lundi 2 février 2009

Moment

Trahison

J’ai trahi un homme. Je dis « un homme » parce qu’on ne peut pas trahir un ami, ni même un amour. On trahit un homme. Neutre. Lointain. Pâle. Si proche qu’il fut, ce coup de poignard l’a définitivement rayé de toutes relations. Il a brisé toute possibilité de rédemption. Il a broyé net l’espoir, lui cassant les os avec la violence et la perversion que seule une trahison peut engendrer.

J’ai trahi un homme après avoir joué avec son amitié comme un gamin faisant souffrir un animal ; en pleine conscience. Je regardais grandir chaque jour un peu plus son admiration naïve pour ce que je représentais. Je le voyais se découvrir, me découvrir. Mais ce que je laissais transparaître de moi n’était jamais qu’un terrain déjà entièrement cerné, miné, frelaté, préparé pour le faire souffrir. Un no man’s land stérile, vouer à lui faire croire que… Et  chaque jour je le voyais s’enfoncer un peu plus dans ce grand désert sordide. Et chaque jour je me délectais un peu plus d’avoir ainsi à ma portée ma vengeance. Je la caressais du bout des doigts. Je le regardais se méfier d’abord pour mieux petit à petit, une fois gonflé de ces fausses certitudes glaner aux grés de ses questionnements qu’il imaginait insidieux, me laisser pénétrer dans son intimité.

Ce n’est d’ailleurs pas en m’introduisant dans ces zones-là de sa vie que le malaise en moi à commencer à monter. Je savais déjà tout de lui. Je connaissais déjà tout de lui et le peu que j’ai pu découvrir ne m’aurait pas fait changer d’avis. C’est en y restant, en me coulant dans ses convictions pour faire croire qu’elles étaient les miennes, en acquiescent ses réflexions, en approchant ses fréquentations, en frayant avec ses raisons d’agir que mes limites se sont clandestinement diluées dans le flou.

Et dans cette drôle de chasse à courre, le gibier s’est soudain transformé en un étrange animal envoûtant, exotique. Il prit une dimension mystique et démesurée. Il faillit devenir mon ami. Ses paroles qui n’étaient pourtant que l’énoncé perfide d’une pensée à bannir, se sont noyées dans la multitude de ces moments que nous avons passé ensemble. Si le temps ne se rattrape pas il lie les hommes entre eux. Dans la solitude de ma vengeance, cet homme était petit à petit devenu ma seule raison d’être. Tout le reste n’était plus que des projets lointains, des échos assourdis. Je me suis vu vaciller avant de me reprendre, gorgé du mal qu’il nous avait fait, avant. Et lorsque je n’en pouvais plus, lorsque je ne savais plus, je m’accrochais à lui comme un désespéré, imaginant sa souffrance le moment venu, lorsqu’il découvrirait tout, qu’il comprendrait qu’une fois dans sa vie lui aussi, pendant longtemps, il n’avait été qu’un pantin qu’on manipule, utilisé avant d’être abandonné, vide et sec. Inutile.

Il était mon ami oui, c’est ainsi qu’il me désignait et sans scrupules, je l’ai trahi, abandonnant à notre cause vorace et immense, mes états d’âmes et mes croyances. 

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