jeudi 19 février 2009

Portrait

L’œil du cyclope.

C’était une télé énorme. Enorme. Dans ce petit intérieur sans goûts, elle faisait exploser son jet de couleurs survitaminées comme un geyser malade, sorte de tapisserie en perpétuel renouvellement.

Exposée face à la table, dans cet endroit immanquable du salon, on aurait dit une grande bouche prête à dévorer le peu de vie qui restait encore accrochée aux lambeaux de conscience de ce couple à la retraite. Invitée permanente, elle suçait la moindre seconde égarée qui traînait par là, implacable. Se repaissant de leurs longues matinées enfermées chez eux, se délectant de leurs après-midi insipides tout en sachant que les activités du soir lui étaient totalement et depuis longtemps, acquises, elle ne laissait de place que pour elle, sans concession et sans partage. Flâner, ne rien faire, discuter, se regarder, lire, danser, jouer, se toucher, chanter étaient autant de mots qu’elle avait dévorer sans faim, prenant sous son aile rassurante ce trop plein de temps dont ils ne savaient plus quoi faire depuis que le travail ne remplissait plus leur quotidien.

Déversant un flot de sons ininterrompus autour d’elle, elle envahissait l’espace, étouffant dans l’œuf le désir même d’une simple conversation. La télé était devenue au fil du temps, le seul fil conducteur de leurs journées passives. Simplement par désir de combler l’ennui, sans aucun tour de magie, elle c’était fait ogre, dévorant les jours chacun à leur tour. Cyclope habile, elle cultivait sa main mise sans effort sur ce petit couple paisible.

La télé pour eux était devenue l’objet d’un culte vorace et égoïste ; une sorte de rituel rassurant avec ses rendez vous à heures fixes, ses personnages récurrents qui seraient là demain quoi qu’il arrive ; qui seraient là encore ; qui seraient là toujours.

Et si depuis longtemps ils ne la regardaient plus, c’était parce que c’était elle qui s’assurait qu’ils étaient bien là, présents, à admirer ses circonvolutions plus ou moins vulgaires ou fantastiques, savourant tout ce temps qu’ils avaient en trop et dont ils ne savaient de toute manière, pas quoi faire. Ils étaient assis là, bien en face, regardant filer la vie des autres, rassurés sûrement de ne pas voir le vide de la leur.

Il n’y avait aucune tristesse à tout cela, aucune tristesse. Il y avait juste du vide. Du vide à désespérément combler.

 

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