dimanche 2 mars 2008

Moment

La maison


Elle posa un doigt timide sur le clavier du piano. Une note tremblante et désaccordée monta dans la pièce pour s’effacer sitôt la touche relâchée. De nouveau le silence poussiéreux l’enveloppa. Elle continua d’avancer dans ce salon qui n’était plus que l’incarnation du souvenir d’une vie terminée. Les volets légèrement entrouverts laissaient passer une lumière qui n’avait pas posé sa gaieté et sa chaleur dans cet espace depuis des années.

Elle avait été maintenue volontairement dehors comme on préfère laisser jouer à l’extérieur un enfant turbulent. Elle n’avait pas sa place ici. Elle n’avait plus sa place depuis que sa mère avait décidé de ne plus goûter à la vie. Ce fut d’ailleurs ce premier signe qui l’avait alarmé. Cette volonté farouche de se couper de la lumière du dehors. Comme pour mieux commencer à affronter ce que serait peut être la mort, calfeutrée dans le calme.

Ils avaient eu beau, elle et ses deux frères, lui dire d’aérer, d’ouvrir, de faire rentrer l’air elle, ne voulait plus. Elle ne voulait que de moins en moins de choses d’ailleurs. Elle qui avait été si présente dans la vie. Elle qui leur avait tant répété qu’il ne fallait jamais renoncer, jamais baisser les bras, qu’il y avait toujours de la place pour le mouvement, même infime, et que c’était cela qui faisait la vie, elle c’était mise soudain à se recroqueviller sur elle-même comme une fleur flétrie. Quelque chose au fond, c’était brisé. Elle c’était alors laissée sombrer sous leurs yeux et ils n’avaient rien pu faire. Les derniers temps avaient été les plus durs et sans être heureuse que tout cela soit terminé, elle avait senti quand même depuis le décès, un certain soulagement.

Le plus dure allait être aujourd’hui. Elle le savait depuis le début. Elle avait tout fait pour l’en empêcher mais la raison avait pris le dessus.

Ses pas la conduisirent en faisant craquer le parquet jusqu’au premier étage. Tout y était statufié. Cette partie de la maison n’avait pas vu la vie depuis tellement longtemps. On ne la retrouvait plus que nichée dans les regards éternellement étincelants captés sur les photos posées dans les derniers cadres qui n’avaient pas encore été décrochés du mur. La place vide laissée par les meubles, rajoutait une légère pointe de tristesse à l’ensemble. Mais rien ne pouvait évoquer le moindre mouvement depuis des lustres. Même le soleil qui pénétrait dans le couloir par les trois grandes fenêtre, ne le faisait que de façon indirect et froide sur cette façade exposée au nord. Il apportait un éclairage, rien de plus.

Doucement, en prenant bien soin de ne marcher que sur le tapis central pour mieux atténuer son passage, elle prit la direction de la chambre du fond. Elle l’ouvrit. Ses premières amours lui réapparurent. Elle fit de même avec les quatre portes qui la ramenèrent de sa jeunesse jusqu’au haut de l’escalier.

C’est là qu’elle entendit les pneus d’une voiture crisser dans la cour. Son cœur se serra. Dans quelques heures, cette maison ne serait plus la sienne. Les nouveaux acquéreurs, venaient d’arriver.

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