jeudi 29 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Crépuscule

En se couchant derrière la colline, le soleil semblait provoquer un incendie silencieux. Tout le monde savait que c’était la fin, que la nuit allait gagner et que les dégradés de rose, de pourpre et de rouge allaient bientôt être étouffés par le noir constellé d’étoiles lointaines. Le spectacle du passage du jour à la nuit n’amenait néanmoins dans son sillage, ni sentiment de victoire, ni sentiment de défaite. Juste une profonde sensation d’abandon délicieusement palpable. Le train démarra.
Petit à petit dans le creux des vallons, les lumières des maisons commençaient à percer des trous de chaleurs dans l’encre dense qui les englobait. On aurait une mer qui montait. Une mer noire, calme, implacable. Au loin, les derniers rayons s’escrimaient à illuminer une partie du ciel. Celle située juste au dessus de l’horizon. Pressé de sortir, le baroude d’honneur du soleil prenait une dernière ampleur, se teintant de sombre sans même qu’il ne s’en rende compte.
Perdu dans mes pensées je contemplais ce combat de titans, bercé par le rythme doux du train. Des pensées aux rêves, je franchis la frontière sans même m’en apercevoir. Je m’imaginais finir comme Bergman. Seul. Isolé sur une île. Ecoutant de la musique en regardant la mer, ne composant plus que des histoires pour moi même, heureux de m’en nourrir avant de m’en aller mourir.
Parce que j’aimerai mourir comme ça. Comme la nuit remplace le jour. Doucement. Avec certitude et délicatesse. Tout en lenteur et en nécessité. Je me laisserai filer en finesse, jusqu’à l’irrémédiable.
Dehors il faisait maintenant complètement nuit. Une mince bande vermeille sombre rougeoyait encore juste au dessus de la mer. Mais elle était loin, loin. Le combat était perdu. La force n’y était plus. La nuit avait vaincu.
C’est à ce moment là que je me mis à repenser à cette femme avec qui je travaillais plusieurs années auparavant. C’était une femme simple, joyeuse. Une femme qui voyait son travail comme l’aboutissement d’un quotidien qui de toute façon lui aurait échappé s’il n’avait pas été là. Elle accomplissait donc sa tâche comme tous le monde, comme depuis toujours et comme d’autres le feraient après elle. Et puis elle eut un infarctus. A cet âge où l’on ne pense pas encore à la retraite mais où l’on commence malgré tout à prendre ses dispositions. Elle a eu un infarctus comme un pays subit un tremblement de terre. Violent, dévastateur. Ne laissant derrière lui que le spectacle de ce que l’on a pu subir ou l’espoir de se reconstruire. Mais pas les deux. Elle, avait survécu mais n’avait plus su voir désormais, que la mort à venir. Elle l’avait frôlé de si prés que ce n’était plus la vie qui était resté accrochée à elle qui la portait, mais le pan de ce qui avait été emporté qui la lestait. Cet infarctus l’avait ébranlé d’une telle force qu’elle n’était plus qu’un champ de ruine et que l’idée même de se reconstruire était morte avec son accident.
Je l’avais croisé quelques années plus tard totalement par hasard, dans les allées d’un parc. Physiquement, elle n’avait gardé aucune séquelle. Peut être avait elle un peu vieilli. Mais elle, sa personne dans son ensemble, portait dans sa chair les stigmates de la dévastation passée. Son phrasé avait changé. Il était devenu laborieux, distant, indifférent et sans reliefs. Ses épaules c’étaient affaissées. Son sourire n’était plus qu’un rictus douloureux parce qu’il ne voulait plus être heureux. Elle souriait parce qu’il fallait bien, par politesse, mais pas parce qu’elle le voulait. Et ce qui incarnait le plus son renoncement était son regard. Il était absent son regard, comme si elle était déjà un peu parti et qu’elle ne pouvait plus voir le monde réel qui l’entourait.
Dehors il faisait nuit maintenant. Complètement nuit. Les réverbères et les fenêtres formaient des tapis de lumières mais le soleil avait disparu. Totalement.

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