vendredi 3 octobre 2008

Moment

Changement

Il courait comme un cabri, en faisant l’idiot et plus rien ne comptait d’autre à ce moment-là que ces petits sauts stupides. Il courait comme courrait un enfant, sans réfléchir, juste parce qu’à cet instant, c’était ce qui lui faisait le plus plaisir au monde. Et son fils qui lui tenait la main, ne pouvait pas s’empêcher de rire. Il riait aux éclats. Il riait avec toute la sincérité de l’enfance.

Il riait avec d’autant plus d’éclat que son père ne faisait habituellement jamais de blague. Son père ne sautait pas, ne courrait pas. Son père était un homme lointain, préoccupé, monolithique. Normalement il l’emmenait à l’école le matin en voiture et il ne le revoyait qu’avant d’aller se coucher, le soir. Il travaillait beaucoup lui disait sa maman et il ne pouvait pas tout faire. Son père s’était celui qui ramenait l’argent à la maison. C’était pour ça qu’il partait toute la journée et qu’il rentrait tard le soir, fatigué. Il était celui qui en vacance, ne voulait pas qu’on fasse de bruit l’après midi parce qu’il avait besoin de se reposer. Alors il fallait bien le dire, elles étaient moins drôles les vacances lorsqu’il était là. On ne sortait que lorsque la chaleur était tombée pour aller faire un petit tour dans le quartier, voir quelques amis. Mais il ne supportait pas trop que l’on coure et que l’on crie. Il avait besoin de calme et lorsqu’on partait, ce n’était jamais avec lui parce que même pendant les vacances, il lui arrivait de devoir faire un saut au travail, pour voir si tout allait bien.

Et puis il y avait quelque temps, les choses avaient changé à la maison. Son père était là plus souvent ; de plus en plus souvent. Et puis sa mère avait pris un travail. Maintenant il arrivait que le soir parfois à la sortie de l’école, ce soit lui qui vienne le chercher même si depuis quelque temps déjà, maman l’avait autorisé à rentrer seul en faisant bien attention aux voitures lorsqu’il traversait la grande rue. Il l’attendait devant la sortie, un sourire embêté aux coins des lèvres. Il semblait un peu triste. Il ne téléphonait plus pendant des heures en parlant fort. On aurait dit qu’il attendait quelque chose sans trop y croire.

Et aujourd’hui pour la première fois depuis son entrée à l’école, il n’allait pas manger à la cantine. Le matin même son père lui avait dit qu’il viendrait le chercher pour qu’ils mangent ensemble, entre hommes. Il s’était senti fier. A la sortie de midi il c’était précipité dehors et une fois à la maison, il avait mangé sans faire d’histoire. Son père souriait. Il avait toujours son air un peu triste mais on sentait bien quand même que ça lui faisait plaisir qu’ils mangent ensemble.

Et ce fût sur le chemin du retour à l’école que pour la première fois, il découvrit que son père pouvait être drôle. Il le regardait en coin en souriant malicieusement. Puis il avait souri plus franchement et sans prévenir avait fait un petit saut sur place, à pieds joints. Comme s’il y avait eu soudain un trou à franchir. Puis il avait recommencé à sauter presque aussitôt, cette fois en faisant un moulinet avec ses pieds dans le vide. La situation était tellement inattendue qu’ils avaient commencé à rire tous les deux, main dans la main. Son père reprit le mouvement en l’accentuant.

Sa petite main calée dans celle, ferme, de son père, il commença lui aussi à courir. Ils courraient maintenant tous les deux de plus en plus vite, toujours en faisant des petits sauts ridicules. Ce fut de cette manière qu’ils arrivèrent aux portes de l’école.

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