mardi 7 octobre 2008

Portrait

Regard

Il avait grossi sans jamais chercher à échapper à ce gras qui débordait maintenant de son corps, ce surpoids adipeux et lourd qui le cerclait comme une carcasse de fer. Le souffle roque de celui qui souffre même de respirer, il traînait sa masse molle avec difficulté et mauvaise humeur. Ses cheveux gris en paquets, tombaient jusque sous ses épaules, débordant jusqu’à ses aisselles où ils se mélangeaient avec une barbe épaisse et folle. Habillé d’un tee-shirt kaki tâché qui s’arrêtait au nombril, son jean noir usé par les frottements et les négligences dégoulinait en plis malsains jusqu’à une paire de vieilles sandales de cuirs mainte fois rafistolées. Assis à l’entrée d’un hôtel miteux dans une petite rue dont les pavés gras ne voyaient jamais le soleil, il passait là des journées impavides et humides à regarder le vide. La chaise qu’il torturait à chacun de ses mouvements semblait vouloir rendre l’âme en permanence, mais par un étrange arrangement, à chaque fois que quelqu’un passait par cette rue, c’était sur ce même siége qu’il pouvait le voir assis. Or si son physique était déjà un engagement à la méfiance, il n’était rien comparé à son regard.

Cerclé de rouge par de trop nombreuses nuits d’insomnies passées à fuir on ne sait quel cauchemar, chacun de ses yeux se plantait en vous comme une sangsue avide. Soutenue par cette respiration à la limite de la rupture qui envahissait tout l’espace autour de lui, leur couleur bleu fou déversait sur vous une électrique et inquiétante sensation d’étau oppressant. De l’instant où vous tourniez au coin de la rue et où vous rentriez dans son espace visuel, il était possible de ressentir ce sentiment charnel de malaise désagréable vous parcourir le long de la colonne vertébrale. Son regard vous montait le long du corps, petit parasite affamé et vous saviez que rien ne pourrait lui faire lâcher prise à moins de sortir de son champs d’exploration. Il se nourrissait de vos mouvements, jaloux de ne plus pouvoir depuis longtemps n’exécuter que des déplacements traînants et poussifs. Prisonnier de cette étreinte qui confinait parfois jusqu’au sadisme, plus d’un ne passait plus par cette rue depuis longtemps enfermant chaque jour un peu plus cet homme dans sa démence. Il ne restait plus désormais que des touristes égarés ou des étudiants bravaches pour venir le nourrir. Alors seul, assis sur sa chaise, il attendait. 

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