mercredi 1 avril 2009

Le bateau d'Oleg (3)

« - Abandonner ? je crus sur le moment que je venais de m’adresser à lui dans une langue qu’il ne connaissait pas. Abandonner ?! Non mais tu ne sens pas bien l’architecte, me dit-il sur un ton très calme les sourcils froncés. Abandonner parce que des poutres en bois n’arrivent pas ? C’est ridicule.

« - Mais enfin Oleg…on ne peut pas continuer à construire ce bateau sans poutres c’est impossible. Et elles n’arriveront qu’après l’hiver maintenant. Et encore ça n’est même pas sûr. J’ai eu un courrier du fournisseur, il est très loin d’avoir réuni toutes pièces dont nous avons besoin. Il va nous falloir des mois et des mois avant de réussir à les réunir au grand complet. Cela va coûter des sommes folles et… il m’interrompit d’un geste.

« - L’argent c’est mon affaire. Ne t’en fait pas pour ça. Ce projet je veux qu’il voit le jour quel qu’en soit le prix matériel à payer. Il faut bien que tu comprennes quelque chose l’architecte. Il se leva et commença à marcher dans toute la pièce en agitant les bras. Je suis fier que ce bateau voit le jour et avance chaque jour un peu plus. Je suis heureux lorsque j’arrive le matin ici et qu’une nouvelle journée commence avec son lot de problèmes à résoudre et de solutions à trouver. Si j’ai voulu me lancer dans un projet aussi gigantesque c’est parce que bien sûr, je serai le roi de la mer mais c’est aussi et surtout parce que chaque jour, chaque minute qui vient, je les passe à construire, faire avancer, réfléchir…Tu comprends ce que je veux dire l’architecte ? Je n’abandonnerai pas non pas parce que je suis têtu et fier, même si il y a un peu de ça aussi. Non. Je n’abandonnerai pas parce que si ce projet devait se finir aujourd’hui, j’en recommencerai un autre immédiatement derrière. C’est ma vie. C’est la vie construire des choses et les faire aller le plus loin que tu puisses les porter, tu ne crois pas ? »

Je fus un petit peu surpris de l’entendre dire ça. Je balbutiai bêtement :

« - Oui euh…sûrement…enfin peut être…je ne sais pas  mais en tous les cas ce que je sais c’est que là pour le moment niveau poutre…

« - Ne t’occupe plus des poutres. Je vais me charger de trouver un autre fournisseur. Attaque le pont. Nous avons assez de bois pour le pont ?

« - Probablement, répondis-je un peu penaud.

« - Très bien alors évalue ce que nous avons pour faire le pont et commence les découpes.

« - Très bien.

« - Et quitte moi cet air triste un peu. » Il vint s’asseoir juste à côté de moi, me posa une main sur le genou et avec un sourire franc rajouta :

« - Imagine le bateau navigant au large, chargé et fier, fendant les flots avec ses belles lignes que tu lui auras dessinées et auxquelles tu auras pensé pendant tant et tant de temps. N’est-ce pas tout simplement magnifique ?

« - Si. Oui. C’est sûr. » Je commençais à me détendre un petit peu. Il ferma les yeux, tendit les bras et sur un ton théâtral, le sourire aux lèvres, il reprit :

« - Ah ! L’air marin, les embruns, les terres nouvelles...Respire. Vas-y l’architecte, respire avec moi ? Il prenait de grandes inspirations bruyantes et c’était maintenant levé. Les tempêtes et les couchés de soleil, les dauphins à l’étrave et les îles mystérieuses. Il rouvrit les yeux et éclatant de rire il conclut. AHAHAHAHA ! C’est avec tout ça qu’il faut travailler l’architecte. Pas avec des histoires de poutres qui n’arrivent pas à l’heure. »

Je refermais la porte derrière moi. Commencer à se lancer dans le pont alors que nous ne savions même pas si la structure même du bateau allait nous arriver un jour me paraissait complètement dément. Mais en même temps, que faire d’autres ? Et puis Oleg possédait ce don unique de vous faire voir que la vie était belle, même lorsque tout semblait sombre.

Les jours passaient et je n’avais toujours pas de nouvelles des poutres. Après les découpes du pont nous nous attaquâmes à ce qui devait constituer les cabines. Puis nous nous lançâmes dans les soutes et les compartiments de celles-ci. Dans les entrepôts d’à côté, les marchandises continuaient d’arriver.

L’hiver passa, maintenu loin par Oleg et ses histoires rocambolesques. A chaque fois que l’un de nous se mettait à douter, le rire tonitruant de celui qui nous avait recruté faisait exploser la mauvaise humeur qui ne devenait plus, rapidement, qu’un mauvais souvenir.

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