vendredi 14 mars 2008

Moment

Constat

Quatre heures. Cela faisait quatre heures que j’étais assis dans ce canapé à ne rien faire, regardant droit devant moi. Ça n’était pas que je ne savais pas quoi faire. Mais disons que j’avais l’impression d’être rentré dans un carrefour et qu’à force de tourner pour savoir quelle direction je devais prendre maintenant, j’avais fini par m’égarer, par attraper le tournis.
Alors je restais assis là, assailli par mes interrogations, tant sur mon passé que sur mon avenir, tant sur moi que sur la vie en générale. Pourtant je n’étais pas du genre à me laisser déborder. La vie m’avait plutôt souris et je n’avais pas spécialement de raisons de me trouver dans cette situation de blocage complet, intense. Alors… Pourquoi soudain cette sensation de vide sous mes pieds, ce sentiment de creux dans mon ventre, comme si j’étais au bord d’un précipice et que le moment était venu de prendre la décision de sauter pour atteindre l’autre rive. Je savais très bien que je pouvais l’atteindre cet autre côté le saut n’était pas énorme. Mais si je me loupais. Si par un malheureux hasard, je tombais là, maintenant et que je partais m’écraser en bas, tout en bas, qu’est ce qu’il resterait de moi ? Qu’avais je fais de cette vie qui m’avais été donné ? Et la chute ? Serait il possible d’y remédier ? Serait elle à se point inexorable ?
J’avais l’impression d’être à un point d’équilibre. Je m’étais transformé sans la vouloir en un funambule qui tentait de combattre les rafales de vent qui le poussait dans un sens et dans l’autre mais qui l’empêchait d’avancer, l’obligeant à se concentrer uniquement sur son équilibre. J’étais campé sur mes jambes et j’attendais que passe la tempête. Mais elle semblait s’installer, grossir. Et moi j’étais tétanisé ne sachant plus où aller.
Je la sentais monter pourtant cette incertitude hébétée qui vous empêche d’agir à certains moments. Je la sentais monter comme une eau glacée qui vous saisi le ventre lorsque l’on s’y enfonce. Mais je n’avais aucune intention d’y plonger.
Le temps, remplit de cette attente de quelque chose qui n’arrivait jamais, avait fini par me ronger complètement. Il avait éteint chacun de mes espoirs, étouffé mes rêves et assourdi mes espérances par cette lente et insupportable attente.
Tout avait commencé trois mois auparavant lorsque j’étais revenu chez mes parents pour régler les derniers détails de mon départ à l’étranger. Or ce qui ne devait être au départ qu’un passage était entrain de s’installer. Dans un premier temps, je m’étais dit que je partirai rejoindre mon amie au début de l’été, puisque tout serait réglé. Et puis, de dossiers perdus en papiers manquants, l’été avait poussé, chassant mes différents et fragiles interlocuteurs vers les plages ou la montagne. Je n’avais plus que des répondeurs, des remplaçants, des secrétaires qui n’étaient pas au courant du dossier mais uniquement des dates de retours…et petit à petit un grand vide était entrain de se profiler jusqu’à la bousculade de la rentrée. Attendre. Je crois que c’est ce mot qui avait petit à petit sapé mon moral. Attendre. Encore. Toujours. Attendre.
Engoncé dans ces longues journées, partager entre l’envie de partir et la nécessité administrative de rester, j’avais fini par tomber dans un monde de pensées plus ou moins constructives. J’avais beau sortir, regarder la télé, j’avais toujours au fond de moi un menu déroulant qui passait en revu tout ce que j’avais fait, ce que j’aurai voulu faire, ce que j’aurai du faire, ce qu’il aurait fallu que je fasse, ce qu’il allait falloir que je fasse… tout. Un peu à la manière de ces bandes en bas des écrans que l’on peut voir tourner sur les écrans aux Etats-Unis. C’était la même chose dans ma tête. Sauf que la bande était entrain de prendre tout l’écran et que le bruit de fond couvrait tout le reste.
Depuis quatre heures que j’étais assis sur ce canapé, ça n’arrêtait pas. A la manière d’un feu d’artifice ou d’un manége de foire, je me demandais quand est ce que tout cela allait bien vouloir prendre fin.
Je devais partir rejoindre la femme qui partageait ma vie depuis dix ans dans un pays étranger. Jusque là tout était simple. Elle était partie quelques mois avant moi, pour prendre son poste au sein d’une grande banque internationale. Une situation obtenue par relation plus que par envie, mais qui nous assurait à la fois un avenir financier et un peu d’exotisme. Pour l’exotisme d’ailleurs, c’était plus elle que ça contenait. Moi j’étais heureux bien sûr. Mais si j’avais vraiment du choisir, je crois que j’aurai préféré rester. Je crois. Tout était parti de là d’ailleurs. Depuis une semaine, à chaque fois qu’elle m’avait au téléphone elle me reprochait de façon insidieuse de ne rien faire pour vraiment venir. En clair, que j’étais responsable de l’enlisement de mes dossiers et que somme toute, cette situation devait bien me convenir. Justifications, engueulades. On se rappelle, on se réconcilie, puis elle ou moi lâche une phrase qui met le feu aux poudres et relance un débat stérile alimenté plus par la frustration que par une quelconque réalité. N’empêche. A force de jouer à cette petite guérilla téléphonique, j’avais commencé à creuser le tunnel du doute. Comme ça juste pour voir. Juste pour être sûr. Parce qu’après tout, par les meetics temps qui courent, qu’est ce qui me garantissait que c’était bien elle la femme de ma vie ? Celle pour laquelle je devais m’engager sans réfléchir ? Cela faisait trois mois qu’elle était là-bas, que j’étais ici, qu’y avait il de changé entre nous ?
N’était ce pas déjà de fait, une sorte de séparation ? Si en plus nous n’arrivions plus à nous entendre qu’en serait il par la suite ?
J’ai alors commencé à m’imaginer, me regardant dans la glace par un matin froid, avec dans le lit, cette femme que je n’aimais plus mais avec qui j’étais resté par habitude. Je me suis vu à l’approche de la cinquantaine, avec des enfants que je ne comprenais pas, un métier gris « parce qu’il fallait bien bouffer » et cette femme, cette femme par qui tout était arrivée. Cette femme…et puis la vie aussi. La vie en générale. Parce que c’est comme tout. Il n’y a jamais qu’un seul facteur. Les choses sont plus complexes. Alors « la vie »…
Cette idée de savoir si j’étais entrain de me tromper ou non me dévorait. Je l’aimais. Au passé c’était certain. Au présent c’était plus chaotique pour le moment. A l’avenir j’avais soudain du mal à voir.
J’éludai la question, un temps. Elle revint, sournoise. Je finis par l’affronter. Pour se faire, j’élaborai tout un tas de scénarios de vie sans ma femme. Aucun ne semblait irrémédiable. Alors pourquoi continuer à affronter cette bureaucratie intempestive et ce sous-entendu narquois ?
Une cinquième heure se profilait et je n’avais toujours pas bougé d’un millimètre. Parce qu’après tout, si nous n’étions pas fait l’un pour l’autre, étais je même fait pour rencontrer une femme ? Cela faisait tellement longtemps que je n’avais plus tenté d’en séduire une. Tellement longtemps. Respect pour elle ? Manque d’envie ? Peur de ne pouvoir contrôler quelque chose qui pourrait se transformer en incendie et ravager ma vie ? Qu’était ce réellement ?
Je me rappelais alors de cette scène que j’avais vécu juste avant qu’on ne se sépare pour cette longue période. Nous nous étions donné rendez vous devant un des monuments de la ville, non loin de la rue commerçante. Il y avait un monde fou. Je déambulais de devantures en devantures, perdant des minutes au hasard, gaspillant du temps comme si j’en avais trop. Petit à petit je me rapprochais de notre lieu de rendez vous. Attiré peut être un peu par la lumière, peut être un peu par les couleurs, peut être un peu par l’aléas de mes pas, je m’orientais sans y croire vers une grande vitrine bien éclairée. Je regardais sans les voir les mannequins figés et là juste derrière, je l’ai deviné. Je savais que c’était elle bien qu’elle fût enveloppée dans son une gabardine tout juste achetée. Elle était de dos. D’un geste sûr, elle parcourait un bac de pulls dans lequel elle savait pertinemment qu’elle ne trouverait rien, son regard étant déjà ailleurs. Elle fit quelques pas sur le côté, se dirigea sans conviction vers des vestes suspendues, se retourna, me vit, me fit un petit signe de la main, me sourit et dans un élan léger, vint me rejoindre dehors.
Elle m’embrassa, me dit que décidément il n’y avait jamais rien dans ce magasin et avec la même désinvolture magnifique me prit la main, m’entraînant sans retenue avec elle. Nous avons passé une fin d’après-midi joyeuse et innocente. Une fin d’après midi au goût de première rencontre dans le regard et dans les gestes ; dans la façon de se tenir la main aussi, fort.
Je l’aimais. Indéniablement. A ce moment là précis, je l’aimais encore. Je l’avais aimé. Mais maintenant ? Où en étions nous ? Où en étais je moi ? Moi qui n’avais que des boulots et jamais de travail, moi qui n’avait jamais fini mes études et qui pourtant en avait fait ; moi qui rentrait dans toutes les statistiques de l’homme moyen, de la personne transparente, inodore, invisible et qui pourtant faisait tout pour exister.
Etudes moyennes, j’avais acquis une licence de sport qui ne voulait rien dire sur le « marché du travail ». Je n’étais pas issu d’une minorité, je n’avais pas de problèmes d’argents même si comme tout le monde, je n’en n’avais jamais assez. Je n’avais jamais habité de banlieue mais n’était pas nanti non plus. Mes parents m’aimaient, au même titre que mes deux frères. J’avais des amis. Aucuns symptômes dépressifs. En même temps, comment aurais je pu en avoir avec une telle banalité joyeuse autour de moi. Je ne m’étais jamais posé de question sur ma sexualité. Parce que c’était comme ça, tout simplement. J’aimais les femmes comme on est droitier ou gaucher, naturellement.
Mon adolescence c’était soldée par quelques pétards fumés avec les potes, des cuites parce qu’à cette époque là de la vie on les récupère comme si de rien n’était et puis que ça faisait partie de la panoplie. Aucune haine, si ce n’est celle que nous dicte l’âge, aucunes rébellions si se n’est celle policée qui veut que l’on abhorre le système sans même le comprendre.
Rien. J’étais un trentenaire établi, un peu diplômé, en couple, sans aucune aspérité, sans aucun plis…et puis voilà. C’était cette vie là que je contemplais, assis dans le canapé de mes parents depuis des heures. J’étais arrivé mais j’avais le sentiment de ne même pas savoir où. J’étais la définition même de la personne intégrée. Mais la question maintenant était de savoir, à quoi ?

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