mercredi 4 mars 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Deuil.

« -Et tu faisais de la photo ?

« - Ben oui.

« - Et pourquoi t’as arrêté ? Elles étaient supers tes photos.

« - C’est précisément pour ça que j’ai arrêté. Parce que mes photos étaient « supers ».

« - Je comprends pas.

« - Pendant vingt ans je n’ai fait que ça. De l’âge de dix-sept ans jusqu’à ce que vous arriviez toi et tes frères, je n’ai fait quasiment que de la photo. J’ai écumé les salons, j’ai organisé des expositions, j’ai rencontré des gens. J’étais tout le temps à droite à gauche à prendre des clichés et à tenter de les vendre. On me payait en pellicules, en liquide, j’avais des contrats en dent de scie mais de petits besoins alors ça compensait. Et puis j’ai rencontré ta mère. Et très vites nous vous avons eu.

« - Me dit pas que c’est à cause de nous que tu as tout arrêté ?

« - Non. C’est grâce à vous que j’ai pu faire le deuil de ce que je ne serais jamais. Tu vois, c’est un métier très difficile photographe. Il y a beaucoup beaucoup de prétendants. J’étais de ceux-là. Mais un jour j’ai réalisé qu’après mes expositions, les commentaires qui en découlaient été toujours les mêmes. Tout était toujours poliment super. Personne ne comprenait ce que je disais. Je faisais du joli travail mais ma voix, mes messages, restaient à l’intérieur des cadres sans pouvoir en sortir.

Je ne touchais pas les gens. C’était terrible parce qu’à chaque fois que j’avais à expliquer ma démarche je réalisais à quel point la marge était immense entre ce que le public voyait et ce que je voulais dire.

Lorsque j’ai rencontré maman, cela correspondait à une époque où je commençais à vraiment très fortement me remettre en question vis à vis à de ce que j’étais entrain de faire. Et j’ai eu peur soudain de me retrouver dans la peau du gars qui sans s’en rendre compte, aurait glissé de rôle du type attendrissant qui joue les artistes à celui du mec ridicule qui s’enfonce dans une impasse.

La différence entre ceux qui vivent de leurs photos et moi, c’est que certaines personnes, lorsqu’elles ouvrent la bouche, chantent. Quoi qu’elle fasse, elle chante et fascine. Moi lorsque j’ouvre la bouche, il n’y a rien qui sort. C’est beau mais terriblement silencieux et sans âme. C’est comme ça. J’ai essayé. Mais ça n’aurait jamais marché.

Mais je ne veux surtout pas que tu crois que j’ai abandonné ou que je me suis avoué vaincu. Je suis simplement arrivé au bout d’une route qui n’était plus la mienne…et j’en ai pris une autre bien plus heureuse, sur laquelle vous avez été mes vraies réussites.

« - Mais…quand même, tu ne crois pas que tu aurais pu devenir un jour ou l’autre un artiste connu  ?

« - Non. Un artiste on le voit et puis on s’en souvient, il te marque l’esprit. Moi on m’oublie, tout simplement. »

Aucun commentaire: