vendredi 20 juin 2008

Moment

Dérive.

« - Teeeeerrrrrrre ! hurla la vigie. Terre Terre terre terre teeeeeerre ! » Aussitôt les quelques marins affalés à l’ombre des bastingages levèrent la tête pour voir la direction qu’indiquait le guetteur et se précipitèrent dans un même élan à bâbord. Ce n’était pas un appel c’était une délivrance. L’espoir était au bout de ce doigt, l’espoir de quitter cet espace rance aux relents de mort et de pourriture qu’était entrain de devenir leur coque à la dérive. Depuis des jours qu’ils n’avaient plus comme nourriture que des haricots secs et de la viande pleine de vers, les journées se succédaient en un morne chapelet de douleur. L’eau avait croupis dans les tonneaux et avait une odeur de vieux puit humide et terreux. Sous la chaleur accablante qui semblait avoir transformé la mer en plomb liquide, ils dérivaient aux grés des courants, privés de vent, sans qu’aucune explication n’ait pu être apporté à cette malédiction. Depuis sa disparition, le vent ne s’était plus manifesté que par sautes sporadiques, ânonnement brûlant et trébuchant. Il remuait de temps à autre avec une perversité malsaine les voiles molles qui dégoulinaient le long des vergues mais ne servait à rien d’autre qu’à énerver les espoirs déçus.
Englués ; ils étaient littéralement pris au piége de ce four infernal et n’avaient aucun moyen de s’en sortir. Ils n’avaient qu’à subir, assis ou allongés le long de leurs fantasmes contemplant de leurs regards vides leur malheur s’accrochant à eux comme une sangsue. Chaque jour ils priaient pour que le vent revienne, même en tempête peu importe mais pour qu’enfin quelque chose les fasse se déplacer, vite si possible. Mais non. Le sort en avait décidé tout autrement. Ils restaient désespérément collés à cette mer d’huile, en route vers le néant, obligés d’attendre que les éléments reprennent leurs courses et veuillent bien les entraîner avec eux dans leur élan. Leur seul but quotidien était d’éviter de mourir. Tenir, encore un peu, encore un souffle, pour que peut être la vie reprenne. Les lèvres craquelées par la soif, les yeux gonflés, mangés par le soleil et le sel, leurs déplacements sur le vaisseau ne se réduisaient plus qu’à des errements pour tromper l’ennui et la souffrance. La chaleur coulait le long de leur corps les enveloppant de son manteau moite et suffocant, étouffant dans l’œuf toute initiative.
Lorsque la vigie hurla « Teeerrrreee !!!!! » ils n’y crurent pas d’abord. Mais le silence avait était brisé avec tant de violence qu’il ne pouvait avoir menti. La vérité était dans ce cri. Et la vie aussi. L’espoir de vivre à nouveau. De reprendre en main ce qui les fuyait. Des rives dont ils tentaient tous de s’abreuver du regard, dépendaient désormais la suite de leurs vies.

Aucun commentaire: