samedi 14 mars 2009

Deux fois...

Mauvais temps.

 

« - …Le vélo blanc de Louise, la serviette, le sac à dos….Ah oui la bouteille d’eau… elle est où ? Ok elle est là. Bon ben c’est bon. Tout est dans la voiture on peut y aller.

« - T’es sûr qu’on prend pas les coupe-vents ? Il fait pas super beau non plus Thomas. Moi je pense qu’on devrait au moins les mettre dans le coffre et puis une fois qu’on sera au départ de la piste on verra si on les met ou pas. Non ?

« - Bon d’accord vas-y colle les dans le coffre. Ça coûte rien de toute façon t’as raison. Mais franchement on s’encombre pour rien.

« - On verra bien. Bon Paul, Séraphine, Louise, allez allez, tout le monde dans la voiture. On y va.»

Sophie ouvrit la porte de derrière, jeta en boule les coupe-vents dans le coffre, fit monter la marmaille, attacha tout le monde et enfin, vint s’asseoir avec son mari devant.

« - C’est bon tout le mode est bien attaché ?

« - Ouiiiii » répondirent en coeur trois petites voix enthousiastes.

« - Alors c’est parti. » lança-t-elle d’un ton enjoué. Elle adorait ces moments où ils se retrouvaient tous ensemble. Ces dimanches de printemps où le beau temps laissait pour la première fois depuis de longs mois, l’opportunité de partir toute la journée se promener dans la campagne sans être frigorifié au bout d’une heure.

« - T’as pris le vélo de Louise ?

« - Comment aurais-je pu oublier le vélo de Louise enfin. Elle ne le quitte pas depuis hier. C’est tout juste si elle n’a pas dormi avec. »

La petite dernière avait fêté son anniversaire la veille et avait eu comme elle l’avait demandé, un vélo blanc tout neuf. Un joli vélo blanc, avec vitesses et sans petites roues. Un vélo qui était le sien, rien qu’à elle. Pas un objet qu’elle avait récupéré de son frère ou de sa sœur. Non. Un vélo à elle que personne n’avait jamais utilisé auparavant.  Et blanc s’il vous plaît. Ses parents avaient tenté de savoir pourquoi cette couleur plus qu’une autre mais il n’y avait jamais vraiment eu d’explication rationnelle ou du moins compréhensible pour eux. C’était juste cette couleur qu’elle voulait, un point c’est tout.

Quelques copains de sa classe étaient venus dans l’après-midi pour fêter l’événement et puis le soir, c’était toute la famille qui avait débarqué. C’est à ce moment-là seulement que le vélo lui avait été offert.

C’est à ce moment-là aussi, que Sophie avait ressenti pour la première fois et de façon particulièrement intense, qu’elle ne serait plus jamais enceinte. Jamais cette perspective ne lui avait traversé avec autant de violence l’esprit. Elle était heureuse d’avoir ses trois enfants là n’était pas la question. Mais elle arrivait à un âge où cette question n’était plus devant mais derrière elle. En voyant cet après-midi là tout ce petit monde s’agiter dans tous les sens, en accueillant la mère de Vincent qui était enceinte du deuxième, elle avait réalisé que maintenant cette époque était révolu pour elle. Avoir des enfants ne serait plus jamais un projet. Et depuis hier cette pensée ne la quittait plus. Elle n’était pas envahissante. Elle ne sentait pas qu’elle l’attirait vers un terrain nostalgique ou dépressif. Mais elle était présente et semblait vouloir s’installer. Ses enfants étaient là, devant elle et plus aucun, jamais, ne sortirait de son ventre.

« - Bon alors on les prend ces parkas ou quoi ? » Elle émergea de ses pensées.

« - On a qu’à les mettre au fond de la caisse derrière ton vélo. Ça te fait pas beaucoup plus lourd de toute façon. Et puis comme ça on sera plus tranquille tu crois pas ?

« - Bon d’accord. Louise. LOUISE ! Reste ici ne va pas vers la route. On part de l’autre côté de toute façon. »

Fière de son nouveau vélo, la petite était partie droit devant elle une fois sa selle enfourchée.

« - Venez ici les enfants. Thomas rassembla ses troupes et leur exposa l’itinéraire. Nous allons prendre le petit chemin qui est devant nous là. Jusqu’à la prochaine intersection, vous pouvez rouler à la vitesse que vous voulez mais toujours ensemble. Vous m’avez bien compris ? Tu as compris Paul ? Nous avec maman on vous suit. Aller hop ! Et vous n’êtes pas obligé de rouler comme des missiles. » Ses dernières paroles se perdirent au milieu des cris de joie.

« - ça va ? T’as l’air absente. » s’enquit Thomas auprès de son épouse.

« - Non ça va. Les temps changent c’est tout. Des fois ça me fait bizarre de voir les enfants grandirent. De savoir que nous on ne grandit plus mais qu’on vieillit. C’est étrange. » Thomas ne releva pas.

Peu après leur départ, le temps se mit au gris. Il y eut le vent d’abord, qui tourna à l’aigre. Il se leva par petites saccades froides charriants dans son sillage, une série de nuages tristes.

« - Rah non. Il va pleuvoir et mon vélo va être tout sale ! » râla Louise.

« - T’inquiète pas on le lavera en arrivant. » la rassura Thomas.

Et à mi-parcours, la pluie se mit à tomber. Fine et poisseuse d’abord, s’infiltrant plus qu’elle ne mouillait réellement. Puis vint l’armée des grosses gouttes et leur franc rideau trempé. Heureusement la famille à ce moment-là était déjà à l’abri. Par un coup de chance inespéré, elle avait trouvé sur son parcours une grange ouverte qui semblait plus ou moins abandonnée. Ouverte sur l’extérieur par son immense porte, tout le monde pouvait voir le mauvais temps passer tout en étant chaudement abrité au milieu des bottes de paille.

« - T’es sûr qu’on peut rester là papa ? » demanda à plusieurs reprises Séraphine un brin inquiète.

« - Mais bien sûr ma petite loutre. Allez mange. Quand ça se lèvera, on repartira. »

Le pique-nique fut donc avalé avec vue sur la campagne morne et détrempée dans une ambiance tranquille et rassurée. Les enfants prirent rapidement possession des lieux et les parents, parlèrent de sujets sans reliefs, juste pour le plaisir d’entretenir une conversation d’un dimanche familiale.

Et puis les nuages, balayés par le vent badin, laissèrent place à un ciel bleu abreuvé de soleil. Le mauvais temps ne laissa derrière lui qu’une couche humide que déjà, l’air et la température redevenu printaniers s’appliquaient à gommer. Loin devant, les enfants avaient repris leur course joyeuse tandis que derrière, suivaient les parents, entraînés pars le courant.

Aucun commentaire: