jeudi 6 mars 2008

Moment

Répétition.

D’un trait noir, elle souligna son œil. Elle prit un peu de recule, contempla son œuvre, prit une pose un peu naturelle, enfin du moins essaya et tenta de reconnaître dans ce visage maquillé, la femme fatale qu’elle devait incarner. Peut être manquait il un peu de rouge à lèvre. Elle fouilla dans la trousse à maquillage qui débordait sur le bord du lavabo, sortie deux tubes, regarda le premier, le reposa. Non décidément, c’était femme fatale qu’elle voulait être, pas prostitué ; Et entre la volonté farouche de séduire et le piége de la vulgarité il y avait un tout petit pas, tout petit, qu’elle avait encore du mal à maîtriser.
Pourtant elle avait observé, cherché, elle avait disséqué minutieusement toutes ces photos qui s’étalent à longueur de page. Elle avait fait ses choix en fonction des ses goûts, de ses formes qui ne sont forcément pas celles qui sont proposées par les mannequins. Elle avait tenté de comprendre cette difficile alchimie et ce soir, enfin, c’était la mise en application de toute cette étude.
Elle laissa glisser lentement le bâton de rouge à lèvre sur le contour de sa bouche entrouverte. Elle se fit alors la remarque que dans le geste déjà, simplement dans le geste, il y pouvait se cacher une certaine dose d’érotisme suranné. Par jeux elle refit un tour de sa bouche, accentuant le rouge, le regard malicieux. Elle lissa son œuvre en caressant ses lèvres l’une contre l’autre d’un geste expert et s’offrit un sourire évocateur. Oui. C’était ça. Ou presque. Elle fit quelques pas dans la pièce jusqu’à ses talons. Gainée dans sa longue robe noire qui la faisait s’étirer comme une tige souple, elle fit ces quelques pas avec une délectation nouvelle. Elle avait enfin le sentiment non plus d’être déguisée mais d’être cette femme. D’être femme. Du coup, elle commença à mettre une dose de sensualité dans chacun de ses gestes. Un peu trop peut être. Elle savait que maintenant qu’elle en dominait l’apparat, il allait falloir qu’elle apprenne à se mouvoir sans passer pour une maladroite photocopie. Le mouvement devait être la touche finale, ce qui donnerait à l’ensemble de sa personne la crédibilité nécessaire.
Elle chaussa ses talons, se leva, haute, respira une petite série de seconde sa nouvelles stature puis dans un élan confiant fit son premier pas. Toute la délicatesse qu’elle avait tenté d’y mettre s’envola dans cette tentative gourde et engoncée. Instinctivement ses épaules se rentrèrent, son sourire se crispa et un léger froncement de ses sourcils finit de laisser échapper définitivement la femme fatale.
Les mains posées dans le vide comme un équilibriste, elle reprit sa marche claudicante jusqu’à la console de maquillage. Elle fit ainsi plusieurs allers-retours dans la pièce jusqu’à ce que la porte s’ouvre brusquement.
« - C’est bon t’es prête ?
« - Euh….à peu prés. Comment tu me trouves ? » L’homme entra complètement dans la pièce.
« - Marche un peu pour voir….hum…Reviens…T’y es allé un peu fort sur le rouge à lèvre et il va falloir que tu t’entraînes avec tes talons parce que pour l’instant on dirait encore un robot mais ça, ça se corrige….Par contre je comprends pourquoi c’est toi qui a été choisi pour ce rôle. T’as la classe ma chérie et ça y’a aucun moyen de l’apprendre. Tu l’as où tu l’as pas. Toi tu l’as, c’est sûr. »

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