vendredi 6 mars 2009

Une fois...

Babette

 

« - Le vélo blanc ? Quel vélo blanc ?

« - Celui de Babette. Tu sais celui que lui avait offert mamy avec les petites roues derrière.

« - Ah oui je me souviens. Maintenant que tu me le dis, je m’en rappelle parfaitement même. Mais à mon avis on a du perdre les petites roues parce que je sais que Jean les lui avaient enlevé à un moment donné. C’est sur ce vélo qu’elle a fait ses premiers tours de roues toute seule comme une grande. Je la revois là dans l’allée, entrain d’essayer de tenir droit son guidon. Toujours très appliquée. Toujours à bien écouter ce qu’on lui disait. C’est incroyable à quel point déjà tout petit, les enfants peuvent avoir leur caractère qui se dessine. »

Le regard de sa tante à l’évocation du vélo de sa première fille avait plongé dans la nostalgie comme un baigneur suffocant se serait jeté dans la mer. Elle se leva, le regard toujours posé ailleurs et d’un ton entraînant lui dit :

« - Viens. Allons dans le garage voir où peut bien se trouver ce vélo. » Marc ne se fit pas prier et lui emboîta le pas. En longeant la maison pour rejoindre le garage, il se remémora, en voyant l’étang et les bosquets qui l’entourait, les jours et les jours qu’il avait passé à jouer là, le long de l’eau, avec ses cousines, ses cousins, les voisins. Cette maison renfermait depuis toujours pour lui, une sorte d’aura magique. Un point de l’espace qui lui confirmait que ce qu’il avait vécu dans son enfance n’avait pas été qu’un moment passé, mais une partie de sa vie qu’il portait en lui, bien réel.

« - Vous ne l’avez pas asséché finalement cette mare ?

« - Non. Ton oncle y a pensé à un moment c’est vrai. Lorsque vous avez tous grandi et que plus personne ne venait jouer au milieu de ces arbres, je crois qu’il en a eu un petit peu ras-le-bol de tout entretenir. Et puis Julie a eu son premier enfant, Babette a suivi de très près, vous vous y êtes mis aussi de votre côté de la famille. Bref, on a vu soudainement arriver une nouvelle génération qui c’est aussitôt pris d’affection pour ce quoi là. Ça nous a fait bizarre et on a finalement décidé de tout laisser comme ça.

« - En fait depuis que vous êtes arrivés, vous n’y avez jamais touché à cet coin-là.

« - Peu. En même temps tu sais, il y avait tellement de choses à faire dans la maison et autour pour la rendre vivable que l’étang et ses alentours n’étaient pas du tout mais alors pas du tout notre priorité.

« - C’est marrant hein, mais ça moi je m’en souviens pas trop de la maison en travaux. Je me rappelle que c’était pas comme ça, que dés fois on se douchait dehors au jet d’eau ou qu’on dormait sous la tente, mais c’est vrai qu’on ne réalisait pas à quel point c’était énorme ce que vous aviez entrepris à l’époque.

« - Je crois que si nous aussi nous avions réalisé à quel point ce dans quoi nous nous lancions était si gigantesque, nous nous serions peut-être abstenu. Elle dit ça en riant avec la gaîté qu’elle seule pouvait avoir avec un simple rire. Mais tu sais à quel point ton oncle aime les vieilles maisons. Il était hors de question pour lui de venir ici et d’habiter un pavillon neuf.

En même temps, même si ce ne fut toujours très facile, le souvenir je garde de notre première venue est incroyable. Il régnait une ambiance… comment dire ? Il faut bien voir qu’à l’époque il y avait de la végétation partout. Les murs tenaient debout, la charpente était bonne et une partie des tuiles aussi mais tout, absolument tout le terrain, avait été colonisé par les ronces, par des arbres et que sais je encore. C’était fou. On aurait dit un peu le château de la belle au bois dormant. Evidemment les murs en pierre, le pigeonnier au fond du jardin, cet étang, le four à pain dans la cuisine, tout ça contribuait à créer une atmosphère un peu spécial. Comme si le temps c’était arrêté et qu’il n’attendait que nous pour redémarrer. Il n’y avait pas d’impression d’abandon ici. Juste un arrêt.

« - Et puis tout le monde a participé quand même. Vous avez su rassembler la famille pour faire en sorte de ne pas être tout seul dans l’affaire.

« - On était déjà bien soudé tu sais. Je te rappelle quand même que ton grand-père est mort alors que n’étais même pas né. Mes deux sœurs et moi, nous étions déjà mariés ou presque et tous nos maris ont joué le jeu de nous soutenir nous et maman. Cette maison, elle était un nouveau lieu de rassemblement. Mais ça n’était qu’un lieu. Entre nous déjà, il y avait quelque chose de fort qui nous liait. »

Sa tante fouilla dans les poches tombantes de son vieux gilet qu’elle mettait pour sortir dans le jardin. Le cliquetis du trousseau de clefs tinta dans l’air automnal.

« - Hou je ne sais pas dans quel état on va trouver ce vélo. Ça fait tellement longtemps que personne ne s’en ait plus servi. Je crois que la dernière à avoir posé ses fesses dessus c’est Emma. Mais tu vois quel âge elle a maintenant. » La porte s’ouvrit. A travers une fenêtre poussiéreuse, la lumière de l’extérieur filtrée par les toiles d’araignée tentait de se frayer un passage. Suzie chercha l’interrupteur. Aussitôt qu’elle eut mis la main dessus, l’éclairage jaune sale tomba du plafond.

« - Alooors… le vélo de Bab-bette….Où est ce qu’il peut être ?

« - Je ne t’ai même pas demandé comment elle va ?

« - Oh très bien. Ils devraient venir avec les enfants pour noël. Philippe a beaucoup de boulot avec sa boite et elle s’occupe toujours des enfants. Je ne crois pas qu’elle ait trop envie de recommencer à travailler. Elle s’est trouvée un chouette type avec ce Philippe.

« - Oui. Enfin.

« - Hum…elle n’a pas eu de chance ça c’est sûr. Mais elle ne c’est pas simplifié la tâche non plus.

« - Qu’est ce que tu veux dire ? 

« - Babette a toujours très appliquée et très docile. C’était une enfant qui faisait confiance d’emblée et sans retenue. Petite elle n’était pas farouche pour un sous et en grandissant ça ne c’est pas amélioré. Le problème c’est que certain en ont profité. Mais que veux tu, les enfants tu peux les accompagner jusqu’à un certain âge, après il faut accepter de les voir prendre certaines décisions sans rien dire. Ah ! Je crois je le vois…là bas dans le fond, derrière la brouette, on vois sa petite roue avant qui dépasse.

« - Ah oui. Attend ne bouge pas, je vais le chercher. Voilàààààà. Je l’ai.

« - Qu’est ce que tu comptes en faire ?

« - Le vendre. Mais non je plaisante. Je vais le retaper un peu et mettre Paul dessus.

« - Tu ne veux pas lui en acheter un autre plutôt que d’utiliser cette vieillerie ? Tu vas t’enquiquiner pour rien à le remettre en marche.

« - Mais non ne t’inquiète pas. Regarde il n’est même pas rouillé. Des pneus neufs, une révision des freins et hop c’est reparti. Moi aussi je te rappelle, j’ai appris à faire du vélo sur celui-là.

« - C’était il y a plus de vingt ans Marc. Lui rappela sa tante avec un sourire malicieux aux coins des lèvres.

« -  Et alors ? Raison de plus. »

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