vendredi 3 avril 2009

Trois fois...

Antiquité

Le vélo blanc crasseux qu’il venait de s’acheter était une horreur abominable. Sa roue arrière voilée émettait un grincement sinistre. Ses freins étaient cassés à l’avant et à l’arrière du fait du voilage, ils ne remplissaient que partiellement leur office.

« - C’est une antiquité » c’était justifié le vendeur sur le marché aux puces où Pierre l’avait dégauté.

« - Non c’est une merde, avait-il rétorqué en tendant les cinq euros que le forain lui demandait. Mais ça tombe bien c’est exactement ce que je cherche. »

Une antiquité. Pourquoi pas une pièce de musée tant qu’à faire ? Ce qui était vieux et exposé sur un marché n’était pas forcément une pièce rare. Ce qui avait subi les assauts du temps et c’était patiné à son contact n’avait pas toujours pris de la valeur à cette occasion. Bien au contraire. Et ce vélo là en était la preuve. Il avait vieilli, prit des coups, c’était tordu sous le poids de la vie et était devenu au final, moche et sans valeur. Et c’était exactement ce que recherchait Pierre.

Son chouette vélo qu’il avait descendu de Paris pour les vacances, lui avait été volé quasiment dés son arrivée sur la côte. Deux jours qu’il était là et à la première soirée dehors, on le lui avait chouré. Sur le coup ça lui avait foutu les boules à mort. Un vélo tout neuf, sans une rayure. Un vélo qu’on lui avait offert il y avait à peine trois mois. C’était tout juste s’il avait eu le temps de s’y habituer. Il faisait bien attention de ne pas rouler dans le sable avec. Il le rentrait dans le couloir de l’appartement pour ne pas le laisser dehors. Il ne le prêtait pas et avait même refusé de transporter Marc sur son porte-bagage.

« - Quoi ? s’était insurgé ce dernier quand il lui avait exposé son refus. Je peux même pas m’asseoir sur ton porte bagage. Mais je mets ma serviette sous mes fesses...

« - C’est pas question de ça. Mais t’as vu combien tu pèses ? Tu vas voiler ma roue. Et puis t’es pas si loin que ça. Un peu de marche ça te fera pas de mal. » et il avait planté son pote sur place.

Les premiers mètres avec ce vieux clou entre les jambes furent un peu fastidieux. La roue arrière frottait de temps à autre sur le garde boue, ce qui fait qu’il était difficile de prendre de la vitesse. De toute façon comme on ne pouvait pas freiner, ce n’était pas conseiller de rouler à une allure ne serait ce que normale. Non. Il fallait rouler lentement, tranquillement. Rouler comme si le rythme lui même était en vacance.

La selle par contre était super confortable. C’était une vieille selle qui c’était affaissée sans bruit, façonnée par le poids des dizaines de paires de fesses qui s’étaient assises sur elle. Comme le vélo était un poil trop petit pour lui, Philippe avait le sentiment d’être posé plus qu’assis dessus. Le dos arrondi, les genoux remontant un peu plus que la normale, il avançait avec cette drôle d’allure à un rythme que rien ne semblait pouvoir emballer.

Une fois juché sur son drôle de destrier, il lui passa par la tête d’aller se tenter un petit bain matinal. Il était encore tôt, les familles ne seraient pas encore là. Ces amis qu’il devait rejoindre pour boire le café sur la terrasse d’un de leur bar fétiche, ne lui en voudraient certainement pas de l’attendre un peu.

Arrivé sur le parking à vélos, il réalisa qu’il n’avait pas de cadenas. Les baigneurs étaient encore peu nombreux à cette heure-ci  et il était difficile de ce cacher entre deux vélos. Il remarqua alors que sur un des poteaux, un vieux cadenas rouillé pendait là, abandonné. La serrure rongée par le sel avait fini par rendre l’âme, scellant son destin à ce poteau. Pierre s’approcha. Pour se donner bonne conscience, il sortit un trousseau de clefs, fit semblant d’ouvrir la serrure et tout en manipulant le cadenas, l’enroula simplement autour de la potence de son vieux vélo. Il recula d’un pas pour mieux en apprécier l’effet. C’était parfait. On avait vraiment l’impression qu’il était attaché. «  Et puis de toute façon, même si jamais on me le vole, je vais presque aussi vite à pied et je l’ai payé que cinq euros. Ce ne sera pas une bien grosse perte. » Et sur ce constat quasi indifférent sur ce qui pouvait advenir de cette bicyclette, il prit la direction de la plage.

Comme il le soupçonnait, il n’y avait quasiment personne. Le vent se traînait mollement, striant sans y croire la surface miroitante de l’océan. La respiration calme de la mer s’échouant et chuintant sans trêve sur la grève, offrait le spectacle de la sérénité pleine et entière. Sans se donner le temps de réfléchir, Philippe ôta son tee-shirt, camoufla son portefeuille et ses clef à l’intérieur, laissa ses tongs et d’un pas décidé, s’avança vers l’eau. A mi-cuisse il eut un léger instant d’hésitation. La fraîcheur soudaine lui jeta un frisson le long de la colonne. Mais il prit ça comme un encouragement et plongea d’un coup sans réfléchir plus longtemps.

L’eau glissait le long de son corps. Des bruits sourds et aquatiques l’environnèrent, protecteurs. Il aspira une petite quantité d’eau salée dans sa bouche. Les brasses s’enchaînèrent aux brasses. Il sentait qu’il pouvait aller plus loin, encore plus loin, encore un peu plus loin. Puis l’air vint à manquer. Il cessa de nager et se laissa remonter sans efforts. Il perça la surface en crachant l’eau de sa bouche. Avant d’ouvrir les yeux il se passa la main sur le visage. Tout était calme. Il flottait, les yeux fermés, les bras tendus, allongé sur le dos. De temps à autre, son oreille refaisait surface, captant des bruits durs, avant de replonger sous la surface. Il resta comme ça longtemps. Puis de petits tressaillements de froid commencèrent à le parcourir. Il rentra sur le bord. Comme il n’avait pas pris de serviette, il se laissa sécher au soleil grandissant.

De retour au parking à vélo, il retrouva le sien qui l’attendait, fidèle et cabossé. Il l’enfourcha sans avoir à sortir la moindre clef et de son rythme nonchalant, prit la direction du café. Pour la première fois depuis qu’il était là, il avait la sensation d’être vraiment en vacance. En arrivant face au café il retrouva une partie de la bande entrain de discuter de la soirée de la veille, préparant déjà celle du soir à venir.

« - Whoua ! t’as fait des affaires toi ce matin ! » le chambra Céline en le voyant sur sa nouvelle acquisition.

«- Attends c’est une véritable antiquité ! lança-t-il moqueur.

« - Ah bon qu’est ce qu’il fait dire ça ? La rouille sur le cadre ou les pneus craquelés ?

« - Le fait que lorsque t’es posé dessus, tu sens le poids des vacances t’assaillir de sa puissance molle. » Tout le monde partit à rire.

Aucun commentaire: