jeudi 22 octobre 2009

J'irai mourrir au Kalahari

Le soir au concert

Ils avaient du feu dans les doigts, les musiciens. Ils en avaient tellement que la première fois que j’ai ouvert la bouche après le concert, j’ai parlé des magiciens et pas des musiciens. Les notes diaboliques qu’ils faisaient sortir de leurs instruments étaient si intensément juste que les écouter ne c’était pas simplement cantonné pour moi à entendre du son mais plus à m’abandonner à une sarabande spontané, à me laisser emporter par un flot aussi dense qu’imparable. Un flot tournoyant, exubérant, qui c’était emparé de mon cerveau sans aucune retenue, ordonnant à mes jambes de ne pas, de ne surtout pas, rester immobile. Dés les premières mesures je m’étais mis à battre le tempo du pied, du genou, du bassin, pulsation envoûtante faisant vibrer mon corps à l’unisson de la musique, me poussant à chaque nouveaux battement, un peu plus proche de l’abîme. Le talent du groupe avait fait le reste, me projetant en avant, arrêtant le temps, le réduisant à un instant charnel à défaut d’être éternel, allumant un incendie autour de moi, m’obligeant à me lancer dans une série de gesticulations aussi désordonnées que nécessaire comme si soudain le sol s’était transformé en un tapis de lave et que ma vie même, était devenue une partition.
Si le guitariste avait été l’allumette qui avait mis le feu aux poudres, le groupe dans sa totalité, n’était qu’un baril de nitroglycérine.
Protégé derrière son chapeau noir, son regard rivé sur sa guitare, calmement posé sur son tabouret, il opérait je ne sais quel maniement occulte qui avait fait vibrer instantanément la salle, l’air, mon cœur. Il ne jouait pas des notes. Il les faisait danser du bout de ses doigts fins le long des cordes, se servant de celles-ci comme l’aurait fait un archer, fichant les flèches de sa musique au plus profond de nous, nous inoculant à chaque nouveau carreau, un peu plus de ce poison rythmique. Plus personne n’avait d’autre but, d’autre envie, que danser. Danser et rire, danser à en devenir ivre. Danser à en oublier le monde, explosant l’espace et le temps, réduisant le tout à une simple mais vitale pulsation musicale.
Sans violence ni effet de manche, sans spectacle ni démesure, il suivait avec application son inspiration, entraînant dans son sillage au hasard si contrôlé, les spectateurs hypnotisés.
L’émotion n’était pas suggérée, elle était palpable, envahissante, pleine. Elle me pénétrait par les yeux, par les oreilles, par la bouche et par tous les pores de la peau comme une transpiration inversée et obsédante. Les notes parcouraient mes nerfs comme autant d’impulsions électriques vibrillonantes et prenaient possession de mon corps. J’étais une marionnette. Un élément même de la musique.
Lorsque la lumière s’est enfin rallumée et que la magie s’est retirée dans les coins sombres de la salle, aveuglée par les conversations lourdes et la lumière blanche des plafonniers, mon esprit marqué au fer rouge en redemandait encore. Drogué sevré de sa dose, il avait connu l’illusion de l’extase, emprisonné par les jeux de lumière et de musique avant d’être replongé dans le réel sans autre forme de ménagement. Tout autour de moi, je percevais des bribes de conversations. Chacun tentait comme il le pouvait d’entretenir le feu, se fabriquant déjà, à grandes lampées d’anecdotes, les bases des premiers souvenirs. Mais moi je voulais plus. Plus que simplement me rappeler, me remémorer encore et encore les mouvements ondulants et violents de cette mélopée démoniaque. Je voulais vivre et revivre ce moment unique, prolonger à l’infini ce voyage que je venais de faire et que je sentais encore tout autour de moi, là, juste à portée de main.

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