lundi 9 juin 2008

Absurderie

Le monte en l’art.

Il est arrivé un matin, avec son art un peu bizarre. D’entrée personne n’a pu le voir, on a tous été formel au moins sur ce point. Il se tenait voûté dans son grand imperméable noir, son chapeau melon vissé sur la tête ; sur son nez de drôle de lunettes et au bout de son bras droit, une canne. Une canne immense qui prolongeait ses bras gigantesques dont il usait à la manière d’un chef d’orchestre. Il avait l’art de s’en servir comme pour prolonger sa pensée. Il dessinait avec, des arabesques aériennes et rares étaient les moments qui la voyaient calme et sereine.

Mais ce qui nous intrigua le plus dés le début, c’était les absences qu’il pouvait avoir. Autant il savait être volubile et occuper l’espace, mobile et habile de sa démarche de funambule pris dans la tempête, autant en moins d’une seconde sans que rien ne prévienne, il pouvait suspendre son mouvement dans les arts, figé dans le hasard. Son regard s’éloignait alors, accroché à une pensée de passage et il disparaissait, absorbé par des images, des musiques, des chevauchées héroïques.

S’en suivait de longs monologues envahissants, océan de paroles, d’actes, de mouvements. On aurait dit une danse, une représentation de théâtre, un ballet, affolement fragile dans lequel rapidement nous n’arrivions plus à savoir quel était le but de toute cette agitation. Souvent l’or de ces démonstrations l’art autour de lui, devenait irrespirable. Il lui fallait alors l’espace, le temps, du matériel et si possible des ailes pour retranscrire ce que sa balade imaginaire avait gravé comme souvenirs dans son esprit.

« - Des souvenirs ?! nous dit il un jour à mi-chemin entre la surprise et l’exaspération. Ce ne sont pas des souvenirs. Des sensations, des émotions, des idées que je tente avec mes faibles moyens de hisser entre mon monde intérieur et celui où nous cohabitons. Ce ne sont pas des souvenirs. Les souvenirs sont figés. Ce dont je me sers vie, explose, se détruit et se reconstruit sans cesse dans un vaste mouvement permanant. Je monte je descend je puise et m’épuise dans des tourbillons de sentiments et puis je rentre, chargé de couleurs, d’odeurs…il ne me reste plus alors qu’à bricoler pour essayer de matérialiser ce que j’ai vécu. Pourquoi ? Pour rien. Juste comme ça. Parce qu’après tout, faire cela n’est pas plus bête que courir après un ballon, chasser le phoque ou manger du poisson. »

C’était dans ces moments là que son art était le plus étrange. Contrairement à l’art pur que l’on respire aux sommets des académies, le sien semblait saturé de tout, loin des formats en entonnoirs et des idées claires que l’on pouvait y voir. Un art fait d’anarchie, de frontières franchies et de trésors découverts. Remonter à l’art libre comme à une source, c’était peut être ça en fait qui lui donnait cet art si bizarre.

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