mercredi 11 mars 2009

J'irai mourir au Kalahari.

Salsa.

Elle alluma la radio et la laissa déverser sans les entendre, les nouvelles du monde qui va mal. A l’intérieur de l’appartement, il faisait une chaleur torride. Si elle avait ouvert les fenêtres ce n’était non pas pour laisser rentrer de l’air frais, cela faisait longtemps qu’il n’y en avait plus la moindre particule nulle part, mais pour écouter les bruits du dehors ; les casseroles qui s’entrechoquent, les assiettes qui claquent, les cris des enfants qui jouent et les lumières qui petit à petit, percent des trous dans la nuit qui s’étale. Cette chaleur moite caressait une partie d’elle qu’elle avait enfoui depuis longtemps sous les tombereaux d’un quotidien sur actif. Après s’être complètement laissé imprégner de la chaleur comme on se serait coulé dans un bain chaud, elle se ravisa quand à son écoute. D’un pas souple elle se dirigea vers sa platine, prit son temps pour choisir un CD et finalement, le sourire aux lèvres, glissa un disque dans la fente et lança la musique. Les notes de salsa commencèrent aussitôt à danser dans les airs animant soudainement l’espace. Elle, debout dans son salon toujours ouvert sur l’extérieur, ferma les yeux tout en balançant doucement son corps. Elle se déhanchait en un mouvement imperceptible comme si quelque chose encore la retenait et l’empêchait de se laisser aller complètement dans les bras de cette musque pourtant si entraînante.

Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas écouté ces sons de chez elle. Elle ne les fuyait pas non. Mais elle savait toute la puissance terriblement nostalgique que renfermaient ces notes. Alors elle avait préféré un temps, les mettre de côté. Le temps de s’habituer à sa nouvelle vie. Le temps d’assumer son choix, celui d’être parti. Mais ce soir, dans cette chaleur suffocante, quelque chose en elle avait cédé. Quelque chose qui mêlait besoin physique et mélancolie doucement impérieuse.

Arrivée dans ce pays loin de ses origines depuis bientôt trois ans, elle avait d’abord éprouvé l’ivresse de la découverte. Couplée à la fierté d’avoir réussi, elle avait tout fait pour s’intégrer dans son nouvel environnement. Comme tout était nouveau, tout était forcément magnifique. Et puis elle c’était tellement battue pour obtenir ce poste, elle avait tellement tout fait pour quitter cette famille qui l’emprisonnait, cette société qu’elle considérait étriquée, ce pays tout entier dans lequel elle ne voyait qu’une prison que lorsque enfin, après des années de combat, des années d’humiliations et de rejets, elle avait fini par obtenir le droit de venir s’installer ici, le saut dans le vide que couvait cette évolution avait été un véritable envol. Elle avait tout laissé là-bas et avait décidé de ne rien emmené ici.

La trahison pour sa famille avait été complète. Elle n’était d’ailleurs pas retournée là-bas depuis son arrivée ici. Pas encore. Elle avait bien parlé avec sa mère au téléphone de temps à autre. Elle avait bien appris que l’un de ses frère c’était marié. Mais la peur de tout affronter d’un coup ce passé qu’elle avait fui avait jusque-là été plus forte.

Mais sans se l’avouer, elle avait bien senti aussi l’or de leur dernière conversation que la colère avait  commencé à laisser place à la résignation. Le carcan commençait à craquer. Alors depuis, elle réfléchissait. Etait-il vraiment nécessaire de retourner dans ce pays qu’elle avait fui, vers cette famille dont elle avait peur ? Et ce que tout ceci pouvait être un piège ? Non. Ses parents étaient des paysans, pas des calculateurs machiavéliques. Ils étaient tellement persuadés de savoir ce qui ferait son bonheur qu’à aucun moment ils n’avaient envisagé qu’il puisse y avoir une autre vie possible. Et leur incompréhension de ses choix les avait rendu un temps, fou de douleur et de tristesse. Mais peut-être étaient ils prêt maintenant. Peut être.

La musique tout autour d’elle continuait de danser, innocente et hermétique à tout ses questionnements. Doucement elle leva les bras, ses hanches se libérèrent enfin et ses jambes, emportées par la joie, suivirent le flot des notes joyeuses.

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