le messager des dieux vint les chercher. La décision du conseil, allait leur être rendu et ils devraient s’y conformer.
Et voilà ce qui fut décidé. Comme ils avaient engendré un être nouveau alors que c’était strictement interdit, ils seraient tous les trois bannis du monde des dieux. Pour cela, on allait les jeter à tout jamais dans l’immensité noire. Cette immensité était un endroit situé aux confins du monde des dieux. Il y avait un trou qui permettait de l’atteindre et là, il n’y avait plus rien. Jamais personne n’avait été condamné de la sorte, mais ni Hélios ni Luna ne laissèrent échapper la moindre émotion face aux autres. Ils attendaient de savoir si oui ou non, ils pouvaient rester ensemble car c’était à leurs yeux ce qui comptait le plus. Cette dernière faveur leur fut accordée à une seule condition ; qu’Hélios et Luna ne se revoient plus jamais. Une fois plongé dans l’immensité noire, il fut décidé qu’ils devraient tourner autour de la petite Tierra de façon à la protéger et à s’occuper d’elle, mais qu’ils ne devraient jamais se revoir et garder toujours entre eux leur enfant. Tel était le prix à payer pour leur faute.
Ils furent donc conduits tous les trois au bord du trou. Une fois là, Hélios embrassa Luna puis il prit sa femme et sa fille dans les bras et tout en les serrant contre lui, sauta dans le vide. Ils ne tombèrent pas à proprement parler. Mais disons qu’ils se mirent à flotter dans le vide, entouré par le noir. Lorsque Hélios rouvrit les yeux, il put voir devant lui Tierra. Elle avait le visage tourné dans sa direction et lui souriait. Et il devina que quelque part derrière, Luna attendait. Son coeur se serra, mais en voyant le sourire radieux de sa fille, il se reprit.
Au début, ils se mirent donc en devoir d’appliquer ce qui avait été décidé par le conseil. Que pouvaient-ils faire d’autre de toute façon ? Pendant la moitié de la journée, Hélios s’occupait de Tierra. Il la réchauffait de son ardeur rayonnante, la faisant tourner dans l’espace pour pouvoir l’admirer et la voir sous tous les angles. Et il la trouvait belle. Terriblement belle. Cette petite bulle rayonnante sur ce fond noir immense, lui rappelait la couleur des yeux de sa mère. Sa mère… Hélios ne cessait d’y penser. Certes il pouvait voir Tierra, s’occuper d’elle, la voir grandir, la faire rire. Mais Luna ? Que devenait elle ? Elle si belle avec sa peau laiteuse et tendre. Elle si forte qui avait accepté la sentence sans verser une larme. Parfois il pensait si fort à elle qu’il ne contrôlait plus son ardeur et que la petite Tierra se mettait à pleurer sous l’effet de la chaleur propagée par son père. Immédiatement Hélios revenait à la réalité, relançant la course fluide et rassurante de la petite, mais un goût amer lui restait dans la bouche.
Luna. Dire qu’ils ne pouvaient même plus se croiser. Tout juste se devinaient ils. Car lorsque la petite commençait à fatiguer, lorsque les prémices du sommeil se faisait sentir, Hélios se retirait pour laisser la place à sa femme qui veillait sur le sommeil de leur fille. Luna elle aussi était fière d’elle. Elle lui chantait des berceuses pour l’endormir, elle lui soufflait des rêves et tenait éloigné les cauchemars. Mais Hélios ? Que pouvait devenir Hélios ? L’or de ses longues nuit de veille, il lui arrivait parfois de tellement penser à lui, qu’elle en oubliait presque Tierra. Un jour, elle la rattrapa alors qu’elle n’était déjà plus qu’un tout petit point minuscule perdu dans l’immensité du noir.
Le temps passa ainsi. La petite grandit, se fortifia, mais ses deux parents même si ils faisaient de leur mieux pour s’occuper d’elle, avaient de plus en plus de mal à cacher leur tristesse. Ils restaient absents pendant de longues journées, cachés derrière un rideau de nuages épais pour ne pas que Tierra voit leur chagrin.

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