vendredi 17 avril 2009

Quatre fois...

Voleurs d'un soir.

« - Le vélo blanc ou le vélo vert ?

« - Je sais pas je m’en fout ! Prends n’importe lequel. Tu crois qu’on est là pour faire un débat sur la couleur ou quoi ? On est là pour chourer un vélo ducon.

« - Oh éh ça va Al Capone. Je te rappelle que si t’avais pas pété le tien comme un con pour faire le malin devant cette gonzesse on en serait pas là alors vas-y mollo hein !! »

Le ton était monté d’un cran depuis qu’ils avaient pénétré dans le jardin de ce pavillon de banlieue.

En passant dans la rue, ils avaient vu la porte du garage mal fermée et avaient aussitôt saisi la bonne opportunité.

« - Bon tu te magnes le cul ou quoi ? On va pas y passer la nuit.

« - Attends ? Juste deux secondes je regarde lequel est le plus léger.

« - Quoi ?

« - Je regarde lequel des deux est le plus léger pour le faire passer par dessus le portail.

« - Ben grouille toi…. Oh putain y’a des phares y’a des phares ! Planque toi ! »

Fred rabattit la porte du garage le plus discrètement possible vers lui, ne laissant qu’une ouverture minuscule pour regarder dehors. Par la seule raie de lumière qui coupait encore la noirceur du garage, il scruta les mouvements de la voiture.

« - Oh meeerde elle se gare juste là.

« - Tu crois que c’est les proprios.

« - Qu’est ce que j’en sais !? Tu crois que j’habite le quartier ou quoi ? Attends ! Attends attends !! Merde ils se dirigent vers le portail. » Fred referma le dernier centimètre encore ouvert et dans un élan furtif entraîna Jean vers le fond. S’agrippant à son bras, il l’obligea à s’accroupir dans un coin, juste derrière une brouette qui traînait là :

« - Viens ! on va se planquer là au cas où ils rappliquent. 

« - Putain tu m’auras tout fais ce soir » protesta Jean en s’accroupissant.

Dehors une voix féminine demanda :

« - Tu as fermé le garage ? Fabien est allé poser son vélo tout à l’heure mais je n’ai pas vérifié s’il l’avait bien refermé à clef ?

« - Oh ma puce on s’en fout qu’il soit fermé ou pas, y’a jamais personne ici.

« - Va vérifier s’il te plait.

« - Bon d’accord. Allez vas-y rentre, je vais voir. »

Les pas de l’homme crissant sur les graviers se rapprochèrent. Il ouvrit la porte en grand, regarda en arrière vers sa femme et demanda à la cantonade suffisamment fort pour qu’elle l’entende :

« - Y’a quelqu’un ?! » Tassés derrière leur brouette, Fred et Jean ne bougeaient pas d’un millimètre. S’ils avaient pu à ce moment précis rentrer dans le béton et l’un et l’autre l’auraient fait sans hésiter. Dehors ils entendirent clairement la femme pouffer de rire en disant :

« - Oh mais t’es nuuul. Allez ferme cette porte et viens. » Le bruit de la poignée grinça, suivi dans le même élan de celui de la clef dans la serrure. Puis les pas s’éloignèrent.

Malgré le départ des propriétaires ni Fred ni Jean n’osèrent bouger avant un long, long moment et ils restèrent comme ça prostré dans le noir sans se regarder jusqu’à ce que Fred finisse par se relever doucement en chuchotant :

« - Tu crois que c’est bon ? On peut y aller ? »

« - Toute façon on va pas aller bien loin maintenant qu’on est enfermé comme deux cons. » ronchonna Jean en s’étirant.

« - On peut quand même sortir par la fenêtre non ?

« - J’espère. Parce que de là à ce qu’elle soit coincée y’a qu’un pas vu comme c’est parti. » Ce disant, Jean s’assit sur un bidon tout en se frottant les mains pour tenter d’enlever la poussière. Fred lui, se dirigea d’un pas résolu vers la fenêtre qui laissait à peine passer une lumière granuleuse et poussiéreuse.

« - Oh putain mais c’est des mygales qui nichent ici c’est pas possible toutes ces toiles d’araignées. Ah c’est dégueulasse !

- Ben si tu t’étais abstenu de faire le con tout à l’heure on se serait évité toutes ces emmerdes je te signale.

- Ah ça y’est j’ai la poignée. Allllllez vient saloperie de fe-neêêêêtre. » invoqua Fred les dents serrées. Elle finit par céder en s’ouvrant d’un coup. Enfin du moins l’un des deux battants s’ouvrit d’un coup.

« - Je crois que l’autre est bloqué.

« - Fait voir ? Ah ouais t’as raison. C’est la rouille qui a tout bouffé le système d’ouverture. » observa Jean un peu dépité.

« - Bon ben on va pas rester à sécher là pendant des heures. Maintenant qu’on est sûr de ne pas pouvoir faire passer le vélo par la fenêtre y’a plus qu’à se tirer. » et joignant le geste à la parole, Fred prit appui sur le rebord et d’un bond, s’extirpa vers l’extérieur. Jean le suivit aussitôt en prenant bien soin de ne pas abîmer ses vêtements dans l’opération. Mais alors qu’il était entrain d’enjamber la fenêtre, son regard se figea en direction du portail.

« - B…bouge pas Fred. Surtout bouge pas.

« - Qu’est ce qu’y à ? Les flics ?

« - Non. Y’a un clebs qui nous regarde et qu’a pas l’air commode. »

Tout doucement, Fred pivota sur lui-même pour regarder derrière lui. A une trentaine de mètres, un espèce de bouldogue baveux les observait l’air sévère. L’espace d’une seconde tout le monde se toisa, immobile et tendu. Puis fusant comme une flèche, le chien se mit à courir en direction des deux intrus qui n’avaient rien à faire sur son territoire à une heure pareille. Électrisé par la peur, Jean bondit hors de la fenêtre comme un diable d’une boîte et se lança à la poursuite de son ami qui se révéla être un coureur incroyablement efficace et difficile à rattraper.

« - Putain mais il sort d’où ce chien ? » hurla t il plein de panique.

« - J’en sais rien ! Coure bordel coure !! »

Ils arrivèrent hors d’haleine à une haie de tuyas dans laquelle ils s’enfoncèrent sans se poser la moindre question. Du grillage qu’ils rencontrèrent juste derrière, Fred garda un souvenir double. Tout d’abord celui d’une joie énorme une fois qu’il fut de l’autre côté. Il lui fut d’ailleurs impossible de savoir comment il réussit à passer ce grillage aussi vite mais la peur révèle parfois des dextérités cachées. Le deuxième souvenir est celui de la tête de Jean. Il n’avait pas réussi à rattraper son léger temps de retard. En arrivant face au grillage, il avait commencé à le grimper pour s’échapper lui aussi. Mais à mi-hauteur, son visage s’était crispé. Fred avait pu voir alors le chien agrippé au bas du pantalon de son ami. Il voulut se mettre à crier autant pour essayer d’effrayer l’animal que pour se soulager. Mais il fut devancé par le bruit du déchirement du tissu. Un coup sec d’abord. Puis un second beaucoup plus long. Jean bascula d’un coup en avant s’écrasant lourdement la tête dans le parterre de fleurs. Derrière la barrière, le chien quasi hystérique aboyait à tout va, un énorme lambeau de pantalon entre les dents.

Clopin-clopant, il quittèrent le second jardin dans lequel ils étaient tombés. Une fois dans la rue Jean commença à pester contre le chien qui lui avait arraché le pantalon découpant celui-ci jusqu’à mi-cuisse, contre le grillage qui lui avait griffé l’un de ses avant-bras et le ventre, contre ce putain de parterre de fleurs de merde et contre son pote qui décidément était trop con.

« - Te plaints pas. » Répliqua Fred un brin narquois.

« - Te plains pas te plains pas. Je t’accompagne et regarde. Un fute en moins, ma chemise déchirée, je suis tout griffé, j’ai failli me faire bouffer par un crétin de clébard sorti tout droit de l’enfer, juste après avoir failli me faire gauler par le proprio à qui on était entrain de chourer un vélo ; tout ça parce que cet imbécile de Fred multiplie les idées à la con depuis le début de la soirée. Tout ce qui sort de ta bouche m’attire des emmerdes. Tu trouves que j’ai pas de raison de me plaindre ?

« - Ben non. Il pourrait pleuvoir. »

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