lundi 23 février 2009

Absurderie

Le gitan

Le gitan sans dents qui descendait de l’ascenseur un saucisson et une savate à la ceinture, savait surprendre son monde. Suintant une sensualité sauvage, il prit un malin plaisir à descendre lentement de cet ascenseur, sûr de chacun de ses gestes, le regard corrosif, l’air subversif. Personne ne l’attendait là. Vous pensez bien. Un gitan. Avec un saucisson et une savate à la ceinture de surcroît. Qui l’eut cru ? Dans cet établissement ennuyeux et sans histoire, son énorme moustache noire, son oeil fier et péremptoire, ses cicatrices qui ne cachaient pas ses déboires étaient autant de signes ostentatoires habituellement réservées au mobilier, à l’habillement. Mais lui les portait sur sa gueule, violemment. Une petite dame bien mise lança sans y croire un bonjour plein de au revoir espérant ainsi peut être, le voir aussitôt disparaître. Il ne tourna même pas la tête.

Lentement il se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit et comme si de rien n’était, se mit à chanter. Fort d’abord. Fort ensuite. Fort encore. Les oreilles des convives raisonnaient toutes entières de ce chant puissant et viril. Personne n’osa l’interrompre, surtout pas le colonel qui dans un coin, priait pour que le gitan ne le voit pas. Mais lui était tout à son chant, un peu dedans et complètement dehors. Il était à son chant superbe et ni son saucisson ni sa savate, accrochés à sa ceinture pourtant, ne paraissaient incongrus. Il était splendide parce qu’il ne pouvait en être autrement. Ils étaient splendides parce qu’ils étaient avec le gitan et que sa seule présence suffisait à les soustraire au ridicule.

Il termina sa sérénade et en grand seigneur nous gratifia de son sourire édenté. Même ça était sublime. Etait-ce son insolence effronté qui le soustrayait ainsi à la sournoise sensation que tout un chacun aurait ressenti si son râtelier avait ainsi disparut ? Difficile de savoir. Mais il était certain que rien ne pouvait entraver sa splendeur. Avec une indolente suffisance, il se dirigea ensuite vers le buffet. Il se servit une sangria généreuse et sirota son breuvage tout en scrutant chaque convive avec une insistance narquoise. Personne n’osa bouger mais je sentais que certains auraient ardemment souhaiter être ailleurs. Pas une parole ne vint interrompre sa dégustation.

Puis sans plus de cérémonie, il laissa tomber son verre au sol, l’écrasa de son talon méprisant et le regard planté vers d’autres destinations il nous laissa là, pantois. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ce que je cherchais, merci