vendredi 13 juin 2008

Moment

Enterrement

Il n’enterrait pas ses parents, il s’en débarrassait. Dans ce matin morne plombé de ciel gris, entouré de quelques visages vieux aux regards perdus qu’il ne connaissait pas et auxquels il n’irait même pas prendre la peine de parler, il soldait les comptes d’une vie qui avait débuté sur un malentendu. Ce n’était pas qu’il ne les aimait pas ses parents, non ; c’était qu’ils n’avaient rien en commun, avec toute l’immensité que comporte le mot rien. Il n’y avait même pas eu de haine entre eux, juste une indifférence abyssale. Très vite d’ailleurs le malaise s’était installé pour ne plus jamais repartir et même au contraire, grandir. Ses souvenirs d’enfance étaient plats et sans échanges, ses parents, deux adultes fantomatiques et lointains. Lui, existait mais au milieu de l’ignorance. Se hissant dans le silence et envahissant sans complexe l’espace de leurs vies qui n’avaient rien à se dire cette engeance avait trouvé dans cette agglutination de personnes sans liens entre elles, le terrain idéal à son épanouissement bestial.
En regardant aujourd’hui leur tombe, il se souvenait avec horreur de ces longs repas sans un mot, sans un regard ; ces longs repas le nez plongé dans son assiette, nageant dans un ailleurs bien meilleurs que cet espace. Le rituel du repas était absurde mais il subsistait comme une mauvaise habitude et comme personne ne voulait le remettre en cause, alors on s’asseyait et on mangeait. Dans ces moments là son père aurait pu gifler sa mère qu’il ne s’en serait même pas rendu compte. Mais son père n’aurait jamais fait ça. Oh non ! Son père était bien trop effacé pour faire une chose pareille. Son père était comme le ciel de ce matin ; tristement gris, lourdement neutre. Alors on ne faisait rien. On mangeait et puis on allait regarder la télé, avant de partir se coucher, chacun de son côté. Une vie en parallèle les uns des autres.
Pour des raisons médicales obscures mais sûrement fausses il n’avait jamais eu ni de frère ni de sœur. Plus tard il en avait déduit que ses parents s’étaient découragés à sa simple arrivée ; qu’il avait un peu trop dérangé un quotidien bien rangé. Ses géniteurs s’étaient fait avoir une fois et ils avaient tout fait pour que la mésaventure ne se reproduise pas.
Toute son éducation n’avait consisté qu’à lui faire comprendre que sa place était celle de celui qui ne devait pas faire de bruit, pas bouger. C’était d’ailleurs la seule chose pour laquelle il les avaient jamais remercié. Cette instruction fade et insipide avait allumé en lui un feu inversement proportionnel à leurs demandes. Cette rigidité dans l’effacement de soi, après l’avoir un temps accepté, il avait dés sa préadolescence commencé à la faire voler en éclats, à la déconstruire minutieusement et du carcan lourd sous lequel ils avaient voulu l’étouffer il s’était fabriqué un tremplin de liberté. Alimenté par ses lectures, la vie qui courrait dans ses veines et sa curiosité insatiable il c’était éloigné pour ne plus jamais revenir. La pension d’abord, à sa demande, la faculté ensuite puis les études à l’étranger. Pas pour fuir. Pour voir encore et encore, boire à toute cette vie à laquelle on avait tenté de le substituer, à toute cette folie si joyeuse et débordante qui envahissait la terre et dans laquelle il se sentait maintenant si bien. Longtemps il c’était interrogé pour tenter de savoir comment ces gens avaient pu enfanter de quelqu’un comme lui, comment il avait pu devenir l’adulte qu’il était maintenant issu de ce cocon stérile. Il n’avait jamais vraiment trouvé de réponses. Il avait juste fini par accepter.

Aucun commentaire: