samedi 31 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Lâcheté

C’est par mille petits gestes qu’il tua leur couple. Il n’était pas un grand coupeur de tête, un type à esclandre qui quitte sa compagne en cassant la vaisselle, jetant à la figure de l’autre toute sa haine et toute son impuissance. Non. Lui était un besogneux un peu lâche, un peu faible qui, n’osant clamer la vérité pour achever leur histoire, avait préféré emprunter les chemins sales et sinueux du louvoiement, de l’étranglement méticuleux. Sans brusqueries mais surtout sans bruits, la privant d’air sans en avoir l’air, étouffants ses espoirs en masse sous l’édredon doux d’occupations aussi divers qu’inexistantes, il espérait arriver sans forcer à ses fins.
C’était donc sciemment qu’il avait laissé s’installer un terrain neutre entre lui et sa femme. De sorte que se côtoyer était devenue pour eux une habitude ; que cette habitude s’était muée subrepticement en un monceau d’indifférence et que cette indifférence avait asphyxié la moindre initiative, reléguant ce qu’était leur couple à un souvenir lointain et poussiéreux. Leurs existences n’étaient plus que deux parallèles suffisamment proches pour faire croire qu’elles pouvaient encore échanger quelque chose mais si hermétiquement séparées que rien jamais, ne les amèneraient de nouveaux à se croiser. Il avait dilué avec tellement d’application sa fuite, il avait tant camouflé les traces de sa veule échappée dans la continuité des jours gris de son existence terne qu’il était certain qu’elle avait pratiquement perdu sa trace.
Enserrant avec application dans les filets de son indolence apathique cette vie de couple dont il ne voulait plus, posant mille et une petites contraintes comme autant de pièges subtils, laissant filer par abandons successifs mais répétitifs, sa femme ou du moins ce qu’elle représentait encore pour lui, il savait qu’à ce rythme le poison de l’ennui et de l’indifférence allaient tôt ou tard lui faire gagner la partie. Tout n’était qu’une question de temps.
Ce n’était pas qu’il ne l’aimait plus sa femme. C’était surtout qu’il n’avait jamais compris pourquoi ils avaient fait un bout de chemin ensemble. Leur excitation sexuelle des premières semaines avait très rapidement laissé place à un quotidien morne et sans allant. Il avait bien cherché à la quitter à l’époque mais elle était tombée enceinte alors comme il n’était pas non plus un salop total, il était resté. Le gamin l’avait occupé un temps, elle qui ne travaillait pas. Mais le gosse avait grandi et puis bien sûr, il était parti.
Comme il fallait bien qu’elle s’occupe de quelqu’un, elle était revenu vers lui. Pas avec amour, mais avec attention. Il avait beau rentrer tard, partir loin à des réunions et des séminaires pendant des semaines entières, à chaque fois qu’il revenait, elle était toujours là. C’était à croire qu’elle ne se lassait pas. Pourtant il faisait tout pour ne rien arranger. Mais il ne savait pas être violent. Il ne savait pas rendre les gens tristes. Alors il faisait tout pour se faire oublier, espérant secrètement qu’elle prenne bientôt la bonne décision, le laissant enfin seul. Seul, comme il était déjà depuis bien longtemps.

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